La « plain meaning rule » en droit américain des contrats, par Elisabeth de Carvalho

La « plain meaning rule » appliquée au droit américain des contrats suppose une interprétation littérale des termes contractuels alors que le droit français de l’interprétation des contrats se fonde sur l’autonomie de la volonté. Une étude approfondie des règles interprétatives dans ces deux différents systèmes juridiques révèle des approches similaires nonobstant leur point de départ respectif.

S’il n’existe pas un droit américain mais bien cinquante et un, les « Restatements » de l’Institut de Droit Américain (American Law Institute) se prévalent de réunir les règles de droit afin d’aboutir à un droit américain uniforme. L’Institut de droit Américain est connu sur le continent européen pour avoir rédigé le « Uniform Commercial Code » qui a été adopté par une grande majorité des Etats. Si les « Restatements » n’ont qu’une valeur doctrinale, leurs dispositions reprennent les principes basiques non contestés de chaque branche du droit. Ainsi les « Restatements » reprennent des règles légales et jurisprudentielles de chaque branche du droit. Il convient de s’intéresser à la « plain meaning rule » en droit américain des contrats telle qu’évoquée par le « Restatement (Second) of Contracts », ci-après « Restatement ».

La « plain meaning rule » est une règle interprétative objective par laquelle les termes contractuels sont définis par leur sens commun. L’intention des parties est ainsi bridée par l’utilisation des termes employés au contrat. Le droit français de l’interprétation des contrats se fonde sur l’autonomie de la volonté des parties et la commune intention des parties. Dès lors, il s’agit de rechercher l’intention des parties à travers les termes contractuels utilisés.

Nonobstant le recours à des méthodes d’interprétation différentes comme base de principe, le droit français et le droit américain des contrats ne se fondent pas exclusivement sur ces méthodes. En effet le droit français s’appuie également sur une méthode objective et le droit américain fonde certaines de ces décisions sur une méthode contextuelle. Il convient également de noter que ces droits, issus de systèmes juridiques différents, utilisent des directives interprétatives similaires

I- Des méthodes d’interprétation apparemment opposées, proches en pratique

L’article 200 du « Restatement » dispose que l’interprétation du contrat est la constatation de son sens. Ainsi la « plain meaning rule » est la méthode de principe utilisé en droit américain des contrats.

La « plain meaning rule » consiste à interpréter les termes du contrat à la lumière du sens courant des mots utilisés. En effet, cette théorie interprétative est favorisée au regard de deux idées. La première repose sur la notion de prévisibilité. Le fait d’avoir des termes définis de manière fixe permet de mieux s’entendre sur les obligations de chacune des parties. La seconde s’explique par le fait qu’une étude approfondie de l’intention des parties par les juges en dépit du sens courant des termes contractuels nuirait aux contractants en donnant à une partie peu scrupuleuse le moyen de se défaire de ses obligations.

A titre d’illustration, l’arrêt Flores v. American Seafoods Co (335 F.3d 904) pose comme principe qu’en droit fédéral, un contrat écrit doit être lu dans son ensemble et chaque partie doit être interprétée raisonnablement conformément à cet ensemble. Les clauses contractuelles doivent être interprétées dans leur sens courant. Dès lors que le contrat n’est pas ambigu, l’intention des parties doit être déterminée à partir du contrat lui-même et dans la mesure du possible la « plain meaning rule » doit être considérée en premier.

Si la « plain meaning rule » apparaît comme la méthode d’interprétation préférée à titre principal, notamment en ce qu’elle limite le pouvoir du juge de réécrire le contrat, certains juges américains sont favorables à l’utilisation d’une approche contextuelle plus à même de respecter la volonté des parties en ce qu’elles ont pu s’entendre sur le sens des termes utilisés au contrat (Alyeska Pipeline Service Co v. O’Kelley, 645 P2d 767). Le paragraphe 202(1) du « Restatement » dispose que l’interprétation des termes contractuels ou de la conduite des contractants doivent être interprétées à la lumière de toutes les circonstances et l’intention des parties ainsi déterminée aura une grande valeur.

En droit français des contrats, l’article 1156 du code civil pose comme principe que dans les conventions, on doit « rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes. » De manière traditionnelle, les juges du fond français s’inspirent de la théorie de l’autonomie de la volonté afin d’interpréter un contrat. Cette théorie donne au juge un rôle de serviteur de la volonté des parties. Le juge a vocation à rechercher la commune intention des parties, cela en dépassant la lettre du contrat.

