La problématique de la règle d'or budgétaire : en droit allemand, français et européen (auteur : Myléna BOUM)

 

 

La règle d'or, en allemand Schuldenbremse (littéralement frein à l'endettement) est un dispositif consistant à inscrire dans la constitution, ou dans une texte à valeur identique, des règles limitant le recours à l'endettement et prévoyant le retour à l'équilibre budgétaire. 

Cette idée émane de deux chercheurs américains, Kyland et Prescott, prix Nobel d'économie. Ils conçoivent le recours à la règle d'or comme le moyen pour les autorités politiques de gérer l'économie structurelle, sans subir les influences de de la crise économiquei. 

Les préconisateurs de ce dispositif le présentent comme la meilleure arme de lutte contre l'endettement et comme moyen de préserver la souveraineté nationale et les générations futures. Après avoir évoqué l'insuffisance du pacte de stabilité et de croissance (I) nous analyserons le dispositif allemand  le comparerons à celui de la France (II), puis nous évoquerons la problématique européenne à ce sujet. 

 

I- Point de départ de la réforme allemande et des discussions en France et dans l'UE : insuffisance du pacte de stabilité budgétaire : 

 

        A- les règles prévues par le Pacte de stabilité budgétaire :

 

Le Traité de Maastricht signé en février 1992, et entré en vigueur en France le 1/11/1993 a fondé l'Union Economique et Monétaire, et a fixé des critères de participation pour les Etats membres. 

Ceux-ci devaient s'engager à ne pas s'endetter au delà de 60% du PIB, et à maintenir le déficit des administrations publiques à moins de 3% du PIB. 

Ces règles ont été précisées dans le cadre du Pacte de Stabilité et de Croissance et  des sanctions ont été prévues dans le cas où le déficit des administrations publiques serait supérieur à 3% du PIB. 

 

La première année, l'Etat concerné a l'obligation d'effectuer un dépôt non rémunéré  de 0,2 à 0.5 % du PIB plus un dixième de la valeur de l'endettement ii. Ce dépôt est restitué s'il est remédié au déficit excessif dans un délai de deux ans iii.

Dans le cas contraire, ce dépôt devient une amende, l'Etat concerné doit s'acquitter de pénalités financières à hauteur de plusieurs milliards d'euros, après une décision à majorité qualifiée du Conseil des ministres de l'Union Européenne (Ecofin) sur proposition de la Commission européenneiv. 

 

La Commission doit lancer un avertissement à l'Etat concerné après avoir détecté le risque de dépassement. Cet avertissement doit être enteriné par l'Ecofin. 

En cas de dépassement du seuil des 3% fixé par le pacte de stabilité, la Commission doit ouvrir une procédure d'infraction pour « déficit excessif » à l'encontre de l'Etat fautif et lui demander de d'adopter des mesures afin de réduire annuellement son déficit d'au moins 0,5 point de PIB. Si l'Etat ne régularise pas sa situation, le Conseil de l'UE a le pouvoir de le condamner au paiement d'une amende allant jusqu'à 0,2 % de son PIBv. 

L'Etat concerné peut, cependant, bénéficier d'une dérogation, lorsqu'il justifie de « circonstances exceptionnelles » imputables à un ralentissement économique ou à un événement imprévu vi.  

 

Toutes ces mesures ont été prévues pour les pays de la zone euro. Les pays n'en faisant pas partie, comme l'Angleterre, ne peuvent faire l'objet de sanction. 

 

Certains responsables politiques, ont décrié la rigidité de ce pacte de stabilitévii. 

On peut donc en conclure que le pacte de stabilité constitue déjà une « règle d'or » budgétaire. 

