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Nature et paysages : inhumain et beauté


Si l’on m’avait demandé de qualifier simplement la peinture de ces deux grands artistes viennois que sont Klimt et Schiele,  j’aurais sûrement parlé de « peintres de l’humanité dans sa beauté et sa laideur», et je me serais trompée. Bien que l’homme occupe une place plus que notable dans l’œuvre des deux peintres, ces derniers exercent aussi leur art dans la peinture de la nature dans laquelle ils n’excellent pas moins.

 Leur peinture des paysages leur appartient tout autant qu’ils savent se faire reconnaître dans l’humain qu’ils peignent : on découvre alors une représentation minutieuse de cette nature absente des centres-villes que fréquentent les deux hommes. La nature est alors le lieu de l’absence de l’homme et du repos de l’artiste qui peut s’adonner à un exercice nouveau.



Chez Egon Schiele, la nature est comme une représentation de la pureté car « épurée » de toute présence humaine : la nature a cependant elle aussi ses formes, son architecture, comme si elle était vivante. La représentation des paysages permet au peintre une utilisation plus systématique des couleurs, et en particulier dans ce paysage automnal. Bien que cette exercice sur un thème différent semble plus apaisée que ne l’état la peinture de l’humain, elle conserve dans ses courbes horizontales et verticales une sorte de tension, un ordre à la fois mouvant et fixe qui confère à la nature une puissance muette, comme si le peintre s’était retrouvé sans moyens devant un élément plus fort que lui, simple mortel. L’absence de vie humaine dans le tableau semble alors aller de paire avec le caractère sacré de cette nature, l’homme sur ce tableau interviendrait tel un blasphème, la violation d’un ordre pur.



Je vous parlais jusque là de nature et de paysages : chez Schiele le paysage est aussi urbain et toujours pourtant à l’écart de l’homme comme vous pouvez le voir sur cette représentation d’un quartier de Krumau en Bavière où il travaille en 1911. Mais tandis que la représentation de la nature chez l’artiste se caractérise par la pureté qu’elle renvoie, une nature vivante et puissante, la ville apparaît comme un espace clos et morbide : ici les maisons sont les unes sur les autres et la ville semble morte, inhabitée. On a alors l’impression d’observer une cité déserte.

 

La nature nous semblait embellie par l’absence de l’homme, la ville nous apparaît ici au contraire sans vie car dépourvue d’une présence humaine. La nature et les différents paysages demeurent sous le pinceau de l’artiste des lieux en rapport à l’humain, qu’il en fasse partie ou non.

 


Chez Klimt, la nature est le lieu des vacances qu’il passe en compagnie d’Emilie Flöge, sa compagne. Loin de ses modèles féminins, il développe son art dans une peinture minutieuse et minimaliste du paysage : la représentation de cet univers est toujours florissante et complexe, comme c’est souvent le cas dans les décors de ses tableaux « citadins ». Klimt s’approprie ainsi cette nature qui l’entoure : n’étant soumis à aucune contrainte, il peut peindre comme il l’entend ce monde suspendu, hors du temps.

 Je ne peux que vous inciter à vous extasier devant la minutie de l’étendue florale, milliers de petits points colorés faisant se confondre arbres et fleurs dans un univers proche du merveilleux.

 


On retrouve cette même minutie dans la peinture de ce paysage automnal dominé par les tons roux des feuilles et le gris des arbres zébrés : si l’on pouvait rentrer dans le tableau, on s’attendrait à sentir craquer sous nos pas les feuilles d’arbre. 

 

Peindre la nature est donc aussi pour l’artiste un moyen de s’entraîner à composer les nombreux décors floraux qui font son style. Souvenez-vous du parterre de fleurs sur lequel les deux amants du Baiser s’embrassent. Je vous laisse vous remémorer la scène : ça se passe ici.

 

Bien qu'elle soit justement caractérisée par son aspect inhumain, la nature demeure chez nos deux artistes en rapport direct avec l'homme: sublimation d'une nature épurée de toute présence humaine chez l'un, représentation de motifs multicolores omniprésents dans les portraits chez l'autre, elle demeure le lieu d'une inspiration nouvelle de laquelle l'homme n'est jamais bien loin.