La fin du contrat de travail « at will » et le licenciement pour cause réelle et sérieuse. Par Laureen Wood
Si le droit du travail français est connu pour sa rigidité, le droit américain est quant à lui très souple en matière de contrat de travail. Ainsi, l’observation de la rupture de ce type de contrat illustre ces disparités légales. Si du côté américain le contrat peut se terminer sans motif ni procédure préalable, le droit français règlemente chaque étape scrupuleusement.
En ce qui concerne la réglementation de la fin du contrat de travail, les Etats-Unis ont des règles bien plus flexibles que la France ou même qu’une grande partie de la communauté internationale. En matière de rupture de contrat de travail à durée indéterminée, contrairement au droit français qui est particulièrement réglementé, le principe en droit américain est que celui-ci peut être terminé sans motif, « at will », aussi bien par l’employeur que l’employé. Dans l’arrêt commenté ci-dessous (Adair v. United States, 1908, 208 U.S.161), le raisonnement de la Cour suprême des Etats-Unis est particulièrement intéressant. En effet, les juges se fondent sur le principe constitutionnel énoncé par les 5ème et 14ème amendements de la Constitution américaine pour justifier le choix fait par l’agent d’une société des chemins de fers de licencier un employé à cause de son appartenance à une organisation syndicale. Les 5ème et 14ème amendements de la Constitution américaine disposent que: « Nul ne pourra être privé de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière. » Si les dispositions de ces deux amendements sont similaires, elles n’ont pas le même rôle, le 5ème amendement régissant le droit au niveau étatique et le 14ème au niveau fédéral. Dans l’arrêt Adair v. U.S, la Cour suprême devait examiner la constitutionalité d’une loi du 1er juin 1898 relative aux relations entre les transporteurs exerçant un commerce interétatique et leurs employés (55 Cong. Ch. 370, June 1, 1898, 30 Stat. 424). En se fondant sur l’article 10 de cette loi qui disposait « Est reconnu avoir commis une infraction pénale l’employeur qui (…) menace de licencier ou qui fait preuve de discrimination à l’égard d’un employé du fait de son affiliation à une organisation, association ou groupe syndical », la Cour du District Est du Kentucky (District Court of the United States for the Eastern District of Kentucky) avait reconnu le défendeur Adair coupable de la commission d’une infraction pénale pour avoir licencié l’employé O.B Coppage du fait de son appartenance à l’ordre des « conducteurs de locomotive». Dans son jugement la Cour du District Est du Kentucky avait conclu que l’article 10 était constitutionnel.
Il était reproché à M. Adair, employé comme mécanicien principal au sein de la « Louisville& Nashville railroad Company » (« Compagnie des chemins de fers de Louisville et Nashville »), d’avoir, dans l‘exercice de ses fonctions, licencié M. Coppage parce qu’il était membre d’une organisation syndicale et d’avoir par conséquent violé l’article 10 de la loi du 1 er juin 1898.
