Enlèvements internationaux d’enfants : impact de l’accent mis sur la médiation dans la proposition de refonte du règlement Bruxelles II bis et le Brexit

En 2016, le Conseil de l’Union Européenne (‘UE’) a publié sa proposition de refonte (Proposition Règlement 2016/0190) du Règlement Bruxelles II bis sur les décisions en matière matrimoniale, de responsabilité parentale, ainsi qu’à l’enlèvement international d’enfants (Règlement (CE) 2201/2003). Cette proposition a ensuite été révisée par le Parlement européen, révisions qui ont été adoptées en 2018 (Résolution législative P8_TA(2018)0017). Cette refonte a pour but de supprimer les dernières barrières à la libre circulation des décisions judiciaires et d’assurer une meilleure protection de l’intérêt supérieur de l’enfant via une simplification et amélioration de l’efficacité des procédures (Proposition Règlement 2016/0190).

La proposition vise notamment à améliorer six grandes lacunes en matière de responsabilité parentale et d’enlèvement d’enfants présentes dans le règlement actuellement en vigueur. A cet effet, la proposition contient des dispositions relatives à l’audition de l’enfant, la concentration de la compétence territoriale des juridictions pour les affaires d’enlèvements internationaux d’enfants, la rapidité des procédures et la médiation, la procédure de retour de l’enfant et les motifs de refus de retour de l’enfant (Monéger 2018).

Il y a environ 1800 cas d’enlèvements d’enfants au sein de l’UE chaque année (Clark 2018). Les procédures mises en place par l’UE pour réagir à ce phénomène sont donc primordiales. Ces cas étant particulièrement sensibles, les instruments légaux seuls ne permettent pas toujours de répondre aux relations complexes intrinsèques aux enlèvements internationaux d’enfants. Les relations entre des parents dans les cas d’enlèvements d’enfants sont d’autant plus compliquées lorsque leur nationalité et Etats de résidence sont différents. Ils peuvent ne pas être familiers avec le système légal de leurs Etats de résidence respectifs, ou en être méfiants. Ainsi, la médiation permet de prendre en compte les aspects légaux et émotionnels attachés à ces situations (Paul 2016). Les solutions amiables sont reconnues comme particulièrement utiles dans les conflits familiaux concernant des enfants (Conférence de La Haye 2012). Les avantages de la médiation dans la résolution de ces différents est évidente par le fait que la majorité des cas de médiation familiale transfrontalière aboutissent à un accord de médiation (Missing Children Europe 2019). Ce système de résolution des différends facilite la garantie du droit de l’enfant à entretenir des relations personnelles et des contacts directs réguliers avec ses deux parents, même dans l’hypothèse où ils résident dans des Etats différents (Convention relative aux droits de l’enfant, art. 10(2)).

Dans la proposition de refonte de Bruxelles II bis, l’UE semble avoir pris en compte les bénéfices que présente la médiation dans les cas d’enlèvements internationaux d’enfants. En effet, l’importance de la médiation est ajoutée dans le préambule de la proposition, dans lequel il est affirmé que « le recours à la médiation peut jouer un rôle très important dans la résolution d’un conflit », notamment dans les affaires d’enlèvements internationaux d’enfants (Résolution législative P8_TA(2018)0017, considérant 28). D’autres dispositions démontrent également le nouvel accent mis sur la médiation. Ces nouvelles dispositions encouragent le recours à la médiation pour la résolution des cas d’enlèvements internationaux d’enfants.

Le nouveau règlement aura donc des conséquences dans les Etats membres concernant la médiation familiale. Toutefois, quelles seront les incidences de ce nouveau règlement en Angleterre (aux fins de ce blog, l’Angleterre sera désignée comme référant à l’Angleterre et aux Pays-de-Galles) face aux autres Etats membres de l’UE concernant le recours à la médiation pour les cas d’enlèvements internationaux d’enfants? 

Le peuple britannique a voté pour le retrait du Royaume-Uni (‘RU’) de l’UE avec une majorité de 51,89% le 23 juin 2016. Depuis, se déroulent les négociations quant aux accords qui régiront les relations futures entre l’UE et le RU. Pour le moment, aucun acte législatif spécifique n’abroge l’application du règlement européen en droit anglais. Ainsi, en l’état actuel, il est prévu que les dispositions continuent à s’appliquer au RU, mais sans garantie de réciprocité avec les Etats membres (European Union (Withdrawal) Act 2018, FLBA IAFL Resolution 2017). Toutefois, il a été annoncé que le gouvernement allait participer à l’élaboration du nouveau règlement (Jarrett 2016), ce qui démontre que l’Angleterre a un intérêt dans cet instrument, même dans l’hypothèse où il ne sera pas appliqué dans son territoire.

