Brexit : Impact de l’abrogation de la transposition en droit anglais de la Directive 2008/52/CE sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale.

Avec une majorité de 51,89%, le peuple britannique a voté pour le retrait du Royaume-Uni (‘RU’) de l’Union Européenne (‘UE’) le 23 juin 2016. Depuis cette date, se déroulent les négociations quant aux accords qui régiront les relations futures entre l’UE et le RU. Un accord devra être établi avant le 31 octobre 2019 afin d’éviter un ‘no deal situation’ (Conseil européen 2019), où la législation britannique et les relations avec les Etats membres de l’UE resteraient incertaines. A cette fin, le gouvernement anglais (aux fins de ce blog, l’Angleterre sera désignée comme référant à l’Angleterre et aux Pays-de-Galles) a rédigé une loi (The Cross-Border Mediation (EU Directive) (EU Exit) Regulations 2019) régissant l’abrogation des mesures législatives (The Cross-Border Mediation (EU Directive) Regulations 2011) transposant en droit national la Directive de l’UE sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale (Directive 2008/52/CE). Cette loi entrera en vigueur le jour du retrait du RU de l’Union (The Cross-Border Mediation (EU Directive) (EU Exit) Regulations 2019, regulation 1(1)).

La médiation est considérée comme particulièrement adaptée aux conflits transfrontaliers (Feasley 2011). En effet, la médiation a été décrite comme étant une solution extrajudiciaire économique et rapide, dont les accords sont susceptibles d’être respectés volontairement, qui permet de préserver une relation amiable et durable entre les parties (Directive 2008/52/CE considérant 6). Le besoin d’harmoniser les législations des Etats membres relatives à la médiation s’est donc présenté comme une nécessité. La Directive dont il est question s’applique aux litiges transfrontaliers en matière civile et commerciale, à l’exception des droits dont les parties ne peuvent disposer (Directive 2008/52/CE art. 1(2)). Un litige transfrontalier s’entend comme tout litige dans lequel au moins une des parties a son domicile ou sa résidence habituelle dans un Etat membre autre que celui de toute autre partie à la date où les parties conviennent de recourir à la médiation, pour lequel la médiation est ordonnée par une juridiction, une obligation de recourir à la médiation naît d’une disposition nationale, ou les parties sont invitées à y recourir (Directive 2008/52/CE art. 2(1)).

Cette Directive européenne a été transposée en droit français par une ordonnance de 2011 et une directive de 2012, qui ont entre autres poussé le législateur à introduire une définition de la médiation dans la législation française. Comme mentionné précédemment, la Directive a été transposée en droit anglais en 2011. En France, les obligations qui naissent de la Directive s’appliquent aux médiations transfrontalières ainsi qu’aux médiations internes, alors qu’elles ne s’appliquent qu’aux médiations transfrontalières entre Etats membres en Angleterre, conformément à l’article 8 de la Directive (Chrysogonos 2017).

La Directive se base essentiellement sur le principe de reconnaissance mutuelle et de réciprocité entre les Etats membres. L’Angleterre, après avoir quitté l’UE, ne pourra plus se prévaloir de ce mécanisme de réciprocité. Des changements dans la législation anglaise sont donc nécessaires. La loi de 2019 abroge la transposition de la Directive, tout en prévoyant des mesures assurant la continuité de l’application des règles en vigueur avant le retrait du RU de l’UE aux médiations transfrontalières au sein de l’UE initiées avant ce retrait (The Cross-Border Mediation (EU Directive) (EU Exit) Regulations 2019, regulation 5).

Seront étudiés dans cet article les changements qui découleront de cette loi pour la médiation transfrontalière au sein de l’UE en Angleterre, en comparant cette situation à celle qui demeurera en France. Cette comparaison offrira une analyse intéressante des différentes règles régissant la médiation dans un Etat membre et un Etat éminemment tiers à l’UE, d’autant plus que l’Angleterre est un des Etats où le recours aux modes alternatifs de résolution des différends est le plus répandu (Ferrand 2018). Seront successivement étudiés les trois principaux changements qui interviendront, à savoir concernant la réciprocité dans l’exécution des accords issus d’une médiation (I), la suspension du délai de prescription en cas d’introduction d’une procédure de médiation (II), et la confidentialité à laquelle les médiateurs sont tenus (III).

