Colin in Black and White, la dernière réalisation engagée d’Ava DuVernay et de Colin Keapernick.

 

« Aux sous-estimés, aux négligés et aux exclus, faites confiance à votre pouvoir. » Réalisé par Ava DuVernay et Colin Kaepernick, Colin in Black and White/Colin en Noir et Blanc est un drame-documentaire mettant en scène l’adolescence de l’athlète et les expériences qui l’ont poussé au militantisme. Mais qui est Colin Kaepernick et pour quoi milite-t-il ? 

Qui est Colin Kaepernick ? 

Colin Rand Kaepernick est un célèbre footballeur américain et activiste né en 1987 dans le Wisconsin dont la carrière sportive est aussi impressionnante que son engagement militant. En effet, en 2011, à 24 ans, Kaepernick intègre la prestigieuse NFL (National Football League) au sein de la franchise de renommée 49ers de San Francisco au sein de laquelle il joue six saisons. En 2012, il est promu quarterback titulaire et mène son équipe jusqu’à la finale du championnat de football américain, le Super Bowl XLVII mais celle-ci perd face aux Ravens de Baltimore. 

C’est lors de la saison 2016 que le joueur manifeste clairement son engagement militant en posant un genou à terre, avec son coéquipier Eric Reid, durant l’hymne américain, pour protester contre le racisme aux Etats-Unis et les violences policières envers les minorités. Son geste, perçu par certains comme antipatriotique et par d'autres comme courageux, divise les Etats-Unis et est instrumentalisé avec virulence par Donald Trump durant sa campagne présidentielle. Après cette saison tourmentée, le joueur décide de mettre fin à son contrat de quaterback des 49ers de San Francisco pour devenir joueur autonome mais il est mis au ban par la NFL malgré les besoins de plusieurs franchises y compris en tant que remplaçant. L'athlète a intenté un procès à la NFL pour collusion, celui-ci s’est soldé par un accord financier confidentiel. 

Contraint à se reconvertir professionnellement, Colin Kaepernick décroche un contrat publicitaire pour Nike, crée sa propre maison d’édition Kaepernick Publishing dédiée à une nouvelle génération d'écrivains issus des minorités et engagés pour un monde meilleur et plus juste et devient membre du conseil d’administration de la plateforme Medium qui réunit plusieurs blogs et attire jusqu’à 170 millions de lecteurs mensuels. En 2018, il reçoit le prix d’Ambassadeur de la Conscience d’Amnesty International pour « rendre hommage à son esprit militant et son courage exceptionnel » et en juillet 2020, la chaîne ESPN signe un contrat avec le militant dans le but de produire une série documentaire sur son histoire : c’est ainsi que la mini-série Colin in Black and White/Colin en Noir et Blanc sort le 29 octobre 2021 sur la plateforme de streaming Netflix.

 

 

Un geste qui s’inscrit dans l’histoire des Etats-Unis et des luttes contre le racisme

En août 2016, Colin Kaepernick pose son genou à terre pour dénoncer les violences policières envers les Noirs et plus précisément l’acquittement systématique des policiers Blancs mis en cause pour bavures. Par ce geste il ne voulait plus « afficher de fierté pour le drapeau d’un pays qui opprime les Noirs et les gens de couleur ». Avant de poser son genou à terre, le joueur avait choisi de s’asseoir pendant l’hymne national pour protester, mais suite à une discussion avec un joueur qui a combattu en Irak et en Afghanistan, il adopta une attitude moins offensante pour les vétérans et opta pour la posture du “take a knee” qui fait référence aux soldats qui s’agenouillent devant les tombes de leurs compagnons morts au combat. Les footballeurs américains ont déjà eu recours à cette pratique lorsqu'un joueur blessé doit être évacué de la pelouse ou lorsque le quarterback joue la montre alors que le temps du jeu arrive à sa fin mais c’est la première fois dans l’histoire du football américain qu'il est invoqué pour protester contre les injustices sociales et raciales.

