L’article 18§ 1 f) de la loi n°69/2005 du 22 avril 2005 transposant en droit italien la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen par Anne-Lise DELORON

Par cet article de la loi n.69/2005 transposant dans l’ordre juridique italien la décision-cadre relative au MAE, le refus d’exécution du mandat d’arrêt pour les délits politiques est réintroduit et apparaît donc en contradiction avec la décision du Conseil, ce qui n’est pas sans créer de difficulté. La France, elle, a choisi la voie d’une révision constitutionnelle préalable à la transposition. D’une notion difficile à approcher, le délit politique, découle toute une réflexion sur son évolution mais aussi sur le système juridique mis en place dans une approche comparative entre la France et l’Italie.

Mandat d’arrêt européen et délit politique, un couple impossible ?

Le mandat d’arrêt européen, mis en place par la décision cadre du 13 juin 2002, se fonde sur le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice. En se substituant à la traditionnelle procédure de l’extradition, il rend quasiment automatique « l’exécution d’une décision judiciaire émise par un Etat membre en vue de l’arrestation et de la remise de la part d’un autre Etat membre d’une personne recherchée aux fins de l’exercice d’une action pénale ou de l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privative de liberté ». Instauré par une décision cadre, il a été incorporé progressivement dans le droit interne des Etats membres par des procédures et dans des délais divers. Dans l’ordre juridique italien, le mandat d’arrêt européen a été transposé par la loi n.69/2005 du 22 avril 2005. L’article 18 de cette loi réglemente les cas de « refus de la remise », formule synthétique pour indiquer les motifs de droit pénal matériel et processuel qui imposent à la Cour d’appel italienne de rejeter la demande de l’autorité judiciaire de l’Etat d’émission du mandat d’arrêt européen. Cet article constitue une des dispositions centrales de l’ensemble du texte législatif italien parce qu’il est significatif de la ligne de conduite que le législateur a voulu et a su suivre au sein de la coopération communautaire et de l’autonomie du système juridictionnel interne. La liste qui y est contenue prévoit au moins vingt catégories de motifs de refus de remise et pourtant n’épuise pas toutes les hypothèses prévues par la loi 69/2005. Est-ce-à dire qu’elle n’est pas exhaustive ? Toutefois le législateur a pris soin, à la lettre f) dudit article d’affirmer que sera refusée la remise de la personne objet du mandat « si le mandat d’arrêt européen a pour objet un crime politique » exceptions faites des situations prévues par un certains nombre de conventions internationales principalement liées au terrorisme et au génocide. S’arrêter sur cette disposition de la loi de transposition italienne amène à une réflexion plus générale sur le mandat d’arrêt européen. L’une des particularités du mandat tel que défini par la décision-cadre est la judiciarisation de la procédure de remise entre les Etats membres. Cette dépolitisation du mandat d’arrêt européen, au regard de l’extradition classique, revêt donc deux aspects : la mise en place d’une procédure exclusivement judiciaire et l’abandon confirmé de l’exception pour infraction politique. L’Italie ne semble pas avoir entendu le nouvel instrument de coopération de cette façon. La France, quant à elle, a dû recourir à une révision de sa constitution à cause notamment de cette notion d’infraction à caractère politique. Quelle est donc cette notion qui pousse à s’écarter d’une part de la ligne de conduite fixée par le droit européen, et qui, d’autre part, oblige à une révision de la Constitution française ? Comprendre l’attitude des Etats face à cette notion ambivalente et complexe s’avère nécessaire et fondamentale pour que la notion d’infraction politique ne soit pas le grain de sable du mécanisme pour l’instant bien établi qu’est le mandat d’arrêt européen.

Qu’entendre par « crime politique » ?

