LA COMPETENCE DES AUTORITES COMMUNAUTAIRES POUR UNIFIER OU HARMONISER LE DROIT DES CONTRATS, par Lucie LORENZINI

La création d’un code civil européen est une question des plus débattues. Celle-ci suppose résolu le problème, non évident, de la compétence. Quelle autorité ou institution aura compétence pour élaborer ce corps de règles communes à tous les Etats membres?

Comment réaliser ce qui semble être la quadrature du cercle : l’unité dans la diversité et la pluralité ? Il faut, pour percer cette voie, se livrer à une analyse sémantique : Unification ou Harmonisation ? Suivant Mr A. Jeammaud (Unification, Uniformisation, harmonisation : Vers un Code Européen de la consommation, Bruyant, Bruxelles, 1998, p.35.), l’unification consiste, en un droit unique qui se substitue aux divers droits existants. Plus léger est, en revanche, le mécanisme de l’harmonisation qui préserve, le plus, les diversités législatives puisqu’il vise à une « équivalence des coûts et avantages socio-économiques, ou des situations juridiques ».

Quel modèle, entre unification et harmonisation, pour un code civil Européen ? La réponse à cette question ne peut être univoque.

A quel niveau, en Europe, l’unification sera possible et quelle sera la part des diversités nationales ?
L'harmonisation soulève aussi des problèmes puisqu'il existe des différences de fond entre les conceptions juridiques des différents Etats membres (culture civiliste et Common Law).

D’autre part, le législateur communautaire ne peut agir que dans le cadre des dispositions prévues par le Traité. Liées par le principe de spécialité, les institutions communautaires ne peuvent intervenir que dans les limites des compétences qui leurs sont conférés et des objectifs qui leurs sont assignés par le Traité (Article 5 alinéa 1 TCE.).

Sur cette base, la Communauté Européenne possède t-elle une légitimité démocratique dans l’harmonisation ou l’unification du droit des contrats ?

Le problème, qui afflige les partisans du code civil européen, est celui de l’existence d’une norme dans le Traité de la Communauté Européenne (TCE), à laquelle une réglementation supranationale de droit privé pourrait être rattachée.

Cependant, reconnaître la compétence de la Communauté Européenne(CE) pour codifier le droit privé, influerait, en même temps, sur des équilibres délicats ; comme le rapport entre les compétences de l’Union et des Etats membres, lequel touche inévitablement la controverse du principe de subsidiarité ( Antoniolli Deflorian, « La struttura istituzionale del nuovo diritto comune europeo : competizione e circolazione dei modelli guiridici, Trento, 1996, p.65 et suiv.).

Le développement qui suivra, rendra compte du débat actuel concernant le défaut de base juridique (I) ; tout en mettant en lumière la façon dont la Communauté « se créée » une compétence détournée, à laquelle les Etats ne restent pas sans recours (II).

I) Les bases juridiques envisageables :

Si, a priori, il n’y a pas de fondement juridique (a), certains auteurs ont tenté d’en trouver un, sur la base des articles 94/95, 308 voir 293 TCE (b).

A) A priori pas de fondement juridique…

1)Principe de subsidiarité : article 5TCE (ex article 3B)

L’article 5 établit une subdivision entre compétences exclusives de la Communauté et compétences partagées.

Il est peu probable que l’harmonisation du droit civil entre dans les « compétences exclusives » de la Communauté (U. Drobnig , “Scope and general rule of a European Civil Code”, in European Review of Private Law, 1998, P. 492.). Cette question a été l’objet d’un sérieux débat (I.E. Schwartz , EG-Kompetenzen für den Binnenmarkt : Exklusiv oder konjurrend/subsidiary?, p1., Bonn, 1995.), à l’intérieur duquel, même les auteurs favorables à la codification européenne ont donné une réponse négative (W. Van Gerven, « Coherence of Community and national laws. Is there a legal basis for a European Civil Code? , in European Review of Private Law, 1997, p. 201.). Le pouvoir de codification glisserait, alors, dans le domaine des compétences partagées.

Selon l’article 5 : si les objectifs de l’action envisagée « ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres » ils « peuvent être mieux réalisés au niveau communautaire» (Antoniolli Deflorian, « La struttura istituzionale del nuovo diritto comune europeo : competezione e circolazione dei modelli guiridici »,cit, p.83 ).

Or, vérifier que cette action communautaire a été essentielle pour la réalisation des objectifs déterminés, est un «jugement qui ne peut être que discrétionnaire et opportun, à caractère typiquement politique» (ID., « La struttura istitutionale del nuovo diritto comune europeo : competizione e circolazione dei modelli guiridici, giuffrè, 2003, p.98.).

