LA RESPONSABILITÉ PRECONTRACTUELLE EN DROIT COMPARE FRANCO-ARGENTIN - COMMENTAIRE DE L’ARRET « LITVAK ADOLFO C/ OLIVETTI ARGENTINA S.A. »

Cette étude a pour objectif d’analyser la responsabilité précontractuelle, dans une perspective de droit comparé franco-argentin, grâce à l’analyse de l’un des premiers arrêts de droit argentin à s’être intéressé à cette question. L'arrêt Litvak Adolfo c. Olivetti Argentina S.A., rendu en dernier ressort par la Cour d’appel argentine le 16 septembre 1953. 

 
INTRODUCTION
 
Le monde des affaires implique des négociations préliminaires à la conclusion d’un contrat, afin de se mettre d’accord sur tous les points de celui-ci. Ces négociations rentrent dans le cadre de « la période précontractuelle ». Cependant, cette période, aussi importante que le contrat lui-même, a mis du temps à être reconnue par les ordres juridiques.
 
Nous allons nous intéresser à la reconnaissance de la responsabilité précontractuelle et à son régime juridique en cas de faute commise par l’une des parties, en commentant, dans une perspective de droit comparé franco-argentin, un arrêt rendu en dernier ressort par la Cour d’appel argentine le 16 septembre 1953 (Camara Nacional de Apelaciones de Capital Federal, Sala B, Litvak Adolfo c. Olivetti Argentina S.A.).
 
Le demandeur prétendait être indemnisé sur le terrain de la responsabilité contractuelle, mais le Tribunal et la Cour d’Appel se prononcent en faveur d’une responsabilité précontractuelle de nature délictuelle. Cet arrêt est l’un des premiers à avoir reconnu cette responsabilité.
 
Les faits de l’espèce étaient relativement simples : M. Forti, gérant de la société Olivetti à Buenos Aires (« la Société »), offre la possibilité à M. Adolfo Litvak (« M. Litvak ») de devenir un agent commercial de la Société dans la ville de Salta, au nord de l’Argentine. M. Litvak accepte cette offre, déménage à Salta, loue un local - la Société se portant caution du bail - pour y établir la nouvelle agence. M. Forti présente à M. Litvak quelques clients de la Société et lui envoie des marchandises afin de l’aider à démarrer l’activité. Il avait été conclu lors des négociations qu’une fois que M. Litvak se serait installé il recevrait le contrat d’agence. Cependant, ce contrat n’est jamais parvenu, car M. Forti, après s’être rendu compte que M. Litvak avait embauché deux ex-salariés de l’agence de Buenos Aires, licenciés par celle-ci, n’a jamais signé, ni envoyé, ledit contrat. Ceci n’avait pas inquiété M. Litvak, qui représentait depuis un moment la Société à Salta, jusqu’à ce que M. Forti lui demande, par télégramme, de restituer les marchandises auparavant reçues et lui annonce, lors d’un entretien à Buenos Aires, la fin de leur collaboration. M. Litvak assigne donc la Société en réparation de son préjudice résultant de l’inexécution du contrat qui existait entre les parties. Le Tribunal de commerce argentin fait partiellement droit à sa demande en ce qu’il reconnait que la Société est bien responsable de la rupture des relations commerciales avec M. Litvak. Cependant, il ne se fonde pas sur l’existence d’un lien contractuel, mais sur une faute délictuelle, commise pendant la période précontractuelle. M. Litvak interjette appel devant la Cour d’appel. 
 
La Cour d’appel doit se pencher sur la question de la nature juridique des relations établies entre la Société et M. Litvak, ainsi que sur la question de la reconnaissance d’une responsabilité. Elle confirme la décision de première instance en reconnaissant l’existence d’une responsabilité précontractuelle de nature délictuelle (I), engendrant ainsi, pour la victime d’une faute commise pendant cette période, le droit à des dommages et intérêts (II). 
 
