La délégation partage d’autorité parentale pour le beau-parent en droit français et le « kleines Sorgerecht » en droit allemand – comparaison et perspectives de droit international privé.
Résumé : Le beau-parent peut se voir attribuer dans certains systèmes juridiques une autorité parentale limitée, et c’est le cas en Allemagne et en France. La situation se complique lorsque la famille recomposée comporte un élément d’extranéité. En effet, les différents textes internationaux concernant l’autorité parentale ne s’appliquent pas forcément à ces formes réduites d’autorité parentale. Le statut du beau-parent est-il mis en danger dès lors que la famille comporte un élément d’extranéité ?
« Dans la constitution de la famille, l'élément charnel, biologique a perdu de son importance au profit de l'élément psychologique, affectif [...]. La famille n'est plus l'indivisible réseau tissé jure sanguinis, elle est un milieu éducatif qui n'existe qu'à condition d'être quotidiennement vécue. » M. le Doyen Carbonnier reconnaissait déjà en 1998 l’évolution sémantique de l’expression « faire famille » et ce faisant accordait déjà une certaine importance à la famille recomposée. En effet le nombre de familles recomposées augmente et représente aujourd’hui 9% des familles françaises[1] et 10% des familles allemandes[2]. Certes ces familles ne sont pas majoritaires, mais elles concernent de très nombreux enfants.
On entend par « famille recomposée » un couple – peu importe son type d’union – vivant avec au moins un enfant né d’une union précédente au sein d’un foyer. Une telle famille comporte alors un beau-parent – en couple avec le parent de l’enfant – dont la position et le rôle sont difficiles à définir. En effet, le beau-parent se trouve dans une situation très paradoxale : il est amené à exercer un rôle parental indéniable dès lors qu’il vit avec les enfants de son conjoint mais juridiquement, il est considéré comme un simple tiers – à de rares exceptions près. L’argument invoqué contre la création d’un statut légal du beau-parent est l’instabilité du nouveau couple créé après l’éclatement de la famille nucléaire[3].
Mais est-ce bien raisonnable de ne pas allouer une forme de statut à ce beau-parent, qui par ailleurs joue un rôle essentiel dans la vie de l’enfant ? D’ailleurs, certains domaines du droit sont assez flexibles dans leur conception de la famille. En effet « les législations sociale et fiscale n'exigent aucun lien de droit entre l'enfant et la personne qui le prend en charge »[4]. Le droit social et le droit fiscal sont ainsi moins exigeants que le droit des successions ou que le droit de la famille, notamment en ce qui concerne l’autorité parentale.
Il existe pourtant bien en droit en français un moyen de « partager » l’autorité parentale du parent avec le beau-parent. Il faut alors passer par la procédure de délégation-partage d’autorité parentale prévue à l’article 377 du Code civil.
En droit allemand, aucune procédure n’est nécessaire et une « petite autorité parentale »[5] peut être accordée de droit au beau-parent à certaines conditions, comme le prévoit le § 1687b du BGB (le Bürgerliches Gesetzbuch, code civil allemand).
Par ailleurs, dans un contexte international marqué par un accroissement constant des échanges et des mobilités de personnes, et notamment au sein de l’Union Européenne (exception faite des années Covid) la question de la reconnaissance de ces diverses tentatives d’accorder un statut au beau-parent se pose. Le beau-parent allemand titulaire d’une forme réduite d’autorité parentale peut-il exercer cette dernière dans un État qui ne la connait pas mais en connait un équivalent bien différent ? Autrement dit, un élément d’extranéité dans une famille recomposée peut-il mettre en danger le semblant d’autorité parentale accordée au beau-parent, souvent péniblement acquise ?
Dans une perspective franco-allemande, il nous faut dans un premier temps comparer les dispositions existantes en matière de partage de l’autorité parentale avec le beau-parent. Cette comparaison nous servira à mettre en évidence une différence majeure entre les droits allemand et français : l’une est judiciaire tandis que l’autre est légale (partie préliminaire). De cette différence découlent deux façons différentes de reconnaître ces autorités parentales réduites à l’étranger. Si la reconnaissance de la délégation-partage de l’autorité parentale ne devrait pas poser de problème au sein de l’Union (I), la reconnaissance de « l’autorité parentale réduite » prévue par le droit allemand pose question (II).
Partie préliminaire : L’autorité parentale du beau-parent en France et en Allemagne
Si les conditions de ces deux régimes sont semblables (A), ils s’opposent dans leur procédure (B).
