Commentaire de l’accord franco-allemand du 4 février 2010 instituant un régime matrimonial optionnel de la participation aux acquêts
En 2007, 13% des divorces prononcés en Europe concernaient des couples mixtes. Les couples mixtes se trouvent dans une situation complexe, car leurs règles nationales respectives en matière de droit matrimonial sont dans la plupart des cas très différentes. Outre le coût financier d’une « procédure mixte » cette situation crée par ailleurs une insécurité juridique autour des couples de nationalité différente.
Le contexte social et juridique actuel illustre un besoin d’harmonisation du droit matériel de la famille au niveau européen. Le 40e anniversaire du traité de l’Elysée fut une bonne occasion pour la France et l’Allemagne de projeter une harmonisation de leurs régimes matrimoniaux. La coopération entre les deux pays en droit de la Famille débuta lors de la signature du traité de l’Elysée en 1963. Le but de ce traité était de « rapprocher les législations sur le droit civil ».
En 2006, la France et l’Allemagne créèrent deux groupes de travail, un français et l’autre allemand, composés de praticiens du droit (hauts fonctionnaires, des notaires, des avocats,…). Leur mission étant d’essayer de légiférer un régime optionnel commun à la France et à l’Allemagne malgré les nombreuses différences et divergences tant sur l’aspect théorique que l’aspect pratique de leurs régimes matrimoniaux nationaux.
Il existe trois régimes matrimoniaux en Allemagne : la participation aux acquêts (Die Zugewinngemeinschaft), la séparation des biens (Die Gütertrennung) et la communauté de biens (Die Gütergemeinschaft)
Le droit français connait quatre régimes matrimoniaux : le régime légal de la communauté réduite aux acquêts, la communauté universelle, la séparation des biens et la participation aux acquêts.
Le régime que ces deux pays ont en commun est celui de la participation aux acquêts. La volonté première des délégations était d’unir ces deux régimes matrimoniaux nationaux en un régime matrimonial. La tâche s’avéra être complexe, alors les délégations se limitèrent à la création d’un régime matrimonial supplémentaire : le régime optionnel de la participation aux acquêts. Cet accord instituant ce régime fût signé le 4 février 2010.
Ici, il a lieu de se demander si le régime matrimonial optionnel répond aux attentes d’un couple franco-allemand et s’il pourrait répondre aux attentes d’un couple mixte européen.
Pour répondre à cette problématique il convient de s’interroger sur le fonctionnement du régime optionnel durant le mariage (I) en traitant d’une part ses destinataires et les principes le régissant (A). Puis en s’attardant sur la notion de régime primaire traitée dans l’accord mais inconnue en droit allemand (B). Enfin en cas de dissolution du régime optionnel (II) il est important de savoir comment est évaluée la créance de participation (A) et quelle est son régime (B).
I.Le fonctionnement du régime durant le mariage
A.Destinataires du régime et principes régissant celui-ci
L’article 1 de l’Accord dispose que le régime peut être choisi par les époux dont la loi applicable est celle d’un Etat contractant. Pour le moment seul les couples mixtes franco-allemands ou tout couple vivant en France ou en Allemagne, ou tout couple auquel est applicable le droit allemand ou français même s’il vit dans un pays tiers peuvent le choisir.
Les époux choisissent le régime optionnel de participation aux acquêts au moyen d’un contrat de mariage (Article 3 alinéa 1 de l’Accord). Le contrat peut être conclu avant ou pendant le mariage. Le régime matrimonial prenant ainsi effet au plus tôt à la date de célébration du mariage ou au moment de la conclusion du contrat dans le cas d’un changement de régime matrimonial. (Article 3 alinéa 2).
Ces dispositions similaires aux dispositions françaises permettent aux époux allemands de changer de régime matrimonial sans application de délais, de conditions de forme ou de fond normalement exigés par la législation allemande. Le contrat de mariage devra cependant respecter les formes exigées dans le pays où il est souscrit selon le principe locus regit actum.
Le régime optionnel de participation aux acquêts fonctionne de la même manière que le régime français de la séparation des biens en matière d’administration, de jouissance et de libre-disposition des biens personnels propres à chaque époux (Article 4 de l’Accord).