Dans un premier temps, seront traités les changements découlant de la proposition de refonte quant à l’institution et l’issue de la procédure de médiation (I). Dans un second temps, seront mises en exergue les nouvelles règles de droit affectant la médiation familiale dans les cas d’enlèvements internationaux d’enfants au sein de l’UE (II). Sera comparée la situation de la France, où le nouveau règlement sera applicable, avec la situation en Angleterre.

 

I – Institution et issue de la procédure de médiation familiale

Seront respectivement étudiés les changements opérés quant au mode d’introduction de la procédure de médiation (A), et à l’exécution des accords issus d’une médiation (B).

 

A) Invitation des juges à recourir à la médiation familiale

Un nouvel article concernant la médiation dans les affaires d’enlèvement international d’enfants a été introduit dans la proposition de refonte du règlement. L’article 23(2) dispose que la juridiction examine, le plus tôt possible, si les parties sont disposées à entamer une médiation pour convenir d’une solution dans l’intérêt supérieur de l’enfant, tant que cela ne retarde pas indument la procédure. Dans cette hypothèse, la juridiction invite les parties à recourir à la médiation. Cette règle est renforcée dans le considérant 28 de la proposition. Il s’agit d’une règle matérielle de procédure (Monéger 2018). L’existence de la possibilité de recourir à la médiation familiale était déjà une obligation pour les Etats européens (CEDH, affaire Cengiz Kiliç c. Turquie), mais les juges n’avaient pas l’obligation de rechercher la possibilité de recourir à la médiation.

Cette règle semble déjà être consacrée en droit français. En effet, l’article 1071 du Code de procédure civile (‘CPC’) dispose que le juge aux affaires familiales a pour mission de tenter de concilier les parties, et qu’il peut proposer une mesure de médiation, et désigner un médiateur après accord des parties. Ainsi, le juge a déjà la possibilité de proposer la médiation aux parties. Toutefois, ce pouvoir pourrait être renforcé, pour imposer au juge l’obligation de chercher le plus tôt possible si la médiation est une procédure envisageable, afin d’être en adéquation avec le nouveau règlement.

Après le retrait de l’Angleterre de l’UE, les dispositions du nouveau règlement risquent de ne pas être applicables sur le territoire anglais s’il entre en vigueur après ce retrait. Toutefois, le Civil Procedure Rules dispose que le juge a le pouvoir d’encourager les parties à coopérer entre elles dans la conduite de la procédure (Règle 1(4)(2)(a)), et à les encourager à recourir à des procédures alternatives de résolution des différends (Règle 1(4)(2)(e)). Il n’existe cependant pas d’obligation préalable spécifique aux cas d’enlèvements internationaux d’enfants.

L’Angleterre resterait partie à la Convention de La Haye sur les enlèvements internationaux d’enfants (‘Convention 1980’) même après son retrait de l’UE (Jarrett 2016), convention à laquelle tous les Etats membres sont parties (Hodson 2019). Concernant la médiation, cette convention donne seulement aux autorités centrales l’obligation de prendre les mesures appropriées pour faciliter une solution amiable (Convention 1980, art. 7(c)). Cette obligation ne concerne pas les juges. Les mesures additionnelles de la proposition de refonte du règlement Bruxelles II bis ne seraient donc pas applicables en Angleterre.    

 

B) Exécution des accords issus d’une procédure de médiation familiale

Au sein de l’UE, les accords entre parties, dont les accords de médiation, rendus exécutoires dans un Etat membre seront reconnus dans les mêmes conditions que les décisions (Proposition Règlement 2016/0190, art. 55). Ainsi, les accords de médiation sur des décisions de retour d’enfants (art. 49) seront automatiquement reconnues (art. 27) et exécutoires (art. 30) dans les autres Etats membres en vertu de la proposition. Cette exécution des accords de médiation est renforcée par une directive européenne (Directive 2008/52/CE, art. 6). Les accords de médiation portant sur un enlèvement international d’enfants seront donc automatiquement reconnus et exécutés entre la France et les Etats membres.

