Visiter autrement le Quartier latin à Paris avec l’architecture néoclassique

Au cœur du Quartier latin, cohabitent une multiplicité d’architectures. Nous vous proposons aujourd’hui d’y découvrir un style souvent méconnu, parfois délaissé : le néoclassicisme. Il marque la seconde moitié du XVIIIe siècle et se caractérise formellement par une reprise des concepts développés à la Renaissance et une référence à l’Antiquité, à la suite des redécouvertes archéologiques et de l’explosion des voyages de formation artistique vers l’Italie.  
En France, la Supplique faite aux orfèvres publiée par Charles-Nicolas Cochin en 1754 dans le Mercure de France est souvent perçue comme un basculement vers l’essor de ce style, en opposition au déséquilibre, au chantournement de la période rocaille. Le néoclassicisme s’impose dans toute l’Europe pour quelques temps, jusque dans les années 1820.  
Dans le Quartier latin, des bâtiments suivent ces principes néoclassiques, notamment la place de l’Odéon, l’ancienne école de chirurgie et le Panthéon. Profitons de l’occasion pour découvrir autrement le célèbre quartier des étudiants.
 

La place de l’Odéon : le souvenir d’un Paris ville de plâtre  

Vue de la place de l'Odéon, crédits : https://www.my-apartment-in-paris.com/location-meublee,paris-odeon.htmlCommençons notre visite au centre de la place de l’Odéon, dont les immeubles forment un écrin pour le théâtre au centre. Par rapport aux autres places parisiennes, cette place présente une particularité : au-delà de des aspects stylistique et urbanistique, elle convoque le souvenir de l’architecture de plâtre de la ville de Paris.  

Histoire de la construction de la place  

La place de l’Odéon s’est construite sur l’ancien emplacement de l’hôtel particulier du Prince de Condé, qui, en grande difficulté financière, décide de vendre son bien en 1765 à la Maison du Roi. La fonction est déjà toute trouvée, celle d’un nouveau théâtre pouvant accueillir la troupe de la Comédie-Française qui se produisait dans la Salle des machines du palais des Tuileries. 
Les architectes Marie-Joseph Peyre et Charles de Wailly sont désignés par le marquis de Marigny en 1767 pour mener à bien le projet. Mais plusieurs aléas ralentiront la pose de la première pierre du théâtre.  

Le théâtre  

Le théâtre est construit entre 1780 et 1782. Les comédiens s’y installent en février 1782 et le théâtre est inauguré en avril de la même année, en présence de Marie-Antoinette. Restauré entre 2002 et 2005, sa façade présente des caractéristiques de l’architecture néoclassique comme les colonnes rassemblées en portique, en souvenir des temples antiques. La façade très sobre est seulement animée par des motifs de refends, en référence à la Renaissance française. 

L’urbanisme et les immeubles  

Élévation de la façade du 1 place de l'Odéon, AN Z1J 1147, crédits : Fanny BrièrePar sa forme, ses axes et l’architecture de ses immeubles, la place présente une grande cohérence, mise au service du théâtre en son centre. Cette disposition est la conséquence d’un discours sur une nouvelle manière de concevoir l’urbanisme à Paris à la fin du XVIIIe siècle. Le quartier de l’Odéon a été entièrement pensé pour le théâtre et les différents axes permettent aussi de mettre en scène le monument par des effets de perspective, accentués par le placement de celui-ci au point le plus haut du terrain. Contrairement à la rue de Tournon dans l’axe du palais du Luxembourg qui s’évase pour offrir une vue générale sur le palais, les rues donnant sur le théâtre de l’Odéon créent un effet de surprise en limitant la vision sur l’ensemble de la façade du théâtre.
Mais alors que l’ensemble des constructions est très cohérent, une différence sépare les immeubles du théâtre : le matériau de construction. Alors que le théâtre présente une façade entièrement en pierre de taille, certains immeubles associent la pierre au premier niveau et le plâtre dans les étages supérieurs. Cette présence du plâtre, pouvant faire office d’exception dans nos esprits aujourd’hui, rappelle que Paris a été une ville de plâtre, avant d’être celle de la pierre de taille, pensée par Georges Eugène Haussmann.  
 

