Les incidences de la reconnaissance d´une personnalité juridique à l´Union européenne : vers un renforcement de son influence internationale ? par Thomas ABULIUS
Pour des raisons tant organisationnelles que pratiques, la personnalité juridique de l’Union Européenne a été gravée dans le Traité sur l’Union Européenne à la suite de l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. Cette évolution traduit une volonté de permettre à l’UE de s’exprimer « d’une seule voix » sur la scène internationale. Il n’en demeure pas moins que cette reconnaissance, que l’Union s’attribue elle-même, pour nécessaire soit-elle, doit s’accompagner d’une reconnaissance extérieure qui ne peut être entreprise que par des sujets naturels du droit international. Article 47 du Traité UE (entré en vigueur le 1er déc. 2009)
« Tant de l’intérieur (ses citoyens) que de l’extérieur (les États tiers), l’Union sera ainsi vue comme un organisme sain et solide plutôt que comme deux jumeaux siamois frêles et précaires (l’un nommé Communauté, l’autre Union) » (Nicolas MOUSSIS, « Le traité de Lisbonne : Une constitution sans en avoir le titre », R.M.C.U.E., n°516, mars 2008, p. 162).
L’entrée en vigueur le 1er décembre 2009 du Traité dit de Lisbonne du 29 octobre 2007 a mis fin à la « fâcheuse et illisible » structure en piliers de l’Union Européenne (UE) (Florence CHALTIEL, « Le « Traité Modificatif » peut-il être un traité ambitieux ? A propos du Conseil Européen de juin 2007 », R.M.C.U.E., n°510, juillet-août 2007, p. 416). L’Union succède ainsi à la Communauté Européenne, se voyant ainsi, dotée d’une personnalité juridique par l’article 47 (très succinctement « L’Union a la personnalité juridique ») du nouveau traité sur l’Union Européenne (TUE). Innovation capitale (Jacqueline DUTHEIL de la ROCHERE et Florence CHALTIEL, « Le Traité de Lisbonne : quel contenu ? », R.M.C.U.E., n°513, décembre 2007, p. 618), la reconnaissance d’une personnalité juridique unique entraîne une fusion de la Communauté et de l’Union tout en maintenant, en parallèle, une réelle spécificité de la Politique Extérieure de Sécurité Commune (PESC). En dotant l’UE d’une personnalité juridique unique, les constituants européens ont manifesté la volonté de rendre visible et lisible l’Union européenne dans plusieurs de ses ambitions (Prof. Dr. Armin HATJE, « Der Vertrag von Lissabon – Europa endlich in guter Verfassung ? », NJW, 2008, 1761, p. 34). Lisible, pour les citoyens qui pourront s´identifier davantage avec l´Union (Rapport final du groupe de travail III « Personnalité juridique » de la Convention européenne, oct. 2002), visible pour les partenaires économiques, stratégiques et politiques des 27 États liés par le TUE et le TFUE. Jusqu’alors, la « capacité d’accomplir un certain nombre d’actes juridiques » (Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Paris, Presses universitaires de France, 7ème éd., 2005, p. 808), de constituer et de détenir un budget, d’avoir du personnel, le droit d’ester en justice, celui de conclure des accords internationaux étaient détenus et exercés concurremment par la Communauté, l’EURATOM et les organes de l’Union Européenne (Commission, Conseil, …) pris isolément. En l’absence de dispositions explicites, l’Union ne disposait pas de la personnalité juridique et ses actes étaient imputables à la collectivité des États membres (Jean-Paul JACQUÉ, Droit institutionnel de l’Union Européenne, 4ème éd., 2006, p. 182). Une partie de ces mêmes États a refusé jusqu’à l’adoption des travaux de la convention chargée d’établir une Constitution pour l’Europe toute reconnaissance de la personnalité morale, celle-ci étant pour certains perçue comme une menace pour la souveraineté et un pas supplémentaire vers un système fédéral dont l’adoption ne trouverait pas de consensus. Désormais, l’UE est une personne de droit. Ayant été créée par un traité international prévoyant cette qualité il ne fait pas de doute que l’Union a la personnalité juridique interne. Par la-même, elle bénéficie de la « capacité juridique la plus lare reconnue aux personnes morales par les législations nationales » (SCHWARZE Jürgen (Hrsg), EU-Kommentar, Baden-Baden, Nomos, 2ème éd., 2008, p. 59 et Rapport final du groupe de travail III « Personnalité juridique » de la Convention européenne, oct. 2002) et est représentée par la Commission. Des clarifications extérieures doivent