La consultation préalable des peuples indigènes: droit de l'homme ou privilège octroyé par l'Etat?
La consultation préalable, est dans tous les esprits ces derniers temps en Bolivie, que l’on soit juriste ou non, difficile d’échapper à ce terme. La raison de tout ce tumulte ? La construction d’une autoroute sensée traverser le Territoire Indigène et Parc National Isiboro Secure (TIPNIS) situé entre les provinces de Moxos ( Beni) et du Chapare (Cochabamba).
Les peuples indigène originaire paysans1 occupant ce territoire se plaignent depuis maintenant deux ans de ne pas avoir été consultés avant la conclusion de contrats dont l'objet est la construction de cette autoroute. Dans ce contexte, la constitutionnalité et la conventionalité de l’article 39 de la loi nº26 relative au régime électoral du 30 Juin 2010 est très discutée : est-ce que la consultation préalable ne doit concerner que des projets ayant trait à l’exploitation de ressources naturelles ? Pourquoi pas la construction d’une autoroute puisque sur le plan international rien ne l’interdit , et que la Bolivie se doit de respecter les conventions dont elle est partie? Les résultats de la consultation préalable sont-ils contraignants ? L’État doit-il en tenir compte ?
Le présent « article » prétend répondre à toutes ces interrogations au regard de l’article 39 de la loi relative au régime électoral et des systèmes universel et américain des droits de l’homme qui font office de garde-fous, dans le chaos de l’implantation de ce droit à la consultation préalable dans plusieurs pays.
La loi relative au régime électoral a été promulguée en 2010, soit près d’un an après la proclamation de la Nouvelle Constitution Politique de l’État Plurinational de Bolivie en 2009. Cette constitution consacre le caractère plurinational de l’État bolivien, c’est-à-dire que la Bolivie reconnaît l’existence de plusieurs nations en son sein, nations ayant un statut politique propre, cette constitution reconnaît d’autre part leur droit à la libre détermination, à l’autonomie politique et leur droit à la terre. Ces nations sont les peuples indígena originario campesino, indigène originaire paysan et les afro-boliviens.
C’est ainsi que l’article 39 de la loi sur le régime Électoral s’inscrit dans la continuité de ce processus de construction du caractère plurinational de l’État. Cet article permet de préciser la lettre de la Nouvelle Constitution qui prévoit le droit à la consultation préalable dans son article 30.15. Avant cela la consultation préalable était déjà prévue par la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail du 7 juin 1989 relative aux peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants, adoptée sous la forme de la Loi nº1257 du 11 Juillet 1991 dans l’ordre interne bolivien et la Déclaration relative aux peuples indigènes des Nations Unies du 13 Septembre 2007, adoptée sous la forme de la Loi nº3760 du 7 Novembre 2007.
En vertu, de cet article 392, la consultation préalable est un mécanisme constitutionnel de démocratie participative, devant se dérouler avant que toute décision concernant des activités, des projets ou des travaux relatifs à l’exploitation de ressources naturelles soit prise. Lorsque des peuples indigène originaire paysans sont concernés, la consultation préalable doit se dérouler selon leurs propres normes et procédures, les accords et décisions auxquels elle aboutit n’ont pas d’effet contraignant pour l’État ou les autorités devant prendre la décision finale.
La comparaison de cet article avec les systèmes universel et américain des droits de l’homme est pertinente, en ce que l’objet de la consultation et ses effets sont différents et n’aboutissent pas à la même solution juridique.
En droit International, la consultation préalable a été introduite par la Convention 169 de l’OIT de 1989 suivie par la Déclaration des Nations Unies relative aux peuples indigènes de 2007. Selon ces conventions, auxquelles la Bolivie est partie, les États, contrairement à l’article 39 de la loi sur le régime électoral, doivent convoquer une consultation préalable avant de prendre des mesures législatives ou administratives susceptibles d’affecter les peuples indigènes et cette consultation doit obligatoirement parvenir à trouver un accord entre les parties ou viser à obtenir le consentement de la population en question (article 6 de la Convention de l'OIT et 19 et 32.2 de la Déclaration des Nations Unies relative aux peuples indigènes)3. Au niveau régional, cette recherche du consentement est tout aussi impérative, bien qu'il n'existe pas de conventions régionales sur les droits des peuples indigènes, le rôle de la jurisprudence de la Cour Inter-américaine des Droits de l'homme en la matière est considérable.