I - Reconnaissance de la responsabilité précontractuelle de nature délictuelle
 
Nombreux sont les problèmes soulevés antérieurement à la formation des contrats, dont celui de la nature même de la responsabilité encourue - contractuelle ou délictuelle - et de son régime juridique. Pour tenter de répondre à ces questions il faudra délimiter la période précontractuelle (A) et s’interroger sur la nature de la responsabilité encourue lors de cette période (B). 
 
A - Délimitation de la période précontractuelle et de la période contractuelle 
 
En principe, « pas de responsabilité contractuelle sans un contrat » (H. BARCHA, « Les obligations naissant des pourparlers », Juriscope, 2001, p. 12). Les juges argentins se posent donc d’abord, la question de l’existence d’un lien contractuel entre les parties (l.142). En effet, M. Litvak prétendait établir l’existence d’un contrat d’agence entre la Société et lui-même (l.33-65). Il se fondait sur les engagements pris verbalement et qui avaient été exécutés pour caractériser l’existence dudit contrat - pour M. Litvak : ouvrir une agence commerciale à Salta, apporter une partie du capital, représenter la Société et ses clients. Pour la Société : se rendre caution du contrat de bail du local de l’agence, envoyer du matériel dès l’ouverture de l’agence pour l’aider à démarrer son activité ainsi que pendant toute la durée de leurs relations commerciales. Les juges analysent donc la force probante (l.143-160) des engagements précités et décèlent la volonté commune des parties de conclure ce contrat grâce à l’exécution desdits engagements. Cependant, ils estiment que ce n’est pas suffisant pour établir l’existence dudit contrat. 
 
Les juges s’interrogent ensuite sur les conditions que doit remplir un contrat d’agence - fixation des prix de vente des marchandises, délimitation de la zone de ventes, compte-rendu des comptes, etc. - (l.161-165). Celles-ci n’étant pas remplies, ils concluent à l’inexistence du contrat, mais retiennent l’existence de négociations entre les parties. Ces dernières se trouvaient, donc, dans la phase des “tratativas previas” (l. 167-168), les « pourparlers », définis par M. Carbonnier comme « la phase préliminaire où les clauses du contrat sont étudiés et discutées » (H. BARCHA, op.cit., p. 11.) et par M. STIGLITZ comme « des dialogues préliminaires qui, pendant les négociations, se situent dans une étape préalable au perfectionnement du contrat » (Cf. Gabriel STIGLITZ, Responsabilidad precontractual, Abeledo Perrot, Buenos Aires, 1992, p. 34 :  “…diálogos preliminares que, en el iter negocial, se ubican en una etapa que precede al perfeccionamiento del contrato”). La Cour d’appel confirme sur ce point la décision du Tribunal de première instance et rejette le raisonnement de M. Litvak prétendant démontrer l’existence d’un contrat d’agence. 
 
Par conséquent, la seconde question qui se posait devant la Cour était de savoir si le refus de contracter opposé par l’une des parties, en l’espèce la Société, à l’issue des pourparlers, mettait en cause sa responsabilité.
 
B – Responsabilité de nature délictuelle durant les pourparlers 
 
Pendant la formation du contrat, on peut se trouver face à des pourparlers qui correspondent aux négociations d’un futur contrat, ou face à un ou plusieurs précontrat(s) qui sont des actes préliminaires destinés à préparer le contrat futur (G. Clusellas, « La responsabilidad precontractual y su reconocimiento », La Ley, Août 2010, p.1). En l’espèce, selon les juges, il est question de pourparlers. Ceux-ci peuvent déboucher sur le contrat définitif, ou donner lieu à des accords préliminaires, ou encore, ils peuvent être suspendus ou interrompus. En effet, en vertu de la liberté contractuelle, les négociations n’obligent pas à conclure un contrat, ce principe permet de rompre les négociations, à condition de ne pas le faire de manière brutale. 
 