Au regard de la convention d’extradition entre l’Italie et les Etats-Unis, la doctrine italienne considère que le « crime politique » (reato politico) doit se définir par la négative. En effet, ne sont pas entendus comme « crimes politiques » les crimes de guerre, attentats contre le chef de l’Etat, génocide, collaboration avec l’ennemi, et actes de terrorisme. C’est une infraction dont l’individuation et le but s’avèrent limités aux hypothèses qui ne rentrent pas dans ces catégories. La principale référence à cette infraction est à l’article 2 de la Constitution italienne qui interdit toute extradition pour ce type d’infraction. En l’état actuel du droit français, les infractions à caractère politique ne connaissent pas de statut particulier et n’ont pas réellement de conséquence sur le quantum de la peine. Comme le souligne le sénateur Pierre Fauchon dans son rapport sur le mandat d’arrêt européen ( in Rapport n°126 fait au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sur le projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée Nationale relatif au mandat d'arrêt européen par Pierre Fauchon, annexe au procès verbal de la séance du 15 janvier 2003), il n’existe aucune définition légale de l’infraction à caractère politique. Les crimes politiques se distinguent en ce qu’ils sont punis d’une peine de détention criminelle et constituent des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation. Ce raisonnement n’existe pas en matière de délit. Ce travail de définition est donc revenu à la jurisprudence qui s’est fondée sur la nature de certaines infractions pour leur reconnaître un caractère politique. Elle a ainsi reconnu ce caractère à de nombreuses infractions contre la nation, l’Etat, la paix publique, les délits de presse ou les infractions réprimées par le code électoral. Ainsi, aussi bien en droit italien que français, la notion d’infraction à caractère politique est difficile à appréhender. Cette difficulté se reflète sur la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen.

« Crime politique » ou « délit politique », infraction à caractère politique et remise des personnes, que comprendre de l’évolution ?

A la fin de la seconde guerre mondiale, la nécessité de protéger les communautés internationales des attaques terroristes a été de plus en plus importante et s’est traduite par la signature de nombreuses conventions en la matière. Ces conventions prévoyaient que le crime politique était une limite formelle à la remise, un motif de refus de mise en œuvre de l’extradition. Limite supprimée par le mandat d’arrêt européen mais qui semble refaire surface à l’article 18, lettre f) de la loi de transposition italienne. C’est pourquoi une partie de la doctrine italienne est restée perplexe face au choix du législateur de réintroduire cette limite difficile à définir. Il semblerait alors que le législateur italien ait considéré que le mandat d’arrêt européen soit en quelque sorte une autre manière d’entendre l’extradition alors qu’il s’agit en réalité de deux concepts distincts. On aurait pu penser que ce choix était motivé pour protéger la figure impropre des auteurs de crimes politiques. Mais le législateur italien ne pouvait pas ignorer qu’il existe toute une série d’instruments juridiques qui offrent une large protection à la personne recherchée dès lors que sont violés ses droits fondamentaux. D’autre part, l’obligation de motiver la demande de remise représente une base non négligeable en termes de défense des droits de l’intéressé. Un autre courant de la doctrine italienne s’applique à replacer la position du pays dans un cadre supranational. Il souligne que la disposition contestée ne s’appuie pas sur une disposition analogue de la décision cadre qui sur ce point reste silencieuse. Cette absence d’écho entre les deux ordonnancements juridiques ne serait pas un hasard puisque le silence du texte européen se présente de façon cohérente avec la tendance du droit international à réduire progressivement la force de résistance du crime politique à l’extradition de son auteur. Ainsi, alors que la Convention européenne d’extradition de 1957 dispose en son article 3 que « l’extradition ne sera pas accordée si le crime, pour laquelle elle est demandée, est considéré par l’Etat requis comme un crime politique ou comme un fait semblable », la Convention relative à l’extradition entre les Etas membres de l’Union Européenne de 1996 fixe le principe opposé. Dix ans après, à l’heure de la construction d’un espace commun de justice et de sécurité qui se fonde sur le rapprochement des législations pénales et sur le principe de reconnaissance mutuelle, on peut comprendre que la décision-cadre privilégie au concept d’infractions politiques, les notions de non-discrimination, de dignité humaine et de droits de la défense pour prévenir des pratiques despotiques dans l’utilisation du mandat d’arrêt européen. La notion de crime politique était sans doute plus adéquate en des temps de conflits ou de Guerre Froide. En l’état actuel, il reste à celui qui devra interpréter et mettre en œuvre cette disposition le devoir de respecter le choix fait par le législateur à la lettre f) de l’article 18 sans ignorer le conteste institutionnel supranational et dans le même temps sans oublier ni le contenu, ni l’idée de la décision cadre. A ma connaissance, pour l’heure les juridictions italiennes n’ont pas eu à connaître d’un mandat d’arrêt dont la demande de remise serait fondée sur un tel motif. Si tel devait être le cas, peut-être devraient-elles se tourner vers la jurisprudence de la Cour de cassation qui en 1989 (Cass. Italienne, 15 décembre 1989, Affaire Van Anraat), a réussit, à établir, à des fins d’extradition, une notion de crime politique conforme à l’article 2 de la Constitution italienne qui pourtant en interdit ce principe.