L'exploitation de ressources naturelles, ou les activités impliquant l'utilisation du territoire de peuples indigènes en général, peuvent bouleverser leur mode de vie, ainsi que l'organisation économique sociale et culturelle de leur territoire et plus encore cela peut porter atteinte à un droit collectif, leur droit à la terre, garanti par l'article 30.6 de la Constitution bolivienne selon lequel les nations et peuples indigène originaire paysans ont droit à la possession collective de leurs terres et territoires, par l'article 14 de la Convention 169 de l'OIT, et par l'article 26 de la Déclaration des Nations Unies relative aux peuples indigènes qui reconnaissent le droit de propriété des peuples indigènes des terres qu'ils occupent traditionnellement.4 Le droit à la terre est ainsi un droit de l'homme que la consultation préalable a pour but de protéger.
Il convient donc de se demander en comparant l’article 39 de la loi sur le régime électoral avec les systèmes universel et américain des droits de l’homme, si la consultation préalable au sens de cet article garantit une protection efficace des droits économiques, sociaux et culturels des peuples indigènes et plus précisément de leur droit à la terre.
Dans une première partie il s'agira d'étudier comment la consultation préalable tend à protéger l’identité culturelle des peuples indigènes en droit bolivien et dans les systèmes universel et américain des droits de l’homme bien que l'objet de la consultation soit restreint en droit bolivien et large dans ces systèmes (I) et dans une deuxième partie de voir que ces derniers ont une approche bien différente quant aux effets des résultats de la consultation préalable par rapport à l'article 39 de la loi sur le régime électoral (II), ce qui nous conduira à nous interroger sur la conventionalité de cet article dans le cadre de l’État de droit qu'est la Bolivie.
I. La protection du droit à la terre et de l’identité culturelle des peuples indigène originaire paysans, point de convergence entre le droit bolivien et les systèmes universel et américain des droits de l'homme.
L’article 39 de la loi sur le régime électoral de 2010 met en place le mécanisme de la consultation préalable de populations concernées par des projets, des travaux ou des activités visant l’exploitation de ressources naturelles sur un territoire donné. L'objet de cette partie est d’étudier quelles sont les populations visées par cet article de loi qui leur reconnaît une participation politique, ainsi que de comparer l’objet de la consultation préalable en droit bolivien et dans les systèmes américain et universel des droits de l'homme.
A- Une reconnaissance de la participation politique des peuples indigènes à travers la consultation préalable.
La loi n°026 sur le régime électoral se réfère aux notions de « población » , population et de «naciones y pueblos indígena originario campesinos » nations et peuples indigène originaire paysans. Il convient de définir ces termes afin de comprendre à quelles populations cet article octroie une participation politique en comparaison avec les termes utilisés par la normative internationale.
L’appellation de « nations et peuples indigène originaire paysans » a été introduite par la Nouvelle Constitution Politique en Bolivie. Ces trois mots constituent en réalité un seul terme. C'est un terme d'ensemble5 que l'on retrouve à l'article 30.I de la Nouvelle Constitution Politique, d'après lequel les peuples et nations indigène originaire paysans se définissent comme une collectivité humaine partageant une identité culturelle, une langue, une tradition historique, des institutions, une territorialité et une cosmovision et dont l’existence est antérieure à la colonisation espagnole.