La faute consisterait donc en la rupture brutale des pourparlers et non en la rupture elle-même. De ce fait, il faut démontrer l’abus dans la rupture des pourparlers. En l’espèce les juges font référence à la théorie du juriste italien Faggella (Faggella, Dei periodi precontrattuali e della loro vera ed esatta costruizione scientifica, Studi giuridici in onore di Carlo Fadda, t. III, Luigi Pierro Tip. Editore, Naples, 1906, pp. 269 et s.) pour résoudre « un problème non règlementé expressément par notre droit de la responsabilité précontractuelle [mais dont] la solution est donnée par la classique théorie de Faggella » (l.181-183 : “La  pregunta precedente nos pone frente al  problema, no legislado especialmente en  nuestro derecho de la responsabilidad precontractual. La  solución nos la  da  la  clásica teoría de  Faggella”).
 
Cette théorie admet comme fondement de la responsabilité précontractuelle la violation, tacite ou expresse, de l’accord des parties d’entamer les négociations. Pour établir cette violation, il n’y a pas besoin de démontrer de dol ou de négligence, il suffit de caractériser une rupture arbitraire et abusive (L. Cantarelli, « Daño al interés negativo », Las tesinas de Belgrano, septembre 2004 n°152, p.8; Com., 20 mars 1972 n°70-14154, qui rappelle que la rupture des pourparlers peut être source de responsabilité à raison, notamment, de sa brutalité). 
 
Pour Faggella, la responsabilité précontractuelle encourue est de nature délictuelle. Le principe est largement admis par la plupart des droits. Il est notamment admis par le droit français, tant par la jurisprudence (Com., 20 mars 1972, op.cit. : « Attendu que par ces énonciations, et abstraction faite des autres motifs qui sont surabondants, la Cour d’appel, sans encourir les griefs du pourvoi, a pu retenir à l’encontre de la société (…) une responsabilité délictuelle et a ainsi justifié la condamnation de cette société ») que par la doctrine (Saleilles, « De la responsabilité précontractuelle », RTD civ., 1907, p.702 ; P. Mousseron, « Conduite des négociations contractuelles et responsabilité civile délictuelle », RTD com., 1998, pp. 243 et s. : « En l’absence de tout contrat, la responsabilité ne peut être que délictuelle »). De même, en droit argentin, la responsabilité précontractuelle reçoit une qualification délictuelle.
 
La théorie de Faggella s’oppose à celle du juriste allemand Von Ihering (Von Ihering, De la faute “in contrahendo” ou des dommages-intérêts dans les conventions nulles ou restées imparfaites, traduction Meulenaere, Œuvres choisies, t. II, Paris, 1893, p. 1 et s.). Selon ce dernier, manquer au devoir de diligence imposé lors de la période précontractuelle engendre une responsabilité de nature contractuelle car, en vérité, les parties essaient d’établir une relation contractuelle. Les négociations durant cette période n’existent qu’en vue de la conclusion d’un contrat. De ce fait, si elles sont rompues brutalement, il ne peut en découler qu’une responsabilité contractuelle et non délictuelle, car la période de négociation fait partie de la conclusion du contrat.  
 
Dans l’arrêt commenté, la Cour énumère les trois seules issues possibles de la période précontractuelle qui n’engendrent pas de responsabilité, selon Faggella : « Conclusion du contrat ; concrétisation et communication de l’offre élaborée ; ou désaccord, c’est-à-dire un échec », afin d’établir s’il y a eu ou non « violation de l’accord précontractuel », c'est-à-dire  « une rupture arbitraire et abusive des négociations » (l.193-196). Après examen, les juges estiment qu’avoir demandé la restitution du matériel par télégramme, ainsi qu’avoir communiqué verbalement la fin de la collaboration, prouvait la rupture des négociations par la Société. Ils énoncent ensuite que le fait que cette rupture soit intervenue après quelques années de relations commerciales, et sans aucun motif légitime, démontrait le caractère intempestif et abusif de la rupture. De ce fait, on ne se trouve dans aucune des trois issues légales possibles et la faute de la Société est bien caractérisée. La Cour rejette donc le motif de la défense, tendant à démontrer que la rupture était justifiée, à savoir l’embauche par M. Litvak des deux ex-salariés licenciés par l’agence de Buenos Aires.  
 
