- La séance sur le concept de genre a réuni 14 personnes autour d'Olivier Renaut, maître de conférences en philosophie, Charles Delattre, maître de conférences en grec ancien et Sandrine Alexandre, monitrice en philosophie à l'Université de Grenoble. Etaient présents huit étudiants de la licence Humanités, trois étudiants en philosophie, deux étudiants en lettres et un étudiant de l'IEP de Bordeaux.
- Résumé de l'exposé:
"On ne naît pas femme, on le devient".
Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir en 1949 et l'essor des mouvements féministes qui ont suivi, ont mis au premier plan le problème des fondements de la différence des sexes, qui était jusqu'alors considérée comme allant de soi.
Qu'est-ce qu'un homme? Qu'est-ce qu'une femme? Y'a_t'il entre eux une inégalité naturelle qui justifierait l'universalité de la domination masculine?
L'argument biologique est courant pour faire face à cette épineuse question: les femmes et les hommes n'ont pas le même corps. Par exemple, les femmes possèdent deux chromosomes X, les hommes un chromosome X et un chromosome Y. Cependant, le codage est plus complexe (il faut notamment aussi compter les hermaphrodites). La définition biologique reste donc floue (on peut trouver par exemple jusqu'à huit formules chromosomiques de l'identité sexuelle).
Aujourd'hui, les nombreuses évolutions scientifiques comme la contraception, la fécondation in vitro, les mères porteuses, l'homoparentalité, contribuent à brouiller davantage encore ces repères sexistes. La question par exemple, d'un prochain "utérus artificiel" qui rendrait facultatif le fait de porter un enfant pour les femmes, se pose.
Mais si ni l'anatomie, ni les gènes ne suffisent à définir clairement la différence des sexes, faut-il en conclure qu'elle n'existe pas?
Il est intéressant de revenir un instant sur le mythe raconté par Aristophane dans Le Banquet de Platon, qui pose la question de l'identité sexuelle: autrefois, chaque être humain possédait quatre jambes, quatre mains, deux visages, deux appareils génitaux. Il y avait alors trois identités sexuelles: les mâles avaient deux sexes masculins, les femelles deux sexes féminins, et les androgynes un sexe masculin et un sexe féminin. Zeus décide de leur infliger un châtiment et les découpe. Les hommes provenant d'une coupure de mâle vont rechercher une moitié masculine, les femmes provenant d'une coupure de femelle une moitié féminine, et les androgynes vont rechercher une moitié de l'autre sexe.
Ce mythe remet ainsi en cause l'opposition binaire homme/femme et met en évidence l'idée que l'identité sexuelle et le désir sont liés.
Aujourd'hui, sur la question de cette opposition homme/femme, deux grands points de vue s'affrontent:
- l'un des points de vue cherche à réaffirmer les rôles de chacun et se base sur des arguments biologiques et psychanalytiques.
- l'autre point de vue est "déconstructionniste". C'est notamment le but des gender studies qui cherchent à faire voler en éclat les catégories homme/femme.
Dans Masculin/Féminin (1996), Francoise Héritier, anthropologue, se demande quel est le fondement de la hiérarchie entre les sexes, en prenant notamment l'exemple des Samo au Burkina Faso. Pour Héritier, il y a une différence anatomique et physiologique: seules les femmes ont un utérus, peuvent porter des enfants... etc. L'observation de cette différence sexuée a servi de base pour ordonnancer nos systèmes de pensée. Les catégories binaires (cru/cuit, extérieur/intérieur, vrai/faux) découlent de cela. Les femmes, réduites à leurs fonctions de procréatrices, ont inconsciemment intériorisées le rapport de domination masculine dans toutes les strates du social. Mais pour Héritier, cette différence des sexes ne justifie pas leur hiérarchie, même si elle ne croit pas en une égalité dans tous les domaines.
Judith Butler est la théoricienne des études sur le genre (gender studies). Pour elle, la différence des sexes est historique, variable. Elle distingue "sexe" et "genre". Le sexe anatomique est un fait et le genre est une sorte de sexe social, une construction sociale et culturelle, un sentiment d'appartenance. La masculinité et la féminité sont des identités construites par l'environnement social des individus.
Ainsi, être et devenir un homme ou une femme, est-ce que ce sont les seules possibilités que nous avons? Peut-on devenir autre chose?
Pour définir l'identité, Butler met en relation trois termes: le sexe, le genre et la sexualité. Ainsi, le genre ne suit pas forcément le sexe, ni le désir. Par exemple, une femme peut être de genre féminin et homosexuel; un homme peut être de genre féminin et hétérosexuel...etc. Les caractéristiques féminines et masculines sont ambivalentes: une femme peut être agressive, un homme sensible... Il y a donc une étendue et une diversité des pratiques.
Une égalité homme/femme est-elle réellement possible? Quel type de société peut-il y avoir, s'il n'est pas binaire? Jusqu'à quel point peut-on être constructionniste?
Quel est le critère, le point de référence à partir duquel on peut déterminer une différence de genre?
Comment faire en sorte que la société soit plus tolérante vis-à-vis de la pluralité et de l'ambivalence? Dernièrement, Roselyne Bachelot a fait savoir qu'elle mettrait en place un décret déclassifiant "la transexualité des affections psychiatriques de longue durée." Que doit-on en penser sur l'évolution de la société?
- Bibliographie:
DE BEAUVOIR SIMONE, Le Deuxième Sexe, Gallimard, 1949
BUTLER JUDITH, Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l'identité, traduction de Cynthia Kraus, La Découverte, Paris, 2005
HERITIER FRANCOISE, Masculin/Féminin, , Éditions Odile Jacob, Paris, 1996
PLATON, Le Banquet, trad. par Luc Brisson, GF Flammarion
Tout cela n'est-il pas tout
Tout cela n'est-il pas tout simplement une question de culture ?
Manifestement, l'homme et la femme sont différents. Et il y a des constantes dans les différences entre les hommes et les femmes. C'est ce que l'observation et certaines sciences nous apprennent.
Mais quant au sens, à l'usage, à l'importance, à la valeur, à la fonction, de ces différences, ce qu'on en déduit, ce qu'on en fait etc c'est une question de culture, de forme de connaissance, de conditionnement.
C'est ainsi que j'interprète la phrase de Beauvoir. Il n'y a pas de point d'appui extérieur à la culture pour fonder les différences entre l'homme et la femme en dehors de la pure observation.