De la difficulté italienne à la « simple » révision constitutionnelle française, le bon fonctionnement de notre système…

La France a affronté différemment la question de la transposition en droit français de la directive instaurant le mandat d’arrêt européen. Le 26 septembre 2002, le Conseil d'Etat, saisi par le Premier ministre, d'une demande d'avis sur la question de savoir si la transposition en droit français de la décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen était de nature à se heurter à des obstacles tirés de règles ou de principes de valeur constitutionnelle, a répondu que la transposition de ce texte nécessitait au préalable une révision de la Constitution. Cette révision était indispensable dès lors que la décision-cadre ne prévoyait pas la possibilité de refuser l’exécution du mandat d’arrêt lorsque celui-ci porte sur une infraction à caractère politique. La France a donc connu, quelques mois auparavant, une situation analogue à l’Italie mais qu’elle a résolu différemment. Dans un avis du 9 novembre 1995, le Conseil d’Etat a considéré que « le principe selon lequel l’Etat doit se réserver le droit de refuser l’extradition pour les infractions qu’il considère comme des infractions à caractère politique constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République, ayant à ce titre valeur constitutionnelle (…) » (Avis n° 357-344, du 9 novembre 1995). La décision-cadre apparaît donc en contrariété avec un principe à valeur constitutionnelle. Plus précisément cette contrariété est due au fait que le Conseil d’Etat constate que les articles 3 et 4 de la décision-cadre relatifs aux motifs de refus obligatoire ou facultatif de la remise ne comprennent pas cette notion d’infraction à caractère politique. C’est pourquoi il est apparu nécessaire de modifier la Constitution afin qu’à la différence de son homologue italien, le juge français saisi de ce cas d’espèce ne soit pas dans une position délicate. Il s’agit de préserver le juge d’un difficile travail de conciliation entre exigences nationales et supranationales en dépit du Constituant qui lui se trouve dans la position délicate de modifier la Constitution. Cette modification fut l’objet de la loi constitutionnelle du 25 mars 2003 relative au mandat d’arrêt européen. L’article 88-2 de la Constitution est donc complété par un alinéa qui dispose «La loi fixe les règles relatives au mandat d’arrêt européen en application des actes pris sur le fondement du Traité sur l’Union Européenne ». Ainsi cet ajout stabilise les rapports entre exigences du droit interne et celles de la décision-cadre et dépasse les difficultés qui vont sans aucun doute ne pas tarder à se dessiner en Italie. Cette « aisance » française, en comparaison à l’Italie, tient peut-être à la substance même du droit constitutionnel français. Le modèle de justice constitutionnel français présente des particularités singulières dans le contrôle des normes. Ce contrôle est, sauf exception, de type préventif, c'est-à-dire que le contrôle intervient avant l’entrée en vigueur de la norme concernée Ce type de contrôle préventif n’existe pas en Italie. Certes, en l’espèce, il ne s’agit pas exactement d’un contrôle de constitutionalité opéré par le Conseil Constitutionnel car ce dernier n’en avait pas la compétence. En effet, il était exclu de saisir, à cette fin, le Conseil Constitutionnel sur le fondement de l’article 54 de la Constitution puisque le dispositif prévu par cet article ne s’applique qu’aux engagements internationaux soumis à ratification ou à approbation. C’est pourquoi, le gouvernement français, par la voix de son Premier Ministre a sollicité l’avis du Conseil d’Etat. Si on ne peut pas établir les mêmes règles en matière de contrôle que celle qui existe pour le Conseil des Sages, il est indéniable que c’est en raison de l’existence du contrôle préventif dans notre système de justice constitutionnelle, que le Conseil d’Etat a été sollicité avant de soumettre au Parlement le projet de loi sur la transposition du mandat d’arrêt européen. Le système français est loin d’être parfait mais un coup d’œil en direction de nos voisins démontre que certains rouages français fonctionnent « parfaitement ». Par ce contrôle préventif de la décision-cadre au regard de la Constitution française, les risques et les difficultés ont été soulevées et affrontées. Se pose alors la question de savoir quelle aurait été la loi n.69/2005 qui transpose le mandat d’arrêt italien dans l’ordre juridique italien si un organe semblable à notre Conseil d’Etat français avait pu examiner auparavant la décision-cadre au regard du droit italien. Si le droit comparé a pour première vocation de mieux connaître son propre droit et de l’améliorer par l’étude de droits étrangers, à l’heure de la coopération européenne et de l’entraide entre les Etats, par la connaissance de notre propre droit, ne pouvons nous pas suggérer des évolutions au droit étranger ? Et si l’Italie mettait aussi en place un contrôle de type préventif… Mais cette considération n’aborde que le « versant » technique de la mise en place du mandat d’arrêt européen et celui-ci n’est sans doute pas la seule raison de la réticence italienne du nouvel instrument d’extradition. La vie politique italienne a été marquée, pendant les années de plombs (les années 1970-1980), par le terrorisme d’extrême-droite et d’extrême-gauche. Cet à cette époque que les Brigades Rouges, groupe d’extrême-gauche pratiquent ce qu’ils appellent la « propagande par le fait », leurs différents groupes ont été poursuivis et condamnés pendant des années par les autorités italiennes. Au cours des années 1980, de nombreux membres des Brigades rouges et d'autres groupes terroristes ont pu se réfugier en France au nom de ce qu'on a appelé la « doctrine Mitterrand » : sous réserve de ne pas se servir de leur refuge en France comme base arrière pour des actions violentes, ils avaient la garantie de ne pas être extradés. On comprend donc ici que l’Italie est dans une situation particulière au regard des délits politiques, qu’ils soient crimes de sang ou non, et ceci explique sans aucun doute une partie de la réticence italienne de la remise de personnes soupçonnées de délits politiques. Sur le sol italien, demeurent encore sans doute un certain nombre d’anciens protagonistes actifs des années de plombs, sur qui pèse le risque d’une éventuelle « extradition »…