 

"Nous en sommes venus à la conclusion qu’il valait mieux s’agenouiller, plutôt que de s'asseoir, en signe de protestation pacifique" - Eric Reid, New York Times 

 

Ce n’est pourtant pas la première fois que de telles protestations sont manifestées dans le milieu sportif aux Etats-Unis. Rappelons ici le fameux poing levé et ganté des sprinters Tommie Smith et John Carlos durant les Jeux Olympique de Mexico de 1968 pour protester contre la ségrégation raciale et le racisme. Tout comme pour Colin Kaepernick, le geste des sprinters leurs ont coûté leur carrière comme le montre l’oeuvre de l’historien spécialisé en civilisation américain Nicolas Martin-Breteau, «A 50 ans d’écart, le poing levé des sprinters et le genou de Kaepernick racontent la même histoire». 

 

 

 

 

 

"Après ce geste, les deux athlètes ont été considérés par une partie de l’opinion publique comme des traîtres à la nation"  - Nicolas Martin-Breteau, «A 50 ans d’écart, le poing levé des sprinters et le genou de Kaepernick racontent la même histoire»

En effet, les années 1960 sont des charnières pour la lutte pour les droits civiques des afro-américains aux Etats-Unis. En 1965 par exemple ont lieu les Marches de Selma, des manifestations pacifiques pour le droit de vote auxquelles Martin Luther King, figure de la lutte non-violente pour les droits civiques, participe et s’agenouille pour une prière. Son geste ne va pas sans rappeler celui de Colin Kaepernick qui semble s’inscrire en continuité avec cette lutte non-violente pour la justice sociale et raciale. Selon Simon Grivet, maître de conférences en histoire et civilisation des Etats-Unis à l’Université de Lille, le geste de Colin est « un geste d'humilité, de prière et de non-violence, déjà utilisé par Martin Luther King ».

Malheureusement les conditions de la mort de George Floyd en 2020 font un terrible écho au "take a knee" de Martin Luther King en 1965 et celui de Colin Kaepernick en 2016 et leur sens : asphyxié sous la pression du genou du policier Derek Chauvin après avoir répété « I can't breathe » . L’envergure médiatique internationale de l’affaire donne une réelle ampleur au geste qui devient viral en Europe lors du championnat de football 2021 et au sein du mouvement Black Lives Matter qui rassemble des personnes du monde entier pour combattre les injustices sociales et raciales. En France, l’affaire Adama Traoré cristallise la lutte. Le genou à terre est également repris  par des policiers, des soldats de la garde nationale ou encore par Joe Biden, actuel président des Etats-Unis. La NFL, quant à elle, a exprimé son regret de ne pas avoir entendu plus tôt les joueurs ayant manifesté leur opposition au racisme sans daigner nommer Kaepernick : le joueur Malcolm Jenkins ou encore le Révérend Al Sharpton réclament excuses et restitution d’emploi au joueur qui à vu sa carrière détruite pour ses convictions.

C’est donc dans un contexte riche que la série Colin in Black and White s’inscrit. Celle-ci polarise plusieurs histoires : c’est d’abord l’histoire des prémices d’une carrière sportive à succès, mais aussi l’histoire d’un adolescent en pleine construction de son identité qui réalise les injustices que subissent les personnes de couleurs dont il fait parti et c’est enfin, et plus globalement, l’histoire des luttes sociales et raciales aux Etats-Unis. 

 

 

 

La série Colin in Black and White/Colin en Noir et Blanc

Colin In Black & White | "The Path is Power" Official Teaser | Netflix

Colin in Black and White/Colin en noir et blanc est une mini-série à l’esthétique muséale, dramatique et documentaire, de six épisodes d’une trentaine de minutes disponible sur Netflix. Le narrateur, qui n’est autre que Colin Kaepernick lui-même, observe, analyse et commente son adolescence : celle d’un enfant métis adopté par un couple de parents Blancs, Teresa et Rick Kaepernick, qui grandit dans la ville particulièrement monochrome de Turlock en Californie et qui se fait remarquer pour ses talents exceptionnels dans le baseball, le basket et le football américain. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Du divertissement documentaire et engagé

La narration, la réalisation et l’esthétique sont particulièrement innovants : les premières minutes du premier épisode débute par une prise de position très claire de la part du narrateur qui comparent les sportifs afro-américains à des esclaves à travers des passages fluides entre un terrain de football et une mise en scène d’un marché d’esclave dans lequel les gestes des individus se confondent par analogie. Colin observe, depuis un espace muséale et intemporel, son adolescence à travers un grand écran, une scène dans laquelle le spectateur plonge pour passer à la fiction qui prend la forme d’une reconstitution. Régulièrement, la narration fait des sauts dans le temps et dans l’esthétique donnant son dynamisme pop à la série. 