Cette rigidité n'a cependant pas permis de freiner l'endettement des Etats membres de la zone euro, et notamment de la France et l'Allemagne : 

 

       B – la remise en cause du Pacte de stabilité par la France et l'Allemagne en 2003 : 

 

une procédure pour déficit excessif a été lancée en janvier 2003 contre l'Allemagne et en juin 2003 contre la France. L'année 2004 risquait d'être la troisième année où leur déficits publics respectifs dépasseraient le seuil de 3%. Les deux pays ne voulaient pas subir les sanctions prévues par le pacte de stabilité. Par conséquent, lors de la réunion de l'Ecofin du 25 novembre 2003, la France et l'Allemagne ont réussi à obtenir une minorité de blocage contre la recommandation de la Commission européenne, en convainquant l'Italie et le Luxembourg de voter contre cette recommandationviii, suspendant ainsi les procédures de sanctions pour déficit excessifs engagés contre les deux pays. 

La Commission a donc intenté en 2004 un recours contre cette décision devant la Cour de Justice de l'Union Européenne et lui a demandé de statuer selon une procédure accélérée, ce que la Cour de Justice a accepté ix. 

La Cour a a rejeté le recours de la commission en annulation de la non-adoption, par le Conseil, des décisions de mise en demeure de la Commission, en rappelant que le Conseil des ministres est libre d'entériner ou non, ou de modifier les recommandations de la Commission. Elle a précisé que le fait que l'Ecofin n'adopte pas les recommandations de la Commission ne constitue pas en soi un « acte attaquable par un recours en annulation » x.  

 

Par contre, la Cour a reconnu que le Conseil n'était habilité à se prononcer que sur un texte émanant de la Commission, en entérinant les recommandation, les modifiant ou les rejetant, mais elle ne disposait en aucun cas de la faculté de suspendre les procédures de sanctions prises contre la France et l'Allemagne. Autrement dit, s'il avait fallu suspendre les procédures de sanction, c'était à la commission de le recommander. La cour a donc annulé les conclusions prises par le Conseil en 2003, redonnant ainsi leur force juridique aux recommandations formulées par la Commission contre la France et l'Allemagne. 

 

Cette situation a ouvert la voie à un assouplissement du Pacte de stabilité (accord du 23 mars 2005) désormais la récession permet de d'échapper à une procédure de déficit excessif xi. 

en fin de compte, cet exemple de la France et l'Allemagne montre d'une part qu'il était extrêmement difficile de s'adapter aux exigences du pacte de stabilité et d'autre part que son extrême rigidité l'a rendu inefficace. 

D'ailleurs, la présence de ce pacte n'a pas empêché la dette publique allemande de s'élever à 83,2 % du PIBxii, (alors que la limite était fixée à 60% dans le traité de Maastricht, cependant, on observe que les sanctions prévues par le Pacte de stabilité  ne tiennent pas compte du montant de la dette publique mais bien de celui du déficit public xiii) même si son déficit public ne représente que 1% du PIBxiv. 

La France, est également (si ce n'est beaucoup plus loin si l'on ne s'en tient qu'au montant de son déficit public) très loin des exigences du Pacte de stabilité, puisque son déficit public en fin 2011 représente environ 7,7 % du PIB xv, et sa dette publique 84, 7 % du PIB xvi. 

Le Pacte de stabilité, qui était jusqu'à présent sensé être la règle d'or européenne s'est avéré inefficace. 

Face à l'inefficacité de ce dispositif, et face à la résurgence de l'endettement à l'échelle européenne, l'Allemagne s'est armée d'un autre dispositif très pragmatique et assez rigide, la Schuldenbremse. Parallèlement, en France, et à l'échelle européenne, on est sur la voie d'un dispositif semblable à celui adopté par l'Allemagne en 2009. 

 

II- Vers un renforcement en France et en Allemagne des moyens de lutte contre les déficits et l'endettement. 

 

       A- le pragmatisme du dispositif allemand de lutte contre l'endettement : 

 

C'est en 1969 que la règle d'or a été introduite dans la constitution, bien que le souci d'équilibre budgétaire y ait été inséré deux ans plus tôt xvii. 