En droit français, P. Mousseron rappel une décision similaire de la Cour d’appel de Riom du 10 juin 1992 : « Si la liberté est de principe dans le domaine des relations précontractuelles, y compris la liberté de rompre à tout moment les pourparlers, il n’en est pas moins vrai que, lorsque ces derniers ont atteint en durée et en intensité un degré suffisant pour faire croire légitimement à une partie que l’autre est sur le point de conclure et, partant, pour l’inciter à certaines dépenses, la rupture est alors fautive, cause un préjudice et donne lieu à réparation » (P. Mousseron, op.cit., p. 262 ; dans le même sens : Com., 7 janvier 1997, nº94-21561 : « Mais attendu qu'après avoir retenu (…) que la Banque franco-allemande avait, sans explication (…) et sans motif légitime, rompu brutalement les pourparlers, la cour d'appel justifie ainsi légalement sa décision en déduisant de ces constatations que la banque franco-allemande a eu un comportement fautif»). 
 
Ainsi, en droit français et en droit argentin, la responsabilité délictuelle lors de la période précontractuelle est largement admise si une faute est caractérisée. En l’espèce, la faute était constituée par l’abus dans la rupture des pourparlers. La seconde question soulevée est celle du régime de la responsabilité précontractuelle et de l’étendu de l’indemnisation. 
 
II - Régime juridique de la responsabilité précontractuelle pour rupture des pourparlers
 
La responsabilité engendrée en cas de rupture abusive des pourparlers est délictuelle. Elle est fondée sur le non-respect de l’obligation de bonne foi qui s’impose aux parties lors des négociations (A). Le contrat n’ayant pas été conclu, son exécution forcée ne peut pas être demandée. De ce fait, seuls des dommages et intérêts peuvent être alloués à la victime d’une rupture abusive des pourparlers. Se pose alors la question de l’évaluation de l’indemnisation (B). 
 
A – Le fondement de la responsabilité précontractuelle : la bonne foi 
 
Le déroulement correct des pourparlers implique le respect de certains principes, tels que la loyauté, aujourd’hui assimilée à la bonne foi. Dans l’arrêt commenté, les juges n’ont pas relevé expressément un principe de bonne foi pour fonder la responsabilité précontractuelle. En effet, lorsque l’arrêt a été rendu, la bonne foi n’était pas encore reconnue en droit argentin, même pendant l’exécution du contrat. Le rédacteur du Code civil argentin de 1871 n’avait pas retranscrit intégralement, dans son article 1198, l’article 1134 du Code civil français, dont il s’était inspiré, en omettant justement la « bonne foi ». De ce fait, les tribunaux s’abstenaient d’appliquer ce principe dans leurs décisions. Néanmoins ce principe fût introduit dans cet article avec la réforme du Code civil par la Loi 17.711 du 22 avril 1968 : « Les contrats doivent être conclus, interprétés et exécutés de bonne foi en respectant la volonté des parties et en œuvrant avec précaution et prévision » (“Los contratos deben celebrarse, interpretarse y ejecutarse de buena fe y de acuerdo con lo que verosímilmente las partes entendieron o pudieron entender, obrando con cuidado y previsión”).
 
Aujourd’hui, le principe de bonne foi s’impose pendant la phase précontractuelle. La doctrine et la jurisprudence argentines l’admettent expressément (M. Cuiñas Rodriguez, « Responsabilidad precontractual: en la doctrina, jurisprudencia y proyectos de reforma », Las tesinas de Belgrano, 1995-C, p. 7: « la bonne foi devra apparaître dans toute alternative précontractuelle »). De même, en droit français, « aujourd’hui, la doctrine (…) tend à admettre, par induction, un véritable principe général de bonne foi, qui ne vaut plus simplement lors de l’exécution du contrat, mais commence à produire son effet dès la période des pourparlers, c’est-à dire avant toute conclusion » (P. Mousseron, op.cit., p. 243 et s.). Ce principe est également consacré par la jurisprudence: « le principe de la liberté de ne pas contracter qui inclut la liberté de rompre à tout moment les pourparlers trouve sa limite dans le devoir de bonne foi et de loyauté de chacun des interlocuteurs » (Com., 7 avril 1998, nº95-20361). 
 
