Arrêt n°13 893 du 19 septembre 2003 de la Cour de cassation italienne sur la transmission d’une clause compromissoire dans les contrats de cession de créance : étude comparative de la jurisprudence italienne et française

Résumé : l’arrêt de la Cour de cassation italienne du 19 septembre 2003 interdit la transmission automatique d’une clause compromissoire au cessionnaire qui souhaite s’en prévaloir à l’égard du débiteur cédé. L’objet de cette étude est donc de comparer les solutions retenues en matière de transmission d’une clause compromissoire dans les systèmes italien et français.

 

            La clause compromissoire est définie à l’article 1442 du Code civil français selon lequel elle « est la convention par laquelle les parties à un ou plusieurs contrats s’engagent à soumettre à l’arbitre les litiges qui pourraient naitre relativement à ce ou à ces contrats ». En droit italien, la clause compromissoire fait également l’objet d’une définition légale, introduite à l’article 808 alinéa 1, première partie, du Code de procédure civile, selon lequel « les parties, dans le contrat conclu ou dans un acte séparé, peuvent prévoir que les litiges qui naitront dudit contrat seront résolus par des arbitres pour autant qu’il s’agisse de litiges pouvant faire l’objet d’une convention d’arbitrage[1] ». La clause compromissoire doit être distinguée du compromis en ce que ce dernier fait référence à un accord entre les parties pour soumettre un litige déjà né au tribunal arbitral alors que la clause compromissoire est stipulée avant même tout désaccord entre les parties.[2]

Pour étendre le rayonnement de la clause compromissoire et par conséquent faciliter la mise en place de l’instance arbitrale, il convient de s’intéresser à la question de la transmission de celle-ci. La transmission suppose que la clause qui s’appliquait entre deux personnes qui l’avaient signée, et donc avaient consenti pour soustraire leurs éventuels litiges à la compétence des juridictions étatiques, circule, d’une manière ou d’une autre, jusqu’à une personne qui se trouve liée à l’opération contractuelle mais qui n’a pas consenti expressément à une telle clause. Cette troisième personne apparait donc tiers au contrat.

Un exemple de relation contractuelle pouvant faire intervenir un tiers au contrat originaire est matérialisé par la cession de créance. En droit français la cession de créance est définie à l’article 1321 du Code civil qui dispose qu’il s’agit d’un « contrat par lequel le créancier cédant transmet, à titre onéreux ou gratuit, tout ou partie de sa créance contre le débiteur cédé à un tiers appelé le cessionnaire ». Une définition semblable est donnée à l’article 1260 du Code civil italien selon lequel « le créancier peut transférer à titre onéreux ou gratuit, sa créance même en l’absence du consentement du débiteur, pour autant que la créance n’ait pas un caractère personnel ou que la cession soit interdite par la loi »[3].

Plus particulièrement, s’agissant du mécanisme de la cession de créance, il convient de se demander si une clause compromissoire stipulée dans le contrat unissant originairement le cédé et le cédant peut s’imposer au cessionnaire. Autrement dit, le cessionnaire qui n’a pas expressément consenti à la clause compromissoire figurant dans le contrat entre le cédé et le cédant peut-il se prévaloir contre le débiteur cédé de cette dernière ? La réponse à cette question diffère selon que la situation est régie par le droit français ou le droit italien.

Il convient alors dans un premier temps de s’intéresser à la solution italienne qui ne reconnait pas la transmission d’une telle clause contrairement au droit français (I) pour ensuite se concentrer sur les limites de cette non-transmission (II).

 

I- La non-transmission de la clause compromissoire contrairement au droit français

 

Avec l’arrêt n°13 893 du 19 septembre 2003, la Cour de cassation italienne a eu l’opportunité de trancher la question relative à la circulation de la clause compromissoire dans un contrat de cession de créance. Plus précisément, la question posée en l’espèce était celle de savoir si dans le cadre d’une cession de créance, qui a pour origine un contrat contenant une clause compromissoire, les éventuels litiges entre le cessionnaire et le débiteur cédé doivent être soumis à la compétence du juge étatique. Autrement dit, une clause compromissoire contenue dans le contrat entre le cédant et le débiteur cédé peut-elle se transmettre au cessionnaire ?

