Métamorphose du Misanthrope au théâtre 13
Métamorphose du Misanthrope au théâtre 13
Le temps pluvieux est de saison fin octobre, prévisible donc. Ce qui l’est moins est la mise en scène du Misanthrope au théâtre 13 le 24 octobre. On est frappé de plein fouet par la modernité du cadre et des personnages . La pièce bénéficie d’un nouvel éclairage, permis par une mise en scène contemporaine, qui rivalise aisément avec celles de la Comédie Française.
La mise en scène est essentielle pour aborder une œuvre théâtrale et sentir la subtilité des personnages. En effet, nos lectures personnelles d’œuvres classiques, aussi consciencieuses soient-elles, ne peuvent rendre parfaitement l’intonation des répliques, surtout lorsque les personnages, les scènes et les actes se succèdent à la vitesse de la lecture.
Aller au théâtre permet de savourer les silences, la gestuelle propre à chaque caractère. Sur les planches se révèle véritablement une œuvre. Avec surprise, on redécouvre la pièce et ses subtilités sous un nouveau jour ! Le metteur en scène apporte sa vision : les personnages, les décors sont sujets à une interprétation personnelle.
Cette impression est renforcée dans le Misanthrope par la mise en scène de Dimitri Klockenbring qui présente admirablement le caractère intemporel des personnages principaux : Alceste, un homme qui semble maladivement attaché à promouvoir la sincérité contre le mensonge et l’hypocrisie qui règnent dans ce monde et Célimène, une jeune veuve qui ne peut se résoudre à choisir entre la vie brillante qu’elle mène en son salon et l’existence austère que lui propose Alceste.
La scène d’exposition donne le ton : On entend des voix couvertes par une musique d’ambiance. Le pas vif , l’air irrité, un homme impose sa silhouette filiforme sur la scène. Il s’insurge contre le comportement complaisant de son ami (Philinte) envers un homme rencontré au cours de la soirée. Ce dernier répond à ses attaques entre deux biscuits apéritifs.
Plus tard , la scène des portraits (où Célimène montre son aisance à souligner les traits caricaturaux de ses pairs dans la société mondaine ) devient , non sans étonnement, un lendemain de soirée arrosée. En témoignent les comportements émoustillés des marquis Acaste et Clitandre, qui s’étendent sans prestance au sol, l’un portant un slim, l’autre des chaussures Stan Smith !
De même, les décors épurés -tout au plus un canapé ou une chaise au milieu de la scène- invitent le spectateur à s’intéresser au jeu des comédiens. Il dévoile un homme dont la déception s’aggrave tout au long de la pièce (ses humeurs en sont d’autant plus noires), une Célimène qui est égoïste avec naturel, Philinte raisonnable, mesuré dont la sagesse compense le délire d‘Alceste. Les personnages secondaires sont remarquables de justesse.
Alors jusqu’où mettre en scène sans heurter la signification de l’œuvre ? Si le jeu des comédiens est bon, on peut rester sceptique devant un traitement très original qui frise l’anachronisme : annonce d’arrivées successives des prétendants par interphone !
Mais on peut aussi se laisser emporter par cette prise de risque finalement efficace et plaisante . Le metteur en scène impulse un nouveau souffle à cette pièce qui fut peut-être trop souvent représentée avec pour seuls atouts le talent des comédiens et la pertinence des décors.
Toute la modernité de la mise en scène s’exprimera à la fin de la pièce . En effet, les comédiens emprunteront l’un après l’autre les escaliers destinés au public à la fin de la représentation. Cette sortie originale, permise par la proximité de la scène et du public, invite à réfléchir sur la portée de la pièce dans notre quotidien.
Cette mise en scène vivante portée par de jeunes comédiens honore Le Misanthrope. Eminemment contemporaine, elle aborde la question de l’individu et son rapport à autrui dans notre société. En effet, à travers l’attitude d’Alceste se pose cette question troublante : avons nous le droit de refuser le monde tel qu’il est ? oui, mais à quel prix…pour notre atrabilaire amoureux, ce sera l’exil !