!Source

Legge 22 aprile 2005, n. 69 "Disposizioni per conformare il diritto interno alla decisione quadro 2002/584/GAI del Consiglio, del 13 giugno 2002, relativa al mandato d'arresto europeo e alle procedure di consegna tra Stati membri" pubblicata nella Gazzetta Ufficiale n. 98 del 29 aprile 2005 (...) ART. 18. (Rifiuto della consegna). 1. La corte di appello rifiuta la consegna nei seguenti casi: (...) f) se il mandato d'arresto europeo ha per oggetto un reato politico, fatte salve le esclusioni previste dall'articolo 11 della Convenzione internazionale per la repressione degli attentati terroristici mediante utilizzo di esplosivo, adottata dall'Assemblea generale delle Nazioni Unite a New York il 15 dicembre 1997, resa esecutiva dalla legge 14 febbraio 2003, n. 34; dall'articolo 1 della Convenzione europea per la repressione del terrorismo, fatta a Strasburgo il 27 gennaio 1977, resa esecutiva dalla legge 26 novembre 1985, n. 719; dall'articolo unico della legge costituzionale 21 giugno 1967, n. 1; (...)

Bibliographie relative au commentaire de la source

P.BALBO, Il mandato di arresto europeo secondo la legge di attuazione italiana. Commento delle decisisoni quadro europee 2002/584/GAI sul mandato d’arresto europeo e 2005/214/GAI sul reciproco riconoscimento delle sanzioni pecuniarie, 2005,G.Giappichelli M.BARGIS, Il mandato d’arresto europeo, quali prospettive ?, 2003, GI p.2423 M.CHIAVARIO et autres, Il mandato di arresto europeo, commento alla legge 22 aprile 2005 n.69, 2006, Utet Giuridica L.KALB et autres, Mandato di arresto europeo e procedure di consegna, commento alla legge 22 aprile 2005, n.69, 2005, Giuffrè Editore G.PANSINI et A.SCALFATI, Il Mandato d’Arresto Europeo, 2005, Jovene Editore