Littoral
« Ma mémoire est une forêt dont on abat les arbres, j’oublie. »
Littoral est la première pièce d’un quatuor comprenant Incendies, Forêts et Ciels. La pièce s’ouvre sur un décès. Comme dans Incendies ce deuil pose la question de l’identité, de l’oubli, de la filiation. A travers un retour aux origines et par des rencontres, c’est la vie elle-même qui se dévoile, drapée de douleur et de beauté, « Elle est là, la vie est là ! […] Comme la vie est belle.»
Wilfried perd son père et se retrouve confronté au problème de l’ensevelissement, la famille de sa mère morte en lui donnant naissance refusant de l’enterrer dans le caveau familial. Dans une première partie de la pièce Wilfried raconte à un juge son histoire, l’histoire de ses parents, reconstituée au fil des lettres non expédiées trouvées dans les affaires de son père, afin d’obtenir le droit de ramener son père dans son pays natal. Puis dans une seconde partie, Wilfried part en quête d’un lieu pour enterrer son père. Au cours de ce voyage initiatique dans un pays ravagé par la guerre il croisera le chemin d’autres déracinés, portant, comme lui, de lourds fardeaux. Ils arriveront au littoral où ils « emmereront » le corps du père.
« Par où commencer c’est la toute la question ».
Dans une semi-obscurité les personnages tressaillent contre un mur avant de recouvrir Wilfried de peinture. Leurs sursauts laissent sur le décor l’empreinte blanche de leur tremblements et la forme du corps de Wilfried.
La peinture au grès de ses couleurs se fait sperme, sang et mer. La scène est éclaboussée de blanc, de rouge et de bleu, éclairant, colorant les personnages.
L’imaginaire de Wilfried rythme la pièce, que ce soit l’équipe de cinéma car il a « toujours l’impression de jouer dans un film », qui fait également office d’équipe de nettoyage, (ainsi la raclette devient le micro du preneur de son, le seau, un spot et la guitare sert de caméra) ou le cadavre de son père qui semble bien vivant et qui pourrit tranquillement en passant par le chevalier de Guiromelan, fantasme projeté, son ami, son allié. Tous ces éléments nous rappellent que « rien n’est plus fort que le rêve, à jamais ». Mais cet univers onirique n’est pas dénué d’humour et d’auto-dérision à la fois, avec la double fonction de l’équipe, l’excessivité parfois comique du chevalier ou le détachement du père.
Dans la deuxième partie, le rythme se ralentit et les mots prennent plus de valeur métaphorique, ils sont d’avantage pesés, la parole fait sens. Face à Wilfried : Simone, la jeune fille qui chante faisant écho à la femme qui chante d’Incendies. Il faut s’enraciner à ses origines pour ne pas dériver, à l’image du père « emmeré » et attaché aux annuaires.
L’écriture de Mouawad tantôt orale, tantôt lyrique mais toujours juste et belle, est toujours rapide, très rapide et de surcroit Wilfried (Emmanuel Scwartz) a l’accent canadien, mais la performance des acteurs est excellente et pas seulement dans leur articulation. La mise en scène est simplement époustouflante, une succession de tableaux marquants.
Littoral, texte et mise en scène de Wajdi Mouawad
Théâtre 71 à Malakoff
Du 20 janvier au 21 février 2010