La règle d'or instituée (ancien Art 115 GGxviii)en 1969, interdisait à l'Etat fédéral d'emprunter à un montant supérieur aux sommes de dépenses prévues dans le budget pour les investissements, sauf lorsqu'il s'agissait de faire face à une perturbation de l'équilibre économique global xix. 

A partir de 2006, les Länder ont été associés aux obligations de discipline budgétaire découlant du Pacte de stabilité (Art 109 V GG). 

Cependant l'existence d'une telle « constitution financière »  (Finanzverfassung), n'a pas pu « garantir la vertu budgétaire de l'Allemagne », puisque les recettes provenant des emprunts représentaient en 2007 16 fois les dépenses d'investissements xx, ce qui était interdit par l'ancien article 115 de la constitution. 

Plusieurs experts ont alors signalé les failles de la constitution financière allemande, notamment l'absence d'obligation de réduire le déficit en cas de reprise économique suite à une récession et l'imprécision de la notion de perturbation de l'équilibre économique figurant dans l'ancien article 115 xxi. 

d'ailleurs, une telle situation était susceptible de remettre en cause dans le futur certains principes fondamentaux de la république allemande notamment la capacité de fonctionnement de l'Etat de droit et social(Leistungsfähigkeit), consacrée à l'article 20 de la constitution, et faisant partie, avec l'article 1 de la constitution relatif à la protection de la dignité humaine, de la clause d'éternité  (Art 79 GG), c'est-à-dire de l'ensemble des articles qui ne feront jamais l'objet d'une révision constitution xxii. 

La réforme du fédéralisme de 2009 (Föderalismusreform II) a introduit à l'alinéa 3 de l'article 109 de la Loi Fondamentale la règle d'or budgétaire (Schuldenbremse), en remplacement de l'ancien alinéa 4 qui limitait l'endettement à l'hypothèse d'une perturbation générale de l'équilibre budgétaire. Cette réforme permet à l'Allemagne de se conformer au pacte de stabilité. 

Ce nouvel article est plus concret, car il instaure dans la constitution une limitation chiffrée du déficit structurel de la Fédération à 0, 35% du PIB à partir de 2016 et impose aux Länder de parvenir à l'équilibre structurel à partir du 1/01/2020, date à laquelle ils ne pourront plus recourir à l'emprunt. 

L'interdiction d'emprunt n'est pas absolue, puisque le Bund (et lui seul) a le droit d'emprunter jusqu'à 0,35 % du PIB. Le Bund et les Länder ont le droit aussi d'emprunter en cas de survenance d'un événement dérogeant à une situation normale.

Jusqu'à présent, la Cour constitutionnelle fédérale avait adopté une définition assez large de la situation normale, «  une situation relevant  de fait et d'un point de vue normatif, de la règle générale » xxiii. 

Or, la Gesetz 115 xxiv, loi de mise en œuvre du nouvel article 115 (applicable uniquement au Bund, mais dont l'article 109 étend les dispositions aux Länder), en retient une définition stricte. Son § 5 II dispose qu'il y a situation normale lorsque les rendements économiques correspondent aux prévisions, il ne s'agit pas d'une situation relevant de la règle générale comme le disait la Cour constitutionnelle, et encore moins d'une situation idéale. 

Cette conception stricte de la notion de situation normale met en évidence le pragmatisme de la réforme allemande. En effet, si le constituant partait d'une définition large de cette notion, toute situation dérogerait à une situation normale et nécessiterait un recours à l'emprunt, et la Schuldenbremse deviendrait obsolète. 

 

La conception stricte de la situation normale contribue à la rendre efficace. Mais certains de ses aspects demeurent discutables, elle implique notamment une remise en cause de l'autonomie constitutionnelle des Länder (1), et le législateur n'a pas encore pas clairement réglementé les modalités de son application (2) : 

 

         1- remise en cause de l'autonomie constitutionnelle des Länder :

 

Bien que cette réforme prévoie un accompagnement des Länder, les plus faibles économiquement afin de leur faciliter le passage à l'interdiction totale d'endettement (Berlin, Brême, la Sarre, la Saxe-Anhalt et Schleswig-Holstein) d'un montant de 800 millions d'euros versés annuellement par l'Etat fédéral et les Länder en bonne santé économiquexxv il n'empêche que le nouvel article 109 de la Loi Fondamentale n'accorde plus (à partir de 2020) aux Länder la possibilité de recourir à l'emprunt.