 

I – Impact sur l’exécution des accords issus d’une médiation

Selon l’article 6 de la Directive de 2008, les Etats membres doivent veiller à ce que les parties puissent demander à ce que l’accord issu d’une médiation soit rendu exécutoire, sauf si son contenu est contraire au droit de l’Etat membre dans lequel la demande est formulée, ou si le droit de cet Etat ne prévoit pas la possibilité de le rendre exécutoire. Une grande marge d’appréciation est laissée aux Etats membres quant aux mécanismes de reconnaissance de la force exécutoire de ces accords (Poillot-Peruzzetto 2013). Cette disposition traduit le principe de confiance mutuelle et de réciprocité entre les Etats membres. Elle est reprise en droit français à l’article 1535 du Code de Procédure Civile, et a été transposée en droit anglais dans le Civil Procedure Rules (Règle 78.24 du Code de Procédure Civile).

Dans ces deux systèmes juridiques, l’exécution de ces accords était prévue par le règlement européen Bruxelles I bis concernant la compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale (Règlement (UE) n°1215/2012). Ainsi, au sein d’un Etat membre de l’UE comme la France, les accords de médiation conclus en France ou dans un autre Etat membre, si reconnus exécutoires dans l’Etat où ils ont été conclus, seront automatiquement exécutés conformément à l’article 39 du règlement Bruxelles I bis sans qu’une déclaration constatant leur force exécutoire soit nécessaire. Ce mécanisme ne s’applique toutefois pas aux situations entrant dans le champ d’application des deux réserves prévues par la Directive, ou dans les cas de refus de reconnaissance et d’exécution prévus aux articles 45 et 46 du règlement Bruxelles I bis.

La disposition anglaise qui prévoyait cette réciprocité entre les Etats membres sera abrogée par la loi étudiée. En effet, le gouvernement anglais a affirmé qu’il ne pouvait légiférer aux fins de rétablir la réciprocité entre l’Angleterre et l’UE en matière de médiation, et que le traitement préférentiel des parties à une médiation transfrontalière dans l’UE ne serait plus justifiée (Explanatory Memorandum 2019). L’application unilatérale des règles introduites par la Directive après le retrait de l’Angleterre de l’UE conduirait à l’application de règles différentes entre des parties qui ont leur résidence habituelle dans des Etats membres, et entre des parties qui ont leur résidence habituelle en Angleterre ou d’autres Etats tiers à l’UE. Cela créerait une situation d’insécurité juridique. En conséquent, avec l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, toutes les médiations seront soumises au même régime juridique en Angleterre, et les accords qui en résulteront devront tous faire l’objet d’une procédure de reconnaissance et d’exequatur pour être reconnus dans l’UE si l’accord a été conclu en Angleterre, et en Angleterre si l’accord a été conclu dans l’UE.

Ce changement, qui consacre la fin de la réciprocité entre l’Angleterre et l’UE est le plus significatif (Cormack 2018), mais d’autres modifications verront aussi le jour.

 

II – Impact sur la suspension du délai de prescription

L’article 8 de la Directive dispose que les Etats membres doivent veiller à ce que les parties qui choisissent d’entamer une procédure de médiation ne doivent pas être empêchées d’introduire une procédure judiciaire ou d’arbitrage du fait de l’expiration des délais de prescription pendant le processus de médiation. Cette disposition est conforme au droit d’accès à la justice, consacré à l’article 47 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE, ou l’article 19(1) du Traité sur l’Union Européenne. Il s’agit de l’article le plus controversé de la Directive (Linklaters 2011), notamment car certains affirment qu’il ne s’agit pas d’un accès renforcé à la justice, mais d’une échappatoire délibérée aux juridictions (Storskrubb 2016). En réponse à cela, le considérant 24 de la Directive affirme que les Etats membres doivent s’engager à limiter dans le temps le processus de médiation.

Cet article a été transposé en droit français en 2008 à l’article 2238 du Code de procédure civile. En droit anglais, certaines lois ont été modifiées pour exclure le temps consacré à une procédure de médiation du calcul du délai de prescription pour introduire une demande en justice, tel que le Limitation Act 1980.

