Répondre au commentaire

nov.
16

"Boomerang" de Tatiana de Rosnay aux éditions Héloïse d’Ormesson (avec une interview exclusive de l'auteur).

 

 

Je ne sais pas si vous avez lu l’émouvant ouvrage de Tatiana de Rosnay Elle s’appelait Sarah, mais si c’est le cas, je ne doute pas que vous vous jetiez sur son dernier roman, Boomerang. Souvent, après un livre qui nous a chamboulés, on attend beaucoup de son auteur. Aussi n'ai-je pas dérogé à cette règle et m’attendais-je presque à être déçue par ce livre. Mais Tatiana de Rosnay a trouvé sa marque en abordant avec subtilité et talent le thème délicat des secrets de famille. 

 

Boomerang raconte l’histoire d’un architecte d’une quarantaine d’année, Antoine Rey, dont la vie se désagrège peu à peu. Sa femme l’a quitté, ses enfants sont de plus en plus distants, son travail l’ennuie et ses relations avec son père sont des plus froides. Seule sa sÅ“ur Mélanie lui apporte un peu de réconfort. Alors, à l’occasion de ses quarante ans, il décide de lui organiser un anniversaire inoubliable à Noirmoutier, le lieu de vacances de leur enfance. Ce séjour les conduit sur la route de leur passé. Des souvenirs refont surface et avec eux, un secret à propos de leur mère dont Mélanie est détentrice. Par malheur, le destin s’acharne et au moment de révéler ce secret à son frère, Mélanie perd le contrôle de leur véhicule et c’est l’accident. Sa sÅ“ur à l’hôpital, Antoine se retrouve seul. Comment faire face au quotidien quand tout s’écroule autour de vous et que vous perdez vos repères, tout ce qui constituait votre monde ? Il suffit parfois d’une seule personne pour que la vie retrouve de nouvelles saveurs. Pour Antoine, il s’agit d’Angèle, une affriolante embaumeuse qui lui apportera le soutien nécessaire pour s’engager dans la recherche de la vérité.

 

Le réalisme des scènes peintes dans le livre m’a réellement touchée et il en est de même pour ses personnages dont je me suis entichée, probablement grâce à l'incroyable justesse avec laquelle Tatiana décrit les relations qui se tissent entre les membres d'une même famille. J’ai été particulièrement saisie par sa description très fine des liens qu’entretiennent les adolescents avec leurs parents tant elle sent le vécu. Ce réalisme fait de Boomerang un livre qui bouillonne d’émotions, nous les transmettant au fil des pages. Il condamne également l’intolérance génératrice de secrets - des secrets qui suscitent de nombreuses souffrances et sont à l’origine de bien des drames familiaux. 

 

Mais je m’arrête là et vous invite à découvrir dans ce bel ouvrage de Tatiana de Rosnay en quoi consiste ce secret capable d’entamer les liens les plus solides.

 

Copyright Philippe Matsas

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  Photo Copyright Philippe Matsas

 

 

Et en attendant la lecture de Boomerang, je vous propose une interview de son auteur. 

 

 

 


L. P. : Le thème des secrets de famille semble te tenir à cÅ“ur. Pourquoi ? 

 

Tatiana de Rosnay : Je trouve que le secret de famille possède une mécanique romanesque absolument idéale pour un auteur parce qu’il te replonge brutalement dans le passé et en conséquence, il influe sur ton présent et il modifie ton futur. C’est aussi simple que ça. Tu te retrouves grâce à un secret de famille. Que ce soit dans Elle s’appelait Sarah ou dans Boomerang, tout est changé : le passé, le présent, le futur. C’est un thème tellement riche en rouages pour pouvoir faire avancer un récit que d’une part, je ne m’en prive pas en tant qu’auteur, et d’autre part, c’est vrai qu’il m’intéresse. Indépendamment de mes romans, je suis toujours passionnée par les livres, les films, et même les chansons, où il est question de secrets de famille. 