Dans ces sauts de narration et d’esthétique, la réalisatrice, Ava DuVernay, intègre des instants didactiques en faisant des apartés historiques qui s'appuient sur des images d’archives. Ces apartés permettent au Colin-adulte d’expliquer, d’un point de vue historique, des comportements et remarques racistes ou discriminantes que le Colin-adolescent subit sans en comprendre l’origine. C’est un procédé que l'on peut retrouver dans certaines productions afro-américaines comme dans la série Black-ish dans laquelle un père de famille fait régulièrement des apartés illustrés par des archives ou des dessins simples pour expliquer l’histoire des luttes des minorités aux Etats-Unis à ses enfants ou collègue de travail. En effet, la réalisatrice Ava DuVernay est connue pour ses productions engagées pour la communauté afro-américaine et en faveur de la justice et de la reconnaissance de profils afro-américains invisibilisés ou oubliés. Dans cette lignée, la série Colin in Black and White s’inscrit dans un engagement militant et chaque épisode traite de problématiques observées dans la lutte contre le racisme et les discriminations sociales et raciales. 

Une réception mitigée 

Malgré tout, la réception internationale semble particulièrement mitigée. Selon Internet Movie Database le film obtient une note globale de 5,2/10 or si l’on observe le détail des notes on observe qu’il obtient à 33,8% une note de 10/10 et à 34,2% une note de 1/10. Selon l’article du média australien DMARGE «Colin Kaepernick “Black & White” : Why Is Nobody Talking About Its IMDb Rating ?», «you have a lot of conservatives marking the series down, and a lot of progressives coming in and giving it high marks to balance it out.»/ «vous avez beaucoup de conservateurs qui donnent une mauvaise note à la série et beaucoup de progressistes qui viennent lui donner d’excellentes notes pour contrebalancer.». Autrement dit, la série est tellement politisée qu’il est difficile pour les cinéphiles d’avoir un avis sincère des personnes qui l’ont regardé car celui-ci est teinté d’idéologie politique. En effet, les critiques négatives qui sont le plus souvent faites à la série sont celles de la victimisation des personnes noires, de l’egotrip de Colin Kaepernick, du “wokisme” et de la bien-pensance - pour ne pas dire le néologisme "islamo-gauchisme" -. En France, la série a reçu peu de critiques, que ce soit du public que de la presse, néanmoins les critiques négatives des spectateurs sont du même ton.

A l’inverse, les critiques positives saluent l’audace et la créativité de la série ainsi que son engagement et son didactisme. Pour ma part, c’est la notion de racisme ordinaire qui m’a semblé le plus marquant et intéressant à révéler dans la série. En effet, l’on pourrait définir le racisme ordinaire comme un ensemble de micro-agressions à travers des réflexions sur le nom, le prénom, les origines, la façon de s’habiller, de se coiffer…presque systématiques qui excluent les personnes de leur communauté. Dans la série, on observe quelque chose de très subtile mais de très réaliste : la minimisation du fait raciste et la difficulté voire l’impossibilité de le rendre intelligible à ceux qui ne le subissent pas. Le racisme ordinaire est pernicieux ce qui le rend compliqué a exprimer quant on en est victime, le sentiment qu'il provoque semble toujours démesuré face au fait racisme pourtant l’offense ou l’humiliation approuvée est bel et bien réelle. Ici, nous faisons face à un Colin-adolescent qui est incapable d’expliquer à ses parents ce qu’il ressent quand des inconnus leur demandent constamment si « tout va bien ? » parce qu’ils considèrent qu’un jeune homme Noir avec deux adultes Blancs ne peut être là que pour les importunés ou encore lorsque l’on dénigre ses tresses parce qu’elles ne font pas «professionnelles» ou enfin quand sa mère lui fait comprendre qu’elle préférerait que sa future belle fille soit Blanche plutôt que Noire... tant de micro-agressions qui rythment la série et l’érige en soutien inconditionnel pour ceux qui les subissent et qui ressentent du soulagement en voyant que celles-ci sont intelligibles grâce à des explications historiques. 

 

Dans l’absolu, Colin in Black and White est une série agréable à regarder et divertissante mais une fois replacée dans son contexte elle prend réellement tout son sens et son relief.  

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