être entreprises afin d’asseoir la personnalité juridique extérieure. Si la reconnaissance d´une personnalité juridique a été largement saluée et a suscité peu de controverses lors de son insertion dans le traité modificatif (Cf. Notamment travaux du groupe de travail III « Personnalité juridique » de la Convention Européenne http://european-convention.eu.int/doc_register.asp?lang=FR&Content=WGIII), quelles sont réellement les conséquences d´une telle auto-attribution ? Permet-elle de mieux faire peser les intérêts des États membres pris collectivement ? Si pour des raisons tant organisationnelles que pratiques, la personnalité juridique a été gravée dans le TUE, c’est avant tout pour permettre à l’UE de parler « d’une seule voix » dans le sur la scène internationale (II.). Il n’en demeure pas moins que cette auto-attribution pour nécessaire soit-elle, doit s’accompagner d’une reconnaissance extérieure (I.)
I – La nécessaire confirmation internationale de la personnalité juridique
En consacrant la personnalité juridique par l’instrument du traité, l’Union poursuivait deux buts : d’une part affirmer cette reconnaissance au sein des vingt-sept Etats membres, et, d’autre part, être en capacité d’y exercer ses pouvoirs en découlant. Une consécration textuelle était devenue obligatoire (A.). Toutefois, isolée, elle est insuffisante. La communauté internationale doit reconnaître cette qualité (B.).
A – La consécration textuelle d’une personnalité juridique
L’UE est, à la lumière des traités constitutifs, une organisation s’inscrivant dans la durée, regroupant des sujets naturels du droit international soumise au droit international public. Selon les critères classiques, il s’agit d’une organisation internationale d’intégration (Jürgen SCHWARZE (Hrsg), EU-Kommentar, Baden-Baden, Nomos, 2ème éd., 2008, p. 59). Il n’en demeure pas moins que la nature juridique reste controversée ce qui n’allait pas dans le sens d’une reconnaissance d’une personnalité juridique. Avant l’adoption puis l’entrée en vigueur du traité modificatif, l’UE étant conçue comme un complément aux Communautés à la lecture des premiers articles du TUE, la reconnaissance d’une personnalité juridique n’avait, pour l’UE, rien d’évident. L’UE est définie comme une « union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe » (art. 1) fondée sur des valeurs à portée universelle (art. 2) et destinée à regrouper les Communautés Européennes qui, chacune d’elles, exerçait les compétences spécifiques qui lui sont attribuées par les traités constitutifs. L’Union n’aurait ainsi pas nécessairement vocation à exercer une représentation internationale des Communautés Européennes déjà dotées d’une personnalité juridique identifiée par les sujets naturels du droit international.
B – Une consécration insuffisante : une reconnaissance à établir par la communauté internationale
La voie de la reconnaissance dans le TUE de la personnalité juridique de l’UE dans laquelle se sont engagés les États membres n’entraîne pas automatiquement de reconnaissance par les États tiers ainsi que par les organisations internationales sujets de droit international. S’agissant des relations extérieures, son action et l’expression de ses positions ne trouve de fondement que dans une reconnaissance directe ou indirecte (Armin HATJE (Prof. Dr.), « Der Vertrag von Lissabon – Europa endlich in guter Verfassung ? », NJW, 2008, 1761, p. 35). La CIJ souligne dans son avis consultatif fondateur « Réparations pour les dommages subis au service des Nations Unies » du 11 avril 1949 (« Réparation des dommages subis au service des Nations Unies », Avis consultatif: C. I. J. Recueil 1949, p. 174) que les sujets de droit ne sont pas nécessairement identiques au vu de leur nature ainsi que de l’étendue de leurs droits. En tant qu’organisation internationale, l’UE n’est pas un sujet naturel du droit international, mais l´attribution et la reconnaissance extérieure de la personnalité juridique font de l´entité un sujet du droit international public. Différente des États par sa nature, elle n´en devient pas moins un sujet aux droits et devoirs identiques à la lumières de l´avis de la CIJ. Jusqu’à l’entrée en vigueur du TUE modifié, la nature de l’UE n’était pas sans équivoque et continuait de susciter des interrogations quant à savoir si elle répondait aux critères traditionnels dégagés par la Cour de la Haye.