 

 

 


L. P. : As-tu été confrontée toi-même à un secret de famille ?

 

T. de R. : Bien sûr, mais tu peux imaginer que je ne vais pas te dire ce que c’est. Peut-être qu’un jour quand mes parents ne seront plus là et que je serai beaucoup plus vieille, je parlerai des secrets de famille que je connais. Mais pour le moment, je ne veux pas en parler, je préfère les inventer parce que je ne fais pas partie de ces auteurs qui font de l’autofiction. J'admire ce que font Frédéric Beigbeder, Christine Angot, Camille Laurens. Je trouve ça très bien, mais je ne sais pas faire. Je n’oserai jamais écrire sur les secrets de famille de ma propre famille. 

 

 

 


L. P. : Ton personnage principal est un homme. A-t-il été difficile de te mettre dans sa peau ? 

 

T. de R. : Alors figure-toi que je l’avais déjà fait dans un roman que j’ai écrit, il y a dix ans, intitulé Le cÅ“ur d’une autre et qui vient de ressortir en Livre de Poche. Mais pour ce livre, j’avais vraiment été dans la caricature puisque c’est l’histoire d’un homme misogyne, amateur de foot, buveur de bières, bref, les clichés. Il va subir une greffe cardiaque et se retrouver avec un cÅ“ur de femme, ce qui va changer sa vie. Donc, il y a dix ans, je pense avoir eu le trait un peu lourd. J’avais préféré montrer tout ce qui était un peu ridicule chez cet homme. Je n’avais pas été d’une grande finesse. Ce n’est pas que j’ai commis une erreur, je suis contente d’avoir créé ce personnage, mais je voulais imaginer cette fois-ci un homme plus crédible, un homme d’aujourd’hui, divorcé, qui doit élever ses adolescents seuls, qui a du mal dans son boulot, qui a du mal à retrouver une histoire d’amour, qui doute de lui. Je ne parle pas d’un looser, mais de quelqu’un de fragilisé. Pour utiliser un terme très Psychologie Magazine : dévirilisé. Il a été dévirilisé par sa femme qui est partie avec un mec plus jeune, par son père qui n’a que du mépris pour lui, par ses histoires désastreuses sur Meetic, par son job qui ne l’éclate plus. Je pense que cette fois-ci, j’ai réussi à créer un héros plus crédible. Mais ça m’a donné beaucoup de mal, j’ai beaucoup travaillé. J’ai pris tous les fronts d’homme sur lesquels il doit se battre : son front de père, son front de frère, son front de fils, son front d’ex-mari, son front d’amant. Il n’y a pas un côté que je n’aie pas exploré. Une fois que tu as fait tout ça, tu as fait le tour du personnage. Ça a été plus facile dans le sens où j'ai préféré parler de cet homme-là, Antoine Rey, que de mon personnage d’il y a dix ans, Bruce Boutard. Avec Bruce Boutard, tu sais que tu vas faire rire, que tu vas faire grincer des dents, mais est-ce que tu vas toucher les gens ? Non. C’était plus difficile dans l’introspection du personnage, mais pas difficile parce que je suis une femme. 

Mais j’oublie une chose importante. Dans mon premier roman, qui ressort l’année prochaine, L’appartement témoin, je suis également dans la peau d’un homme; donc, j’ai fait ça trois fois. 

J’adore les hommes et je les ai beaucoup observés pour écrire tout ça. Boomerang n’a pas été difficile à écrire parce que c’est un homme, mais difficile parce que je voulais qu’il soit crédible. Mes deux autres héros l’étaient beaucoup moins. D’abord parce que j’avais 28 ans quand j’ai écrit mon premier roman. C’est marrant, ça marche par dix: 28, 38, 48 ans. 