Plus communément 6,on appelle indigènes les habitants des terre hautes (régions de l’Altiplano, et des Vallées Inter andines) originaires, ceux habitants les terres basses ( régions de l’Amazonie du Nord et du Sud, de Chapare-Moxos, d’Iténez-Mamoré, de Chiquitania, et du Chaco) . Le terme paysan désigne, ceux qui, à défaut de se définir par leur identité culturelle ou ethnique se définissent par leurs activités agricoles. Ce terme d’ensemble, indigène originaire paysan a été choisi au moment de la rédaction de la Constitution pour que les identités historique, culturelle et productive de ces peuples soient représentées. Néanmoins, la réunion de ces trois mots en un seul terme, est parfois contestée car il ne représente pas l’identité, des indigènes, des originaires et des paysans de manière différenciée, même si l’intention voulue était de trouver un compromis entre les différents groupes indigènes.
Au niveau International, la Convention 169 relative aux peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants de l’OIT, utilisent les termes tribaux et indigènes, en vertu de l’article 1.a) de la Convention 169, les peuples tribaux, « se distinguent des autres secteurs de la communauté nationale par leurs conditions sociales, culturelles et économiques et sont régis totalement ou partiellement par des coutumes ou des traditions qui leur sont propres ou par une législation spéciale. »
L'article 1.b) de la Convention 169 de l'OIT retient le même critère que la Nouvelle Constitution Politique, celui de la descendance de populations pré-coloniales et l'existence « d'institutions sociales, économiques, ou politiques » propres et communes pour définir les indigènes.
En outre, la Convention 169 spécifie que prime avant tout le lien subjectif, « le sentiment d’appartenance à un groupe indigène ou tribal pour déterminer quels sont les groupes auxquels s’appliquent la convention. »
Selon le rapporteur spéciale des Nations Unies7, Rodolfo Stavenhagen, le terme indigène peut varier d'un Etat à un autre, car il n'existe pas de définition internationale, ainsi chaque Etat le définit selon ses propres circonstances historiques et culturelles.
Cette appellation de peuples indigène originaire paysan, s'apparente à la définition de la convention 169 de l'OIT mais n'englobe pas le peuple afro-bolivien par exemple, d'où l'intérêt de l'utilisation par la loi sur le régime électoral du terme « population », qui englobe les autres groupes ethniques composant la société bolivienne. D'autant plus que l'article 32 de la Constitution selon lequel, la Constitution reconnaît les mêmes droits économiques, sociaux, politiques et culturels aux afro-boliviens qu’aux nations et peuples indigène originaire paysans.
La consultation préalable de l'article 39 de la Loi sur le régime électoral reconnaît aux peuples indigène originaire paysans que nous venons de définir une participation politique, dans la continuité des apports de la nouvelle constitution politique de l’État bolivien, qui consacre la libre détermination de ces peuples reconnue par l'article 2 de la Nouvelle Constitution Politique. L'article octroie la participation politique des peuples indigène originaire paysans qui se fonde sur leur libre détermination dans le cadre de l'Unité de l’État, en vertu de leur existence pré-coloniale et de l'occupation ancestrale de leurs territoires.
Sur le plan international, l'article 3 de la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des peuples indigènes adoptées en 2007, prévoit de la même façon que les peuples indigènes ont droit à la libre détermination « de leur condition politique » et qu'ils sont libres se développer économiquement, socialement et culturellement., et c'est à l'article 6 de la Convention 169 de l'OIT qu'est prévue la participation politique des peuples indigènes et tribaux.
Le Pacte International sur les Droits civils et Politiques du 16 Décembre 1966 reconnaît aussi le droit de toute personne à sa personnalité juridique dans son article 16 : « Chacun a droit à la reconnaissance en tous lieu de sa personnalité juridique. »
Cette participation politique dans le cadre du mécanisme de la consultation préalable de l'article 39 de la loi sur le régime électoral est toutefois conditionnée, elle doit se dérouler selon leur propres « normes » et « procédures ». L'article 6 de la Convention de l'OIT dispose également que la consultation préalable doit se dérouler selon des « procédures appropriées » et à travers « des institutions » représentatives des peuples indigènes et tribaux. Nous notons la même référence à des « institutions » représentatives à l'article 32 de la Déclaration des Nations Unies relative aux peuples indigènes.
