La Vie devant soi

nov.
20


Faire d'un prix Goncourt une pièce de théâtre? L'idée pourrait en faire sourire plus d'un...
C'est pourtant ce qu'a osé faire X
avier Jaillard, en transposant sur la scène le texte de Romain Gary (alias Émile Ajar), La Vie devant soi. Un pari osé, tant le roman allie une complexité de langage et de chronologie. En effet, raconté à la première personne, La Vie devant soi est la reconstitution de la vie de Mohammed, fils musulman de prostituée en pension clandestine chez Madame Rosa, elle-même ancienne péripatéticienne juive, survivante d'Auschwitz. C'est donc dans une langue aux tournures à faire sauter au plafond plus d'un professeur de français que s'étalent sous nos yeux les souvenirs de ce garçon, dans une chronologie tantôt confuse, tantôt suivie. Les personnages défilent, les anecdotes aussi.


Comment alors est-il possible de mettre en scène cette histoire? Comment garder le caractère du texte? Comment restituer l'ambiance de ce récit au style quelque peu enfantin et en même temps si grave sans dérouter le public?
Xavier Jaillard, assisté de Didier Long pour la mise en scène, a choisi de prendre parti. Nous n'assisterons pas à une transposition, mais bien à une adaptation. Pas de retour en arrière, mais une histoire chronologique, ainsi qu'une distribution réduite à quatre personnages. Mohammed (Aymen Saïdi) et Madame Rosa (Myriam Boyer) occupent la scène pratiquement d'un bout à l'autre, laquelle se cantonne à représenter l'appartement ou la cave de l'immeuble, et reçoivent de temps en temps la visite du docteur Katz (Philippe Vincent) et celle, moins appréciée, du père de Mohammed (Majid Bouali), événement central de la pièce comme du roman.
Malgré tout, l'ambiance du roman a su être conservée grâce aux dialogues écrits dans une langue « très orale » et reprenant les termes les plus fréquents du livre (“Ce proxénète est vrai maquereau!”), ainsi qu'à des morceaux choisis de l'oeuvre lus par le jeune homme et passés en bande-son. Une musique yiddish vient assurer la transition des scènes, tout en apportant sa contribution à l'atmosphère de l'appartement.
Si l'histoire se suit et se tient, si, dans le fond, elle reprend bien celle du roman, on notera tout de même la modification, voire l'absence, de plusieurs anecdotes. Mais ce n'est pas le plus gênant.
Les inconditionnels de La Vie devant soi par Romain Gary seraient très certainement choqués en découvrant à quel point la fin a été “édulcorée”. Bien sûr, pas d'effet inverse, on garde la dureté, la tristesse et le désarroi. Mais on perd un peu l'horreur que l'on peut éprouver à la lecture du livre. Alors, une version adoucie: pour ou contre? C'est à chacun de se faire son opinion, et de se poser la question suivante: peut-on montrer sur scène tout ce qui a été écrit?


Il est possible que certains lecteurs soient légèrement déçus, tout comme il n'est pas inenvisageable que certains apprécient l'angle choisi, qui évite le “copier-coller” raté d'un tel titre de la littérature.
En revanche, ceux qui n'auraient pas lu le roman de Romain Gary et qui s'intéressent à ce monde d'après-guerre comme à celui du “bas-peuple” devraient y trouver leur compte, et passer un agréable moment, à la fois dur et drôle...


La Vie devant soi
Roman de Romain Gary (Emile Ajar)
Pièce adaptée par Xavier Jaillard – mise en scène: Didier Long


Véronique Sylvain (L2 Humanités)