Cela dit, le droit positif français ne se limite pas à une telle interprétation subjective du contrat. Les juges du fond combinent cette méthode d’interprétation avec une méthode plus objective. Cette dernière repose sur l’idée que le contrat oppose deux parties qui souhaitent que le sens du contrat leur soit le plus favorable. Dès lors il est très souvent difficile de pouvoir affirmer qu’il existe une commune intention.

Ainsi, l’article 1135 du code civil dispose que « les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature. » Dès lors les juges français peuvent fondés leur interprétation du contrat sur les régimes juridiques des contrats usuels à défaut de stipulation contraire ; sur les usages, qui reflètent des pratiques suivies dans certains milieux professionnels ; ou encore sur l’équité, qui reflète une idée de justice.

De même, l’alinéa trois de l’article 1134 du code civil dispose que les conventions « doivent être exécutées de bonne foi ». Cette dernière se définit comme « la croyance qu'a une personne de se trouver dans une situation conforme au droit, et la conscience d'agir, sans léser les droits d'autrui. » (www.lexeek.com/dictionnaire-juridique).

Les droits américain et français des contrats semblent utiliser des méthodes proches quand bien même leur théorie de départ diffère. Ces droits usent également de méthodes similaires.

II- Des méthodes d’interprétation similaires

Le droit américain de l’interprétation des contrats use de notions objectives similaires. Ainsi, le paragraphe 207 du « Restatement » dispose qu’en cas d’ambiguïté le contrat devrait être interprété conformément à l’obligation de bonne foi ainsi qu’à l’intérêt public. Telle que définie sur http://dictionary.law.com, la bonne foi est l’intention dénuée de malhonnêteté d’agir sans désavantager injustement une autre personne ou de s’acquitter d'une promesse d’agir, quand bien même un élément juridique n’est pas satisfait.

De même, si la « parol evidence rule » exclut la preuve de circonstances extrinsèques au contrat stipulé comme définitif, en cas d’ambiguïté cette règle permet l’utilisation par le juge de « trade usage », de « course of dealing » ainsi que de « course of performance ». La notion de « trade usage » se définit comme l’usage français, c’est-à-dire les pratiques suivies par la profession. Les expressions « course of dealing » et « course of performance » se définissent comme les pratiques entre les contractants, à ceci près que cette dernière se limite aux pratiques des parties dans le cadre d’un contrat à exécution successive.

L’article 1158 du code civil dispose que « les termes susceptibles de deux sens doivent être pris dans le sens qui convient le mieux à la matière du contrat ». En d’autres termes, il convient d’interpréter les termes contractuels en harmonie générale avec l’économie du contrat. Le paragraphe 202(2) du « Restatement » prévoit que le contrat doit être interprété dans son ensemble.

De même, l’article 1162 du code civil dispose que « dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation ». Si le sens premier de cet article était de favoriser le débiteur, le stipulant aujourd’hui n’est plus nécessairement le créancier mais le rédacteur de l’acte. Le droit américain se réfère à l’expression latine contra proferentum qui pose comme principe qu’en cas d’ambiguïté un contrat écrit doit être interprété contre son rédacteur (paragraphe 206 du « Restatement »).

Ainsi, les droits français et américain des contrats usent de notions de droit similaires ainsi que de directives interprétatives similaires. Il est également intéressant de noter qu’en droit français et en droit américain le contrat est interprété par le juge. III- Interprétation du contrat par le juge

Bien que l’intention des parties soit une question de fait, qui par nature doit être appréciée par les jurés, les juges sont réticents à l’idée de les laisser déterminer le sens du contrat et son effet. Ainsi dans l’arrêt Parsons v. Bristol Development Co (402 P.2d 839), il a été retenu que l’interprétation du contrat a vocation à être déterminée par le juge, bien qu’il s’agisse d’une question de fait.

Pareillement, en droit français la commune intention des parties est un fait empirique qui doit être interprétée, tout comme le contrat, par les juges du fonds. L’arrêt de la Troisième Chambre civile de la Cour de cassation en date du 16 avril 1970 (D.1970.474) a retenu que le juge ne peut se dérober à interpréter le contrat litigieux, quelles que soient ses difficultés, sous peine de déni de justice. Cela dit le juge de cassation dispose du motif de dénaturation pour pouvoir sanctionner le juge du fonds qui irait trop loin dans l’interprétation d’un contrat litigieux aux termes clairs et précis (Civ 15 April 1872).

A titre de conclusion, il convient de constater que si a priori les principes d’interprétation en droit français et en droit américain semblent opposés, la pratique démontre que ces droits usent de méthodes tantôt objectives, tantôt subjectives, ainsi que de directives interprétatives communes à valeur supplétives, notamment certaines maximes latines, ou encore les notions d’usages ou de bonne foi.