Le principe de subsidiarité ne comprend pas seulement le concept de subsidiarité au sens strict, entendu comme« qui doit exercer le pouvoir », mais aussi le principe de proportionnalité, relatif à la « façon » dont ce pouvoir doit être exercé.

La question dans la Communication de 2001 (Bruxelles, 11.07.2001, COM (2001) 398 final.), a été de savoir si la codification européenne pouvait être efficace du point de vue des coûts de transaction.

Or, le critère des coûts de transaction ne s’est pas démontré comme un paramètre facilement vérifiable. Des études spécifiques ont mis en doute la concrète possibilité de mesurer la correspondance entre codification européenne et diminution des coûts de transaction (S. Grundmann, W.Kerber, European System of Contract Laws, A Map Communication the Advantages of Centralized and decentralized Rule-making, in Communication from the Commission on European Contract Law - Harmonisation, Code, Optinal Code- Leuven, 30 Nov.- 1 déc.2001, p.16.; et G. Wagner, the economics Of harmonisation : the case of contract Law, in Common Market Law review, 2002, p.1014.).

2)Rapport entre Constitution Européenne et projet de codification d’un code civil européen

Les effets globaux du projet constitutionnel, sur la codification européenne, sont difficiles à prévoir. Certains ont vu, dans le texte constitutionnel, un mandat politique pour le processus de la codification européenne (U. Mattei, Basic First Please! A critique of Some recent priorities shown by the commission’s action plan, et A. Hartkamp, M. Hesselink, E. Hondius e M. Veldmann, Towards a European Civil Code, Nijmegen, 2004, p302.) ; alors que d’autres, ont affirmé que cela serait extrêmement difficile, notamment, à cause du partage des compétences entre Union et Etats membres ( Zeno-Zencovich, Vardi, The constitutional basis of a European Private Law, in Towards a European Civil Code, Nijmegen, 2004, p.213.).

La rédaction de la Constitution Européenne marque le passage d’une Europe ayant des objectifs purement économiques à une Europe sociale, lequel oblige à un changement des buts et des valeurs, qui pourront constituer le futur contenu du droit européen des contrats.

B) …même sur la base des articles 94/95, 308 et 293 TCE 1) Articles 94, 95 et 65 TCE :

Avec l’entrée en vigueur du traité de Maastricht, les articles 94 et 95 ont été très critiqués. On retenait, en effet, que l’article 95 (ex art.100A) et l’article 94 (ex art.100) se posaient en position d’exclusivité réciproque, avec une prévalence de l’article 95 sur l’article 94 TCE car sur un plan formel, l’expression « les mesures » de l’article 95, couvre tous les types d’actes communautaires alors que l’article 94 n’envisage que « les directives ». Enfin, la référence à l’incidence directe a disparu de l’article 95.

Un tel rapport entre les deux normes a eu des effets sur la problématique de la compétence de la CE à codifier le droit civil.

L’article 95 avait été retenu comme base normative pour harmoniser les seules normes du code civil dont la ratio soit directe à éviter des distorsions de concurrence ou à garantir la protection des consommateurs (Van Gerven, cit, Coherence of community and national laws. Is there a legal basis for a European civil code? , in European Review of Private Law, 1997, p.467.).

L’avancée de la CE a porté avec elle l’introduction de nouvelles normes dans le Traité dont les articles 61 et 65. Ceux-ci prévoient l’adoption de mesures relatives au secteur de la coopération judiciaire en matière civile, par l’Union Européenne (UE). Ces pouvoirs ont été transférés, du « troisième pilier » de l’UE, au « premier pilier », avec le traité d’Amsterdam.

Fonder une base normative sur les articles 61 et 65 est critiquable. Tout d’abord, l’extension de la ratio de ces articles, au droit substantiel est encore incertaine ( Selon Basedow, la définition "mesures dans le domaine du secteur de la coopération judiciaire en matière civile" concerne des règles réglementant des cas d'espèces qui intéressent au moins deux États membres différents, il en résulte nécessairement que les "implications transfrontalière", aux sens de l'article 65, concernent seulement les règles de droit international privé. Le droit substantiel contenu dans les codes nationaux serait ainsi étranger à la ratio de la norme, puisqu’elle consiste à discipliner des cas d'espèces domestiques des États en question. Enfin, ces normes sont destinées à réfléchir principalement sur des procès civil de droit international privé, relatifs seulement à certains rapports substantiels. Il en résulte que cette limitation exclurait le recours à de telles règles pour une action générale d'unification, uniformatisation ou harmonisation du droit privé : M. Marletta, Dirotto contrattuale europeo e « Base giuridica », in Merli, M.R. Maugeri, L’armonizzazione del diritto privato Europeo, Milan, 2004, p.141.). Ensuite, entre les mesures à adopter, il n’apparaît pas y avoir de place pour une législation uniforme du droit privé ( J. Basedow, Codification of private law in the European union. The making of a Hybrid, discours d’inauguration présenté à l’Erasmus university of Rotterdam, 9 Mai 2000, p.12. Voir également: Van Gerven, Coherence of community and national laws, cit, p.469.) . Enfin, l’article 65 ne semble viser que les mesures de procédure civile et les règles de droit international privé. Ainsi, il faudrait interpréter le texte « très » largement, pour agir sur cette base.