On remarque ainsi que la procédure de la consultation préalable doit veiller à ce que la libre détermination de ces peuples et leur représentation par des institutions qui leur sont propres soient respectées, ceci est la condition de l'effectivité de leur participation politique.
La participation politique des peuples indigène originaire paysans via la consultation préalable s’explique par la valeur donnée au lien qu'ils partagent avec le territoire qu’ils occupent.
La propriété de la terre par ces peuples indigènes est directement liée à leur identité.
C'est-à- dire que cette identité culturelle est directement liée à la terre, appelée Pachamama, Terre Mère, en aymara et en quechua, une des valeurs suprêmes de la Nouvelle Constitution Politique. Le rapporteur spécial Rodolfo Stavenhagen sur la situation des droits de l'homme et des libertés fondamentales des Peuples indigènes du Conseil des droits de l'homme de l'Organisation des Nations Unies8, cite dans son rapport de 2007 un extrait de l'ouvrage de Erica-Irene Daes Les peuples indigènes et leur relation avec la Terre, dont le contenu est le suivant « il est difficile de séparer le concept de la relation de ces peuples avec leurs terres, leurs territoires et leurs ressources du concept de leurs différences et de leurs valeurs culturelles. La relation avec la Terre et avec tout être est fondamentale pour les peuples indigènes »
C'est ainsi que la consultation préalable relative à l'exploitation de ressources naturelles par l’État prévue à l'article 39 de la loi sur le régime électoral, tend à protéger, défendre cette identité culturelle, et la Pachamama qui est l'origine de toute chose pour les peuples indigènes.
Il convient de préciser la différence entre la terre et le territoire pour délimiter les contours de la consultation préalable
La terre9 correspond à l'espace géographique où vivent les peuples indigènes, et qu'ils occupent depuis des générations. C'est un espace où ils ont leur propre organisation économique, sociale et culturelle et qu’ils exploitent pour subvenir à leurs besoins, c’est aussi un espace spirituel où ils célèbrent leurs rites.
En principe la terre est inaliénable, indivisible et collective. Le territoire, lui, est l'espace où les peuples indigènes exercent leur droit à la terre, ils peuvent y appliquer leurs propres normes et modes d'administration. Ils peuvent disposer de manière exclusive des ressources naturelles qui y sont présentes.
On retrouve cette relation avec la terre à l'article 13.1 de la Convention de l'OIT d'après lequel les gouvernements devront respecter « l'importance particulière que revêt pour les cultures et les valeurs spirituelles des peuples en question leur relation aux terres ou aux territoires. »
En droit bolivien, l'accent est également mis sur cette relation avec la Terre, par exemple l'article 403 de la Nouvelle Constitution Politique dit que les peuples indigène originaire paysans peuvent administrer leur territoire selon leurs propres critères culturels, le même article dispose que leur territoire est un espace de reproduction sociale, spirituelle et culturelle ;
La terre est une source de vie, un espace social et culturel, elle se transmet de génération en génération, et ce droit à la terre entraîne le respect d'autres droits de l'homme, comme le droit à l'environnement sain ou le droit à la vie car elle est pour ces peuples un moyens de subsistance, et elle constitue le fondement de leur participation politique en tant qu'indigène originaire paysans.
B- L'objet de la consultation préalable de l'article 39 de la loi sur le régime électoral bolivienne et dans les systèmes universel et américain des droits de l'homme.
Comme dit précédemment, le mécanisme de la consultation préalable permet aux peuples indigènes de défendre leur identité culturelle qu’incarne le territoire qu'ils occupent.
L'article 39 de la loi sur le régime électoral régit la consultation préalable dans les cas où l’État bolivien prendrait des décisions relatives à la réalisation de projets, de travaux ou d'activités en lien avec l'exploitation de ressources naturelles.
