Dark, une œuvre SF incomparable

« La question n’est pas où. Mais quand. » Ainsi pourrait se résumer Dark, une série qui nous plonge dans les méandres du temps…

 

Diffusée pour la première fois sur Netflix en 2017, Dark est une série de science-fiction et une création originale allemande, avec Jantje Friese et Baran bo Odar à la tête du projet.

Tous deux ont l’ambition de produire une œuvre autour du voyage dans le temps, en y apportant leur propre singularité, leur touche personnelle. La tâche ne semble pas chose aisée, la thématique ayant déjà été abordée maintes et maintes de fois. Pourtant, Jantje Friese et Baran bo Odar réalisent un vrai tour de force ! Ils parviennent à dépoussiérer et à réinventer un sujet des plus classiques du genre SF, que ce soit dans l’élaboration du scénario ou dans sa réalisation. D’emblée, ils confèrent à la série un univers angoissant et mystérieux, qui fascine à bien des égards.

L’intrigue se déroule en 2019 dans la petite ville de Winden, dont l’apparente tranquillité est bouleversée par la disparition de Mikkel, un jeune garçon de douze ans. Jusque-là, on a une histoire des plus banales, qui fait suite à une expédition entre ados qui a mal tourné. Toutefois, une enquête est menée et révèle des détails très troublants, faisant écho à une affaire similaire, qui a eu lieu trente-trois-ans plus tôt. On comprend très rapidement que différentes époques sont interconnectées les unes aux autres, et que les évènements sont amenés à se répéter de façon cyclique. Petit à petit, les personnages s’improvisent en voyageurs temporels – les sic mundus – et tentent de défier le temps, afin de se défaire de son engrenage.

Des réflexions et des enjeux métaphysiques

Si le voyage dans le temps se présente comme une thématique assez obscure, Jantje Friese et Baran bo Odar l’ont abordé avec brio, notamment car ils se sont appuyés sur différents ouvrages scientifiques et philosophiques. Tous deux se sont attelés à la théorie de la relativité d’Einstein, ou encore au concept de l’Éternel retour de Nietzsche. Tout ceci les a aidés à constituer le fil narratif de l’histoire, à l’enrichir, à y apporter une cohérence. Ainsi, tout du long, la série est parsemée de références en métaphysique et en astrophysique, entre mécanique quantique, trous de vers, horlogerie, et énergie nucléaire.

Voyager dans le temps implique la maîtrise de mécanismes des plus ingénieux !

Par ailleurs, le scénario joue constamment autour de paradoxes temporels, rendant la trame très compliquée à suivre. À Winden, on ne cesse d’alterner entre le passé, le présent, et le futur, à tel point que leur distinction finit par n’être qu’une « illusion tenace » (pour reprendre les mots d’Albert Einstein, mis en exergue au premier épisode de la série).

Le spectateur se perd parfois dans un torrent de complexité. Entre déjà-vus et effets de parallélismes, lui aussi se trouve pris dans un tumulte infernal, à l’image des personnages de la série. Néanmoins, rien n’est laissé au hasard dans ces boucles temporelles. Tout est pensé et réfléchi. Tout fait sens dans le chaos apparent. Finalement, la série brouille les pistes pour mieux nous surprendre. Avec Dark, on a une œuvre qui renverse nos idées préconçues et qui multiplie nombre de plot-twists. Même en élaborant moultes théories sur ce qui va suivre, on ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre, et c’est précisément ce qui fait le charme de la série.

Des relations complexes entre les personnages

Dark, c’est aussi, voire surtout, une fresque de notre humanité. En se préoccupant de questionnements métaphysiques, la série s’interroge également quant aux fondements même de notre existence. Au fur et à mesure que l’histoire se démêle, les liens entre les personnages se resserrent davantage, révélant de sombres secrets. Des thèmes universels sont abordés, comme avec l’amour, la mort, l’amitié, la famille, et aussi le libre arbitre. On s’attache beaucoup aux personnages, pour qui on est pris d’empathie. Victimes d’un destin qui leur échappe, ils ne cessent de courir après le temps, tentant de rattraper l’irrémédiable. Dans cette tragédie humaine, nous ne pouvons que nous reconnaitre et nous identifier à eux.