II - La reconnaissance d’une personnalité juridique : la traduction d’une volonté de renforcement de la position de l’UE sur la scène internationale
En dépit de l´absence de volonté de remplacer TUE et TFUE par un traité unique, le souci, en accordant une personnalité juridique unique, était de rendre aisée la lecture de l’architecture de l’UE. Conférée par l’art. TUE, la nouvelle personnalité juridique concernant l´UE est la traduction d’une volonté d’accroître le champ d’action et les pouvoirs de l’UE et présente des avantages non négligeables (A). Son absence faisait obstacle à l’accomplissement de ses objectifs, le but de sa reconnaissance étant de pouvoir mieux représenter les intérêts communs des 27 (B).
A – L’absence de personnalité juridique : des inconvénients divers
L´absence de reconnaissance, alors même qu’une reconnaissance implicite de facto existait déjà (CALLIESS Christian, RUFFERT Matthias, EUV/EGV Das Verfassungsrecht der Europäischen Union mit Europäischer Grundrechtecharta Kommentar, München, Verlag C.H. Beck 2007, p. 156), était de nature à porter préjudice au développement international de l´UE, le groupe de travail « Personnalité juridique » allant jusqu´à avancer qu´elle nuisait à la « sécurité juridique, indispensable… dans les relations avec des États tiers et des organisations internationales » (Rapport final du groupe de travail III « Personnalité juridique » de la Convention européenne, oct. 2002). Allant de pair avec la suppression, ou du moins, la modification des piliers de l´UE mais surtout avec la disparition de la communauté européenne, la reconnaissance explicite permet désormais de conclure des accords extérieurs recoupant simultanément ce qui était intégré aux domaines spécifiques des piliers et qui affectait à la fois les compétences de la Communauté et de l´Union relevant des Titres V et VI du TUE.
B – Une reconnaissance tardive : incidences variées sur l’influence de l’UE
Après sa vraisemblable confirmation par l´opinion des sujets, la reconnaissance de la personnalité juridique à l´UE doit permettre de renforcer sa visibilité à l´échelle mondiale. Devenant un sujet de droit international, elle sera soumise à des normes aussi diversifiées que la Charte des Nations Unies, les résolutions de l´ONU, la jurisprudence de la Cour internationale de Justice de même qu´à la compétence des organes des institutions onusiennes en attendant de briguer un siège au Conseil de sécurité. Il ressort par conséquent que les vingt-sept États membres pris collectivement ont désormais vocation à se prévaloir de l´ensemble des moyens d´action internationale attachés à une reconnaissance de la personnalité juridique (cf. propos introductifs). Aussi symbolique soit-elle, la reconnaissance effectuée à l’art. 47 TUE a été d´abord pensée pour répondre à des problématiques concrètes liées à la mise en œuvre d’une autonomie de l’Union par rapport aux Communautés (CEE et EURATOM d’abord, puis, seule l’EURATOM) et aux États membres. Cette attribution doit permettre une réelle visibilité, en plus d’une existence, de l’UE à l’échelle internationale. L’une des premières incidences, désormais envisageable grâce à l’attribution effectuée à l’art. 47 TUE, est l’adhésion de l’UE à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH – art. 6 § 2). Cette adhésion doit ainsi mettre un terme à la controverse relative à la compétence de l’Union qui a fait l´objet d´un avis de la CJCE (Avis 1/94 CJCE du 28 mars 1996). A ce titre, cette conséquence de l’attribution permettrait de pouvoir faire valoir et protéger les valeurs proclamées à l’art. 2 TUE. Au même titre que les États, l´UE pourra en outre bénéficier des immunités diplomatiques. Aux débuts de la politique extérieure de sécurité commune (PESC), l’UE n’étant simplement qu’un regroupement d’États. Au fil de l’évolution de la PESC et de l’UE, il a été soutenu qu’une personnalité juridique s’affirmait implicitement de part les relations entretenus avec des sujets extérieurs (Stephan MARQUARDT, „Zur Frage der Rechtspersönlichkeit der EU im Rahmen der GASP“, von der Groeben/Schwarze, Kommentar zum EU-/EG-Vertrag, Munich, 6ème éd., 2003, §17). Désormais explicite, elle permet à l´UE de s´exprimer d´une seule voix et ainsi de rendre davantage efficace et crédible ses actions extérieures. À cet égard, l´art. 47 TUE prend toute son importance lorsqu´il se relie à la création du poste de « Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité » (art. 18 TUE). En effet, la combinaison des deux nouvelles dispositions a pour but de garantir un mécanisme permettant d’exprimer cette position unique. Le cadre juridique étant désormais prévu, les volontés ayant mené à son adoption, sont désormais soumises à la confrontation avec la réalité, à l’instar des derniers événements à résonance internationale (Séisme en Haïti).