A. Des conditions proches prévues à l’art. 377 du Code civil et au § 1687b BGB
Les droits français et allemand envisagent tous deux une possibilité pour le beau-parent d’acquérir un semblant d’autorité parentale vis-à-vis de ses beaux-enfants. Si le droit allemand contient une disposition spéciale concernant la « petite autorité parentale » du beau-parent (§ 1687b BGB), le droit français envisage quant à lui un système plus large de délégation-partage de l’autorité parentale qui peut être allouée à toute personne de confiance (art. 377 Code civil). Les deux droits conditionnent cette autorité parentale réduite à une stabilité et une continuité du couple, assez logiquement puisqu’il s’agit de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant. En droit allemand, la stabilité et la continuité sont à déduire du mariage du nouveau couple formé par le parent et le beau-parent, ou de son partenariat civil.
Les deux systèmes prévoient un accord préalable nécessaire du ou des titulaire(s) de l’autorité parentale. Ainsi, si le deuxième parent titulaire de l’autorité parentale s’oppose au partage de l’autorité parentale de son ex-conjoint/partenaire/concubin(e), le beau-parent ne pourra pas bénéficier d’une délégation-partage selon le droit français. Cette situation en droit allemand est évitée par la stricte condition suivante : le parent uni au beau-parent doit être le seul titulaire de l’autorité parentale pour que son conjoint/partenaire puisse bénéficier de la « petite autorité parentale » allemande.
En droit allemand et en droit français, le beau-parent ne peut bénéficier au maximum que d’une autorité parentale limitée aux « affaires de la vie quotidienne »[6] ou aux « actes usuels ».
Le droit allemand accorde donc un véritable statut au beau-parent sur cette question mais ce statut est difficile d’accès. En revanche, il ne nécessite aucune procédure judiciaire, et donc aucun jugement, contrairement à la délégation-partage française.
B. Des procédures opposées
Le beau-parent à qui l’autorité parentale peut être attribuée selon la loi allemande acquiert de droit sa « petite autorité parentale », à condition qu’il respecte les critères du § 1687b BGB. Il ne devra pas justifier de sa position par une quelconque décision tant qu’il reste en Allemagne. Le juge intervient seulement en cas de litige entre le beau-parent et le parent titulaire de l’autorité parentale (§ 1687b, par. 3).
Dans le droit français, une procédure devant le juge aux affaires familiales est nécessaire. Le(s) titulaire(s) de l’autorité parentale demande(nt) au juge la possibilité de déléguer sa(leur) autorité parentale de manière encadrée à un tiers digne de confiance. La décision du juge a alors valeur de titre pour le tiers délégataire.
Le beau-parent peut donc, à certaines conditions, bénéficier d’une forme réduite d’autorité parentale en droit allemand aussi bien qu’en droit français. Qu’en est-il du beau-parent lié à une nouvelle famille comportant un élément d’extranéité ?
I. La reconnaissance à l’étranger de la délégation-partage française dans le cadre du droit européen
Dans une situation familiale présentant un élément d’extranéité, on applique de façon classique le droit international privé de la famille. De nombreux textes européens sont venus harmoniser les droits internationaux privés au sein de l’Union. En matière d’autorité parentale, c’est le règlement n°2201/2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité́ parentale (dit « Bruxelles II bis ») qui s’applique.
La reconnaissance de la délégation partage de l’autorité parentale dans l’Union devrait se faire assez aisément puisqu’aucune procédure particulière n’est nécessaire au sein de l’Union (art. 21 al. 1 règlement Bruxelles II bis). Mais si le règlement de Bruxelles II bis s’applique sans aucun doute à la reconnaissance d’une décision sur l’autorité parentale, quid d’une décision rendue par un tribunal français concernant la délégation partage de l’autorité parentale, sorte de sous-catégorie de l’autorité parentale ? Il s’agit donc de déterminer si la reconnaissance de la délégation-partage pourrait rentrer dans le champ d’application matérielle du règlement.