Néanmoins ce principe séparatiste connait des restrictions en matière de dispositions d’objets du ménage tel que le logement familial (Article 5 de l’Accord) ou des tempéraments dans le cas d’actes relevant de l’entretien du ménage. (Article 6 de l’Accord). Ces dispositions nous renvoient à la notion de droit français du régime primaire que le groupe de travail français a voulu intégrer aux dispositions de l’accord, cette notion jusqu’à lors inexistante en droit allemand.
B.Quid du régime primaire : le logement familial protégé
Le régime primaire désigne des règles obligatoires que chaque couple marié ayant conclu un contrat de mariage ou non et quel que soit leur régime matrimonial doivent respecter. Ex : la protection du logement familial. Cette notion est développée dans les articles 215 à 226 du Code civil.
Le droit allemand ne connait pas cette notion. Le logement familial qui est souvent utilisé par le législateur allemand n’est l’objet d’aucune définition et ne fait l’objet d’aucune protection spécifique durant le mariage (Allemagne, Jean Marie Hauptmann, RIDC 4-1990, page 1122). Le paragraphe 1365 du BGB prévoit en effet que l’époux peut disposer de ses biens librement (sans le consentement de l’autre époux) tant que ceux-ci font partie de son patrimoine.
Contrairement au droit allemand le régime optionnel en son article 5 vise une application obligatoire du régime primaire à tout époux ayant choisi le régime optionnel franco-allemand vivant hors du territoire français. Ainsi le logement familial ou les meubles meublants (dit les « objets du ménage » dans l’Accord) ne peuvent sans le consentement de l’autre époux faire l’objet d’actes de disposition.
On constate que l’Article 5 paragraphe 1 ne mentionne que le logement familial et les objets du ménage, ce qui signifierait que tout autre acte peut être librement conclu par l’un des époux sans l’accord de l’autre époux. Mais grâce au système de calcul de la créance de participation (cf. II. B) la valeur des actes conclus sans l’accord de l’autre époux est comptabilisée dans le patrimoine final de l’époux donateur.
L’article 6 de l’Accord relatif à la solidarité ménagère reste assez vague sur le sujet malgré qu’elle soit l’objet de nombreux conflits. En effet dans cet article ni les achats à tempérament ni les emprunts modestes contractés pour satisfaire aux besoins de la vie courante ne sont mentionnés (Revue Droit de la Famille n°5, Mai 2010, étude 8, SIMLER PHILIPPE, Le nouveau régime matrimonial optionnel franco-allemand de participation aux acquêts). Néanmoins on suppose dans le futur que la doctrine et la jurisprudence allemandes comme françaises apporteront des précisions sur ce point.
La particularité du régime matrimonial optionnel de la participation aux acquêts réside cependant dans la dissolution de celui-ci.
II.Dissolution du régime optionnel
L’article 7 du régime optionnel détaille les causes communes à la France et à l’Allemagne de dissolution du régime matrimonial : décès ou déclaration d’absence de l’un des époux ; le changement de régime matrimonial ; le jugement de divorce ou toute autre décision judiciaire devenue définitive emportant dissolution du régime matrimonial.
La décision judiciaire ici évoquée est celle prévoyant une liquidation anticipée de la créance de participation.
A. L’évaluation de la créance de participation
A la dissolution du régime il faut évaluer la créance de participation, c’est-à-dire comparer dans un premier temps le patrimoine originaire et le patrimoine final de chaque époux.
La notion de patrimoine originaire est identique en droit français et en droit allemand, exception faite des biens propres par nature. L’article 8 paragraphe 1 de l’Accord le définit comme « le patrimoine de chacun des époux à la date à laquelle le régime matrimonial prend effet ».
Les dettes de chaque époux sont de plus prises en compte dans leur patrimoine originaire même si celles-ci « excèdent le montant de l’actif ». Un patrimoine originaire négatif peut donc exister. Dans son article 1571 du Code civil français reconnait l’existence d’un patrimoine originaire négatif tandis qu’au paragraphe 1374 du BGB (Bürgerliches Gesetzbuch) les dettes ne peuvent être déduites que si elles ont un lien (Verbindlichkeit) avec l’actif.
Le paragraphe 2 dudit article dispose que les biens reçus ultérieurement par l’un des époux par succession ou par donation sont ajoutés au patrimoine originaire ainsi que les indemnités perçues en réparation d’un dommage corporel ou moral. Cette dernière précision a été ajoutée car la notion de biens propres par nature n’est pas connue du droit allemand.