Les faits sont les suivants : la société Imprestiring et le Ministère des affaires étrangères concluent un contrat aux termes duquel ils s’étaient accordés pour soumettre un éventuel litige à la compétence du tribunal arbitral. La créance objet du contrat a été cédée, par la suite, à la société Impregilo, laquelle forme une instance arbitrale contre le Ministère pour obtenir un paiement en vertu de la clause compromissoire contenue dans le contrat entre les contractants originaires. La sentence arbitrale condamne le Ministère des affaires étrangères à payer les sommes dues à la société Impregilo. Le Ministère interjette appel. La Cour d’appel conclut à la nullité de la sentence arbitrale affirmant que la cession de créance n’emporte pas cession de la clause compromissoire. La société Impregilo se pourvoit alors en cassation.

Par un arrêt rendu le 19 septembre 2003, la Cour de cassation italienne retient « qu’il est exclu que la cession du contrat, contenant la clause compromissoire, comporte également, sauf à défaut d’accord entre les parties, la cession automatique de la clause[4] ». Cet arrêt rompt avec une jurisprudence constante selon laquelle, la Cour de cassation italienne, le 17 septembre 1970 était parvenue à la conclusion d’une transmission automatique de la clause compromissoire dans le rapport entre cessionnaire et débiteur cédé en ces termes « puisque la clause compromissoire concerne le litige relatif à l’existence et l’entité de la créance, la cession de cette dernière a pour conséquence que l’efficacité de la clause s’étend automatiquement au cessionnaire[5] ».

Par son arrêt du 19 septembre 2003, la Haute juridiction retient que le cessionnaire a l’obligation d’agir devant les juridiques étatiques interdisant de ce fait la transmission de la clause compromissoire au cessionnaire.

Pour justifier cette position, la Cour de cassation italienne invoque l’argument selon lequel le contrat de cession de créance comporte des effets mineurs par rapport à la cession de contrat qui implique « l’entière position juridique contractuelle, avec tous les droits et les obligations qui y sont liés[6] ».

La Cour suprême arrive donc à la solution suivante : le débiteur cédé ne peut se voir traduit devant un arbitre par le cessionnaire qui n’aurait pas succédé dans la clause compromissoire de sorte qu’il ne peut l’invoquer à l’égard du débiteur cédé. Le cessionnaire doit donc obligatoirement agir devant les juridictions étatiques. Il en résulterait alors un allongement des temps procéduraux et c’est le seul effet négatif que la Cour de cassation italienne a relevé dans son arrêt de 2003.

Le droit français retient quant à lui une position sensiblement différente. En effet, ce système juridique considère que la clause compromissoire contenue dans le contrat original entre le cédant et le débiteur cédé se transmet automatiquement au cessionnaire lequel peut l’invoquer à l’égard du cédé. C’est la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 28 janvier 1988 qui a jugé que « la cession de contrat ou de créance impliquait nécessairement la transmission par le cédant au cessionnaire du bénéficie de la clause compromissoire laquelle était indissociable de l’économie du contrat initial[7] ».

La Cour de cassation dans un arrêt du 20 décembre 2001 a également jugé que la cession de créance emporte transmission de la clause compromissoire au cessionnaire en ces termes : «  attendu que pour rejeter le contredit, l’arrêt retient que, dans le cas où seule la créance a été cédée, la clause compromissoire insérée dans le contrat auquel le cessionnaire n’avait pas été partie, en raison du principe d’autonomie qui y est attaché, n’a pu être transmise ; qu’en statuant ainsi, alors que la clause d’arbitrage avait été transmise au cessionnaire avec la créance, la Cour d’appel a violé le texte susvisé »[8]. Ainsi, contrairement à la jurisprudence italienne, celle française semble constante s’agissant de la question de la transmission de la clause compromissoire. En effet, dès lors qu’une créance cédée trouve son fondement dans un contrat contenant une clause compromissoire entre le cédant et le débiteur cédée, alors cette clause se transmet automatiquement au cessionnaire, lequel peut s’en prévaloir à l’égard du débiteur cédé. On comprend donc que le consentement, même tacite, de celui qui bénéficie du transfert de la créance à savoir le cessionnaire n’est pas recherché.

La Cour de cassation est allée encore plus loin dans un arrêt du 28 mai 2002 en disposant « qu’en matière internationale, la clause d’arbitrage, juridiquement indépendante du contrat principal, est transmise avec lui, quelle que soit la validité de la transmission des droits substantiels »[9]. Par conséquent, la clause compromissoire est transmise au cessionnaire par l’unique effet de la volonté des contractants originaires qui ont soumis leur rapport de droit à la compétence du tribunal arbitral de sorte que la loi applicable à la cession de créance et à sa validité ne doit être recherchée pour savoir si le cessionnaire peut ou non se prévaloir de la clause compromissoire.