L’ancienne école de chirurgie : la mise en place de l’architecture de fonction  

Vue de la façade de l'École de chirurgie, crédits : Fanny BrièreDescendons maintenant par la rue Casimir Delavigne et la petite rue Antoine Dubois. Rappelons-nous la fonction principale du quartier latin, le quartier universitaire de Paris, avec l’ancienne école de chirurgie, aujourd’hui siège de l’Université de Paris.   

Histoire du bâtiment 

Le terrain a été acheté en 1769 et la première pierre est posée en 1774 par Louis XVI. Le bâtiment est achevé dix ans plus tard. Jacques Gondouin (1737-1828) est en charge de sa construction. L’école est devenue son chef-d’œuvre. Il participera à la construction de la colonne Vendôme (1806). Son exemple représente cette continuité artistique qui existe malgré les aléas révolutionnaires. L’école est agrandie en 1876 sur les plans de l’architecte Léon Ginain
Classé Monument historique, le bâtiment abrite depuis 1971 le siège de l’Université de Paris, mais également le musée d’Histoire de la Médecine inauguré dans les années 1950.  

La formation en chirurgie en France 

Avant la création de la confrérie de Saint-Côme (patron des chirurgiens) et de Saint-Damien (patron des pharmaciens) en 1270 par Jean Pitard, chirurgien de Louis IX (futur Saint Louis), la chirurgie était essentiellement assimilée au métier de barbier. La confrérie marque une séparation entre les chirurgiens de « robe longue » (qui doivent passer un examen) et les chirurgiens de « robe courte », encore liés aux barbiers et ne pouvant que raser, saigner et accoucher. 
Cette confrérie sera remplacée en 1748 par la création de l’Académie royale de chirurgie par autorisation du roi Louis XV, obtenue par son chirurgien personnel, Germain Pichault de La Martinière. Au départ installée au n°5 rue de l’École-de-Médecine, elle déménagera dans le bâtiment construit par Jacques Gondouin au milieu des années 1770, laissant place, dans les anciens bâtiments, à l’École gratuite de dessin. 
Comme la faculté de médecine de Paris, l’Académie royale de chirurgie est supprimée par la Convention en 1793. En 1806, la refonte de la faculté de médecine inclura les chirurgiens de l'Académie Royale de chirurgie. 

Une architecture d’école  

Vue de l'entrée de l'amphithéâtre, crédits : Fanny BrièreJacques Gondoin. Amphithéâtre de l'Ecole de Chirurgie, Paris. 1769-75.La façade sur rue impressionne par sa grande colonnade qui laisse entre-apercevoir la cour d’honneur de l’école. L’entrée au centre est mise en valeur par le motif antique  de l’arc de triomphe s’élevant sur les deux niveaux de l’élévation. Au second niveau, un bas-relief sculpté devait représenter la gloire du roi Louis XV ; il sera métamorphosé pendant la Révolution en allégorie de la Charité. Cette sculpture couronne ce motif d’arc de triomphe. Le second niveau, par ses baies rectangulaires, sa corniche et sa balustrade n’est également pas sans rappeler l’influence de l’architecture italienne ou de la Renaissance française. 
Cette façade ouvre sur une cour intérieure qui dessert notamment l’amphithéâtre, dont l’entrée est mise en valeur par un portique surmonté d’un fronton triangulaire représentant deux femmes, allégories de la Pratique et de la Théorie. 
L’usage de l’amphithéâtre dans le domaine de la médecine n’est pas chose nouvelle à la construction de l’école de chirurgie. Les premiers datent notamment du XVIe siècle, avec la construction des théâtres anatomiques, qui laissaient voir les dissections humaines à vocation scientifique. L’amphithéâtre construit par Gondouin est la conséquence de plusieurs recherches architecturales, afin d’en améliorer l’enseignement et le confort des étudiants. Ainsi, les gradins sont progressivement moins élevés et plus larges, afin de ménager des ouvertures vers l’extérieur, pour y amener plus de lumière naturelle.  
 

