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Le peintre et son œuvre, entre absence et omniprésence


Vous savez tous, je n’en doute pas vraiment, ce qu’est un autoportrait. Vous savez aussi que nombre de grands artistes peintres ont fait le leur. Seulement voilà, c’est justement le sujet qui sépare Egon Schiele et Gustav Klimt. Tandis que l’un consacre à son image une place énorme dans son œuvre, l’autre s’efface de toute sa peinture, n’existant que dans le regard de ses personnages et dans un style qui lui est propre.

 

Entre un Gustav Klimt absent de ses tableaux et un Egon Schiele lui-même sujet récurrent de son Å“uvre, la figure de l’artiste se place en thème important de cette peinture viennoise du début du siècle. L’artiste doit-il se représenter dans son art ? Les deux peintres se posent la question, et répondent, chacun à sa manière.


« Faire un autoportrait ne m’intéresse pas. Les sujets de peinture qui m’intéressent ? Les autres et en particulier les femmes. Â»


Klimt semble être le peintre qui ne se représente pas par excellence : il est un homme et pratiquement tous ses sujets sont des femmes, comme s’il voulait s’exclure en tant que membre d’une gente masculine impure et n’ayant pas de légitimité picturale en tant que sujet. Quant l’homme apparaît dans ses tableaux, il représente la mort (souvenez-vous les figures en haut de l’Espoir). Partout ailleurs des femmes, que ce soit pour représenter la vieillesse dans Les Trois Ages de la Femmeou même la folie dans la Frise Beethoven(ici seulement un détail). Mais ! Et l’homme qui étreint la jeune femme dans le Baiser ? Et l’homme, dans la même position, de l’Arbre de vie ? J’y viens : la deuxième figure de l’homme dans l’œuvre de Klimt c’est l’homme en relation à la femme, l’homme qui étreint et qui aime. Cette figure ne vous rappelle-t-elle pas quelqu’un ? Un certain Gustav Klimt par exemple : quelques critiques considèrent en effet que l’homme du Baiser n’est autre que Klimt lui-même qui se serait alors pour la première fois représenté, et l’on peut élaborer la même hypothèse pour l’homme de l’Arbre de vie. Mais alors, Klimt s’est-il représenté ou non ? Ne perdons pas de vue que cela reste une hypothèse mais surtout que les personnages masculins en question sont dans les deux cas positionnés de manière à ce que l’on ne puisse pas voir leur visage, ce qui les rend non-identifiables et ce qui fait d’eux des personnages secondaires. De plus, leur absence de visage se place en opposition aux visages rayonnants des femmes qui les accompagnent. On a donc l’image d’un homme dont la présence est entièrement soumise à celle de la femme qu’il étreint, un homme dans l’ombre de la figure féminine : difficile alors de ne pas voir sous ses traits invisibles le Klimt amoureux des femmes que l’on connait.


 


 Concernant le thème de la figure de l’artiste, l’œuvre d’Egon Schiele prend une toute autre direction : ce qui caractérise la peinture de l’artiste, c’est justement l’omniprésence de ses autoportraits. Cet intérêt pour le « moi Â» est transmis à travers le pinceau torturé que l’on a jusqu’alors vu chez Schiele : comme s’il voulait se montrer tel un homme lui-même torturé, un homme angoissé par sa propre figure. Peut-être Egon Schiele cherche-t-il en se représentant à s’exorciser lui-même de cette angoisse ontologique qui semble être la sienne. L’autoportrait que je vous propose à gauche de l’article n’est pas un tableau mettant vraiment en valeur cet apparent mal-être, ce besoin d’exorcisation mais nombre des autoportraits de Schiele –dont le tableau à droite de l’article- sont des Å“uvres presque difficiles à regarder, scènes de masturbation ou représentations d’un Egon Schiele au corps nu et désarticulé : un homme maigre dont le corps évoque à nos yeux modernes des corps meurtris par les conditions de vie d’une Première Guerre mondiale ou même d’une fin de vie en camp de concentration. Souvenez-vous par exemple de l’Autoportrait debout.



 Cette fascination par le corps humain dont fait preuve Schiele trouve donc aussi sa place dans les autoportraits qu’il fait de lui-même.Quel sens donner à ces représentations surprenantes du « moi Â» d’Egon Schiele ? Plusieurs éléments sautent aux yeux : les pauses désarticulées et provocatrices du personnage, sa nudité et parfois même son exhibition sexuelle –il n’hésite pas à tout montrer-, son regard à la fois vide et plein de sens, la taille de ses mains qui semblent elles aussi contribuer à l’expression du personnage (par exemple à travers la position bizarre où il les met dans l’Autoportrait aux doigts écartés).


Tous ces éléments physiques contribuent à donner aux spectateurs une image étrange du peintre : que ce soit par les positions érotiques qu’il prend ou par les postures effrayantes de son corps, l’Egon Schiele physique –du moins dans la représentation qu’il propose de lui-même – fait peur. Cet homme au corps qui semble meurtri et abîmé mais qui assume complètement sa posture et qui en joue sur un ton provocateur n’attendrit pas le moins du monde celui qui voit le tableau. Tout se passe comme si l’artiste voulait éloigner le spectateur ou tout du moins mettre un écart entre sa personne et le regard de l’autre. L’autoportrait apparaît alors comme une sorte d’autre « moi Â», celui qui s’affirme et qui effraie. Le personnage de l’autoportrait c’est l’Egon Schiele artiste, un reflet physique sur le corps même du peintre de l’atmosphère de mort et de laideur d’un corps humain pourri, thèmes omniprésents dans l’œuvre du peintre. Egon Schiele se peint alors comme il appréhende le monde, ses autoportrait sont marqués par un pessimisme expressif : comme si l’idée avait pris le pas sur le corps physique, l’artiste est le miroir de sa pensée. Cela, bien sûr, ce n’est possible que par la peinture…



Ainsi s’achève le tour d’horizon que je m’étais proposé de vous faire faire. En sortant de l’exposition en question, j’étais vraiment décidée à en apprendre un peu plus sur ces peintres qui m’avaient conquise. Ce n’est qu’un aperçu rapide de deux des grands artistes du mouvement viennois sécessionniste, et je vous incite fortement à aller voir de plus près certains tableaux qui vous attirent, ainsi que ceux que vous ne connaissez pas ! Je n’ai pas évoqué les autres peintres du mouvement qui, sans être d’un intérêt moindre, ont cependant eu une postérité et une notoriété moins importante que Gustav Klimt et Egon Schiele.

 

J’espère que la manière dont j’ai mené la danse vous a plu, sachez néanmoins que d’autres problématiques que je n’ai pas pris le temps d’évoquer entrent en jeu. Je voulais en vérité m’intéresser plus aux Å“uvres qu’aux artistes bien que ceux-ci soient nécessairement liés à leurs tableaux. Quoi qu’il en soit et ce sera ma dernière remarque, je vous incite à vous balader dans les expositions parisiennes, nombreuses, quand vous avez un peu de temps : on s’y découvre parfois des goûts nouveaux.


 


 

Joséphine Lebon, L3

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