Cette aide est, par ailleurs, conditionnée au respect du programme de désendettement qui prescrit aux Länder, autrement ils seraient tenus de rembourser les aides perçuesxxvi. Or d'après l'alinéa 1 de cet article, les Länder disposent, au même titre que l'Etat fédéral,  d'une autonomie budgétaire. 

Cette autonomie budgétaire est une composante essentielle du Bundesstaatsprinzip, et du fait que la République fédérale allemande soit composée de Länder. Ceux-ci disposent en vertu donc en vertu de l'alinéa premier d'une souveraineté financière (Finanzhoheit) qui recouvre les dépenses et les rentrées d'argentxxvii  D'ailleurs, dans un jugement rendu en 2006 xxviii, la Cour constitutionnelle fédérale a déclaré que le Bund devait être considéré comme « un corps étranger » lorsqu'il accorde une aide financière au Land dans le but d'assainir ses finances. 

On voit donc bien que le principe de souveraineté financière du Land implique une interdiction pour le Bund de s'ingérer de quelque manière dans les finances du Land. 

Le Land ne disposant pas du pouvoir de prélever des impôts, c'est donc le Bund qui en dispose. Pour financer ses dépenses, le Land, il lui est donc plus aisé de recourir à l'emprunt xxix. 

Lui retirer cette possibilité revient donc à le rendre dépendant du Bund. Ce qui signifie qu'au fil du temps la souveraineté financière du Land pourtant consacrée à l'article 109 alinéa 1 de la Loi Fondamentale deviendra obsolète, et un principe constitutionnel fondamental sera ainsi remis en cause. Certains xxx y voient à juste titre une remise en cause de l'article 79 III de la Loi fondamentale (Ewigkeitsklausel- clause d'éternité) lequel dispose : « une révision de cette Loi Fondamentale de nature à remettre en cause la constitution du Bund en Länder, la participation de principe des Länder à l'élaboration des lois (…) est interdite ». 

Le Land Schleswig-Holstein a intenté un recours devant la Cour constitutionnelle fédéral afin d'invalider cette réforme sur le fondement de l'art 79 III de la Loi Fondamentale. Mais auparavant, cette Cour n'avait jamais invalidé une réforme sur le fondement de cet article. D'ailleurs dans sa décision rendue en Août 2011xxxi, la Cour constitutionnelle ne tranche que sur des questions d'ordre procédurales et non sur des questions de fond . Elle n'a donc pas encore eu l'occasion de se prononcer favorablement ou pas sur le bien-fondé de cette réforme. 

Le Land Schleswig-Holstein n'est pas le seul à vouloir invalider cette réforme, car le Land de Brême a fait savoir qu'il intenterait un recours contre cette réforme. Le parti de gauche, Die Linke, souhaite également déposer un recours pour invalider cette réformexxxii. 

Cette réforme a certes fait l'objet d'un consensus au moment de son adoption, mais il n'en demeure pas moins qu'elle n'est pas acceptée par tous pour les raisons énumérées ci dessus. Il ne fait aucun doute que cette réforme s'inscrit dans la politique européenne du pacte de stabilité bouleverse les fondements constitutionnels et l'organisation de l'Etat allemand. 

         2- des incertitudes quant aux modalités d'application de cette réforme : 

Le constituant allemand a certes limité les possibilités de recours à l'emprunt mais il n'a pas entrepris de réforme de la fiscalité permettant de répartir clairement les compétences fiscales entre le Bund et les Länder xxxiii. Donc la marge de manœuvre des Länder est réduite par la réforme sans que l'on sache précisément comment ceux-ci pourront se financer, et maintenir leur autonomie constitutionnelle. 