Le Panthéon : le témoin de l’histoire 

Vue de la place du Panthéon, crédits : Fanny BrièreNotre dernière étape nous fait atteindre l’un des programmes urbanistiques les plus monumentaux de Paris : le Panthéon. Mais il a surtout été l’une des architectures les plus touchées par les évolutions politiques de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle.  

Histoire de la construction 

Le nouveau bâtiment, qui remplace un plus ancien, a été commandé par Louis XV en 1754. Le projet est mené par Jacques-Germain Soufflot puis par Jean Rondelet à partir de 1780, à la mort du premier. La première pierre est posée en 1764 et la construction se poursuit jusqu’au XIXe siècle.  
En 1791, le bâtiment devient Panthéon.  

Ambition et urbanisme 

L’ambition de Soufflot est grande : il souhaitait se mesurer à Saint-Pierre de Rome et Saint-Paul de Londres par Christopher Wren. Comme la place de l’Odéon, la place est au service du monument qui est en son centre. Les axes d’accès se croisent au centre du bâtiment. Ce dernier est placé sur un promontoire, accentué par la mise en perspective de la rue Soufflot. Dans cette rue, au départ, tous les bâtiments devaient être unifiés comme c’est le cas sur la place. En réalité, seuls les deux bâtiments semi-circulaires (l’École de droit et l’École de théologie) ont été construits avec les mêmes caractéristiques architecturales que le Panthéon pour créer une unité. 
L’architecture du Panthéon présente de nombreuses références antiques, à l’image du portique à colonnes corinthiennes, comparable au Panthéon romain, ou encore du plan, souvenir des églises byzantines. Mais alors que l’Odéon présente une grande sobriété de ses décors, le Panthéon arbore des guirlandes de fleurs, démontrant une diversité décorative au sein du néoclassicisme.  

L'adaptation du bâtiment  

Vue du bas-relief de David d'Angers, Panthéon, crédits : Wikipédia ; Chabe01Mais avant d’être le monument dédié aux Grands Hommes, le Panthéon était l’église Sainte-Geneviève. Par la reconstruction de cette église, Louis XV cherche à apaiser les nombreuses tensions religieuses qui touchent la France pendant le XVIIIe siècle. Il souhaite également exalter le passé de la monarchie française. Dans ce contexte, Soufflot crée un édifice composite, associant les références antiques à des références françaises, comme la nef à cinq vaisseaux, comme nous pouvons le trouver à la cathédrale Notre-Dame de Paris. 
Ce rapport au domaine politique restera fort pendant le XIXe siècle, notamment dans le programme décoratif. Sur le fronton triangulaire, un bas-relief sculpté par David D’Angers, commandé en 1830 à la suite de la Révolution, fut inauguré à l’aube en août 1837, le contexte politique n’étant plus en accord avec le programme exaltant la Patrie reconnaissante aux grands hommes civils et militaires.  

 

Sources : 

  • Brière Fanny, De plâtre et de pierre : aspects et évolutions des façades des immeubles de la place de l'Odéon, sous la dir. de Stéphanie Celle, Master 1, École du Louvre, 2018.
  • Decrossas Michaël et Fléjou Lucie (dir.), Ornements - XVe-XVIIIe siècles. Chefs-d'oeuvre de la collection Jacques Doucet, INHA, du 3 octobre au 31 décembre 2014, Editions Mare et Martin Arts, 2014.
  • Le Dantec Tiffanie, Les façades enduites au plâtre d’Île-de-France. Le déclin du plâtre extérieur, du XVIIe au XXe siècle. Thèse de doctorat, Art et histoire de l’art. Université Paris-Saclay, 2019.
  • Sur le Panthéon : https://www.paris-pantheon.fr/
  • Sur l'histoire de l'École de chirurgie : https://u-paris.fr/siege-de-luniversite-un-symbole-universitaire-au-coeu...

 

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