Une place à prendre, J.K Rowling.

janv.
3

 

Une place à prendre.
J.K Rowling

Ayant fait parti de la génération qui avait grandi en même temps que le célèbre sorcier, Harry Potter, j'avoue avoir un peu appréhendé la lecture de ce nouveau livre, paru il y a peu de temps et écrit par l'auteur de la saga en question. On peut d'abord lire sur la quatrième de couverture, qu'Une place à prendre est «un roman d'adulte» et c'est là, que se trouve toute la nouveauté. Comment, pour des lecteurs qui ont, toute leur vie, vu cette auteur comme une magicienne à l'imagination extraordinaire pourront-ils arriver à se détacher de cette image ? Mais surtout, comment l'auteur s'y est-elle prise pour qu'on ne l'associe désormais plus seulement et uniquement à Harry Potter ?

Et bien tout d'abord, le changement radical s’opère par la modification de registre. Il va de soit que l'auteur adapte son langage en fonction du public qu'il vise mais le fait est qu'ici, J.K Rowling a recours à un registre familier, voire très familier, bien loin des champs lexicaux fantastiques et enfantins que l'on trouvait en lisant les aventures du sorcier. Les insultes se suivent, les paroles sont crues et l'auteur est sans gêne. Les thèmes, évidemment, sont différents. Bien loin des petites histoires de magie, Une place à prendre traite surtout de l'hypocrisie entre les adultes de nos sociétés et notamment celle de Pagford, un petit village anglais, province bourgeoise et en apparence tranquille.

L'histoire se passe donc en Angleterre et Pagford se situe entre Yarvil, disons grande métropole anglaise, et la cité des Champs, beaucoup moins classieuse, sous la tutelle de la petite bourgade Pagfordienne. Un notable de la ville, Barry Fairbrother, s'effondre sur le parking d'un restaurant, sans raisons particulières et perd la vie. Débute alors une vraie bataille, sans foi ni loi pour prendre sa place au Conseil paroissial de la ville, un poste très important aux yeux des habitants. Deux volontés de gouverner s'opposent alors : ceux qui souhaitent suivre les traces du défunt et ceux qui s'y opposaient depuis toujours, sans l'avoir jamais manifesté. La mort du personnage permet donc aux Pagfordiens de se révéler sous leurs vrais visages. Se dévoilent alors de terribles secrets, et les conflits d'intérêts vont se mettre à éclater progressivement. On s'éloigne donc bien de ce qu'avait pu écrire l'auteur auparavant. Les conflits entre sorciers laissent place aux conflits entre chacune des visions politiques très opposées, les histoires d'amour fleur bleue laissent place au viol et la magie, à la drogue.

Fairbrother était, on peut le dire, la seule personne honnête et authentique du village. Conciliant, à l'écoute, ses partisans le voyait comme une sorte de dieu et continuent de soutenir les causes pour lesquelles il s'était battu de son vivant, comme le fait qu'il souhaitait absolument garder la cité des champs sous la tutelle de sa commune. La cité en question incarne pourtant tout ce que la plupart des habitants de Pagford déteste : la misère, la saleté, la délinquance et la drogue. (Sous le portrait sombre et morose dessiné par l'auteur, on devine ou du moins, on suppose, la volonté que Rowling a eu d'exposer une certaine partie de sa vie, de son enfance, qu'elle a elle-même passé dans des conditions identiques. On peut y voir la critique des villes anglaises de l'époque qui cachaient, à quelques pas plus loin du centre ville, des endroits insalubres comme la cité des Champs.) On y trouve d'ailleurs la clinique de désintoxication, Bellchapel, qui s'ajoute à la longue liste des combats de la guerre civile entre les habitants. Il va de soi que ceux qui s'opposent aux idées du défunt s'opposent au maintien de la clinique. A vrai dire, les Pagfordiens «conservateurs» s'opposent à à peu près tout ce qui dérangerait leur confort personnel ou qui détruirait l'image parfaite qu'ils donnent de leur commune, qui est pourtant loin de l'être. Tous plus hypocrites les uns que les autres, les habitants font mine de s'entendre, vont même jusqu'à faire semblant de s'aimer, mais s'invitent à dîner pour avoir le monopole de la discussion ou encore pour rendre leurs hôtes ridicules ou tenter de les déstabiliser pour voir jusqu'où iront ces derniers. On ne sait donc pas lequel des deux paysages - à savoir celui la cité des champs ou de Pagford - est le plus immonde, le fait est que les deux présentent, tour à tour, des aspects à la fois nauséabonds et effrayants. On pourrait penser que les habitants de la cité ont, au moins, l'avantage d'être authentiques, mais ils ne sont, dans un deuxième temps, que très peu «civilisés» et ne font aucun efforts pour s'en sortir. A l'instar de cela, les pagfordiens sont aisés et prônent des valeurs progressistes, bien qu'ils soient tous névrosés, et la névrose est ici poussée tellement loin qu'elle en est pathologique, certains sont pervers et pédophiles, d'autres battent leurs enfants. Alors on ne saurait que choisir entre celui qui ridiculiserait tellement ses enfants que ces derniers seraient à la limite du suicide ou ceux qui s'adonneraient à des rapports sexuels devant leurs enfants de 4 ans. A vrai dire, il n'y a pas un seul habitant qui rattraperait l'autre. Même les jeunes semblent être perdus d'avance. Espoirs déçus, jeunesses brisées. Ils tentent pourtant, tous, sans exception, de s'éloigner le plus possible de ce que sont leurs parents, mais le temps et l'habitude ont leurs effets que la volonté la plus forte ne saurait effacer. Pour dénoncer leurs parents, chacun des adolescents vont, à tour de rôle, pirater le forum du site de la ville, sous le pseudo du «Fantôme de Fairbrother» lors des élections et laisser des messages plus que douteux qui révèlent au grand jour l'activité de leur parents, du vol d'ordinateur à la trahison conjugale, en vain, bien que scandaleuse, sur le moment.

L'histoire traite donc de tout ce qu'on pourrait détester. Il met en avant les aspects les plus scandaleux, les plus immondes de l'humanité et sa capacité à refouler ce qu'est l'humain et son penchant pour le secret et l'illusion. Le livre dérange, démange et insupporte. En bref, l'auteur illustre dans ce roman, long et éprouvant ce que peut-être la vraie vie : décevante et imprévisible. On est en effet, bien loin de ses précédents écrits, mais à quel prix ?

 

Marie Bernanos.