Le régime juridique des vaccinations obligatoires en France et en Italie

En raison de la crise sanitaire mondiale déclenchée par le virus Covid-19, l’attention de la communauté scientifique se concentre aujourd’hui sur la création et la diffusion massive d’un vaccin pour pouvoir le combattre. Dans ce contexte, le débat au sujet des vaccinations obligatoires refait surface, notamment par rapport à l’éventuelle obligation de se soumettre au vaccin en discussion dès lors qu’il sera disponible. Attendu que les États seront bientôt appelés à choisir une politique vaccinale à ce propos, une réflexion approfondie au sujet des vaccinations obligatoires –   thématique très débattue en Europe et, aux fins de cette analyse, en France et en Italie – s’avère nécessaire. En France, la première imposition vaccinale de la part des autorités étatiques date de 1902, avec la loi sur la vaccination antivariolique. Depuis, la liste française des vaccinations obligatoires a beaucoup évolué (régime aux art. L. 3111-1 à L. 3111-3 et L. 3112-1 du code de la santé publique), distinguant celles infantiles, celles requises dans le cadre d’une activité professionnelle ou dans le cadre d’un cursus préparant à l’exercice d’une profession médicale.

La doctrine majoritaire convient qu’il est impossible de concevoir cette liste comme fixée et intangible, les vaccins obligatoires pouvant varier en fonction des progrès de la médecine et des exigences sanitaires. La législation française en fait la preuve, la liste des vaccinations infantiles obligatoires ayant été récemment réformée (avec la loi n°1836 du 30 décembre 2017) et, de ce fait, ayant déclenché une remontée des contestations antivaccins dans le pays. Par une décision du 6 mai 2019 (CE, 6 mai 2019, n° 419242), le Conseil d’État a eu l’occasion de se prononcer sur l’extension de la liste des vaccinations obligatoires, notamment sur son ingérence avec certaines libertés individuelles. Sur la base de cette jurisprudence, il convient de s’interroger sur la légitimité juridique de cette extension et de comprendre comment ce phénomène se conjugue avec le respect des droits fondamentaux de l’individu, notamment à l’égard du droit au respect de la vie privée et familiale. Ces questions entrainent forcément une réflexion par rapport au cas de non-respect de l’obligation en question ou d’accidents survenus a posteriori. Par une analyse comparée entre la France et l’Italie, il convient donc d’examiner le fondement de l’obligation vaccinale dans ces deux pays et ses implications avec les droits et libertés individuelles (I), avant d’en aborder les conséquences, notamment sur le plan des sanctions et de la responsabilité (II).

 

I. L’obligation vaccinale à l’épreuve des libertés individuelles

Selon les experts, la vaccination représente l’action de santé publique la plus efficace, en raison de son effet de protection individuelle et collective. Néanmoins, l’imposition de vaccinations par l’État se heurte forcément à certains droits et libertés de l’individu. Il convient donc d’analyser en quoi l’obligation vaccinale est légitime en droit médical français et italien (A), avant de s’interroger sur son interaction avec les libertés individuelles (B).

A. Les vaccinations obligatoires : fondement, compétence et récentes modifications

  La légitimité de l’obligation vaccinale repose sur la même pierre angulaire en France et en Italie, à savoir la Constitution. En droit français, c’est le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui, en assurant le droit à la santé, en représente le fondement juridique. De la même façon, en Italie, l’obligation vaccinale repose sur l’art. 32 de la Constitution qui prévoit le droit à la santé individuelle et collective et, surtout, à son deuxième alinéa, la possibilité d’établir des traitements sanitaires obligatoires. À titre de garantie, la Constitution italienne envisage une compétence exclusive du pouvoir législatif à ces fins, et pose comme limite le respect de l’individu et de ses droits. Malgré l’absence d’une telle disposition dans la Constitution française, ces deux garanties sont applicables en France aussi. En effet, s’agissant de la compétence en matière de vaccinations obligatoires, celle-ci relève du pouvoir législatif, comme l’a précisé le Conseil Constitutionnel dans la QPC n°458 du 20 mars 2015. D’ailleurs, par cette décision, le Conseil a également précisé non seulement que l’obligation vaccinale est conforme à Constitution afin de protéger la santé individuelle et collective, mais aussi qu’il est possible de « modifier les dispositions relatives à cette politique de vaccination pour tenir compte de l'évolution des données scientifiques, médicales et épidémiologiques ».

En France, une telle modification est intervenue avec la loi n°1836 du 30 décembre 2017 qui a élevé de trois à onze le nombre de vaccins obligatoires pour les enfants entre 0 et 18 mois. À vrai dire, l’extension française de l’obligation vaccinale a été fortement inspirée par l’exemple italien, comme l’a admis le ministre de la Santé de l’époque, Agnès Buzyn, en évoquant par cette réforme « un vaccin à l’italienne ». En effet, en Italie ce même processus était enregistré quelques mois auparavant avec le « decreto-legge » n°73 du 7 juin 2017 et la loi successive de conversion (loi n°119 du 31 juillet 2017), amenant le nombre de vaccinations obligatoires de quatre à dix.