Le règlement est volontairement large de manière à englober toutes les institutions des États membres grâce à son concept de « responsabilité parentale ». Dans les définitions de l’article 2, pt. 8 du règlement Bruxelles II bis, le titulaire de la responsabilité parentale peut être « toute personne exerçant la responsabilité parentale à l'égard d'un enfant ». Par ailleurs, l’article 1 § 1, b, du règlement prévoit l’application du règlement « à l'attribution, à l'exercice, à la délégation, au retrait total ou partiel de la responsabilité́ parentale. »
Toute personne peut donc selon cette première disposition être concernée par le champ d’application matérielle de ce règlement. Et après lecture de l’art. 1 du règlement, ce dernier s’applique à la délégation de l’autorité parentale. Nul ne dit s’il peut s’agir d’une délégation partielle, comme c’est le cas de notre délégation partage française, mais on peut y voir un premier signe d’inclusion de cette dernière dans le champ d’application du règlement. En outre, le règlement s’applique au « retrait total ou partiel de la responsabilité parentale », ce qui montre dans le cas d’un retrait partiel que le cas de personnes titulaires d’une autorité parentale réduite (un parent à qui on aurait retiré partiellement son autorité parentale) est inclus dans le champ d’application du règlement. Par extension, on pourrait conclure à une inclusion possible de la délégation-partage dans le champ d’application matérielle du règlement de Bruxelles II bis, ce qui simplifierait la reconnaissance de la décision obtenue auprès du Juge aux affaires familiales en France dans l’Union puisque le règlement ne prévoit aucune procédure spécifique de reconnaissance. Les juges de la Cour de Justice de l’Union Européenne ne se sont pas encore prononcés sur cette question.
La judiciarité de la délégation partage permettrait donc une reconnaissance aisée dans les pays membres de l’Union, si le règlement Bruxelles II bis s’appliquait à se reconnaissance. Le cas est différent pour le « kleines Sorgerecht ».
II. La reconnaissance à l’étranger du « kleines Sorgerecht » dans le cadre de la Convention de La Haye de 1996
La question de la reconnaissance à l’étranger du « kleines Sorgerecht », cette autorité parentale réduite du beau-parent prévue par le droit allemand, se pose différemment. En effet, la « petite autorité parentale » étant prévue par la loi, on ne peut pas parler de reconnaissance face à l’absence de décision. On ne peut par conséquent pas non plus appliquer le règlement de Bruxelles II bis. Dans une telle situation, il faut alors rechercher la loi applicable à l’attribution de l’autorité parentale.
L’article 16 de la Convention de la Haye de 1996 prévoit un critère de rattachement plutôt classique en matière d’autorité parentale : la loi applicable est en effet « régie par la loi de l’État de la résidence habituelle de l’enfant ». Par ailleurs, en cas de changement de résidence habituelle, la Convention prévoit une théorie dite « des wagons » où les différentes formes d’autorité parentale peuvent se cumuler. L’article 16 § 3 prévoit que « la responsabilité parentale existant selon la loi de l'État de la résidence habituelle de l'enfant subsiste après le changement de cette résidence habituelle dans un autre État ». Ainsi, « le changement de résidence habituelle n'a donc jamais pour effet de remettre en cause l'existence d'un rapport de responsabilité parentale de plein droit. »[8]
La Convention en elle-même, si elle s’applique, permet donc de reconnaître l’autorité parentale d’une personne en rattachant la loi applicable au critère de la résidence habituelle de l’enfant. Il faut donc résider en Allemagne (et remplir toutes les conditions du « kleines Sorgerecht ») pour bénéficier de cette « autorité parentale réduite » prévue dans le droit allemand. Mais le problème du champ d’application de la Convention se pose aussi, dans les mêmes termes que celui de l’application du règlement de Bruxelles II bis. À nouveau, la Convention prévoit en son article 1-2 une notion large de « responsabilité parentale » afin d’inclure un maximum de rapports d’autorité parentale nationaux différents. Mais il n’est pas fait mention d’une quelconque autorité parentale partielle ou réduite. La question reste donc ouverte tant que la jurisprudence ne s’est pas prononcée.
On a donc deux moyens différents pour le beau-parent, en France et en Allemagne, de se voir attribuer une certaine forme d’autorité parentale. Mais sur ce sujet, les instruments de droit international applicables semblent satisfaisants. Il faut espérer que la jurisprudence se prononce favorablement quant à l’inclusion de ces formes d’autorité parentale réduite, pour aboutir à une sécurisation de la position du beau-parent, dont le statut juridique - au mieux extrêmement limité, au pire totalement inexistant – fait débat dans de nombreux pays. La question demeure cependant épineuse : deux visions s’affrontent, une plus pragmatique prenant en compte le nombre croissant de familles recomposées, et l’autre plus critique vis-à-vis de l’instabilité de ces familles. Ce sujet sera certainement débattu dans les années à venir.