La peine de mort en droit international et européen : une abolition aux contours imprécis par Emilie GUILLEMINAULT

Si la question de la peine de mort fait débat depuis l’Antiquité, son abolition est aujourd’hui désirée par une grande part de l’opinion publique européenne et mondiale. Cette tendance est renforcée par l’émergence des droits de l’Homme. Les systèmes international et européen de protection des droits de l’Homme ont évolués de manière importante depuis leur création. Les textes originaires ont ainsi été progressivement amendés par différents protocoles. L’action des organes de contrôle a été primordiale. Certains arrêts européens (Soering c/ Royaume-Uni de 1989 et Öcalan c/ Turquie de 2005) et certaines décisions internationales (CDH, Kindler c/ Canada en particulier) constituent en effet les bases de cette évolution.

La question de la peine de mort n’est pas récente. Depuis l’Antiquité et au fil de l’histoire la perception et l’acceptation de cette peine ont évolué (J.M. CARBASSE, La peine de mort, PUF, 2000). Aujourd’hui, elle fait toujours l’objet de nombreux débats dans le monde et sa remise en question face à l’ascension des droits de l’Homme se fait de plus en plus pressente. Cependant l’équilibre entre la satisfaction de la majorité actuelle de l’opinion publique et les possibilités d’actions des Etats par le droit international et les droits régionaux est difficile à atteindre. Le pouvoir des Etats de recourir à une telle condamnation reflète l’expression de leur souveraineté. Il est pour certains ancré dans la législation interne. Trouver un juste milieu entre ses pouvoirs et la nécessité de s’adapter aux mutations du droit et des mœurs est aujourd’hui un défi parfois difficile à relever. La présentation des différents textes internationaux et régionaux traitant de la peine capitale, ainsi que des avancées jurisprudentielles en la matière permettent de mettre en évidence les limites actuelles de la lutte pour l’abolition de la peine de mort dans le monde.

I- Une abolition conventionnelle limitée

Face à la peine capitale la réaction des différents pactes internationaux et régionaux protégeant les droits de l’Homme n’est pas vraiment convaincante. Il n’existe, en effet, aucune interdiction dans les conventions originaires. La notion d’abolition de la peine de mort n’est apparue que bien après l’entrée en vigueur de ces textes par l’addition de protocoles.

A) La situation sur le plan international:

Le Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP) adopté le 16 décembre 1966 par l’Assemblée Générale des Nations Unies garantit dans son article 6 l’existence d’un droit à la vie. Les paragraphes 2 à 6 précisent cependant que la peine de mort n’est pas contraire à ce droit et encadrent son utilisation. Ainsi seuls les pays n’ayant pas encore aboli cette peine au moment de la signature du pacte ont toujours la possibilité d’en faire usage (§ 2). De même, seules les peines capitales rendues à l’encontre de personnes de plus de 18 ans et dans le cadre d’un tribunal étatique sont considérées comme ne violant pas le PIDCP. L’article 6 du PIDCP ne procède ainsi à aucune interdiction de cette peine. Bien au contraire, dans le cadre fixé par les paragraphes 2 à 6 de l’article 6, l’utilisation de la peine capitale par un Etat est considérée comme conforme au Pacte et aux droits de l’Homme dont le droit à la vie.

Peu à peu l’ONU a par la suite développé une position plus franche contre la peine capitale (avec par exemple la résolution 2857-XXVI du 20 décembre 1971 ou les résolutions de la Commission des droits de l’Homme comme la résolution n°1997/12) jusqu’à l’adoption du deuxième protocole facultatif au PIDCP le 15 décembre 1989. Ce protocole relatif à l’abolition de la peine de mort fixe sans aucun doute la ligne directrice de l’ONU en matière de peine capitale y interdisant tout recours par les Etats. Cette abolition très stricte trouve cependant une exception pour les crimes en temps de guerre ou de danger de guerre imminente. Au 15 décembre 2008, 69 Etats sur les 163 parties au PIDCP avaient ratifié le protocole. La France ne l’a ratifié que très récemment le 2 octobre 2007. Malgré sa volonté d’abolir la peine de mort dans le monde, la réglementation mise en place par l’ONU reste insuffisante. En effet, le faible nombre d’Etats parties au protocole limite l’application pratique de ce texte qui confère pourtant de nouveaux pouvoirs à certains organes de contrôle. Ainsi le Comité des Droits de l’Homme (CDH) a la possibilité, en veillant au respect de l’article 6 du PIDCP, d’y ajouter le contrôle du respect du protocole 11. Cet ajout est cependant uniquement possible pour les Etats parties l’ayant ratifié. Ces nouveaux mécanismes internationaux visant une interdiction totale de la condamnation à mort ne sont donc pas exploitables dans leur entier et se révèlent insuffisants.