Selon Harald Schliemann, la rapidité avec laquelle a été adopté cette règle d'or a empêché les législateur de répondre à certains problèmes, et précisément la nécessité de contraindre le législateur à élaborer des normes claires et compréhensible, d'évaluer avec exactitude les coûts engendrés par les dépenses immédiates de l'Etat et  les dépenses liées à l'exécution des lois xxxiv ; en effet, une règle d'or aussi sévère implique nécessairement de prévoir parfaitement la retombée des lois sur le budget de l'Etat. 

Cette réforme a été inspirée du « frein à la dette » consacré dans la constitution suisse selon lequel sur la durée d'un cycle économique, l'Etat doit dégager des excédents budgétaires en période de croissance économique et peut autoriser des déficits budgétaires en période de récession, afin que le cycle puisse être considéré comme équilibré, car n'ayant pas nécessité de recours supplémentaire à l'emprunt xxxv.

La règle d'or a été inscrite dans la constitution helvétique en 2003. La dette publique suisse est passée de 54, 9% du PIB en 2003 à 38, 7% du PIB en 2010. Pourtant, Achim Trüger et Henner Will xxxvi, chercheurs à l'institut de pour la macroéconomie et la recherche sur la conjoncture (IMK), ces résultats ne sont pas dus principalement à la règle d'or, mais plutôt à la politique de consolidation budgétaire menée par la suisse depuis 1993, qui a porté du fruit à partir de 2004, période où la suisse a connu une conjoncture favorable. 

De 2003 à 2010, la Suisse a enregistré un taux de croissance de 2,4 % du PIB lui ayant permis de faire des recettes fiscales, de créer des emplois, et parallèlement de réduire les dépenses liées au chômage.

Les deux chercheurs prédisent cependant, qu'en cas de ralentissement de l'économie ou d'un abaissement des prélèvements, la règle d'or aggraverait la crise. 

Toutes ces remarques sont valables surtout pour l'Allemagne qui a opté pour une règle rigide, se privant ainsi de sa marge de manœuvre, elle a un grand intérêt à répartir les compétences fiscales entre le Bund et les Länder et à exiger que les dépenses liées à l'exécution des lois soient chiffrées. 

Par contre, le projet français ne s'oriente pas vers une telle rigidité. 

 

B- la souplesse et la manque d'ambition du projet français : 

 

Contrairement à l'Allemagne, la constitution française ne contient pas de règle d'or budgétaire. Cependant, il existe un principe d'équilibre budgétaire, dont le respect est obligatoire pour les communes depuis 1802, et pour les collectivités territoriales depuis la décentralisation de 1982 xxxvii. Elles sont contraintes de le respecter dans le vote et l'exécution de leur budget, et d'ailleurs, le préfet est habilité à diligenter une procédure contraignante permettant de contrôler le budget de et d'en corriger les

déséquilibres xxxviii. Ce principe n'est contraignant que pour les collectivités, mais pas pour l'Etat puisque ce principe n'a jamais amené le Conseil constitutionnel à sanctionner un déséquilibre budgétaire xxxix.  

 

Il existe également, le principe de sincérité budgétaire. Ce Principe (consacré par le conseil constitutionnel) interdit aux Etats de sous-évaluer ou de surévaluer les ressources qu'il présente dans la loi de finance xl. Mais là encore, il s'agit d'un principe aux contours imprécisxli, et le juge constitutionnel ne dispose pas de pouvoirs conséquents lui permettant d'en assurer le respect xlii. En effet, invalider une loi de finance au motif qu'elle est insincère suppose que le juge constitutionnel puisse avoir accès aux documents qui justifient le chiffrage et prendre connaissance des méthodes utilisées pour élaborer les tableaux de recettes et de charges. Or ce sont là des fonctions qui ne sont pas du ressort du juge constitutionnel, qui ne dispose d'ailleurs  que d'un mois pour instruire et juger les recoursxliii .C'est d'ailleurs un principe complètement inopérant puisque le Conseil constitutionnel, même quand il constate des irrégularité, ne les sanctionne pas au nom de ce principe xliv. 

