D'un monisme théorique décrit par la Constitution américaine semblable au système français à un dualisme parsemé d'épisodes monistes dans les faits : Commentaire du Restatement (Fourth) of the Foreign Relations Law of the United States

Le respect du droit international par les Etats-Unis se place au cœur d’une actualité riche en critiques, particulièrement suite aux affaires Lagrand et Avena, où la Cour internationale de Justice a décidé que les Etats-Unis ont manqué à leur obligation internationale[1], une décision à laquelle les cours américaines n’ont toujours pas su se conformer, comme le confirme la décision (qui a toujours force de précédent) Medellín v. Texas, 552 U.S. 491 (2008) dans laquelle la Cour suprême américaine affirme qu’un traité peut certes engager les Etats-Unis, mais qu’il n’est contraignant en droit interne qu’en cas de transposition ou s’il est jugé auto-exécutoire.

Les raisons d’une telle singularité découlent d’une part de la hiérarchie des normes américaine et d’une autre de la nature plus dualiste que moniste de leur système juridique. Il est ici question de l’applicabilité immédiate des normes internationales, soit la possibilité pour une norme de droit international de conférer des droits aux personnes physiques et/ou morales d’un Etat donné, sans nécessité de transposition en droit interne, un examen réalisé en droit américain, à la différence du droit français, avant même de traiter l’effet direct de celles-ci[2]. Lorsque ces personnes peuvent se prévaloir de ces droits devant les juridictions internes de ce même Etat, la norme est alors d’effet ou d’applicabilité directs[3]. Ainsi, en droit américain, une norme peut être d’applicabilité immédiate sans être d’effet direct, tel qu’indiqué par le paragraphe 311 et à la page 9 du Restatement. Le présent billet se focalisera sur l’applicabilité immédiate dès lors que sans elle, le droit international est largement moins susceptible d’être appliqué dans l’ordre interne, ce qui est particulièrement visible concernant l’exemple des Etats-Unis où certains auteurs soutiennent même qu’il y a eu au fil des décennies une véritable politique du Sénat américain de minimiser le potentiel des normes internationales en droit interne[4].

C’est pourquoi le présent billet tâchera en commentant les principes 308 à 310 du Restatement (Fourth) of the Foreign Relations Law of the United States d’examiner une des principales difficultés en raison de laquelle le droit international peine à s’appliquer au sein du système fédéral américain dit mixte, à savoir la détermination de l’applicabilité immédiate des normes internationales dans l’ordre interne, une question également présente mais traitée bien différemment au sein du système moniste français. Le restatement est une technique juridique développée par l’American Law Institute visant à refléter le droit positif américain actuel sur un sujet donné[5]. La source commentée par le présent billet constitue ainsi la version la plus récente d’une codification doctrinale du droit international tel que perçu par le juge américain[6].

Le présent billet tentera de démontrer que les juridictions du système fédéral américain, à l’origine moniste, semblent depuis quelques siècles aller dans la direction d’une présomption de non-applicabilité immédiate des normes internationales caractérisant un système désormais quasi dualiste, là où les cours françaises ne cessent de multiplier les assouplissements de leur examen de l’applicabilité non seulement immédiate, mais surtout directe des normes internationales, témoignant ainsi de deux approches opposées vis-à-vis du droit international.

Il examinera d’abord le rôle que le droit international joue au sein du système fédéral américain en examinant sa hiérarchie des normes interne telle que décrite par la Constitution fédérale et par les principes 309 et 308 du Restatement (I), puis étudiera la difficulté majeure que le droit international doit surmonter afin d’être appliqué par les juridictions internes, soit la question de savoir si ses dispositions peuvent être d’application immédiate traitée par les paragraphes 308 à 310 du Restatement (II), un examen décrit par le paragraphe 310 du Restatement qui, comme on le verra, est effectué de manière plus sévère qu’en droit français (III).

  1. La place du droit international dans la hiérarchie des normes américaine : des principes 308 à 309 du Restatement

L’article 6.2 de la Constitution américaine indique la hiérarchie des normes américaine selon laquelle les traités ont la même valeur que les lois fédérales, une valeur donc supérieure aux lois et Constitutions des Etats fédérés, comme le reflètent les paragraphes 309 et 308 du Restatement, mais inférieure à la Constitution fédérale américaine. Ainsi, en cas de conflit entre une norme découlant d’un traité international et une loi fédérale, l’acte postérieur ou plutôt « la dernière expression de la volonté souveraine des Etats-Unis[7] » l’emporte selon le principe lex posterior derogat priori.

Il s’agirait donc d’une approche différente et plus unilatéraliste que celle dictée par l’article 55 de la Constitution française, selon lequel les traités internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés jouissent d’une autorité supérieure à celle des lois, mais, tout comme aux Etats-Unis, inférieure à la Constitution[8]. En outre, l’article 54 de la Constitution évoquant cette règle indique qu’en cas de conflit, la Constitution doit être modifiée, ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis (la Constitution américaine n’a d’ailleurs eu comme modifications que vingt-sept amendements).