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Il est intéressant de voir que l'article 6 de la Convention 169 de l'OIT et l'article 19 de la Déclaration des Nations Unies relative aux droits des peuples indigène disposent que les peuples indigènes et tribaux doivent être consultés préalablement, à chaque fois que sont prévues des mesures législatives ou administratives susceptibles de les affecter. De fait, l'objet de la consultation est ici plus large et ne comprend pas seulement les cas de projets, travaux ou activités d'exploitations de ressources naturelles. Aussi, l’article 32 de la Déclaration relative aux peuples indigènes précise que la consultation préalable doit être convoquée en particulier dans le cadre de projets relatifs au développement d’une zone où à l’exploitation de ressources minérales ou hydriques.
Ainsi, au sens de la Convention de l'OIT, de la Déclaration sur les droits des peuples indigènes des Nations Unies, les peuples indigène originaire paysans pourraient être consultés au sujet de l'adoption par l'Assemblée Plurinationale législative de l'article d'une loi sur le régime électoral, concernant l'exploitation de ressources naturelles, ils pourraient aussi être consultés au sujet de la construction d'une autoroute, ou encore d'un pont ou d'autres types d'infrastructures.
La Cour Inter-américaine des droits de l'homme dans l'arrêt Saramaka contre Surinam du 28 novembre 2007 (Considérants 135 à 138) prévoit que cette consultation préalable, doit être convoquée quand l’État veut mener à bien des « plans de développement ou d'investissement à grande échelle susceptibles d'avoir un impact profond /significatif sur le droit de propriété des peuples indigènes et l'organisation de leurs territoires ». Selon le rapporteur spécial Rodolfo Stavenhagen, un projet de développement « est un processus d’investissement de capital public et/ou privé, national ou international pour la création ou l’amélioration de la configuration d’une région déterminée (…) ou l’exploitation à grande échelle de ressources naturelles. » Ces projets peuvent avoir pour but la création de centrales électriques, d’installations minières ou énergétiques, ou encore le développement d’activités touristiques.
De tels projets ont parfois pour conséquence la modification du mode de vie des peuples indigènes, ils peuvent entraîner le déplacement de leurs habitats, influer sur leurs activités de production ou la façon dont ils subviennent à leurs besoins, et porter atteinte à leur droit de propriété et de jouissance de leurs territoires.
Le droit à la consultation préalable est un droit dont l’exercice est conditionné par le respect du droit de propriété. D’après l’article 14 de la Convention 169 de l’OIT, le droit de propriété des peuples indigènes et tribaux doit être reconnu par les États, et selon l’article 8 de la Déclaration des Nations Unies relative aux peuples indigènes, les États ont l’obligation de prendre des mesures visant à empêcher tout acte ayant pour objet ou conséquence d’aliéner leurs terres ou territoires.
Dans l’arrêt Saramaka contre Surinam, la Cour inter-américaine des droits de l’homme sur la base de l’article 21 de la Convention américaine des droits de l’homme de 1969 déclare qu’il est indispensable que soit respecté le droit de propriété des peuples indigènes et tribaux, néanmoins ce droit peut souffrir des restrictions si ces dernières ont été expressément prévues par la loi, si elles sont nécessaires, proportionnées et que le but de la restriction est d’atteindre un objectif légitime dans une société démocratique. (voir Considérants 89 à 99)
Finalement, la lettre de l’article 39 de la loi sur le régime électoral protège-t-elle suffisamment les territoires indigène originaire paysans et respecte-t-elle les obligations internationales de la Bolivie?
En principe, le mécanisme de la consultation préalable mise en place par l'article 39 de la loi sur le régime électoral, devrait englober la protection de tous les droits économiques, sociaux et culturels des peuples indigènes, la limitation de la consultation préalable à l'exploitation de ressources naturelles ne garantit pas suffisamment le droit de propriété des peuples indigènes, car il existe des cas de figure, autres que l'exploitation des ressources naturelles de ces territoires, comme la construction d'infrastructures (autoroutes, ponts, centrales énergétiques) pouvant entraîner la violation d'un territoire indigène, dans ces hypothèses une consultation préalable serait également nécessaire.