La solution française est donc la suivante : lors d’une cession de créance, la clause compromissoire contenue dans le contrat entre le cédant et le débiteur cédé se transmet automatiquement au cessionnaire lequel peut dès lors l’invoquer à l’égard du débiteur cédé.

La transmission automatique de la clause compromissoire est également admise en droit français dans les chaînes de contrats autres que la cession de créance. Par un arrêt du 27 mars 2007 dit ABS, la Cour de cassation française précise que « dans une chaîne de contrats translative de propriété la clause compromissoire est transmise de façon automatique en tant qu’accessoire du droit d’action, lui-même accessoire du droit substantiel transmis, sans incidence du caractère homogène ou hétérogène de cette chaîne »

Par la formule dégagée par la Cour de cassation dans son arrêt susmentionné, il faut reconnaitre la mise en œuvre de la théorie du double accessoire selon lequel la clause circule en ce qu’elle est l’accessoire du droit d’action lequel est lui-même l’accessoire du droit substantiel transmis. En effet, le droit d’action est le droit permettant à une partie d’ester en justice, lequel se trouve ici restreint par la clause compromissoire qui autorise les parties à agir seulement devant le tribunal arbitral. Or, dès lors que le droit d’action permet à une partie d’être entendue sur le fond de sa prétention et cela indépendamment du bien fondée de celle-ci, serait-il correct de considérer que l’action est accessoire au droit substantiel ? Autrement dit, il n’existe pas un droit d’action parce qu’il existe un droit substantiel (par exemple lorsque le Ministère public exerce l’action publique, il est difficile de soutenir qu’il a un droit substantiel). L’action ne serait alors pas conditionnée à l’existence du droit substantiel invoquée par le justiciable mais conditionnerait plutôt son succès de sorte que l’action peut exister sans droit substantiel ce qui par conséquent interdirait la qualification d’accessoire du droit substantiel.

Aussi, il semble que le terme transmission de la clause compromissoire serait erroné. A en lire les critiques de Sylvain BOLLEE, « la transmission est par essence un jeu à somme nulle : rien ne se perd, rien ne se crée »[10]. Autrement dit, il semblerait logique que lors de la transmission d’une action d’un cédant à un cessionnaire, le cédant ayant transmis son droit d’action au cessionnaire, ce dernier doit pouvoir être en mesure de l’invoquer. Or en réalité le mécanisme de la transmission de l’action contractuelle n’a pas pour effet de priver le cédant de son droit d’agir en lui accordant la possibilité d’invoquer la clause compromissoire. A cet effet Mme BACACHE-GIBEILI parle d’un « effet attributif limité » et non « d’un effet translatif ».

Quoi qu’il en soit, en droit français la clause compromissoire est transmise automatiquement au cessionnaire c’est-à-dire sans qu’une manifestation de volonté de sa part soit requise. La solution de l’arrêt du 27 mars 2007 a été, depuis, codifiée à l’article 2061 du Code civil qui dispose « la clause compromissoire doit avoir été acceptée par la partie à laquelle on l’oppose, à moins que celle-ci n’ait succédé aux droits et obligations de la partie qui l’a initialement acceptée ».

Le droit italien pose cependant certaines limites à la non-transmission d’une clause compromissoire.

 

II- Limites à la non-transmission de la clause compromissoire

 

Dans son arrêt du 19 septembre 2003, la Cour de cassation italienne considère en revanche admissible une clause compromissoire qui serait facultative pour le débiteur cédé lui laissant le choix d’opter pour soumettre son litige à la compétence du tribunal arbitral ou à celle étatique.

Pour justifier cette position, la Cour de cassation italienne invoque l’argument selon lequel dans un tel contrat l’accord du débiteur cédé n’est pas recherché pour la validité de cette dernière, de sorte qu’il ne peut se trouver dans une position moins favorable après la stipulation d’un tel contrat avec le cessionnaire. On comprend alors que les droits de la partie qui n’a pas participé à l’opération doivent continuer à exister sans aucune modification. Ainsi, le débiteur cédé devrait pouvoir se prévaloir de la clause compromissoire figurant dans le contrat stipulé entre le cédé et le cédant.