En son paragraphe 3, les législateurs franco-allemands précisent ce que le patrimoine originaire ne comprend pas, c’est-à-dire ni les fruits des biens qui le composent, ni ceux de ces biens « donnés par un époux à des parents en ligne directe au cours du régime matrimonial ». Cette disposition ne reflète ni le droit allemand ni le droit français. En effet en droit allemand, les biens donnés ne sont pas déduits du patrimoine originaire mais rajoutés au patrimoine final et en droit français, toute donation d’un bien est déduite du patrimoine originaire.
Par ailleurs l’évaluation du patrimoine originaire résulte d’un compromis des deux droits nationaux. L’article 9 paragraphe 1 dispose que les biens existants sont évalués à la date de prise d’effet du régime matrimonial. Quant aux biens acquis postérieurement, ils sont évalués au jour de leur acquisition. Le paragraphe 3 dudit article précise que la valeur déterminée « est indexée sur la variation moyenne de l’indice général des prix à la consommation des Etats contractants». Ceci étant aussi valable pour les dettes (Article 9 paragraphe 4 de l’Accord). Ces principes sont inspirés du droit allemand (Paragraphe 1376 BGB) qui prends en compte le patrimoine originaire en sa valeur initiale qui reste figée et invariable. Ainsi la notion d’indexation des dettes est propre au droit allemand et non prévue en droit français.
Une nuance, inspirée du droit français, est cependant apportée à l’évaluation du patrimoine originaire pour les biens et les droits immobiliers au paragraphe 2 de l’Article 9 de l’Accord. « Les immeubles et droits réels immobiliers du patrimoine originaire, autres que l'usufruit et le droit d'usage et d'habitation sont évalués à la date de la dissolution du régime. » (http://www.senat.fr/leg/pjl10-372.html)
Après avoir déterminé le patrimoine originaire il a lieu d’évaluer le patrimoine final. Le patrimoine final est selon l’Article 10 paragraphe 1 constitué des biens appartenant à un époux à la date de la dissolution du régime. Les dettes sont aussi prises en compte même si celles-ci excèdent le montant de l’actif. Le patrimoine final peut donc aussi être négatif.
Le patrimoine final comprend de plus (Article 10 paragraphe 2) :
-les biens donnés par un époux, si la donation a été excessive eu égard au train de vie des époux.
Sachant que les donations portant sur un bien du patrimoine originaire donné à des parents de ligne directe ne sont pas prises en compte dans le patrimoine final. Cependant est ajoutée au patrimoine final, « la plus-value apportée par les améliorations réalisées sur ce bien pendant la durée du régime matrimonial avec des deniers ne dépendant pas du patrimoine originaire. »
- les biens cédés ou dissipés dans le but de léser l’autre époux. Ces modifications volontaires du patrimoine pour léser l’autre époux ne sont comptabilisées que si elles sont intervenues moins de dix ans avant la dissolution du régime et seulement si l’autre époux n’a pas donné son accord. Il est important de préciser sur ce dernier point que l’inaction du conjoint peut être considérée comme une approbation tacite.
La valeur de ces biens est évaluée « au jour de la donation » et indexée sur l’indice des prix à la consommation des Etats contractants d’après l’Article 11 paragraphes 2 et 3. Contrairement à l’évaluation du patrimoine finale qui est faite « à la date de la dissolution du régime matrimonial. » Par ailleurs si la dissolution a lieu suite à un divorce ou à une décision judiciaire l’évaluation ainsi que la composition du patrimoine final se fait à la « date d’introduction de la demande en justice » (Article 13 de l’Accord).
Le patrimoine originaire et le patrimoine final étant définis, il ne reste plus qu’à déterminer la créance de participation.
B. Régime de la créance de participation
Afin de calculer la créance de participation il faut déterminer le montant des acquêts de chaque époux. Le montant des acquêts est la différence entre le patrimoine final et le patrimoine originaire de chacun.
L’époux ayant le montant d’acquêts le moins important a le droit à une créance de participation égale à la moitié de la différence de l’excédent des acquêts de l’autre époux (Article 12 de l’Accord).
Par exemple : Si les acquêts de l’époux A s’élèvent à 200 et les acquêts de l’époux B s’élèvent à 300, l’époux A a le droit à la créance de participation. Celle-ci s’élèverait à 50 (300-200= 100/2= 50).