La Cour suprême avait alors été saisie pour apprécier la constitutionnalité des dispositions de l’article 10 et avait cassé la décision de la cour inferieure, en estimant que les dispositions violaient la Constitution américaine et que cette violation ne pouvait pas être justifiée par le pouvoir conféré par le Congrès par l’article 1 alinéa 8 de la Constitution de réguler le commerce interétatique (ce 8ème alinéa, autrement appelé « elastic commerce clause » est généralement apprécié très largement par les cours). En invoquant les dispositions des 5ème et 14ème amendements de la Constitution, la Cour suprême justifiait le principe jurisprudentiel qu’en l’absence de termes contractuels contraires et à condition que l’intérêt public n’ait pas été violé (c'est-à-dire, que l’employé ait été licencié parce qu’il refusait de violer l’ordre public), les parties peuvent librement créer et mettre fin à une relation contractuelle quelle que soit sa nature (contrat de travail, de consommation…). Dans sa décision, la Cour suprême a conclu qu’une loi ne peut pas interdire à un employeur de licencier un employé pour son affiliation à une organisation syndicale ou de subordonner l’obtention d’un emploi au fait que le futur employé s’engage à ne pas devenir membre d’un syndicat car ceci violerait alors sa liberté de contracter. Toujours en se fondant sur les deux amendements précédents, la Cour suprême a déclaré que l’article 10 de la loi du 1er juin 1898 n’était pas constitutionnel et que le jugement de la Cour inférieure devait être cassé. La Cour suprême place ainsi dans cet arrêt la liberté de contracter et de mettre fin à un contrat, au-dessus du principe de liberté d’association. Cet arrêt a fait l’objet d’un revirement de jurisprudence notamment dans l’arrêt Phelps v. National Relation Board, 313 U.S. 177, rendu par la Cour suprême des Etats- Unis en 1941, qui, en plus de reconnaitre que la décision rendue dans l’arrêt Adair n’est plus d’actualité, reconnait qu’en vertu de la Loi relative aux relations de travail de 1935 (« National Labor Relation Act »), un employeur ne peut pas non plus discriminer, au moment de l’embauche, à l’encontre d’un candidat du fait de son affiliation à un syndicat. Si les juges en rendant la décision Phelps sont catégoriques sur le fait que l’appartenance à un syndicat ne doit pas entrainer une discrimination à l’embauche ou une rupture de contrat de travail, le principe de rupture de contrat « at will » n’est pas remis en cause. En effet, les juges dans l’arrêt Phelps font également référence à la fin du contrat « at will ». La rupture « at will » permet aux parties au contrat de mettre fin au contrat de travail sans motif ni cause. De plus, aucune disposition législative ne prévoit une procédure à suivre en cas de rupture de contrat. Ce principe défini par l’arrêt Adair et justifié par les juges comme étant l’expression la plus naturelle du principe que « nul ne peut être privé de la liberté de contracter ni se voir empêcher du droit à la propriété » connait tout de même de tempéraments. En effet, si il est possible aussi bien pour l’employeur que pour l’employé de mettre fin au contrat de travail sans motiver sa décision, contrairement au droit français (Article L122-14-3 du Code du Travail), il existe des exceptions aussi bien jurisprudentielles que légales. Au moment où le jugement en faveur de M. Adair a été rendu, les juges reconnaissaient semble-t-il deux exceptions et avaient créé un standard assez stricte (la violation de la liberté de s’organiser en syndicat n’était pas vue comme une menace à l’intérêt public). Ces deux standards étaient donc la « menace de l’intérêt public » ou les stipulations contractuelles. Ainsi, le droit américain, qui donne déjà une grande liberté aux parties pour rompre leur contrat, leur donne aussi une grande liberté pour l’aménager. Sur ce point les cours sont formelles que ce soit le juge Harlan dans la présente décision ou le juge Frankfurter dans la décision Phelps, lorsque les parties ont prévu une certaine procédure de rupture de contrat celle-ci fait office de loi. Il faut du moins noter qu’aux Etats-Unis peu de contrats seront entièrement écrits. Les contrats écrits contenant des clauses régulant la fin du contrat concernent les contrats de personnes à des postes importants. C’est pourquoi lorsqu’il s’agit de prouver qu’un contrat avait un durée déterminée et qu’il ne pouvait pas être terminé sans motifs, la plupart des Etats acceptent comme élément de preuve mais avec beaucoup de précaution les règlements intérieurs des entreprises (voir par exemple Duldulao v. Saint Mary of Nazareth Hospital Center 115 Ill.2d 482 (1987)). La liberté contractuelle reconnue par la justice américaine, et ce quel que soit le sujet du contrat est à mettre en comparaison avec les dispositions du droit français qui encadrent et régissent les ruptures des contrats de travail, qu’ils soient à durée déterminée ou indéterminée. En effet, les dispositions actuelles du droit français établissent tout d’abord qu’en matière de contrat à durée indéterminée il appartient aux juges de vérifier que le licenciement n’a pas été effectué sans cause réelle et sérieuse (Article L122-14-3 du Code du Travail). De plus, toute une procédure de licenciement est décrite aux articles suivants (le Code distingue entre licenciement pour motif personnel ou économique): convocation par l’employeur de l’employé sujet à un possible licenciement à un entretien préalable, exposé des motifs, notification du licenciement, préavis, délai-congé et indemnités ou bien préavis de l’employé rompant son contrat à durée indéterminée… La loi française en matière sociale régule énormément la question de la rupture du contrat de travail. Elle a souvent été qualifiée de rigide, surtout en comparaison de la grande liberté contractuelle établie outre-Atlantique. Mais ces deux droits ont tous les deux évolué et il serait réducteur de ne pas étudier les différents aménagements qu’ils ont subis. Ainsi, aux Etats-Unis, même si le principe de rupture « at will » n’est pas remis en cause, de nombreux aménagements légaux (en plus du fait que les parties peuvent prévoir entre elles des aménagements contractuels) et jurisprudentiels sont apparus.