La réglementation française n'est donc à ce stade pas suffisamment avancée en terme de contrôle de déficit. Il existe cependant certaines perspectives d'évolution du droit positif en France. 

En effet, le rapport Camdessus propose de procéder à une réforme constitutionnelle prévoyant :

–  l'instauration d'une loi-cadre de programmation pluriannuelle des finances publiques, contenant des règles de plafonnement des dépenses relevant de la loi de finance et de la loi de financement de la sécurité sociale, et fixant un plancher des recettes de l'Etat et de la sécurité sociale xlv . Le but étant de parvenir à un chiffrage constant des recettes et des dépenses au nom du principe de sincérité. 

  • –  de conditionner l'augmentation des dépenses par le législateur à une augmentation de ressource.

Le gouvernement s'en est largement inspiré. Il propose une révision de la constitution et notamment la création de « lois-cadres (sur une période minimale de trois ans) d'équilibre des finances publiques, précisant quand et comment le gouvernement s'engage à revenir à l'équilibre ». Cet engagement aurait une portée juridique et donc contraignante, car le Conseil constitutionnel sera le garant de cette règle d'or, à condition toutefois de déterminer de manière précise la notion d'équilibre budgétaire, ce qui n'est pas le cas actuellement xlvi. Il examinera ces lois avant leur promulgation afin de vérifier qu'elles respectent le principe constitutionnel de retour à l'équilibre. Il sera saisi des des lois de finances annuelles et des lois de financement de la sécurité sociale, afin de vérifier qu'elles respectent les plafonds de dépenses et le minimum de recettes fixées par la loi-cadre d'équilibre des finances publiques. Les gouvernements futurs seront tenus de respecter l'objectif de retour à l'équilibre budgétaire xlvii.  

 

Le projet de loi français ne semble pas vouloir s'inspirer du précédant allemand. 

Comme nous l'avons vu plus haut, la constitution allemande s'oriente vers une absence totale de recours à l'emprunt, et les taux d'emprunts ne doivent pas dépasser le seuil fixé par la constitution. En comparaison, le projet de révision constitutionnelle français semble vouloir donner, d'une certaine manière, plus de marge de manœuvre aux gouvernements. La seule obligation qui repose sur eux, est de retourner à l'équilibre budgétaire. Par contre, « les gouvernements futurs seront libres de mener la politique qui correspond à leur priorité », à condition pour ces gouvernements de bien prévoir leurs dépenses et de bien les chiffrer. Mais cela est-ce possible ? Et surtout ces lois-cadres constituent-elles un moyen efficace de désendettement ? 

Le fait est que l'existence de ces lois-cadres ne dépendraient que de la volonté politique des gouvernements, puisque leur seule contrainte réside dans le respect de l'impératif de retour à l'équilibre. 

Ceci dit, l'engagement des gouvernements au retour à l'équilibre budgétaire dépend strictement de la définition retenue du déficit budgétaire xlviii, autrement, ils pourraient risquer de voir leur marge de manœuvre limitée en raison d'un mauvais chiffrage. 

Le gouvernement prévoit, par ailleurs, que ces lois-cadres auraient une durée minimale de trois ans. Une telle mesure comporte le risque d'obliger un gouvernement fraîchement élu à respecter les engagements tenus par le gouvernement précédent, ce qui pose problème au niveau de la marge de manœuvre politique des gouvernements, et même en matière de consentement du peuple à l'impôt. En effet, le fait qu'un parlement nouvellement élu ne puisse soit lié pendant le début de sa législature aux engagements du gouvernement et de la majorité parlementaire précédente, est contraire à l'article 14 de la DDHC qui exige que le parlement puisse débattre annuellement du montant des ressources et des charges de l'Etat xlix. 

