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De l'isolationnisme en terre étrangère


     Il est un amusant paradoxe de l’esprit humain que l’on peut facilement observer, pour peu que l’on ait à portée de main une ville suffisamment peuplée et attractive pour qu’on y puisse rencontrer en masse la catégorie humaine qui trouve le plus de grâce aux yeux des commerçants et des escrocs – le sujet n’étant pas à la médisance, nous les distinguerons –, à savoir le touriste. Qu’est-ce donc qu’un touriste ? Il s’agit de cette catégorie d’étranges personnages envahissants aux goûts vestimentaires et culinaires toujours des plus douteux, et qui nous obligent constamment à d’énormes détours pour éviter de passer entre eux et le sujet qu’ils photographient, lequel ne présente généralement aucun intérêt aux yeux des autochtones et se trouve le plus souvent à une distance idéale spécifiquement calculée pour ennuyer le plus possible de locaux bien éduqués.


     Quel rapport avec la choucroute, me demanderez-vous. J’y viens justement. Si une petite partie de la gent touristique, pleine de bonne volonté, tente parfois de s’habituer aux mœurs et à la cuisine locale, allant parfois même jusqu’à tenter d’apprendre la noble langue vernaculaire avec une véritable bonne volonté ; il n’en demeure pas moins qu’une large fraction préfère rester entre eux, c’est-à-dire entre représentants d’une même nationalité et d’une même langue, voire d’un même patelin pour les plus coriaces. Et cela sans le moindre embryon d’effort pour une quelconque tentative d’approche ou d’intégration à une aimable population locale – bien que la définition de l’adjectif aimable puisse varier quelque peu, allant de l’accueil bienveillant à l’ignorance absolue, selon les localités – à qui il s’impose pourtant sans consultation préalable. Le touriste, donc, qui paye une somme exorbitante pour souffrir du mal du pays, et cela théoriquement dans le but de découvrir et de profiter de nouvelles régions, coutumes et arnaq spécialités locales, finit presque invariablement par rester en groupe restreint, n’entendant pas un mot de la langue officielle du pays où il se trouve et s’exaspérant que personne ne parle la sienne, juste après avoir ri des traits physiques particuliers du seul local présent capable de le comprendre, en étant persuadé qu’il ne l’était pas – c’est bête, la frontière n’est pourtant qu’à quelques kilomètres…


     Certains de ces individus, ayant un patriotisme plus surdimensionné que la moyenne, vont jusqu’à dédaigner les restaurants traditionnels du pays qu’ils enrichi honorent de leur présence pour aller dîner dans une gargote prétendant refléter parfaitement leur patrie d’origine, arborant fièrement les couleurs nationales. Bien f Cruelle déception ! De toute évidence, le patron n’a pas mis les pieds au pays depuis plusieurs décennies. Où a-t-il bien pu trouver de telles recettes, comment était-il possible de rater ce plat… Voilà les questions qui hanteront – entre deux crises de vomissements – les pensées du touriste, dont la fierté égalant celle d’un coq l’a poussé à ne pas se joindre aux sympathiques populations locales, qui ne comprennent certes rien à l’intérêt gastronomique des grenouilles, des escargots et du fromage moisi, mais qui possèdent leur propre orgueil et savent préparer des mets qui valent le détour, dans le bon comme dans le mauvais sens du terme.


     Et je ne vous parle même pas des quelques spécimens n’ayant pas cru nécessaire de s’informer, au niveau desdites mœurs, sur celles qu’il était pourtant impératif de connaître pour, avant même d’être sorti de l’aéroport, ne pas s’attirer l’antipathie des populations locales, assurer sa propre sécurité ou encore éviter l’incident diplomatique en faisant LA chose qu’il ne fallait absolument pas faire. Il est par exemple recommandé de ne pas confondre les couleurs de la noblesse et de la pureté avec celles du deuil, les conséquences en termes de réputation et de crédibilité pouvant s’avérer funestes, en particulier sur un monument national comme peut l’être une Grande Muraille et sous les caméras retransmettant en quasi-direct l’interview à la télévision nationale ; ainsi que de ne pas commettre d’affronts aux symboles nationaux, comme pourrait l’être le fait d’uriner contre le mur d’enceinte de Buckingham Palace, ce qui de plus entache encore la réputation déjà particulièrement lamentable de notre peuple aux yeux des autres populations.

 

     Parfois, lorsqu’il se plaît particulièrement au sein de la société dans laquelle il n’a toujours pas cherché à s’intégrer, le touriste, pour profiter d’avantages fisc d’un cadre de vie différent, peut décider de s’installer dans le pays en question. De touriste, il passe alors au statut d’immigré, et va le plus souvent s’installer dans des zones où un certain nombre de ses semblables l’ont déjà fait, parfois plusieurs générations plus tôt. C’est ainsi que le nouveau venu atteint le paroxysme de sa non-intégration à son nouveau pays, en participant à l’élaboration d’un quartier entier ne ressemblant plus qu’à une sorte de colonie étrangère, où l’autochtone n’est plus que toléré, mal vu, voire indésirable dans certains cas extrêmes.

 

     Voilà donc pourquoi il est et restera toujours absurde et sans intérêt, lors d’un voyage au-delà des frontières, de ne rester qu’entre membres d’une même origine sans jamais s’intéresser à ce qui nous y entoure, dédaignant par le même coup un supplément culturel pourtant très appréciable. Pourquoi partir si loin si c’est pour n’y rien apprendre, n’en rien ramener ? Voilà un état d’esprit bien difficile à comprendre…