Bibliographie indicative
Articles :
• CHALTIEL Florence, « Le « Traité Modificatif » peut-il être un traité ambitieux ? A propos du Conseil Européen de juin 2007 », R.M.C.U.E., n°510, juillet-août 2007, pp. 413-422. • DUTHEIL de la ROCHERE Jacqueline, CHALTIEL Florence, « Le Traité de Lisbonne : quel contenu ? », R.M.C.U.E., n°513, décembre 2007, pp. 617-620. • HATJE Armin (Prof. Dr.), « Der Vertrag von Lissabon – Europa endlich in guter Verfassung ? », NJW 2008, 1761, p. 34 • MARQUARDT Stephan, „Zur Frage der Rechtspersönlichkeit der EU im Rahmen der GASP“, von der Groeben/Schwarze, Kommentar zum EU-/EG-Vertrag, Munich, 6ème éd., 2003, 1751 p MOUSSIS Nicolas, « Le traité de Lisbonne : Une constitution sans en avoir le titre », R.M.C.U.E., n°516, mars 2008, pp. 161-168. • NEFRAMI Eleftheria. La politique étrangère et de sécurité commune et l'identité de l'Union européenne. In: Annuaire français de droit international, volume 50, 2004. pp. 826-860. • VON BARGEN Joachim (Prof. Dr.), „Der Vertrag von Lissabon: Grundlde Verfassungsurkunde der europäischen Rechtsgemeinschaft oder technischer Änderungsvertrag?“, Europarecht, 2-2008, 2008, pp. 143-190
Monographies :
• BLUMANN Claude, DUBOUIS Louis, Droit institutionnel de l´Union Européenne, Paris, Litec, 2ème édition, 2007, 599 p. • CALLIESS Christian, RUFFERT Matthias, EUV/EGV Das Verfassungsrecht der Europäischen Union mit Europäischer Grundrechtecharta Kommentar, München, Verlag C.H. Beck 2007, 2877 p. • CORNU Gérard, Vocabulaire juridique, Paris, Presses universitaires de France, 7ème éd., 2005, 970 p. • HERDEBERGER Matthias, Europarecht, München, Verlag C.H. Beck, 9ème éd., 2007, 471 p JACQUÉ Jean-Paul, Droit institutionnel de l’Union Européenne, 4ème éd., 2006, 779 p. • SCHWARZE Jürgen (Hrsg), EU-Kommentar, Baden-Baden, Nomos, 2ème éd., 2008, p. 59 • STREINZ Rudolf, Europarecht, Heidelberg, C.F. Müller, 8ème éd., 2008, 534 p. • STREINZ, OHLER, HERRMANN, Der Vertrag von Lissabon zur Reform der EU, Einführung mit Synopse, München, Verlag C.H. Beck, 2008, 404 p. • VITZTHUM (Graf) Wolfgang, Völkerrecht, Berlin, de Gruyter Lehrbuch, 4ème éd., 2007, 757 p.