La restriction du mécanisme de la consultation préalable à des projets dont le but est l’exploitation de ressources naturelles, ne couvre pas tous les cas d’utilisation des Territoires indigène originaire paysans, contrairement aux conventions internationales qui, elles, permettent de protéger les territoires indigènes dans toutes les hypothèses où leur intégrité serait mise en péril, par conséquent cet article est inconventionel de part ses lacunes car il ne répond pas aux exigences des systèmes international et américain des droits de l'homme.
II. Une divergence d’appréciation du caractère obligatoire des résultats de la consultation préalable des peuples indigènes entre l’article 39 de la loi bolivienne sur le régime électoral et les système universel et américain des droits de l'homme.
Le droit à la consultation préalable est un thème problématique dans l’ordre juridique de plusieurs pays andins comme le Pérou, la Colombie ou l’Équateur actuellement, car se confronte à la volonté de reconnaître les droits des peuples indigènes, la volonté de développer économiquement ces pays. Les Territoires indigènes ayant un sous-sol très riche représentent un intérêt de taille dans cette perspective. L’article 39 de la loi sur le régime électoral dispose que les résultats de la consultation préalable ne sont pas contraignants pour l’État et ses autorités contrairement à ce que prévoient les systèmes universel et américain des droits de l’homme, de ce fait sont encore une fois fortement remis en question la conventionalité de cet article et le respect de la hiérarchie des normes au sein de l’État de droit qu'est la Bolivie.
A. Le caractère contraignant du résultat de la consultation préalable : une divergence significative entre l'article 39 de la loi sur le régime électoral et les systèmes universel et américain des droits de l'homme.
La consultation préalable au sens de l'article 39 de la loi sur le régime électoral revêt les caractéristiques suivantes : c'est un mécanisme constitutionnel de démocratie directe et participative, que l’État doit convoquer obligatoirement avant toute prise de décision concernant des travaux des projets ou des activités relatives à l'exploitation de ressources naturelles. Si des nations ou peuples indigènes originaire paysans sont concernés, ils ont le droit de participer en vertu de leurs propres normes et procédures. La consultation doit se faire de manière libre, préalable et éclairée. Les accords, conclusions, décisions auxquels la consultation aurait aboutit n'ont pas de caractère contraignant, bien que les autorités en cause aient le devoir de les prendre en compte au moment se décider.
La comparaison avec l'art 6 de la Convention 169 de l’OIT est intéressante.
La consultation préalable prévue par cet article revêt les caractéristiques suivantes :
-elle doit être convoquée par les États quand ils prennent des mesures législatives ou administratives susceptibles d'affecter les peuples indigènes et tribaux directement.
-cette consultation préalable doit se faire à travers leurs propres institutions de représentation
-la consultation doit se faire de bonne foi.
-son objectif est de parvenir à un accord entre l’État et les peuples indigènes et tribaux en question ou d'obtenir leur consentement.
L'article 19 de la Déclaration des Nations Unies renferme la même définition, selon l'article 19 les Etats ont le devoir de convoquer des consultations et de coopérer de bonne foi avec les peuples indigènes concernés à travers leurs propres institutions représentatives et avant d'adopter ou d'appliquer des mesures législatives et administratives les affectant, dans le but d'obtenir leur consentement, libre, préalable et éclairé.
Nous notons une différence significative entre la lettre de l'article 39 de la loi sur le régime électoral et celles des dispositions des articles de ces conventions, qui ne tient pas uniquement à l'objet des consultations. Selon l'article 39 de la loi sur le régime électoral, les résultats de la consultation ne sont pas obligatoires pour l’État, c'est-à-dire que ces résultats ne le lient pas et qu'il a seulement le devoir de les prendre en considération au moment de la prise de décisions relatives à l'exploitation de ressources naturelles sur les territoires indigène originaire paysan.