B) La situation en Europe

Dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH) l’abolition de la peine de mort fait aussi débat. La position initiale du Conseil de l’Europe penchait plutôt en faveur de la peine de mort. Dans son article 2 assurant le droit à la vie, la Convention précise les modalités de ce droit et notamment la possibilité pour les Etats de faire usage de la peine capitale sans que cela soit reconnu contraire à la Convention. Bien que la CESDH encadre ce droit des Etats, les limites qui leur sont fixées restent cependant plus ténues que celles énoncées par l’article 2 §2-6 du PIDCP. La peine de mort est ainsi reconnue conforme en principe et sous certaines conditions au texte originaire de la Convention.

C’est avec le Protocole 6 à la CESDH adopté le 28 avril 1983 que le Conseil de l’Europe affirme enfin sa volonté de voir abolir la peine de mort, pour le moins dans les Etats parties à la CESDH. Ce protocole, bien que n’interdisant pas la peine capitale de manière absolue restreint très fortement son application aux seules situations de temps de guerre ou de danger imminent de guerre (article 3). Il interdit en outre aux Etats l’ayant ratifié toute possibilité de dérogation ou de réserve prévue par l’article 15 de la CESDH. Enfin, il permet d’abolir la peine capitale pour le futur dans la région. L’adhésion au Conseil de l’Europe est dorénavant soumise à la signature par l’Etat candidat du protocole 6 à la CESDH en vue de sa ratification dans les trois ans suivant l’adhésion. Une telle condition permet une avancée importante en matière d’abolition, poussant les pays membres du Conseil (comme la Turquie avant son adhésion au protocole le 12 novembre 2003) et ceux désirant l’intégrer à établir un moratoire sur les exécutions de condamnations à mort (voir par exemple le cas de l’Ukraine, forcée de remplir ses engagements sous peine de se trouver exclue du Conseil et ratifiant le protocole le 4 avril 2000). A ce jour, seule la Russie a signé mais n’a pas encore ratifié le protocole 6. Membre du Conseil de l‘Europe depuis 1998, elle respecte cependant le moratoire mis en place depuis la signature.

Le Conseil de l’Europe a continué dans cette voie en adoptant le 2 mai 2002 le Protocole 13 à la CESDH relatif à l’abolition de la peine capitale en toutes circonstances. Ainsi l’exception du Protocole 6 sur la situation de guerre ne tient plus avec le Protocole 13. Aucune dérogation ou réserve (art. 15 CESDH) n’est possible à ce Protocole ratifié à ce jour par 40 Etats (le dernier étant la France en octobre 2007). Les Etats parties manifestent ainsi leur volonté d’abolir cette peine dans l’espace européen alors qu’une grande part a déjà interdit le recours à cette condamnation dans sa législation interne. La ratification du protocole constitue ainsi un moyen d’afficher l’importance que l’abolition représente dans la législation interne (en France elle est devenue un principe constitutionnel affirmé à l’article 66-1 de la Constitution depuis sa modification du 24 février 2007) et par conséquent la priorité donnée pour atteindre une interdiction européenne absolue.

L’adoption de ces différends Protocoles témoigne sur le plan international comme européen de la volonté des Etats sinon d’abolir définitivement la peine de mort, pour le moins d’en faire une exception applicable seulement à certaines situations rares et précises. Les positions de départ des textes conventionnels se trouvent ainsi mises à mal et parfois en opposition avec certains Protocoles. Il en résulte de nombreuses difficultés dans l’interprétation et l’application de tous ces textes, résolues par les juridictions internationales et européennes compétentes.

II- L’abolition de la peine de mort: les chemins détournés des jurisprudences internationales et européennes

L’interprétation faite par les différends organes internationaux et européens des conventions est particulièrement essentielle en ce qui concerne la peine de mort. Le parcours de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) et celui du Comité des Droits de l’Homme (CDH) ont permis aux différentes conventions d’évoluer afin d’être en accord avec l’opinion publique ainsi qu’avec la perception actuelle des droits de l’Homme et de leur fonction. L’abolition de jure aujourd’hui désirée dans les textes et par l’opinion publique est le fruit d’une évolution jurisprudentielle antérieure ou parallèle instaurant une abolition indirecte de la peine capitale.