Dans les deux pays, la volonté de procéder dans ce sens résulte des risques, soulevés par l’Organisation Mondiale de la Santé, relatifs à des couvertures vaccinales, pour les vaccinations simplement recommandées, fortement insuffisantes et à l’origine d’épidémies ou de décès évitables. De surcroit, en France, cette extension est intervenue dans un contexte de difficulté d'accès aux trois vaccins à l’époque obligatoires (Diphtérie, Tétanos, et Poliomyélite), ceux-ci étant accessibles seulement en formules de quatre, cinq ou six valences ; ainsi, le Conseil d'État a enjoint au ministre de la Santé « d'assurer la mise à disposition du public des vaccins permettant de satisfaire aux seules vaccinations obligatoires » (CE, 8 février 2017, n°397151). Le législateur a donc choisi d'étendre le champ de l'obligation vaccinale, en satisfaisant en même temps à l'injonction prononcée par le juge administratif et aux préoccupations avancées par l’OMS.

B. Obligation vaccinale et libertés individuelles aux yeux du Conseil d’État  

  S’agissant de la deuxième garantie susmentionnée et inscrite dans la Constitution italienne, c’est-à-dire le respect, par la prévision de vaccinations obligatoires, des libertés individuelles, cet aspect soulève davantage de questionnements en France qu’en Italie. En France à cet égard, et dans le contexte d’extension de la liste des vaccins obligatoires, la Ligue nationale pour la liberté des vaccinations a saisi le Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le décret n°42 du 25 janvier 2018 d’application de ladite loi n°1836/2017. Le Conseil d’État a été ainsi amené à confronter l'extension de l’obligation vaccinale à plusieurs droits et libertés fondamentaux garantis par le droit européen, notamment le droit à l'intégrité physique, qui relève du droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH) d’après la jurisprudence constante de la Cour de Strasbourg. En fait, les juges ont reconnu que l’imposition vaccinale constitue une restriction à ce droit, du même fait de son caractère obligatoire, mais ils ont fini par retenir cette restriction justifiée, et donc admise au visa de l’art. 8 alinéa 2 CEDH, en effectuant un contrôle de proportionnalité entre chaque vaccin rendu obligatoire et l’objectif poursuivi.

Dans son analyse, le Conseil d’État a préalablement relevé les caractéristiques des maladies et des infections pour lesquelles la vaccination a été rendue obligatoire, en les retenant pour la plupart extrêmement contagieuses. Successivement les juges ont pris acte de la grande efficacité des vaccins en cause et du caractère limité de leurs effets indésirables ; enfin, en troisième lieu, ils ont constaté que le caractère obligatoire desdites vaccinations a une incidence directe sur le niveau de la couverture vaccinale en France. De l’ensemble de ces considérations, les juges ont déduit « qu’en rendant obligatoires les onze vaccins[…]qui, pour huit d’entre eux, étaient antérieurement seulement recommandés, les dispositions législatives critiquées ont apporté au droit au respect de la vie privée une restriction justifiée par l’objectif poursuivi d’amélioration de la couverture vaccinale pour, en particulier, atteindre le seuil nécessaire à une immunité de groupe au bénéfice de l’ensemble de la population, et proportionnée à ce but ».

En Italie par contre, les contestations de l’extension de la liste des vaccins obligatoires se sont manifestées par une autre voix, c’est-à-dire par une QPC avancée par la Région de la Vénétie vis-à-vis du décret n°73/2017 avant l’entrée en vigueur de sa loi de conversion (possibilité admise par le système constitutionnel italien). Par la décision n. 5/2018 la Cour Constitutionnelle italienne, saisie de ce recours, a considéré elle aussi la réforme en discussion proportionnée aux restrictions imposées aux libertés individuelles, en raison de son objectif de protection d’autres droits ayant valeur constitutionnelle, notamment l’intérêt de la communauté ou l’intérêt du mineur. En conséquence, il apparait que dans les deux pays l’extension de l’obligation vaccinale, malgré son incidence sur les libertés fondamentales, a été admise et justifiée à travers un contrôle de proportionnalité tenant au but poursuivi par l’intervention législative.

 

II. Les conséquences du régime des obligations vaccinales 

  Après avoir analysé la légitimité de l’obligation vaccinale et de sa récente extension en Italie et en France, il convient d’examiner les conséquences qu’il en résulte d’une part sur le plan des sanctions en cas de non-respect de l’obligation en question (A), de l’autre en considération du régime de responsabilité y étant associé (B).

