Compte-rendu : Le Dictionnaire amoureux de l'inutile, François et Vincent Morel
Le dimanche 8 octobre se jouait, au théâtre de Suresnes – Jean Vilar, Le dictionnaire amoureux de l’inutile, de et par François et Valentin Morel. Le père et le fils, donc, publient en octobre 2020 le livre à l'origine de la lecture théâtrale qu’ils en ont proposé. François Morel, depuis des années, régale, par ses billets du vendredi, les oreilles des auditeur·ice·s de France Inter. Sa plume acerbe mais poétique, sans concession mais empreinte de douceur, se retrouve dans ce projet à quatre mains, édité chez Plon. Avec son fils Valentin, en pleine reconversion professionnelle, ils s’attachent à revenir sur l’inutile indispensable à la vie, de A à Z, avec une complicité touchante. Si certains objets de définition semblent d’un commun partagé par tous, des irruptions oniriques et intimes du duo viennent égayer la lecture, agrémentées de croquis et descriptions émues. Au fond, ils abordent surtout ensemble la question existentielle de la subjectivité de l’inutile et de l’indispensable : “L’homme est-il plus utile que la langouste ? La pomme de terre est-elle plus indispensable que le liseron ? L’idiot du village moins nécessaire que le membre de l’Institut ?” (quatrième de couverture du Dictionnaire amoureux de l'inutile). Ils révèlent surtout combien, en passant par cette subjectivité absolue, ils parviennent à réveiller des émotions enfouies en chaque lecteur·ice.
Père et fils ont fait le choix, ensemble, de porter au plateau ces digressions au quotidien rationnel. Sur scène, deux tables, deux chaises, deux lampes, deux carafes d’eau et deux verres. À l’avant-scène, à jardin, un fauteuil très années 60 ; à cour, un piano droit. L’écran, en fond de scène, annonce au spectateur ce qui l’attend et illustre chaque lettre, chaque terme, ajoutant à la scénographie un ressort comique incontestable. Les deux Morel entrent, s’installent, chacun à sa table, et commencent à lire les fiches tirées de leur dictionnaire. D’abord, très factuels et presque scolaires, ils dissertent sur des termes choisis en A. Âge, apéritif, art autoroutier, autotamponneuses se voient, tour à tour, chargés d’une poésie contemplative et réjouissante.
Puis, soudainement, la musique fait se lever les deux complices. Ils tournent aléatoirement sur le plateau, se saluent, et justifient, disant qu’ils ont trouvé « bien senti d’imaginer une mise en scène inutile ». Les rires gagnent plus franchement alors le public, le dynamisme s'empare de la scène et les maîtres de conférence deviennent pleinement comédiens. Les considérations générales s'enchaînent, de lettre en lettre, tournant peu à peu au conseil intime et à l’émotion universelle, sans en avoir la prétention. Chaque mot endosse, au fur et à mesure, une dimension plus personnelle à la famille Morel qui, le temps d’une considération inutile, devient indispensable à l’âme. Les archives vidéos de l’enfance de Valentin, au grain si reconnaissable du Super 8, nous invitent à nous sentir plus proches encore des deux auteurs-comédiens. Plus tard, s’émancipant pleinement de l’espace de conférence, le fils à son piano et le père dans son fauteuil à l’autre bout de la scène, se rappellent ensemble, pourtant sans se regarder, de feu leur chienne Pasto. Le souvenir et le deuil y sont abordés avec légèreté et douceur, arrachant de ci, de là, des larmes et sourires au public.
On ressort de la salle, le soleil à l’estomac. Les deux auteurs attendent leur public pour dédicacer leur ouvrage. Comment, alors, résister à la tentation de se plonger, dès qu’on arrive chez soi, dans les bons mots illustrés des deux complices ? Ils se tiennent là, à leur table dans le hall du théâtre Jean Vilar, signant à tour de bras les exemplaires de leur dictionnaire, et clôturent ainsi l’expérience intime partagée, en une heure et quart, avec leur public.
Après avoir sillonné la France entre 2013 et 2016 avec leur lecture à deux voix, qu’ils ont notamment présentée au Théâtre du Rond-Point en 2015, c’est le théâtre Jean Vilar de Suresnes que choisit François Morel en 2023. Après Les Habits du dimanche en 2003, La Vie (titre provisoire) et le Concert François Morel en 2017 mais aussi l’hommage à Raymond Devos J’ai des doutes en 2020, la fidélité entre le théâtre et François Morel devrait, l’a annoncé la directrice Carolyn Occelli, se renouveler dès les prochains mois pour une nouvelle pièce. En attendant d’en découvrir davantage des récits, amours et hommages de François Morel, Le Dictionnaire amoureux de l’inutile est programmé du 18 mai au 1er juin 2024 à la Scala à Paris.