 

 

 


L. P. : Forcément, ça a évolué !

 

T. de R. : Oui et je crois que je les connais un peu mieux maintenant, ces bêtes-là. 

 

 

 


L. P. : C’est le deuxième livre que tu écris directement en anglais. Pourquoi cette langue plutôt que le français? 

 

T. de R. : Je vais devoir éclaircir un peu la chose. Comme tu le sais, je suis à moitié anglaise, j’ai donc appris les deux langues exactement en même temps. Quand j’ai commencé à écrire des romans, j’avais 11 ans. Et tout ce que j’ai écrit entre l’âge de 11 et  25 ans —évidemment non publié et dans ma cave avec un gros panneau : « Ne pas publier s’il m’arrive quelque chose Â»â€” est en anglais, parce que c’est vraiment ma langue d’écriture. J’ai été publiée pour la première fois en français avec L’appartement témoin, mon premier roman écrit en français. C’est celui-ci qui a été publié parce que c’est le premier que j’ai osé montrer. Ensuite, j’ai tout bêtement embrayé avec Mariés, pères de famille ; Le Dîner des ex ; Le CÅ“ur d'une autre ; Le Voisin ; La Mémoire des murs

Il y a trois pages dans La Mémoire des murs qui parlent de la rue Nélaton où il a eu le Vel’ d’hiv’. J’y suis allée pour essayer de comprendre ce que c’est que cette rue Nélaton. J’ai vu que le Vel’ d’hiv’ a été remplacé par une annexe du ministère de l’intérieur, ce qui m’a troublée. J’ai trouvé cette rue sinistre. C’est à ce moment précis que je me suis dit que j’avais envie d’écrire là-dessus. Je me suis renseignée sur ce qui s’était passé le 16 juillet 1942 et j’ai commencé à écrire Elle s’appelait Sarah, sans me rendre compte que j’écrivais en anglais. Il fallait que j’écrive ce livre avec mes tripes et l’anglais est ma langue maternelle, ma langue de l’émotion. Ce qui ne veut pas dire que je n’ai pas écrit les autres livres avec mes tripes. Simplement, mon héroïne étant américaine dans Sarah et je reviens sur un passé tellement noir de la France que je ne pouvais pas écrire en français. C’est seulement après une cinquantaine de pages de Sarah que mon mari m’a fait remarquer que mon livre était en anglais. J’ai été étonnée, mais j’ai continué à l’écrire. Une fois terminé, j’ai eu un mal fou à le faire publier. Les éditeurs trouvaient que c’était trop triste, trop noir. Le fait que c’était écrit en anglais n’a pas aidé non plus. Et donc j’ai écrit deux livres coup sur coup en français, Spirales et Moka, qui ont été publiés chez Plon. 

En 2005, j’étais dans une grande tourmente car ça faisait deux ans que j’essayais de faire publier Sarah et ça ne marchait pas. Je ne me suis pas complètement sentie soutenue chez Plon. C’est alors que j’ai rencontré Héloïse d’Ormesson. Elle a adoré ce livre, elle y a cru, elle l’a publié. Elle m’a dit que je devais continuer à écrire en anglais parce que c’était vraiment ma langue d’écriture et qu’il était plus facile de me vendre à l’étranger dans cette langue. Ça ne veut pas dire que je n’écrirai plus jamais en français, mais Boomerang m’est venu en anglais, le livre que je suis en train d’écrire est en anglais donc pour l’instant, c’est l’anglais. Je sais que beaucoup de gens trouvent cela farfelu et bizarre, je suis d’accord,  mais en même temps, quand on a une double culture comme la mienne, comment veux-tu qu’il en soit autrement ? 

 

 

 


L. P. : Après le succès d’Elle s’appelait Sarah, ton lectorat attendait beaucoup de toi. Comment as-tu géré cette pression lors de l’écriture de Boomerang ? 

 