De plus, selon l’article 65, il a été attribué aux réglementations nationales, un rôle important dans le fonctionnement du Marché intérieur, lequel, peut être entravé par la présence de normes divergentes, de droit International (Article 65 b) TCE) et de procédure civile (Article 65 c) TCE), au sein des Etats membres. Le Traité d’Amsterdam aurait donc identifié les différentes normes pouvant entraver le « fonctionnement » du Marché intérieur, concept qui constitue aussi le cœur de l’article 95.

Utilisant cette interprétation, l'article 65 a permis de fonder une éventuelle base normative dans l’article 95 qui, a été considéré, par la doctrine et le Parlement, comme étant le plus approprié pour la création d’un code civil européen, mais limité au domaine des contrats.

Récemment, une série de critiques a été avancé par la doctrine, après l’arrêt Tabacco du 5 décembre 2000 (CJCE, arrêt « Tabacco » 5 Décembre 2000 : Gosaldo Bonor, L’arrêt Tabac ou l’apport de la Cour de justice au débat sur la délimitation des compétences. Note sous CJCE 5 octobre 2000, RTD Eur (2001) (4) pages : 785-808), où la Cour a considéré que, s’il n’a pas été démontré, concrètement, la présence d’une limitation effective de l’exercice des libertés économiques fondamentales ou des distorsions de la Concurrence, alors, l’article 95 n’est pas une base normative suffisante pour la création d’un code civil européen des contrats.

2) Article 293 TCE (Ex art. 222 CE): création de Convention

Les Etats membres sont tenus d’entrer en négociation pour conclure des conventions internationales (dites« conventions communautaires ») dans des matières mentionnées par l’articles 293. Cette norme permet aux Etats d’intervenir dans des secteurs où la Communauté n’a pas exercé sa propre compétence partagée.

Mais, l’harmonisation du droit civil ne fait pas partie de ces secteurs, et il n’y a pas de consensus, en doctrine, autour d’un possible recours à l’article 293 pour conclure des conventions, en l’absence d’une base normative.

Enfin, l’expérience montre qu’aucune législation « Européenne » ne peut être effective si son application est laissée aux cours nationales, sans l’intervention unificatrice d’un organe judiciaire unique.

3) La nature résiduelle de l’article 308 TCE

Cette norme n’est pas retenu applicable si, dans le Traité, il existe une norme plus spécifique pour fonder une action de codification. L’article 95 a, donc, conduit certains auteurs à exclure l’article 308.

A son tour, la jurisprudence de la Cour de Justice en a peu à peu limité la fonction, pour ensuite, définitivement exclure la création d’un tel Code, en établissant que l’imposition de modification, dans le droit interne des Etats membres, avait une portée constitutionnelle qui excédait les limites de l’article 308.

Enfin, il faut que cette codification tienne compte, que la CE est une structure «poli-étatique», et que l’individualisation d’une norme, attribuant une compétence à la CE, portera aussi le choix d’une procédure correspondante.

L’article 308 prévoit que le Conseil prend des dispositions appropriées, en statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen. Ainsi, l’actuel manque de consentement de tous les Etats membres, sur la codification Européenne, a démontré que l’article 308 n’est qu’une base normative virtuelle.

La CE semble, donc, ne pas être compétente pour créer un code européen des contrats. Une impasse se dessine car, un droit privé européen ne peut être envisagé en l’absence de base juridique. Or, il n’y en a pas. Faut-il en conclure que notre discussion n’a plus d’objet? La réponse est négative.

II- Une compétence « détournée » pouvant être sanctionnée?

La Commission a, quand même, lancé le processus politique vers la création d’un droit européen des contrats (D. STAUDENMAYER, Intervento a Secola, Communication from the Commission on Européean Contract Law (Harmonisation, Code, Optional Code), Leuven, 30 novembre- 1 décembre 2001.) (a), mais, cet élargissement de compétence ne reste pas sans recours(b).