L’article 14 de l’Accord prévoit une limitation de la créance de participation « à la moitié de la valeur du patrimoine de l’époux débiteur après déduction des dettes à la date retenue pour la détermination du montant de cette créance. » Néanmoins la limite de la créance de participation est augmentée dans le cas ou des biens furent donnés, aliénés ou dissipés (l’Article 10 paragraphe 2) exception faite des biens donnés faisant partie du patrimoine originaire.
La créance de participation est en principe reversée immédiatement par l’époux débiteur. Mais ce dernier peut d’après l’article 17 de l’Accord demander au tribunal de lui accorder un délai pour le règlement de la créance si le règlement immédiat « le pénalise de manière inéquitable ».
Le créancier peut si cette demande est accordée par le tribunal, demander une fourniture de sûretés.
Le paragraphe 2 rappelle néanmoins que la créance dont le paiement est différé porte intérêts.
Par ailleurs la créance de participation donne lieu à un paiement en espèces (Article 12 paragraphe 2 de l’Accord). Cependant suite à la demande de l’un des époux, le tribunal peut ordonner le transfert de biens du débiteur au créancier si cela est équitable. Ce point ne s’apparente ni au droit allemand ni au droit français, car le droit français permet à l’époux débiteur d’effectuer un règlement en nature « s’il justifie de difficultés graves qui l’empêchent de s’acquitter en argent » (article 1579 Code civil) et le droit allemand permet à l’époux créancier de demander au juge d’ordonner le transfert de certains biens du débiteur par imputation de sa créance (Paragraphe 1383 BGB).( Revue Droit de la Famille n°5, Mai 2010, étude 8, SIMLER PHILIPPE, Le nouveau régime matrimonial optionnel franco-allemand de participation aux acquêts)
L’article 12 paragraphe 3 prévoit que la créance de participation « est transmissible à cause de mort et cessible entre vifs ».
Enfin la créance de participation se prescrit par trois ans comme en droit allemand et en droit français. Le point de départ de la prescription dans le régime optionnel est cependant emprunté au modèle allemand (Paragraphe 1378 BGB) qui court à la « date à laquelle l’époux a connaissance de la dissolution du régime matrimonial et au plus tard 10 ans (30 ans en droit allemand) après la dissolution du régime» (Article 15 de l’Accord). Tandis qu’en droit français le délai court à partir de la date de dissolution du régime matrimonial (Article 1578 al.3 Code civil).
Ce projet commun franco-allemand crée pour la première fois un droit matériel commun à la France et à l’Allemagne qui s’étendra surement à l’ensemble de l’Europe. Car cet accord est certes bilatéral mais il offre la possibilité à d’autres Etats-membres d’y adhérer.
Le régime optionnel franco-allemand de participation aux acquêts a été ratifié en Allemagne et publié au bulletin officiel le 15 mars 2012. Ce régime ayant été introduit au BGB s’applique automatiquement au Lebenspartnerschaft (l’équivalent du PACS en Allemagne mais qui n’est ouvert qu’aux personnes du même sexe). En France, un projet de loi autorisant la ratification a été présentée le 23 mars 2011 lors du Conseil des ministres.
Une remarque subsiste tout de même, il n’a pas été fait mention dans l’Accord, de la prestation compensatoire et de la Versorgungsausgleich, qui traite du sort des cotisations pour la retraite de chaque époux durant la période du mariage. Acte volontaire ou simple oubli des délégations?
Bibliographie :
- Philippe SIMLER, Le nouveau régime matrimonial optionnel franco-allemand de la participation aux acquêts, Droit de la Famille n°5, Mai 2010, étude 8
-Eva BECKER, Ein europäischer Guterstand? Der deutsch-französische Wahlgüterstand, ERA (Europaïsche Rechtsakademie/ Académie des droits européens) 22 février 2011, p103 à 118.
- Ministère de la justice, Actu Justice n°6, février 2010, Accord entre la France et l’Allemagne : création d’un régime matrimonial commun
-Gesetz zu dem Abkommen vom 4. Februar 2010 zwischen der Bundesrepublik Deutschland und der Französischen Republik über den Güterstand der Wahl-Zugewinngemeinschaft, Bundesgesetzblatt Teil 2, Nr 7, 2012, p.177 à 199
-Texte de loi: http://www.bmj.de/SharedDocs/Downloads/DE/pdfs/Accord_entre_la_Rep_Fed_d...