T. de R. : Ca a été horrible, je ne te le cache pas. Mais heureusement, j’avais déjà bien avancé l’écriture de Boomerang avant la sortie de Elle s’appelait Sarah. Sarah est sortie en mars 2007 et j’avais déjà commencé Boomerang l’été 2006. Pour l’ouragan Sarah, j’ai dû mettre Boomerang complètement de côté car comme tu le sais, puisque tu étais avec moi de mars 2007 à avril 2008, je n’ai pas arrêté, j’ai tourné dans toute la France. Je n’ai repris Boomerang qu’au printemps 2008 et c’est là que j’ai senti la pression, c’est là que ça a été vraiment horrible. Tout le monde me demandait ce que j’écrivais, la date de sortie du livre. Ils s’inquiétaient de savoir s’il serait aussi bien que Sarah. J’avais peur de décevoir mes lecteurs, de ne pas être à la hauteur du livre. Mais ça ne m’a pas empêchée non plus de l’écrire parce que je sentais que j’avais Héloïse d’Ormesson derrière moi, qui l’avait lu et qui y croyait. Si j’étais angoissée en mars 2009, j’ai rapidement été rassurée à la sortie en avril de Boomerang car ça s’est tout de suite très bien passé. Il a eu d’abord le merveilleux soutien des libraires et au début, c’est presque plus important que la presse —même si j’ai eu une magnifique presse. Les libraires ont aimé le livre et ça, c’est fantastique car ce sont eux qui conseillent les livres aux lecteurs. Et puis, comme Sarah était sortie en poche entre temps et qu’elle a fait des scores magnifiques, les gens étaient curieux de découvrir ce nouveau roman inédit. Et tous les gens qui ont eu peur de lire Sarah, parce qu’ils ne voulaient pas se replonger dans les années 40 ou qu’ils avaient peur d’être tristes se sont rués sur Boomerang. Je sais que mon lectorat ado m’a suivi parce qu’il a retrouvé quelque chose dans Boomerang qui lui a plu. Peut-être les histoires des deux ados d’Antoine. J’ai également eu beaucoup de lecteurs hommes avec ce livre. Je ne sais pas si c’est parce qu’Angèle les a envoûtés. 

 

 

 


L. P. : Elle s’appelait Sarah sortira au cinéma en 2010 avec Kristin Scott Thomas dans le rôle de la journaliste, Julia Jarmond. Une consécration de ton travail d’auteur ?  

 

T. de R. : Plusieurs de mes livres ont intéressé des cinéastes comme Le voisin, Le cÅ“ur d’une autre, Le dîner des ex, Moka. C’est allé assez loin, mais ça ne s’est jamais fait, donc quand le projet de Gilles Paquet-Brenner est arrivé, j’y croyais avec beaucoup de réserve. J’ai refusé de m’emballer. J’y avais tellement cru, pendant tellement longtemps, tellement de fois. C’est quand je suis allée sur le tournage cet été que j’ai compris que ça allait être quelque chose d’énorme. D’ailleurs, le 23 novembre, je tourne avec Kristin Scott Thomas dans une scène de resto et je suis comme une ado qui va rencontrer son idole.

 

Je ne dirais pas que c’est la consécration de mon travail d’auteur, je dirais que c’est la continuation d’une aventure éditoriale inouïe. J’ai reçu tellement de lettres, de mails de lecteurs qui sont des descendants de survivants de la rafle ou de personnes déportées. J’ai reçu des lettres tellement magnifiques, j’ai fait des rencontres tellement bouleversantes que je n’ai pas envie de dire que le film est une consécration. J’ai envie de dire que c’est l’extraordinaire continuation d’un livre que personne ne voulait et qui, aujourd’hui, a 1,5 million de lecteurs dans le monde. Ça été une façon incroyable de connaître le succès parce que je ne m’y attendais pas. Et si je vis aujourd’hui cette aventure, c’est grâce à Héloïse d’Ormesson et Gilles Cohen-Solal, qui ont cru en moi, qui ont pris le risque de publier le livre. Ma consécration, si tu tiens à ce mot-là, ce n’est pas le film, c’est ce qui se passe maintenant. C’est le fait que mon lectorat me suit, ainsi que les éditeurs étrangers, puisqu’il y a plus de dix éditeurs qui ont acheté Boomerang, dont les Américains. C’est merveilleux ! 

 

 

 

Retrouvez Tatiana de Rosnay sur son site : http://www.tatianaderosnay.com et sur son compte Twitter : http://twitter.com/yansor

 

 

Lucie Pitzalis (L2)

 

 

Répondre

CAPTCHA
This question is for testing whether you are a human visitor and to prevent automated spam submissions.
1 + 3 =
Solve this simple math problem and enter the result. E.g. for 1+3, enter 4.