Le mieux serait d'instaurer une durée de cinq ans pour ces lois, de manière à ce que le consentement à l'impôt puisse être respecté et de manière à ce que les gouvernements puisse garder leur marge de manœuvre politique.  Favoriser la souplesse et la liberté de décision des gouvernements leur permettrait de lutter efficacement contre les déficit et favoriserait la conformité de la France aux exigences européennes. 

Ce projet de réforme est bloqué pour le moment, car une telle réforme nécessiterait que les parlementaires réunis au Congrès votent cette réforme avec une majorité de 3/5, ce qui est impossible pour le moment compte tenu de du désaccord de l'opposition l.  Mais les obligations qui découlent du futur traité européen pourrait mettre un terme à ces désaccords. 

 

 

 III- Perspectives européenes – une « règle d'or » plus strictes que celle envisagée par la France:

La crise grecque et surtout la réforme allemande inspirée du droit suisse a joué un rôle moteur dans le début des discussions autour d'une règle d'or européenne, le commissaire aux affaire européennes en ayant eu vent li

Les Etats membres de l'Union Européenne, ont élaboré, lors du sommet du 30 janvier 2012, un nouveau traité dont l'objectif est de renforcer la discipline budgétaire dans la zone euro. 

Ce traité prévoit plusieurs mesures, notamment l'obligation pour tous les Etats membres d'inscrire une règle d'or dans leur constitution. 

Sont prévues une interdiction des déficits structurels supérieurs à 0,5 % du PIB, et une obligation, pour les Etats endettés à plus de 60% du PIB de s'engager à le réduire d'1/20 par an, et enfin une habilitation de la Cour de Justice de l'Union Européenne à

contrôler la transposition de la règle d'or budgétaire dans les ordres juridiques nationaux ainsi qu'à infliger dans cette hypothèse, des amendes allant jusqu'à 0,1% du PIB lii. 

Ce traité prévoit des règles beaucoup plus souples que celles adoptées par l'Allemagne, mais plus strictes que les modalités de réglementation proposées par le gouvernement français. Compte tenu du pouvoir que le traité prévoit de conférer à la Cour de Justice de l'Union Européenne, on peut penser que celle-ci pourrait contraindre la France à réviser sa « règle d'or » pour l'aligner un peu plus sur le modèle allemand. De plus, le déficit public de l'Allemagne pour l'année 2011 était de 1%, et celui de la France de 7, 7 %, donc du strict point de vue du déficit public (et non de la dette publique), il semble que l'Allemagne est, en l'état actuel des choses plus capable que la France de respecter de tels engagements que la France. Raison de plus pour penser que les Etats membres, et donc la France, bien que ne soit visiblement pas son objectif, pourrait être contrainte de s'aligner sur le modèle allemand. 

Du point de vue du déficit public, les règles prévues par le futur traité sont plus sévères, on peut d'ailleurs se demander si l'Allemagne et la France qui ont eu tant de difficultés par le passé à se conformer aux exigences du Pacte de stabilité budgétaire  pourront vraiment à long se conformer aux règles du nouveau traité. 

S'il est adopté, ce traité marquera une étape supplémentaire du transfert de souveraineté. Les Etats membres ne disposeraient plus de leur autonomie budgétaire, mais ils devraient désormais l'exercer sous les auspices de la Commission Européenne. 

Un tel transfert de souveraineté poserait également le problème de proximité avec le peuple. Se pose également la question de savoir si une institution supra-nationale est bien placée pour approuver des politiques budgétaires profondément ancrées dans la culture politique des Etats membres. En effet, la règle d'or devrait s'appliquer, non pas à certains secteurs, mais à l'ensemble du système financier, notamment aux collectivités locales, et à la sécurité sociale1, la Commission serait donc en situation de remettre en cause le modèle social français. 

 

La « règle d'or » est évoquée comme étant un moyen de sauvegarder la souveraineté des Etats , en restreignant le recours à l'endettement, mais elle aboutit incontestablement à réduire les marges de manœuvre des Etats, et à remettre en cause les principes fondamentaux inhérents à leur organisation.