A) Moyens mis à la disposition de la Commission européenne pour parvenir à cette «Unification ou Harmonisation»

Plus d’un auteur a lu le contenu des communications comme une tentative, de la part de la Commission, d’éviter le problème de la base normative (Opinion de Drexl, Continuing Contract Law Harmonisation under the White Paper of 1985 ? – Between Minimum Harmonisation, Mutual Recognition, Conflict of Law, And Uniform Law, in AA. VV., An Academic Green Paper on European Contract Law, cit., p. 105. Dans le meme sens: S. WEATHERILL, Reflections on the EC’s Competence to develop a “European Contract Law”, in European Review of Private Law, 2005, p.415 et suiv. Selon Wilhelmson dans la première communication (Juillet 2001) la Commission aurait préféré ne pas affronter la question de la Compétence parce que le problème de la base juridique, en particulier après le prononcer de la décision « Tabacco », présente un manque de clarté et est source de difficultés.), ou de ne pas considérer la compétence comme un obstacle (Antoniolli Deflorian, Codificazione del diritto dei contratti, Intervento al seminario « Quale diritto Europeo dei contratti ? » cit.).

1) L’Autorité Communautaire intervient dans le domaine du droit des contrats, pas seulement pour valider l’acquis communautaire, mais pour aller au delà.

L'amélioration de «l'acquis» a pour principe de ne jamais remettre en cause les dispositions législatives mais de les améliorer ou de les dépasser.

Dans la communication de 2003 ( Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil - Un droit européen des contrats plus cohérent - Un plan d'action COM(2003) 68 final – JOCE 2003, n°C 63/01.), la Commission précise (point 77 ) que «la codification et la refonte des instruments existants devra être envisagée, dans un souci de transparence et de clarté». On peut donc se demander si en s'assurant de «la cohérence de l'acquis communautaire dans le domaine du droit des contrats», la Commission ne chercherait pas à justifier l'adoption d'un code en éludant la question de sa compétence.

2) Extension des compétences par l'exercice du pouvoir d'initiative de la Commission

Celle-ci dispose du monopole du droit d'initiative législative notamment, dans le domaine du marché intérieur (article 95). Mais est-elle tenue de rester dans les strictes compétences communautaires lorsqu'elle émet une proposition?

La CJCE a reconnu à la Commission un pouvoir général d'initiative (Arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes du 26 février 1976 : « arrêt Sadam ».). Elle peut donc faire des propositions au Parlement en matière d'unification du droit privé européen.

3) Parlement et Conseil peuvent-ils statuer sur la question de savoir, si le domaine des contrats entre dans le champ de compétence de la CE?

Le Parlement rend un avis sur les propositions législatives de la Commission, après en avoir évalué la base juridique. C'est donc au Parlement et non à la Commission qu'il revient de se préoccuper de la question de la compétence des institutions communautaires. La proposition sera ensuite soumise à une procédure d'adoption par le Conseil (art. 251TCE).

Ainsi, si Parlement et Conseil ont la volonté politique d'unifier le droit européen des contrats, alors ils adopteront le texte proposé. Il existe néanmoins des recours si les autres acteurs de la Communauté Européenne estiment que ces organes ont outrepassé leurs pouvoirs.

La plupart de ces moyens détournés sont susceptibles de fonder une compétence, si la volonté politique de la CE se renforce. Elle agirait, alors, en dehors de l'avis des Etats membres, qui n'ont pas, strictement délégué leur compétence en matière de droit privé des contrats. Il s'agit alors de savoir s’il existe des sanctions à cette action.

B) Quels sont les recours envisageables dans le cas où la Communauté outrepasserait ses compétences?

1) Recours en annulation contre les institutions communautaires

Il s’agit des cas où les institutions ont adopté des actes contraires au droit communautaire (annulation: article 230).

Les recours peuvent, alors, être introduits par les États membres, les institutions elles-mêmes et toute personne physique ou morale lorsqu'il s'agit d'une décision dont elle est la destinataire. La Cour annulera l'acte illégal auquel cas l'institution fautive sera tenue de prendre des mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour (article 233).

Enfin, les voies de recours en annulation ouvertes aux particuliers, sont très complexes et difficilement envisageables.

2) Recours en indemnité pour réparation des dommages causés par les institutions ou leurs agents (article 288) :

La responsabilité personnelle des agents envers la Communauté est réglée par les dispositions fixant leur statut ou le régime qui leur est applicable.

En matière de responsabilité non contractuelle, la Communauté doit réparer les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l'exercice de leurs fonctions. La Cour de justice sera alors compétente (Art.235).

A l’heure actuelle, il est fort probable que la CE arrive à avancer de façon «masquée» sur le terrain de l’harmonisation, mais il semble excessif de dire, de manière certaine, qu’elle puisse parvenir à une unification au sens strict.

Ce qui est sure c’est que « les querelles sur l'absence de base juridique pour un code civil Européen sont stériles. La volonté politique de progresser dans cette voie est incontestable et des propositions concrètes sont attendues pour régler la question de la base juridique.» (Prieto).