A. L’obligation vaccinale entre sanctions et droit à l’instruction

  Le non-respect des obligations vaccinales doit être sanctionné afin de ne pas affecter leur efficacité et, de ce fait, la couverture vaccinale de la population. En France, la loi n°1836/2017 a en principe dépénalisé la conduite des parents ou tuteurs exerçant l’autorité parentale qui refusent de soumettre leurs enfants aux vaccinations obligatoires, seul restant répréhensible au titre de l’art. 227-17 du code pénal la soustraction à l’obligation vaccinale qui compromet la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de l’enfant. Outre cette hypothèse rarissime, les parents ne sont donc plus soumis à aucune sanction pénale ou amende administrative à partir de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Dès lors, la seule sanction qu’ils pourront se voir appliquer consiste dans le refus à l'admission ou au maintien dans toute école, colonie de vacances ou autre collectivité d'enfants.

Avec la décision du 6 mai 2019, le Conseil d’État s’est d’ailleurs prononcé sur ce point aussi, la Ligue nationale pour la liberté des vaccinations arguant une atteinte au droit à l’instruction (au visa de l’art. 2 du premier Protocole additionnel CEDH) par une telle sanction. En cette occasion, les juges ont rejeté ce moyen et conclu que le droit fondamental à l’instruction ne fait pas obstacle à une réglementation de l’État pour des motifs d'intérêt général, en particulier de santé publique. Dès lors, puisque c’est dans l'intérêt de protéger la santé publique que le législateur a subordonné l'admission des enfants dans un établissement scolaire public ou privé, ainsi que dans toute autre collectivité d'enfants, à la justification du respect de l'obligation vaccinale qu'il a institué, la restriction au droit d’instruction par cette sanction apparait légitime et conforme à la convention EDH.

Le régime italien des sanctions est très semblable, la sanction la plus courante et efficace étant administrative et constituée par la limitation de l’accès à l’école pour les enfants non-vaccinés jusqu’à six ans. Toutefois, et différemment par rapport au régime français, la loi italienne prévoit encore la possibilité d’encourir dans une sanction administrative pécuniaire (entre cent et cinq cents euros) en cas de non-respect de l’obligation vaccinale. Le paiement de l’amende administrative libère les parents de l’obligation vaccinale, tout en restant soumis à la sanction indirecte d’exclusion des services éducatifs. En définitive, le régime des sanctions administratives est très semblable en France et en Italie et ne peut être contesté, malgré son incidence sur le droit à l’instruction, en raison de sa fonction de protection de la santé publique.

B. Profils de responsabilité en cas de vaccinations obligatoires

  Un dernier aspect qui mérite notre attention concerne le régime de responsabilité en cas d’accidents s’étant vérifiés suite à une vaccination obligatoire, hypothèse plutôt rare mais qui peut entrainer des conséquences graves, d’où la nécessité de prévoir un système efficace d’indemnisation et de responsabilité. En France, avec la loi n°1836/2017, dans cette hypothèse, la victime peut obtenir une indemnisation par l’ONIAM (art. 3111-9 CSP). Toutefois, cette réparation ne représente pas une voie de recours exclusive, les actions de droit commun contre le producteur du vaccin ou le praticien l’ayant administré restant toujours accessibles pour la victime devant la justice, en prouvant le lien de causalité entre la vaccination obligatoire effectuée et le préjudice résultant. Néanmoins, à travers un tel système d’indemnisation, la responsabilité directe de l’État laisse la place à une prise en charge à travers une procédure de solidarité nationale.

La législation italienne prévoit aussi un mécanisme d’indemnisation en matière de dommages survenus suite à une vaccination obligatoire, à l’art. 1 de la loi n°210 de 1992 ; ici encore, il s’agit d’une simple indemnisation, expression de solidarité sociale vis-à-vis de la victime. Par contre, pour ce qui concerne la réparation des dommages et intérêts, la victime se doit d’agir en justice en faisant valoir la responsabilité du producteur du vaccin ou du professionnel de santé comme en France. S’agissant de ce dernier, la Cour de Cassation a d’ailleurs récemment rappelé que le professionnel de santé peut être retenu responsable seul dans le cas où la soumission du patient au vaccin présentait des contre-indications manifestes pour sa santé, que le praticien aurait négligé (Cour de Cassation, 13 août 2018, n°20727).  Il est donc évident comment, d’un point de vue strictement juridique, l’extension de la liste des vaccinations obligatoires dans ces deux pays entraine également l’extension du régime très protecteur d’indemnisation des victimes jusque-là décrit.  

En conclusion, force est de constater que l’obligation vaccinale représente un sujet extrêmement controversé, notamment en raison de la difficulté de trouver un juste équilibre entre la protection des libertés individuelles et la prise en considération des nécessités de la vie en société. Son régime, très semblable entre France et Italie, démontre la tendance actuelle à insister davantage sur la protection de la santé publique, même au détriment de certaines libertés individuelles, pourvu que leur restriction soit proportionnée à l’objectif visé par le législateur.  

 

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