Lorsque la loi anglaise entrera en vigueur, la situation juridique sera modifiée. En effet, Regulation 4 et Schedule 1 de la loi abrogent les dispositions de droit anglais qui transposaient l’article 8 de la Directive européenne. Ainsi, si des parties à une médiation domiciliées ou habituellement résidentes en Angleterre souhaitent suspendre le délai de prescription pour introduire une action en justice ou une procédure d’arbitrage, elles devront en faire la demande devant une juridiction (Règle 26.4 du Civil Procedure Rules). Des commentateurs ont affirmé que, les parties conservant la faculté de demander la suspension du délai de la prescription, l’abrogation de ces dispositions ne modifie pas de façon considérable le droit anglais (Frazer 2019). Toutefois, les parties à une médiation peuvent ne pas être conscientes de l’absence de suspension du délai de prescription. Cette abrogation affaiblit la protection des parties, et diminue leur droit d’accès à la justice, notamment par rapport aux ressources financières nécessaires pour bénéficier d’une telle procédure (Chakrabarti 2019). En effet, ce coût s’élèverait à £100 pour les procédures civiles et £50 pour les procédures familiales si les deux parties y consentent (Impact Assessment 2019).

La dernière modification qui découlera de l’entrée en vigueur du projet de loi portera sur la confidentialité assortie à la procédure de médiation.

 

III – Impact sur la confidentialité assortie à la médiation

Selon l’article 7 de la Directive de 2008, les Etats membres doivent veiller à ce que « ni le médiateur, ni les personnes participant à l’administration du processus de médiation ne soient tenus de produire, dans une procédure judiciaire, civile ou commerciale ou lors d’un arbitrage, des preuves concernant les informations résultant d’un processus de médiation ou en relation avec celui-ci », sauf accord des parties, pour des raisons impérieuses d’ordre public, ou lorsque la divulgation du contenu de l’accord est nécessaire pour sa mise en œuvre ou son exécution. La confidentialité est essentielle pour que les parties soient en confiance et encouragées à recourir à la médiation (Feasley 2011).

Cette obligation était déjà présente en droit français à l’article 131-14 du Code de procédure civile, qui semble être plus strict que le standard posé par la Directive. En effet, la confidentialité s’applique à l’entière procédure de médiation en général, et non seulement aux médiateurs et administrateurs (Philips 2012). Similairement, en Angleterre, la confidentialité était déjà une obligation dans le processus de médiation selon la jurisprudence et la pratique anglaise (O’Neill 2019). La Directive a permis l’élévation de cette obligation au rang d’obligation législative, telle qu’introduite dans la Règle 78.26 du Civil Procedure Rules. Toutefois, l’abrogation des dispositions transposant  la Directive n’aura donc certainement que peu d’impact sur la médiation en Angleterre.

 

En conclusion, la loi sur l’abrogation des dispositions nationales anglaises transposant la Directive européenne de 2008 sur la médiation modifiera la situation des parties souhaitant recourir à une procédure de médiation, si une d’entre elles est domiciliée ou habituellement résidente en Angleterre. En effet, la Directive imposait trois obligations principales : l’exécution des accords de médiation au sein de l’UE, la suspension des délais de prescription pendant la procédure de médiation, et la confidentialité de ce mécanisme. Ces règles, qui ont toutes été transposées en droit français, seront abrogées en droit anglais lorsque la loi entrera en vigueur le jour du retrait du RU de l’UE.

Le système juridique régissant la médiation en Angleterre sera donc ramené à la situation préalable à la transposition de la Directive européenne en 2011. Ainsi, les accords de médiation ne seront plus automatiquement rendus exécutoires entre l’Angleterre et l’UE. Une procédure de reconnaissance et d’exequatur sera nécessaire pour tous les accords de médiation impliquant l’Angleterre, que les parties soient domiciliées ou habituellement résidentes en Angleterre, dans un Etat Membre, ou un Etat tiers à l’UE. De plus, le délai de prescription ne sera plus automatiquement suspendu lors de la mise en place d’une procédure de médiation. Les parties devront faire une demande au juge si elles souhaitent suspendre le délai de prescription et introduire une action en justice ou une procédure arbitrale dans l’hypothèse où la médiation échouerait. Les parties à la médiation ne bénéficieront en conséquent plus du système protecteur de l’Union. Enfin, les dispositions législatives quant à l’obligation de confidentialité du médiateur seront abrogées. Cette obligation existait auparavant dans la jurisprudence anglaise. Cette abrogation n’aura donc pas d’importantes conséquences concernant la confidentialité du médiateur, ramenant les parties au cadre juridique applicable avant la transposition de la Directive en droit anglais.