A) Les décisions internationales

Les décisions du CDH marquent une nette évolution sur l’abolition de la peine de mort. L’argumentation du CDH reste cependant indirecte, s’attachant à analyser l’exécution de la peine capitale par rapport à l’article 7 du PIDCP et non pas sa conformité avec l’article 6 et le droit à la vie et le Protocole 2. Le CDH a tout d’abord jugé que la longue durée d’une détention avant l’exécution d’un condamné alors que celui-ci faisait usage des recours mis à sa disposition ne constituait pas en soi une violation de l’article 7 (Howard Martin c/ Jamaïque, 24/03/1993). Cependant lorsque cette détention provoque un stress psychologique intense et une dégradation de l’état de santé notamment psychique chez le condamné, la violation de l’article 7 est avérée (Pratt et Morgan c/ Jamaïque, 6/04/1989, RUDH, 1989).

La décision Kindler c/ Canada a parallèlement révélé que l’exécution d’une peine capitale n’était contraire au PIDCP que dans le cas où la souffrance que devait endurer le condamné était « particulièrement horrible » (Kindler c/ Canada, 30/07/1993, RUDH 1994). Il s’agissait alors de déterminer quel mode d’exécution constituait plus que les autres une souffrance terrible, considérée alors comme un traitement inhumain contraire à l’article 7 du PIDCP (voir Ng c/ Canada, 1993). Par cette argumentation, le CDH reconnaît la peine de mort comme conforme au PIDCP et s’efforce ainsi d’en limiter très partiellement l’utilisation. Cette décision a par la suite été balayée par la décision Judge c/ Canada qui présente le PIDCP comme une convention non pas figée dans le temps mais au contraire susceptible d’évolution. Ainsi le CDH affirme que les Etats membres tendent majoritairement à l’abolition de la peine de mort et qu’ainsi ils font évoluer le Pacte. En l’espèce le CDH déclare que tout Etat abolitionniste extradant un étranger vers un pays où il risque la condamnation à mort viole l’article 6 du PIDCP (Judge c/ Canada, 5/08/2003).

L’évolution des décisions du CDH montre que la condamnation première de l’exécution de la peine capitale au moyen de l’article 7 PIDCP est aujourd’hui complétée par une condamnation de la peine de mort en elle-même et la violation de l’article 6 PIDCP et du Protocole 2.

B) La jurisprudence européenne

Au niveau européen, c’est l’arrêt de la CEDH Soering c/ Royaume-Uni du 7 juillet 1989 qui a marqué un premier pas dans l’évolution européenne en matière d’abolition. En l’espèce, l’extradition d’un prisonnier par le Royaume-Uni vers les Etats-Unis où il risquait une condamnation à mort a été déclarée comme contraire à la CESDH. Le Royaume-Uni n’étant au moment des faits pas partie au Protocole 6, la Cour s’est basée sur l’article 3 de la CESDH et a estimé que l’extradition constituait dans ce cas précis un traitement inhumain. Elle a ainsi développé une argumentation relative au syndrome dit du « couloir de la mort », alléguant que l’attente en détention pour le prisonnier extradé en vue de l’exécution de la condamnation à mort constituait un traitement inhumain. La CEDH se démarque ici de la position du CDH en ne faisant pas mention des recours possibles du condamné mais en s’attachant à la durée excessive de l’attente pour le condamné. En déclarant l’extradition de ce prisonnier comme contraire à la Convention, la CEDH a étendu l’abolition de la peine de mort aux actes pris par un Etat partie au Conseil de l’Europe ayant des effets en dehors du champ d’application de la CESDH. Peu importe alors que l’Etat partie en question soit ou non partie au Protocole 6. La Cour émet, en effet, la possibilité que l’article 2 § 1I de la CESDH soit tombé en désuétude, la majorité des Etats partie ayant aboli dans leur droit national la peine capitale.

C) La jurisprudence Öcalan: une grande avancée pour le droit européen:

La CEDH a approfondi récemment sa jurisprudence Soering avec l’arrêt Öcalan c/ Turquie du 2 mai 2005 qui confirme l’arrêt rendu par cette même cour en 2003. Chef du parti rebelle kurde PKK, M. Öcalan a été condamné à mort en Turquie puis s’est tourné ver la CEDH au motif de la violation notamment des articles 2 et 3 de la CESDH. Si la CEDH approfondit la jurisprudence Soering, elle développe ici une argumentation différente. Les juges ne se basent en effet plus sur le syndrome du « couloir de la mort », inefficace, la peine de M. Öcalan ayant été commuée en prison à perpétuité suite au moratoire relatif à l’exécution des peines capitales fixé par la Turquie à la demande du Conseil de l’Europe. Les juges s’appuient alors sur la notion de procès équitable pour déclarer la condamnation à mort de M. Öcalan comme contraire à l’article 3 de la CESDH. Ils développent la théorie selon laquelle une condamnation à mort issue d’un procès ne répondant pas aux garanties du procès équitable entraîne un stress psychologique pour le condamné relevant de l’article 3 de la CESDH consacrant l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants. La condamnation à mort a pour effet un stress caractérisé par les juges européens comme équivalent à un traitement inhumain. Une fois de plus la CEDH vise sinon à interdire per se la peine capitale à l’encadrer très strictement. Son argumentation est cependant critiquable en l’espèce. En effet si les juges européens assimilent le stress psychologique d’une condamnation à mort résultant d’un procès inéquitable à un traitement inhumain, ils se gardent bien de comparer une telle situation à celle d’une condamnation similaire rendue à l’issue d’un jugement répondant aux critères du procès équitable (voir commentaires de l’arrêt Öcalan c/ Turquie, 2003 M. BREUER). Parallèlement à cette nouvelle argumentation de la Cour, les juges déclarent aussi que la peine de mort exécutée en temps de paix n’est aujourd’hui plus acceptable par les Etats parties au vu de leur pratique majoritairement abolitionniste. En effet en 2003 seuls trois Etats n’ont pas ratifié le protocole 6 abolissant la peine de mort mais tous l‘ont signé. Ainsi l’article 2 § 1 de la CESDH relatif à la peine de mort en temps de paix se trouve selon la CEDH quasiment abrogé selon la pratique coutumière. De plus l’apparition du protocole 13 met un terme à toute exception concernant l’abolition de la peine de mort et renforce selon la CEDH la démarche désirée par les Etats d’aboutir à une abolition absolue.

Par l’arrêt Öcalan de 2003, confirmé en 2005, la CEDH interprète évolutivement la CESDH au regard de ses protocoles et de l’opinion des Etats parties. L’avancée entamée avec l’arrêt Soering se prolonge ici et la disparition de l’hypothèse de la peine de mort comme exception au droit à la vie semble de plus en plus proche dans le système européen des droits de l’Homme, d‘autant qu‘aujourd’hui seule la Russie n‘a pas encore ratifié le Protocole 6. Parallèlement, les décisions du CDH suivent le même développement bien que le nombre d’Etats parties au Protocole 2 du PIDCP reste encore minoritaire. L’abolition de la peine de mort dans le monde et dans certaines régions paraît ainsi de plus en plus réelle de par l’action conjuguée des systèmes internationaux et régionaux des droits de l’Homme, la Convention Américaine des Droits de l’Homme suivant, elle aussi, un schéma similaire à ceux évoqués ici.

Bibliographie:

Ouvrages généraux et doctrine:

- F. SUDRE, Droit européen et international des droits de l’Homme, puf 2006, p. 285 et s. - E. DECAUX, La peine de mort, nouvel enjeu des relations internationales, AFRI 2004, volume V, 1er 2002. - J-M. CARBASSE, La peine de mort, puf 2000 - W. SCHABAS, The abolition of the death penalty in International Law, Cambridge, 1993 - J-F; FLAUSS, L’affaire Öcalan devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, dans La peine capitale et le droit international des droits de l’homme, G. COHEN-JONATHAN, W. SCHABAS, Editions Panthéon Assas, 2003, p.123 et s. - R. KOLB, La Jurisprudence internationale en matière de torture et de traitements inhumains ou dégradants, RUDH, 15 décembre 2003, p. 254 et s. - M. KLINGST, Das Folterverbot verteidigen!, Jahrbuch Menschenrechte 2007, p. 286 et s.

Décisions et commentaires:

- CEDH, 12 mai 2005, Öcalan c/ Turquie, EuGRZ, 2005, p. 463 et s., commentaire Dr. M. BREUER, p. 471 et s.

- CEDH, 12 Mars 2003, Öcalan c/ Turquie, EuGRZ, 2003, p. 449 et s., commentaire Dr. M. BREUER: Völkerrechtliche Implikationen des Falles Öcalan

- CEDH, 16 octobre 2001, Einhorn c/ France, RTDH, 2002, n° 51, p.709 et s.

- CEDH, 7 juillet 1989, Soering c/ Royaume-Uni

- CDH, Judge c/ Canada, déc. 05 août 2003, RGDIP, 2003

- CDH, Kindler c/ Canada, déc. 30 juillet 1993, RUDH, 1994