Après le retrait du RU de l’UE, des difficultés quant à l’exécution des accords de médiation se présenteront. De manière générale, seront abrogées les dispositions prévoyant la réciprocité dans la reconnaissance et l’exécution des accords de médiation entre l’Angleterre et l’UE (The Cross-Border Mediation (EU Directive) (EU Exit) Regulations 2019). Concernant la médiation dans les affaires d’enlèvements internationaux, si la proposition de refonte du règlement entre en vigueur après le retrait de l’UE, ses dispositions ne seront pas applicables. Ainsi, il y aurait la possibilité que l’Angleterre continue à appliquer des règles de reconnaissance et d’exécution des accords de médiation qui ne seront plus applicables dans le reste de l’UE (FLBA IAFL Resolution 2017). De plus, même si le règlement entre en vigueur avant le retrait, et que ses dispositions sont unilatéralement applicables en Angleterre, l’exécution de ces accords de médiation ne pourra être garantie dans l’Union, car la réciprocité entre le RU et l’UE ne sera plus en place (Jarrett 2016). La Convention 1980 ne prévoit pas de mécanisme de reconnaissance et d’exécution des décisions de retour d’enfants palliant les difficultés qui découleront du Brexit.

 

De surcroit, la proposition de règlement prévoit d’introduire de nouvelles règles matérielles quant à la procédure associée à la médiation.

 

II – Précisions quant à la procédure associée à la médiation

Dans la proposition de règlement, sont introduites de nouvelles indications quant aux délais à respecter lors d’une procédure de médiation dans ce contexte (A), et à l’aide financière qui devrait être disponible pour les parties (B).

 

A) Mise en place de nouveaux délais

Dans la proposition de règlement (art. 23(1)), Bruxelles II bis (art. 11(3)) et la Convention 1980 (art. 11), l’importance de la célérité des procédures de retour d’enfants est mise en avant, et les autorités ont un délai de six semaines pour rendre leurs décisions. La proposition de règlement va plus loin que les autres instruments mentionnés, en limitant la possibilité pour les parties de faire appel à une décision de retour ou de non-retour une seule fois (art. 23(1)). Cela a pour but de réduire la longueur des procédures dans les cas d’enlèvements internationaux d’enfants, afin de causer le moins de dommages possibles à l’enfant en question, et de ne pas le laisser dans une situation d’insécurité juridique. Les avantages de la rapidité des procédures pour l’intérêt de l’enfant est reconnu par la Conférence de La Haye, qui recommande aux Etats de réduire la nombre de recours possibles contre des décisions de retour (Conférence de La Haye de droit international privé 2010).

La nécessité de célérité de règlement des affaires d’enlèvements internationaux d’enfants est également mise en avant dans la proposition de règlement par la précision que la procédure de médiation et l’examen du juge de la possibilité de recourir à une telle procédure ne doivent pas retarder indûment la procédure (art. 23(2)). Cette précision, renforcée par le considérant 28 de la proposition, est la bienvenue, car il était fréquent que des parents, ou même des autorités centrales, utilisent la médiation comme moyen de retarder les procédures, et maintenir l’enfant dans l’Etat où il/elle a été enlevé(e) (Beaumont, Walker, Holliday 2016, CEDH affaire Raw et autres c. France).

Si le règlement entre en vigueur après le retrait du RU de l’UE et que les règles ne sont en conséquence pas comprises en droit anglais, l’Angleterre restera soumise au délai de six semaines en vertu de la Convention 1980. Cependant, il n’y aura pas d’obligation d’assurer que la médiation ne prolonge pas indûment les procédures de retour de l’enfant. Il y a donc un risque que les procédures en Angleterre soient plus longues que dans le reste de l’Union, car le mécanisme de la Convention 1980 est moins protecteur des parties et de l’enfant.

Cela est d’autant plus problématique que l’abrogation de la directive de l’Union sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale entraîne la fin de la suspension automatique du délai de prescription pour intenter une action en justice lorsque des parties entament une procédure de médiation (The Cross-Border Mediation (EU Directive) (EU Exit) Regulations 2019, Regulation 4, Schedule 1). Les parties devront dorénavant en faire la demande préalable au juge (Règle 26.4 du Civil Procedure Rule). Ainsi, s’il n’est pas prévu que la médiation dans les cas d’enlèvements internationaux d’enfants ne doit pas indument retarder la procédure de demande de retour de l’enfant, la procédure de médiation pourrait être très longue, au point de priver les parties de leur droit d’accès au juge.

