Les jeunes Allemands et l'histoire nazie
L’histoire est une forme de reconstruction du passé, à partir de documents conservés. Plus on se rapproche du temps présent, plus il y a de documents sur le passé que l’on considère. C’est notamment pour cela qu’il y a une grande variété de sources disponibles concernant l’époque du national-socialisme, pour ceux qui s’y intéressent. Mais pendant longtemps, en Allemagne, il y a eu comme une forme d’ « omerta » sur l’ensemble de la période allant de l’unification des pays allemands jusqu’ aux années 70. De sorte que, durant plusieurs décennies, les jeunes générations ont dû faire face à un grand silence concernant le passé de leur pays – leur passé -, pourtant inchangeable et toujours présent. Comment ont-ils réagi ? Et qu’en est-il de nos jours ?
Après avoir grandi dans des conditions matérielles souvent aisées, les jeunes Allemands de la génération de mai 68 ont commencé à se rebeller contre une Allemagne conservatrice, et contre leurs propres parents. Ce qu’ils voulaient savoir : quel avait été le rôle de leurs parents dans la machinerie nazie – s’ils avaient simplement toléré les répressions à l’égard de leurs concitoyens, ou s’ils avaient participé activement aux harcèlements. Alors que la Seconde Guerre Mondiale était encore partout présente dans le paysage allemand, où l’on voyait encore des maisons entièrement détruites, et dans la population même, où l’on rencontrait encore de vieux Nazis glorifiant Hitler et sa dictature, et alors que les hommes politiciens allemands dépendaient encore politiquement des anciens pays Alliés, il leur apparaissait à la fois insupportable et ironique de ne pouvoir en parler ni à la maison, avec les personnes les plus proches, ni à l’école.
Mais plus les jeunes se rebellaient, plus l’Etat intervenait d’une manière répressive, ce qui ne faisaient qu’entraîner des rébellions plus fortes. Cet engrenage a été directement à l’origine de la Fraction armée rouge (ou « Bande à Baader ») qui terrorisa l’Allemagne de 1968 à 1998.
Puis, peu à peu, suffisamment de temps s’est écoulé pour qu’on puisse enfin aborder cette époque peu glorieuse de l’histoire allemande. L’histoire contemporaine a fini par s’installer dans l’enseignement scolaire, et la période d’exclusion du passé s’est terminée.
De nos jours, il existe des masses de documents auxquelles les jeunes peuvent avoir accès. Les musées et les théâtres reprennent les œuvres que les Nazis considéraient comme « dégénérées ». Et la littérature, les documentaires télévisés, l’enseignement scolaire abordent fréquemment la période nazie. Dans une même intention : nous faire comprendre l’incompréhensible. Comment les Nazis ont tenté d’exterminer le peuple juif, considéré comme une race inférieure, indigne de vivre et d’occuper le Lebensraum dont les Aryens avaient besoin ; comment ils ont assimilé, pendant la dictature d’Hitler, tous ceux qui n’étaient pas aryens à des animaux ; et, ce qui est le plus dur à accepter, comment le peuple allemand presque tout entier a participé, lui aussi, aux atrocités, directement ou indirectement.
Le but d’informer les jeunes générations sur ce qui s’est passé afin d’éviter le renouvellement de tels événements est évident. Et c’est d’ailleurs le seul moyen d’obtenir une société éclairée et armée contre des idéologies racistes. Mais récemment, une autre question s’est posée : que faire quand les jeunes ne veulent plus rien savoir sur ce chapitre de leur histoire, et qu’on atteint le point de saturation ?
Pour comprendre ce phénomène il faut savoir que, pour les Allemands d’aujourd’hui, le national-socialisme n’est pas seulement une période sombre de leur passé, mais un traumatisme toujours vivant. La culpabilité est passée d’une génération à l’autre, pas d’une façon active, mais d’une façon passive, subtile.
Aussi, les jeunes d’aujourd’hui se sentent toujours coupables ― coupables de crimes commis plus de cinquante ans avant leur naissance, et alors même qu’ils n’ont plus de relation directe avec cette période de l’histoire de leur pays. Et ils finissent par ne plus vouloir se considérer constamment comme des criminels à cause de ce qui s’est passé pendant la jeunesse de leurs grands-parents. Ils demandent à pouvoir vivre leur vie présente pour eux-mêmes. A visiter les camps de concentration comme les autres étrangers, en étant, comme eux, choqués par les cruautés qui y ont eu lieu, mais sans avoir à porter le fait, très lourd, que ce soit à cause de leur pays que des millions de personnes, y compris des enfants, y ont trouvé la mort. Même si, en même temps, ils ne cessent de trouver cruel, aussi, et inhumain, de vouloir abandonner le sentiment de culpabilité qui les habite, et qui, désormais, est si étroitement lié à leur nationalité. Parce qu’ils ont honte de ce désir, pourtant justifié, de ne pas être coupables.
Quelle est la meilleure solution ? Faut-il moins parler du national-socialisme aux jeunes, au risque de ne plus les protéger contre les simplifications idéologistes et racistes ? Ou faut-il, au contraire, continuer à les « bombarder intellectuellement » sur ce sujet ? Peut-être sous-estimons nous le fait, qu’avec le temps qui passe, le national-socialisme sera aussi un jour un épisode de l’histoire avec lequel les gens s’identifieront de moins en moins, et que, les témoins disparaissant, l’époque d’Hitler ne fera plus partie, dans quelques décennies, de l’histoire contemporaine. Ce chapitre cruel de l’histoire allemande sera alors appréhendé par le monde entier, y compris par les Allemands, comme la preuve même qu’il est possible de rendre un peuple profondément raciste, en lui faisant subir un véritable lavage de cerveau, comme cela a aussi été le cas en Bosnie et au Rwanda. Mais la relation que les Allemands entretiendront avec cette partie de leur passé pourra, désormais, ne plus être aussi pesante.
Louise LAUBENBERGER
L1 Humanités. Etudiante Erasmus.