Tout d’abord, en matière jurisprudentielle, comme il a été remarqué auparavant dans l’arrêt Adair, la Cour suprême reconnaissait l’existence de deux exceptions jurisprudentielles. Les cours ont depuis reconnu deux autres exceptions majeures (la loi n’est cependant pas uniforme parmi les Etats):
• la théorie de l’ « implied contract » (contrat implicite), développée notamment dans l’arrêt Foley v. Interactive Data Corp. 47 Cal. 3d at 654 (1988), établit qu’un employé qui pense légitimement suite à une expression orale ou écrite qu’il ne sera pas licencié sans motif, ne peut pas se voir licencier sans cause s’il a correctement exercé son contrat. • La théorie du « good faith and fair dealing » (relations commerciale exécutées de bonne foi et de façon juste) développée dans l’arrêt K-Mart Corporation v. Ponsock, 103 Nev. 39, (1987), qui établit qu’un licenciement ne peux pas se faire sans motif ou du moins ne peut pas être totalement injuste de par le fait de l’existence d’une obligation contractuelle d’exercer une obligation de bonne foi (par exemple ne pas licencier un employé de longue date pour la survenance d'un événement mineur et n’ayant pas créé de réel dommage pour éviter de devoir lui payer une pension de retraite). En matière législative, il a déjà été conclu que l’arrêt Phelps reconnait la légalité des dispositions contenues dans « National Labour Relation Act», la loi relative aux relation de travail, régulant les accords collectifs et protégeant la liberté d’association, et que par conséquent les employeurs ne peuvent plus licencier leurs employés du fait de leur appartenance à un syndicat mais ne peuvent pas non plus discriminer à l’encontre des membres d’une telle organisation au moment de l’embauche. De plus, d’autres lois fédérales sont venues peu à peu limiter le principe. Ainsi, il est interdit de discriminer sur la base de la race, du sexe ou de la religion (« Civil Rights Act » de 1964, loi relative aux droits civils), de l’âge (« Age Discrimination in Employment Act » de 1967, loi sur les discriminations à l’emploi liées à l’âge), des capacités ou incapacités physiques (« Americans with Disabilities in Employment Act » de 1990, loi pour l’emploi d’américains avec des handicaps), ou encore sur le fait que les employés ont informé les autorités fédérales d’une violation d’une loi commise par leurs entreprises (disposition de la loi Sarbanes-Oxley votée en 2002 suite au scandale d’Enron et particulièrement adaptée pour combattre la criminalité des « cols blancs »). Au niveau étatique, très peu de lois dérogent au principe de la rupture sans motifs. Cependant dans l’Etat du Montana, le Commonwealth de Porto Rico et les Iles Vierges il est légalement requis que les licenciements soient justifiés par une cause « juste » (good cause) et les employés injustement licenciés peuvent se voir octroyer des dommages et intérêts. (Voir respectivement : MT ST 39-2-901, 29 L.P.R.A §185b et VI STT.24§76(a) et (b)). En ce qui concerne le Montana le principe de licenciement sans motif est toujours la norme pour les employés en période d’essai (MT ST 39-2-904). Le Code du travail français a quant à lui récemment été réformé par l’ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, ratifiée par la Loi n° 2008-67 du 21 janvier 2008. Si les articles du Code du travail ont été renumérotés et réécrits (la nouvelle partie législative devrait entrer en vigueur le 1er mai 2008), la loi française continue d’encadrer grandement la rupture du contrat de travail. L’article