D’autre part, la série ne laisse d’autre choix que de rester focalisé sur l’intériorité des protagonistes. En effet, Dark nous délivre beaucoup d’images en plans rapprochés ou en gros plans. Le cadrage des personnages se veut intimiste, le but étant d’accentuer la moindre expression faciale, le moindre ressenti éprouvé. Ainsi, toute émotion paraît décuplée pour le spectateur.

Par ailleurs, il faut souligner la performance des acteurs, que nous pouvons qualifier de remarquable, si ce n’est d’époustouflante ! Le jeu de chacun se veut très nuancé, très juste, et parfaitement dosé.

En termes de casting, il faut bien comprendre que comme la série joue sur différentes temporalités, cela nécessitait tout un panel de personnages. La distribution des rôles a donc été monumentale, avec à chaque fois trois acteurs pour incarner un seul et même personnage, mais étalé sur différentes époques.

Le choix des acteurs a notamment été pensé en termes de ressemblance, par rapport aux traits du visage, au niveau des yeux ou du nez. Ce choix est justifié par les producteurs de la série. Non seulement cette ressemblance permet de rendre l’histoire davantage plausible ou cohérente dans sa globalité, mais, en plus, cela permet de constituer une familiarité entre les personnages et le spectateur, l’aidant ainsi à entrevoir qui est qui. Il s’agit là d’un réel enjeu, puisque, dans la série, il y a toute une généalogie de personnages, avec différentes familles et relations.

Eh oui ! Le scénario est décidément très complexe ! Mais, il vaut le détour, je vous l’assure ;)

Une réalisation à couper le souffle

Avec Stephen King et Stanley Kubrick pour modèles, Jantje Friese et Baran bo Odar ont élaboré une esthétique quasi horrifique, avec des environnements sombres et lugubres, que l’on pourrait qualifier de glauques voire de macabres, mêlant fantastique et étrange. En somme, Dark porte bien son nom. C’est un aspect qui a été sciemment voulu et qui a été travaillé. Les lumières ont notamment joué un rôle prépondérant, en créant des effets de contrastes et de clairs-obscurs. Cela a contribué à susciter une atmosphère angoissante, sous des tons apocalyptiques.

La série s’appuie également sur différentes technologies pour renforcer la dimension surnaturelle, propre au genre SF. Ainsi, tout un visuel a été pensé pour concevoir des trous-noirs, avec, là encore, de réelles prouesses en termes de lumières. En termes de réalisation, Dark a donc été pensé jusque dans les moindres détails !

Cela se constate jusque dans l’alternance des temporalités. Les costumes et les décors ont en effet été choisis exprès selon chaque époque. Entre les années 80 et les années 50, on passe d’habits et d’environnements colorés, extravagants, à des vêtements et des lieux plus sobres, voire austères. Le spectateur se raccroche tout de suite à ces repères visuels, puisque cela l’aide à se situer dans l’espace-temps de la série.

Enfin, il faut également retenir la musique !

La série fait appel à plusieurs artistes, chanteurs, et compositeurs, tous appartenant à des univers éclectiques. Cela se constate d’emblée, dès le générique, qui est une reprise de Goodbye d’Apparat, interprétée par la chanteuse Soap&Skin. Cette musique a été minutieusement choisie. Par son aspect mystérieux et inquiétant, elle introduit parfaitement l’univers de la série.

Quant aux productions originales, elles ont été réalisées par Ben Frost, un compositeur australien, reconnu pour son style expérimental. Là aussi, l’artiste a réussi à créer une acoustique qui concorde totalement avec l’atmosphère de Dark, en générant une ambiance mystique. Nous pouvons également mentionner la chanteuse Agnes Obel, qui interprète des morceaux à la fois calmes et puissants, entre douceur et émotion à fleur de peau. Par leur structure, ses musiques suscitent un effet des plus hypnotiques. La série revisite également des classiques des années 80, avec, par exemple, un remixe d’une chanson de Nena, un célèbre groupe allemand, nous plongeant ainsi dans la nostalgie d’une époque.

Ainsi, Dark se présente comme une œuvre des plus complètes, dont l’élaboration repose sur un travail titanesque, à tous les niveaux. Quelquefois, certaines œuvres nous bouleversent et nous laissent sans voix, et cette série en fait précisément partie.

À titre personnel, je ne suis pas une grande adepte de science-fiction. Pourtant, la série m’a complètement captivé. Dark concrétise l’idée même que je me fais d’un voyage dans le temps. Par son scénario, sa réalisation, son style si atypique, à mes yeux, cette série est tout bonnement une œuvre incomparable.

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