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La promenade des éloignés

 Un spectacle sans-papiers, sans domicile fixe, mais pas sans humour et émotion.

 

Un coin de rue, un unique projecteur et un homme en costume, un homme avec sa valise. Cela se passe en bas de chez vous, et pourtant La promenade des éloignés est un spectacle, mais dehors, dans le cadre d'un festival (Chalons sur Saône, Aurillac pour les plus connus), ou pour une fête communale, à l'occasion d'une quelconque activité culturelle. Petit à petit, le protagoniste prénommé « Gorky », à l'accent balte et au regard vif derrière ses airs timides, va prendre toute sa place dans l'espace public, et en douceur, il va venir bousculer les consciences par un subtil décalage entre poésie des mouvements et gravité du récit de destins d'aujourd'hui.

Gorky est un ressortissant étranger -on le devine très vite- qui parle un français incorrect, mais qui fait sourire et le rend attachant. Artiste de cirque, il va et vient avec sa valise pour seul bagage, et ce depuis si longtemps qu'il ne se rappelle pas même d'où il vient. Dès qu'il le peut, il jongle, et à l'occasion, il fait des rencontres: d'autres étrangers comme lui, des Français également, et aussi la police, parfois. Le récit d'un éternel voyage est offert au public, captivé par la parole du comédien qui incarne ce personnage, Frédéric Pradal, avec toute sa naïveté et sa candeur, tandis qu'il est confronté à des situations pour le moins déroutantes ; l'exil, la précarité, la pauvreté, la rétention administrative et la menace d'être renvoyé à la case départ.

La simplicité et la générosité reviennent toujours frapper le public de plein fouet, juste à temps, juste avant que l'émotion ne soit trop forte, le sourire de Gorky vous ramène à ce que l'humanité a de beau, vous rappelant que le spectacle est avant tout partage. Ici, on s'indigne sans recours au registre polémique, et c'est bien le regard de cet étranger candide qui permet d'aborder les thématiques controversées, car politiques, que sont le rejet de l'étranger et la question des sans-papiers, sans que jamais le discours ne prenne un tour idéologique. Poétique et dur à la fois, le spectacle vous force à regarder les choses d'un point de vue plus humble, donnant à contempler l'existence aux travers des yeux de Gorky. Car quelle que soit sa situation, c'est toujours sans ressentiment et avec malice qu'il appréhende les événements, nous donnant une belle leçon d'humanité.

Né il y a dix ans au sein de la compagnie de théâtre du Petit à petit, il n'a cessé de parcourir les routes de France pour raconter son histoire, et depuis il a fait un remarquable bout de chemin. Repris en solo par Frédéric Pradal, jongleur, mais aussi comédien, et qui pour l'occasion s'est formé au clown, Gorky n'a cessé d'évoluer au fil des nombreuses représentations d'un premier spectacle, Balles Populaires, créé en 2002, puis du second qui tourne depuis maintenant un an, et continue d'être représenté : La Promenade des éloignés. Il est présenté essentiellement dans des festivals de théâtre de rue, en programmation « off », comme celui d'Aurillac qui a lieu au mois d'août. C'est là que j'ai eu le bonheur d'y assister par hasard, au détour de rues investies de tous côtés par des centaines de compagnies le temps d'une quinzaine.

Conçu pour vivre au grand jour, ce spectacle est donc pensé pour la rue, et le cadre s'y prête à merveille. On pourrait croire que le passage, le bruit de fond d'une ville qui vit, la pluie même, empêcheraient la parole d'être portée et comprise, mais c'est le contraire qui se produit. Le comédien est proche de son public, il peut le regarder dans les yeux, et ce public, s'il est captif, ce n'est que par la force du récit qui tient l'auditoire plus qu'attentif. Ce mélange subtil de poésie teinté de gravité et d'un langage simple et hésitant est à redonner foi en l'humain, faisant état d'une réalité sans la dramatiser, mais au contraire en la transcendant et en en faisant un moment d'une rare intensité.

Ce spectacle est aussi un moment de partage, riche, parce qu'il parle de rencontres, tristes et belles à la fois, comme la vie de Gorky. Au fur et à mesure du récit viennent s'installer dans notre imaginaire les personnalités des compagnons de route du protagoniste, aux trajectoires atypiques et fracturées, et dont les destins se sont croisés. Pour terminer, et sûrement parce qu'il voudrait partager une dernière chose avec nous avant que ne se termine la représentation et que chacun ne retrouve le cours de sa propre existence, Gorky fait passer dans le public les portraits de ses amis croqués sur une feuille de journal déchirée, une serviette de table, ou encore avec du café pour encre. Passés de mains en mains puis accrochés sur la valise pour pouvoir ravir encore un peu les yeux des spectateurs, ils complètent le récit en prêtant des images aux mots, prosaïquement, poétiquement, concluant ainsi, sans prétention aucune, le propos mieux qu'aucun « mot de la fin » ne saurait le faire.

 

Pour plus d'information, vous pouvez consulter le site Internet du spectacle : http://www.lesitedegorky.com

 

Manon Zanardi, L1 Humanités.