Or Selon l'article 6 de la Convention de l'OIT et de l’article 19 de la Déclaration des Nations Unies, la consultation préalable doit aboutir à un accord entre l’État d'une part et les peuples indigènes concernés, dans le but d'obtenir le consentement de ces derniers.
Au niveau régional, la Cour Inter-américaine des droits de l'homme dans l'arrêt Saramaka contre Surinam sus-cité, déclare que la consultation préalable contraint les États à obtenir le consentement libre, préalable et éclairé du peuple indigène en question.
En conclusion, selon le droit international et la jurisprudence de la Cour inter-américaine des droits de l'homme, la consultation préalable doit nécessairement parvenir à l'obtention du consentement des peuples indigènes.
A la lecture de l'article 39 de la loi sur le régime électoral, nous constatons que la consultation préalable dont il est question a une valeur symbolique, l'article offrant à l’État ou à l'autorité concernée, la possibilité de choisir de prendre en compte ou non les résultats de la consultation. Dès lors, nous constatons par la même occasion une inconventionalité de cet article avec les dispositions conventionelles citées et une incompatibilité avec la jurisprudence de la Cour Inter-américaine des droits de l'homme, inconventionalité et incompatibilité d'autant plus grandes que la Bolivie est partie à ces conventions qu'elle a érigées au rang de loi et a reconnu la compétence de la Cour Inter-américaine des Droits de l'Homme, sa responsabilité pourrait dès lors être mise en cause devant cette Cour.
L'article 39 dispose que les décisions, et accords qui résulteraient d'une consultation préalable n'ont pas de caractère obligatoire, mais étant donné que l’État bolivien est partie à ces conventions qui encadrent le mécanisme de la consultation préalable des peuples indigènes, et ces dernières spécifiant clairement que la finalité de cette consultation est d'aboutir à un accord ou d'obtenir le consentement des peuples indigènes sans disposer que le résultat de la consultation n'est pas contraignant, les dits résultats de la consultation préalable devraient lier l’État bolivien.
La consultation préalable protège le lien qui lie les peuples indigène originaire paysans à leur territoire, c'est pourquoi le caractère obligatoire de la consultation préalable est indispensable non seulement pour la sauvegarde des droits des peuples indigènes au sein de l’État bolivien mais également pour la sauvegarde de l’État de droit et de sa crédibilité en tant que sujet de droit international ayant le devoir de respecter ses obligations internationales et régionales.
B-L’article 39 de la loi bolivienne sur le régime électoral : un contenu contraire à la hiérarchie des normes et fragilisant l'Etat de droit.
Le contenu de l'article 39 de la loi sur le régime électoral diffère de celui des conventions internationales et de la jurisprudence de la Cour Inter-américaine des droits de l'homme : de par l'objet de la consultation, limité à des décisions, des projets de l’État relatifs à l'exploitation de ressources naturelles, et de par le caractère non obligatoire des résultats de la consultation.
Cette inconventionalité, incompatibilité avec l'ordre international est significative sous deux aspects :
En premier lieu, l'obligation d'un État de respecter la hiérarchie des normes et plus encore les droits de l'homme, comme tout État de droit digne de ce nom.
En second lieu, la difficulté que représente pour un État Plurinational comme la Bolivie de concilier l'Unité de l’État avec la diversité culturelle qui le caractérise, le caractère plurinational de la Bolivie signifie qu'elle reconnaît l'existence de plusieurs nations autonomes ayant une identité culturelle propre, et ayant droit à la libre détermination. Ces nations ont ainsi le droit de se régir selon leurs propres coutumes, et normes, par exemple elles ont droit d'exercer leur propre justice appelée justice communautaire. Il apparaît difficile de concilier les intérêts économiques de l’État avec la construction et la consolidation de l’État plurinational.