 

B) Coûts associés à la procédure de médiation familiale

La question des frais de médiation n’était pas abordée dans la directive européenne de 2008 sur la médiation (Poillot-Peruzetto 2018). La proposition de règlement a pallié cette lacune quant aux affaires d’enlèvements internationaux d’enfants. En effet, le considérant 28 affirme qu’il conviendrait d’allouer aux parties une aide financière pour la médiation, d’un montant au moins équivalent à l’aide juridictionnelle qui leur a été, ou leur aurait été, allouée. De plus, l’article 58 impose une réciprocité entre les Etats membres, en disposant qu’une partie bénéficiant d’une aide pour couvrir les frais de médiation dans un Etat membre d’origine devrait bénéficier de l’assistance la plus favorable dans l’Etat membre d’exécution. Ce sera le mécanisme en vigueur en France, où la médiation familiale menée par la Cellule de médiation familiale internationale est déjà gratuite (Hochart 2017).

En Angleterre, si les dispositions de la proposition du règlement ne sont pas reprises, les Etats souhaitant intenter une procédure de médiation dans le contexte d’un enlèvement international d’enfants n’auront pas ces garanties. Ainsi, même si la médiation présente un avantage financier par rapport à une procédure judiciaire (Paul 2016), les parties seront moins incitées à recourir à la médiation en Angleterre que dans le reste de l’UE.

 

 

 

 

Bibliographie

Ouvrage

Poillot-Peruzetto S., Médiation, in Dalloz, (acutalisation 2018) 2013.

 

Articles

Beaumont P., Walker L., Holliday J., « Parental Responsibility and International Child Abduction in the proposed recast of Brussels IIa Regulation and the effect of Brexit on future child abduction proceedings », International Family Law 2016(4), pp. 307-314.

Clark L., « Brexit and family law », Justice Committee 2018, pp 1-4.

Family Law Bar Association, International Academy of Family Lawyers, Resolution first for family law, « Brexit and Family Law » 2018, pp. 1-21.

Hochart C., « La médiation, un remède aux ruptures familiales », Droit et cultures 2017(73), pp. 205-226.

Hodson D., « The UK will be ready for no deal on Brexit in family law », International Family Law Group LLP 2019, pp. 1-6.

Jarrett T., « Brexit: the Brussels IIa regulation – cross-border child contact cases, and child abduction », House of Common Library Briefing Paper 2016(07764), pp. 1-5.

Monéger F., « Les enlèvements d’enfants dans le projet de révision du Règlement « Bruxelles II bis » », Dalloz AJ Famille 2018, pp 538-541.

Paul C., « The role of family mediation in matters of parental responsibility », Directorate-General for Internal Policies, Policy Department C: Citizens’ Rights and Constitutional Affairs, Recasting the Brussels IIa Regulation, Workshop, Compilation of briefings 2016, pp. 18-28.

 

Textes officiels

Droit français

Code de procedure civile, article 1071, modifé par Décret n°2004-1158 du 29 octobre 2004 – arts. 3 et 4 JORF 31 octobre 2004 en vigueur le 1er janvier 2005.

 

Droit anglais

Civil Procedure Rules

European Union (Withdrawal) Act 2018.

Statutory instrument, 2019 No. 469, The Cross-Border Mediation (EU Directive) (EU Exit) Regulations 2019.

 

Droit de l’Union européenne

Directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale. 

Proposition de Règlement du Conseil relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, ainsi qu’à l’enlèvement international d’enfants (refonte), COM(2016) 411 final, 2016/0190 (CNS), 30 juin 2016.

Règlement (CE) n°2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n°1347/2000.

Résolution législative du Parlement européen du 18 janvier 2018 sur la proposition du règlement du Conseil relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, ainsi qu’à l’enlèvement international d’enfants (refonte) (COM(2016)0411 – C8-0322/2016 – 2016/0190(CNS)), P8_TA(2018)0017, 18 janvier 2018.

 

Droit international

Assemblée générale des Nations Unies, Convention relative aux droits de l’enfant, GA/RES/44/25, 20 novembre 1989.

Conférence de La Haye de Droit International Privé, « Médiation », Guide de bonnes pratiques en vertu de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants 2012.

Conférence de La Haye de Droit International Privé, « Quatrième partie – Exécution », Guide de bonnes pratiques en vertu de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants 2012.

Conférence de La Haye de Droit International Privé, Convention du 25 Octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants.

 

Décisions

Cour européenne des Droits de l’Homme, deuxième section, 6 décembre 2011, affaire cengiz Kiliç c. Turquie, requête n° 16192/06.

Cour européenne des Droits de l’Homme, cinquième section, 7 juin 2013, affaire Raw et autres c. France, requête n°10131/11.

 

Site internet

Missing Children Europe, « Brussels IIa regulation : Mediation between parents and listening to children in court cases affecting them makes all the difference », 2019, (http://missingchildreneurope.eu/News&press/Post/1135/BRUSSELS-IIa-regula...) consulté (26-05-2019).