L’exécution des accords de médiation transfrontaliers impliquant l’Angleterre et un Etat membre sera donc plus lente que l’exécution des accords impliquant deux Etats membres. Les parties à ces accords verront leur droit d’accès à la justice fragilisé contrairement aux parties à un accord de médiation habituellement résidentes dans l’UE. Bien que ramenée au rang de règle jurisprudentielle, les garanties de confidentialité de la procédure de médiation resteront similaires en Angleterre après l’entrée en vigueur de la loi.

 

 

Bibliographie

Ouvrage

            Pouillot Peruzzetto S., Médiation, in Dalloz Répertoire de droit européen, 2013 (actualisation 2018).

 

Articles

            Feasley A., « Regulating Mediator Qualifications in the 2008 EU Mediation Directive: The Need for a Supranational Standard », Journal of Dispute Resolution 2 2011, pp 333-350.

            Ferrand F., « Médiation – droit de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe », Dalloz Action Droit et Pratique de la Procédure Civile 2017-2018, pp. 1009-1022.

            Storskrubb E., « Alternative Dispute Resolution in the EU: Regulatory Challenges », European Review of Private International Law 24(1) 2016, pp. 7-32.

 

Textes officiels

            Droit français

            Article 131-14 du Code de procédure civile, codifié par le Décret n°75-1123 du 5 décembre 1975.

            Article 2238 du Code de procédure civile, codifié par l’art. 1 de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008.

            Décret n°2012-66 du 20 janvier 2012 relatif à la résolution amiable des différends, NOR : JUSC1130962D.

            Ordonnance n°2011-1540 du 16 novembre 2011 portant transposition de la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale, NOR : JUSC1117339R.

 

            Droit anglais

            Baroness Chakrabarti, Cross-Border Mediation Directive (EU Directive) (EU Exit) Regulations 2019 – Motion to Approve, Volume 795, 20 February 2019.

            Civil Procedure Rules, Rules 24.4, 78.24, 78.26.

            Explanatory Memorandum to The Cross-Border Mediation (EU Directive) (EU Exit) Regulation 2019, 2019 No. 469.

            Limitation Act 1980, 1980 Chapter 58, 13 Novembre 1980.

            Statutory Instrument, 2011 No. 1133, Mediation, The Cross-Border Mediation (EU Directive) Regulations 2011.

            Statutory instrument, 2019 No. 469, The Cross-Border Mediation (EU Directive) (EU Exit) Regulations 2019.

 

 

            Droit de l’Union Européenne

            Chrysogonos K., « Rapport sur la transposition de la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur les aspects de la médiation en matière civile et commerciale (2016/2066 (INI)) », Commission des affaires juridiques, 27 juin 2017.

            Conseil européen, « Réunion extraordinaire du Conseil européen (article 50) (10 avvril 2019) – Conclusions », EUCO XT 20015/19, 10 avril 2019.

            Directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale. 

            Journal officiel des Communautés européennes, Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, 200/C 364/01, 18 Décembre 2000.

            Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

            Versions consolidées du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, 2012/C 326/01, 26 Octobre 2012.

 

Sites internet

            Altman A., « Alternative Dispute Resolution in France », 2012, (http://www.businessconflictmanagement.com/blog/2012/06/france-current-st...) consulté (22-02-2019).

            Cormack J., « BREXIT: UK publishes rules for cross-border mediation post-Brexit », 2018, (https://www.out-law.com/en/articles/2018/november/uk-rules-border-mediat...) consulté (22-02-2019).

            Frazer L., « Exiting the European Union (Mediation) – in the House of Commons at 8 :04 pm on 18th February 2019 », 2019, (https://www.theyworkforyou.com/debates/?id=2019-02-18c.1266.0) consulté (22-02-2019).

            Linklaters, « The implementation of the European Mediation Directive into UK practice », 2011, (https://www.linklaters.com/en/insights/publications/2011/may/the-impleme...) consulté (22-02-2019).

            O’Neill J., « Brexit : UK unwinds implementation of EU ADR laws », 2019, (https://hsfnotes.com/adr/2019/03/19/brexit-uk-unwinds-implementation-of-...) consulté (19-04-2019).