L-1231-1 dispose ainsi que « tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle», et la procédure de licenciement a été préservée dans les autres articles du Chapitre II sur le licenciement pour motif personnel (Articles L 1232-2 ; 1232-3 et L1232-6). En 2005, à l’initiative du Premier Ministre d’alors M. Dominique de Villepin, le Contrat Nouvelle Embauche(CNE) a été introduit. Les dispositions régulant ce contrat de travail à durée indéterminée destiné aux petites et moyennes entreprises de moins de 20 personnes prévoyaient que pendant une période n’excédant pas deux ans il était possible aussi bien pour l’employeur que pour l’employé de mettre fin au contrat de travail sans motiver cette décision. Les dispositions prévoyaient aussi qu’en cas de rupture par l’employeur une indemnité de 8% sur la totalité de la rémunération perçue par l’employé devait lui être versée. L’ordonnance 2005-893 du 2 août 2005 mettant en oeuvre le CNE introduisait une plus grande flexibilité pour ce qui était de la rupture de contrat mais était aussi une grande exception au principe de licenciement pour cause réelle et sérieuse énoncé à l’article L122-14-3 du Code du travail. Apres avoir été « condamné» judiciairement (par une décision prud’homale du 28 avril 2006 confirmée par la Cour d’Appel de Paris le 6 juillet 2007, mais aussi par une décision du 14 novembre 2007 rendue par l’Organisation Internationale du Travail qui a jugé la possibilité de rupture sans motif contraire à l’article 4 de la Convention 158 de l’OIT qui dispose qu’ « un travailleur ne devra pas être licencié sans qu’il existe un motif valable de licenciement lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur la nécessité du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service»), l’accord sur le projet de loi de modernisation sociale signé le 21 janvier dernier entre les membres du gouvernement et les organisations sociales prévoit dans son Article 9 de mettre fin au CNE en convertissant tous les CNE existants en CDI ordinaires. Ainsi, au jour d’aujourd’hui s’il est reconnu et demandé autant du côté des organisations patronales que syndicales une plus grande flexibilité en matière de contrat de travail dans le droit français, il ne semble pas que le législateur français adopte l’approche américaine en matière de rupture de contrat de travail. L’exemple du CNE prouve que, si le législateur français veut respecter le droit international, le licenciement sans motif n’est pas une option envisageable (les Etats-Unis n’ont par ailleurs pas ratifié la Convention 158 de l’OIT). Il faut aussi garder à l’esprit que la rupture de contrat de travail sans motif est une approche minoritaire, qui, comme nous l’avons vu, est contestée en pratique mais aussi en théorie aux Etats- Unis. La Conférence Nationale en charge d’uniformiser le droit a en effet essayé d’introduire dans la Loi- Modèle relative à la rupture du contrat de travail de 1991 (Model Employment Termination Act), l’obligation pour un employeur de plus de 5 employés de motiver le licenciement d’un de ses employés si celui-ci a travaillé en moyenne 20 heures par semaine pendant au moins 26 semaines durant l’année précédent le licenciement. Cependant, il ne semble pas qu’a ce jour, la loi Modèle ait été adoptée par un seul Etat américain et le principe de rupture « at will » est toujours d’actualité; il a ainsi été confirmé dans l’arrêt « Andrews v. Louisville & N.R.Co » rendu par la Cour suprême des Etats-Unis en 1972, 406 U.S. 320, 92 S.Ct. 1562.