La bonne foi précontractuelle correspond au respect d’autres principes : collaboration entre les parties, secret, conservation de la chose, information. Elle est ici interprétée objectivement, comme une règle de conduite exigeant que les parties aient un comportement honnête, correct et loyal (V. Monsalve Caballero, « A Approach legal history of culpa in contrahendo of preliminary negotiations », Revista Brasileira de Direito Constitucional, janv-juin 2011 nº17). 
 
Les principes UNIDROIT reconnaissent également ce principe : « Les parties sont tenues de se conformer aux exigences de la bonne foi dans le commerce international. Elles ne peuvent exclure cette obligation ni en limiter la portée » (Principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international 2010, Article 1.7). En revanche, la Common Law ne l’admet pas : « on ne peut pas admettre la bonne foi dans la négociation parce que les parties sont considérées comme étant des adversaires, la période précontractuelle est une période de combat, les parties s'affrontent » (Chambre des Lords, Waldorf v. Mills, 1992). Il existe toutefois un  devoir, en droit anglais, de négocier avec précaution (« duty to negociate with care »), qui permet d’allouer des dommages et intérêts à celui qui a subi un dommage pendant la période précontractuelle.  
 
En droit argentin et en droit français, les parties doivent donc agir de bonne foi non seulement pendant l’exécution du contrat, mais également lors des négociations préalables à celui-ci. Si les parties ne respectent pas ce principe, elles engagent leur responsabilité et sont dans l’obligation de réparer les dommages causés. 
 
B – L’évaluation des dommages et intérêts 
 
En vertu des règles de la responsabilité délictuelle, les dommages et intérêts doivent compenser tout le préjudice éprouvé par la victime. Son montant est évalué souverainement par les juges du fond, tant en droit français qu’en droit argentin. 
 
En l’espèce le demandeur fonde sa demande d’indemnisation sur quatre points (l.80-92 ; 325) : premièrement, les investissements et les dépenses qu’il a dû faire pour ouvrir la nouvelle agence, tels que l’avance d’une partie du capital devant être versé par la Société ; deuxièmement, l’indemnisation des salariés - deux des employés ayant assigné M. Litvak et l’agence de Salta pour obtenir indemnisation du fait de la cessation de l’activité de l’agence  ; troisièmement, le contrat de bail du local de l’agence - M. Litvak devant des loyers qu’il demande à la Société de régler ; et enfin, quatrièmement, le manque à gagner - Lucrum Cessens - c’est-à-dire le gain qu’il aurait pu obtenir si la Société n’avait pas décidé de tout arrêter. 
 
Le Tribunal de première instance accueille partiellement sa demande, en caractérisant les points 1 et 3 de « frais généraux nécessaires aux négociations » et en rejetant les points 2 et 4 : « Les indemnisations correspondant au licenciement des salariés ainsi qu’au manque à gagner ne rentrent pas dans les dépenses nécessaires aux pourparlers, pour cette raison le défendeur  n’a pas à supporter de telles dépenses » (l.216-218). M. Litvak interjette appel de la décision du Tribunal afin de contester le rejet de ces deux points. La Cour d’appel infirme partiellement la décision en admettant le point 2 dans les frais généraux : « L’offre représente pour le destinataire (…) une valeur juridique et économique qui comprend les dépenses et le travail apportés par celui-ci lors des négociations (..). Le paiement des salaires et des indemnités pour cause de licenciement des salariés employés par le demandeur doit être compris dans les frais généraux effectivement engagés lors des pourparlers » (l.336-339), mais elle rejette toujours le manque à gagner. 
 