La solution retenue par la Cour de cassation italienne est donc la suivante : le débiteur cédé peut agir contre le cessionnaire devant le collège arbitral sur le fondement de la clause compromissoire qu’il a effectivement stipulée avec le cédant alors qu’il ne peut se voir traduit devant un arbitre par le cessionnaire. Ainsi le débiteur cédé ne peut se voir refuser la faculté d’invoquer la clause compromissoire car une telle situation aurait pour effet de la priver du droit de soumettre un litige à des arbitres alors qu’il est resté tiers à l’accord conclu entre le cédant et le cessionnaire.

Toutefois, ne serait-il pas plus judicieux de considérer que le débiteur cédé puisse invoquer la clause compromissoire à l’égard du cessionnaire non pas sur le fondement de son contrat conclu avec le cédant mais justement sur le fondement d’une circulation de la clause ?

La Cour de cassation italienne semble, cependant, se contredire à cet égard. En effet, dans le cadre d’une cessione d’azienda, la Haute juridiction a conclu à la transmission automatique de la clause compromissoire à l’égard du cessionnaire[11].

Aussi, par un arrêt du 1er septembre 2004[12], la Cour de cassation italienne affirme, contrairement à ce qui a été retenu dans l’arrêt de 2003, que le débiteur ne peut invoquer la clause compromissoire à l’égard du cessionnaire en stipulant que « parmi les exceptions que le débiteur peut opposer au cessionnaire n’est pas comprise celle fondée sur le contrat dans lequel est insérée la clause compromissoire[13] ».

Il semble donc que la Cour de cassation ne tranche pas réellement la question relative à la transmission de la clause compromissoire ce qui pourrait avoir pour conséquence d’augmenter l’insécurité juridique. En effet, à la lumière des différents arrêts de la Cour de cassation, on ne peut retenir qu’un arrêt prévaut sur un autre en ce que ces arrêts reconnaissent ou nient le transfert automatique d’une telle clause. La doctrine italienne retient alors que le système italien ne contient pas d’orientation claire et précise sur la transmission d’une clause compromissoire[14].

 

 

Bibliographie :

Droit italien :

-MARICONDA Vincenzo « cessione del credito e clausola compromissoria : la cassazione evidetemente si contradisce”, Corriere giuridico n° 11/2005

-MARICONDA Vincenzo “ la circolazione della clausola compromissoria”, il corriere del merito n° 8-9/2007

-PETRILLO C “circolazione della clausola compromissoria in ipotesi di cessione del credito”, rivista dell’arbitrato, 2004

-RUFFINI Giuseppe “ la nozione di clausola compromissoria”, rivista dell’arbitrato, 2004

Droit français :

-BOLLEE Sylvain “la circulation de la clause compromissoire dans les chaines de contrats translatifs de propriété », Recueil Dalloz, 2007

-DELPECH Xavier « admission de la transmission de la clause d’arbitrage dans une chaine hétérogène de contrats », Dalloz actualité, 2017

-MOREAU Bertrand « convention d’arbitrage et tiers », répertoire de procédure civile, 2017

-THERY Philippe « transmission de la clause compromissoire : accessoire en cascade », RTD civ, 2008

 

[1] Article 808 du Code de procédure civile italien dispose “le parti, nel contratto che stipulano o in un atto separato, possono stabilire che le controversie nascenti dal contratto medesimo siano decise da arbitri purché si tratti di controversie che possono formare oggetto di convenzione d’arbitrato [...]”. Traduction libre

[2] Une définition du compromis est mentionnée à l’article 1442 du Code de procédure civile français selon lequel « le compromis est la convention par laquelle les parties à un litige né soumettent celui-ci à l’arbitrage »

[3] Article 1260 dispose “il creditore può trasferire a titolo oneroso o gratuito il suo credito, anche senza il consenso del debitore, purché il credito non abbia caracttere strettamente personale o il trasferimento non sia vietato dalla legge”. Traduction libre

[4] Traduction libre

[5] Traduction libre

[6] Traduction libre

[7]Paris, 28 janvier 1988

[8] Cass civ 2e, 20 déc 2011, bull civ n°00-10.806

[9] Cass civ 1er , bull cuv n° 00-12.144

[10] Citation tirée de « la circulation de la clause compromissoire dans les chaînes de contrats translatifs de propriété » Recueil Dallloz 2007

[11] Cass sez I 14 febbraio 2007, n°7652

[12] Cass sez I, 1 settembre 2004, n° 17531

[13] Traduction libre

[14] Maddalena Vetta