L'article 348.II de la Nouvelle Constitution Politique dispose que les ressources naturelles ont un caractère stratégique et qu'elles sont d'intérêt public pour le développement du pays mais cette même Constitution reconnaît également la libre détermination des peuples indigène originaire paysans dans son article 2. De plus l'article 7 de la Convention de l'OIT dispose que les peuples indigènes et tribaux sont libres de décider de la façon dont ils doivent développer leur territoire dans la mesure où cela affecte leurs croyances, leurs institutions, leurs terres, ils sont donc libres de décider de leur développement économique social et culturel d’où l’importance de leur participation lors des processus de décisions susceptibles de les affecter. Ce droit à la libre détermination qui est un droit de l'homme et un droit garanti par la Constitution bolivienne devrait primer sur les intérêts économiques de l'Etat.
La finalité du mécanisme de la consultation préalable est justement de parvenir à un accord et de concilier les intérêts de l’État avec les droits des peuples indigènes lorsqu'il est question d'une éventuelle utilisation de leur territoire pour des projets de développement ou d'investissement, selon les termes employés par la Cour Inter-américaine des droits de l'homme.
Modifier cet article apparaît comme nécessaire, pour que la consultation préalable qu'il régule soit compatible avec les exigences internationales, et finalement pour que les peuples indigènes puissent jouir pleinement des droits qui sont les leurs. De plus, selon l'article 1er de la Nouvelle Constitution Politique, la Bolivie est « un État Unitaire Social de Droit Plurinational Communautaire ( ...)démocratique (…). » Ainsi, comme tout État de droit la Bolivie est soumise à une hiérarchie des normes, autrement dit, les lois ne peuvent être contraires à la Constitution, et doivent être conformes aux traités et conventions internationaux, d'autre part l'article 256 de la Nouvelle Constitution Politique, prévoit que les traités et instruments internationaux en matière de droits de l'homme signés et ratifiés par l’État Bolivien prévoyant des droits plus favorables s'appliquent de manière préférentielle aux dispositions de la propre Constitution et que tous les droits reconnus par la Constitution à l'instar du droit à la consultation préalable (article 30.15 de la Constitution) doivent être interprétés sur le fondement de ces traités internationaux relatifs aux droits de l'homme s'ils contiennent des normes plus favorables.
Partant de ces articles, nous déduisons que la consultation préalable en droit Bolivien devrait se conformer aux exigences des systèmes universel et américain des droits de l'homme, afin que les peuples indigène originaire paysans et les populations susceptibles d'être affectées par l'exploitation de leurs territoires puissent exercer dans des conditions adéquates leur droit à la consultation préalable.
Bibliographie :
-Ouvrages :
J.ANDRIANTSIMBAZOVINA, H.GAUDIN,J.-P MARGUENAUD (dir), Dictionnaire des droits de l'homme, Paris, PUF,2008,864p.
PROGRAMA NINA, UNITAS, Texto Explicativo de la Nueva Constitución , La Paz, 2008, 96p.
FUNDACIÓN TIERRA, Informe 2010, Territorio Indígena Originario Campesinos en Bolivia
entre Loma Santa y la Pachamama, La Paz, 2010, 354 p.
RODOLFO STAVENHAGEN, Los Pueblos Indígenas y sus derechos,UNESCO ,México,2007.
CEJIS, Lecciones aprendidas sobre consulta previa, La Paz, 2010, 311p.
-Revues :
Revista Cuadernos de Coyuntura, Plataforma Energética, Temas Urgentes Para el Debate, Consulta Previa Indígena y análisis ambiental de la política petrolera, La Paz, Junio de 2011.
-Jurisprudence:
Arrêt Saramaka contre Surinam de la Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme, du 28 novembre 2007.
-Instruments internationaux :
Convention n°169 de l'Organisation Internationale du Travail relative aux peuples indigènes et tribaux, du 7 Juin 1989.
Déclaration des Nations Unies sur les peuples indigènes du 13 Septembre 2007.
-Normes internes :
Constitution Bolivienne du 7 Février 2009.
Loi n°026 sur le régime électoral du 30 Juin 2010.