L’évaluation des frais généraux engagés lors des pourparlers est facile car elle est basée sur la preuve d’un préjudice déjà réalisé, par exemple les fiches de paie des salariés, ou des documents comptables indiquant le montant des frais engagés. En revanche, le Tribunal de première instance et la Cour d’appel refusent d’admettre le gain manqué car il ne peut pas être prouvé et « ne rentre pas dans les frais liés à la période précontractuelle » (l.217) (Confirmé par Cour d’appel argentine, 2 mars 2010, "Bunker Diseños S.A. c/ IBM Argentina S.A. s/ ordinario” : « l’indemnisation doit se limiter aux frais réellement engagés lors des négociations, doivent ainsi être écartés les bénéfices qui auraient pu être obtenus si le contrat avait été conclu »). 
 
En droit français un arrêt de la Cour de cassation rendu en 2003 a statué de façon similaire : « les circonstances constitutives d’une faute commise dans l’exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers précontractuels ne sont pas la cause du préjudice consistant dans la perte d’une chance de réaliser les gains que permettait d’espérer la conclusion du contrat (…) la cour d'appel a décidé à bon droit qu'en l'absence d'accord ferme et définitif, le préjudice subi par la société Alain Manoukian n'incluait que les frais occasionnés par la négociation et les études préalables auxquelles elle avait fait procéder et non les gains qu'elle pouvait, en cas de conclusion du contrat, espérer tirer de l'exploitation du fonds de commerce ni même la perte d'une chance d'obtenir ces gains » (Com., 26 novembre 2003, nº00-10243).  
 
Nous pouvons ainsi conclure, pour le droit argentin comme pour le droit français, à l’ample reconnaissance de la période précontractuelle qui se caractérise par des négociations antérieures au futur contrat. La rupture abusive des pourparlers engendre une responsabilité précontractuelle de nature délictuelle, permettant à la victime de ladite rupture d’être indemnisée à hauteur du dommage subi. On écarte ainsi la théorie de la responsabilité contractuelle exposée par Von Ihering et on s’attache au respect de certains principes, tels que la bonne foi. 
 
BIBLIOGRAPHIE 
 
Textes légaux et jurisprudentiels : 
 
- Code civil français.
- Código civil argentino. 
- Com., 20 mars 1972, n°70-14154.
- Chambre des Lords, 1992, Waldorf v. Mills. 
- Com., 7 janvier 1997, nº94-21561.
- Com., 7 avril 1998, nº95-20361. 
- Com., 26 novembre 2003, nº00-10243. 
- CA argentine, com., 2 mars 2010, "Bunker Diseños S.A. c/ IBM Argentina S.A. s/ordinario”
 
Ouvrages généraux :
 
- Faggella Gabrielle, Dei periodi precontrattuali e della loro vera ed esatta costruizione scientifica, Studi giuridici in onore di Carlo Fadda, tome III, Luigi Pierro Tip. Editore, Naples, 1906.
- Gabriel STIGLITZ, Responsabilidad precontractual, Buenos Aires, Abeledo Perrot, 1992.
- Von Ihering, De la faute “in contrahendo” ou des dommages-intérêts dans les conventions nulles ou restées imparfaites, traduction Meulenaere, Œuvres choisies, t.II, Paris, 1893, p.1 et s.
 
Articles : 
 
- G. Clusellas, « La responsabilidad precontractual y su reconocimiento », La Ley, Août 2010, p.1.
- H. BARCHA, « Les obligations naissant des pourparlers », Juriscope, 2001, p. 12.
- L. Cantarelli, « Daño al interés negativo », Las tesinas de Belgrano, septembre 2004 n°152, p.8. 
- M. Cuiñas Rodriguez, « Responsabilidad precontractual: en la doctrina, jurisprudencia y proyectos de reforma », Las tesinas de Belgrano, 1995-C, p.7.
- Principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international, 2010. 
- P. Mousseron, « Conduite des négociations contractuelles et responsabilité civile délictuelle », RTDcom., 1998, pp. 243 et s. - Saleilles, « De la responsabilité pré-contractuelle », RTDciv., 1907, p.702.
- V. Monsalve Caballero, « A Approach legal history of culpa in contrahendo of preliminary negotiations », Revista Brasileira de Direito Constitucional, janv-juin 2011 nº17.