Ainsi, ces distinctions suggèrent dès le départ une position plus faible du droit international au sein de l’ordre juridique américain par rapport à son homologue français, une situation qui, comme on le verra, n’est qu’aggravée par la nature désormais plus dualiste que moniste d’un système pourtant supposé mixte.

  1. D’un système à l’origine moniste à un système quasi dualiste : la doctrine des dispositions auto-exécutoires telle que décrite par le Restatement

L’article 6.2 de la Constitution américaine énumère trois sources étant « la loi suprême du pays », à savoir la Constitution, les lois fédérales, et les traités conclus par les Etats-Unis et ajoute que les juges de chaque Etat fédéré sont liés par ces trois sources, laissant suggérer que les traités internationaux conclus par les Etats-Unis seraient directement applicables en droit américain.

Par conséquent, l’approche moniste du système français n’exigeant aucune loi de transposition, tel que stipulé à l’article 55 de la Constitution, semble en théorie être également celle des Etats-Unis d’après une interprétation littérale de l’article 6.2 de la Constitution américaine. Pourtant, la pratique est allée dans la direction opposée en réaffirmant systématiquement de nouveaux critères, que l’on examinera par la suite, afin de complexifier davantage l’application du droit international au sein du système américain, suggérant davantage une approche quasiment dualiste[9]. C’est de ce fait que les Etats-Unis sont par beaucoup perçus comme un Etat peu respectueux du droit international, tant les obstacles à son applicabilité au niveau interne sont nombreux, par certains même critiqués comme ayant été créés de toutes pièces par les juridictions fédérales[10].

En effet, aujourd’hui, uniquement les dispositions auto-exécutoires des accords exécutifs et des traités ratifiés par les Etats-Unis jouissent d’une applicabilité directe en droit américain, comme le reflètent les paragraphes 308 à 310 du Restatement. Ce principe est né à l’occasion de la décision Foster v. Neilson[11], où est révélée la logique de la distinction : un engagement issu d’un traité peut quelquefois relever davantage de l’autorité politique du pouvoir exécutif que de la branche judiciaire, ce pourquoi la branche législative doit exécuter l’obligation concernée avant que le pouvoir judiciaire puisse l’appliquer. Par conséquent, un traité nécessitant une mise en œuvre au niveau interne ne peut être appliqué directement par le juge américain.

Ainsi, si certaines dispositions sont considérées auto-exécutoires et ont la même valeur que les lois fédérales, d’autres exigent que le législateur fédéral intervienne, sans quoi elles ne peuvent être appliquées par le juge américain.

Dès lors que l’on a vu que d’un système à l’origine moniste le système américain est devenu mixte du fait de la doctrine des dispositions auto-exécutoires, nous étudierons désormais leur examen qui, comme nous le verrons, est moins favorable à leur application immédiate que cela est le cas en droit français.

  1. Définition du caractère auto-exécutoire d’une disposition du droit international : un examen américain plus unilatéral que son homologue français

Alors qu’il n’existe aucun critère qui puisse de manière indiscutable expliquer le caractère auto-exécutoire ou non d’une disposition, le paragraphe 310 du Restatement énumère quelques principes, chacun laissant une certaine marge de manœuvre au juge.

La réponse est néanmoins claire lorsque le Sénat stipule que son consentement à la ratification d’un traité est subordonné à la condition qu’une disposition donnée ne soit pas auto-exécutoire, comme le rappelle le paragraphe 310 (2) alinéa 4. Cette technique est d’ailleurs si souvent utilisée qu’il semblerait que la pratique américaine contourne le monisme décrit par la Constitution en préférant systématiquement la promulgation d’une loi d’application à l’applicabilité directe d’une norme[12].

En outre, dans ce cas-là, la nature de la disposition est révélée par l’intention du Sénat, et non des Etats parties au traité concerné. Cela étant, l’intention de la partie américaine (et ainsi du pouvoir exécutif américain) peut également révéler le caractère auto-exécutoire ou non d’une disposition si le texte et le contexte de la convention semblent manifester un choix délibéré de celle-ci, comme le reflète le paragraphe 310 (2).

Il s’agit d’un examen donc très délicat et témoignant d’une approche différente de celle utilisée en France où le juge recherche directement l’effet direct sans vérifier l’applicabilité immédiate de la norme concernée, le système juridique français étant un système moniste, et non mixte, à l’inverse du système américain[13]. « En droit français, depuis l’adhésion de notre système juridique au principe moniste […] les traités internationaux […] sont généralement présumés produire des effets directs en droit interne »[14] dès leur publication. Cette présomption d’applicabilité directe (et non d’effet direct) n’existe pas en droit américain, ce qui est rappelé à la note 3 du paragraphe 310 du Restatement, et certains soutiennent même qu’une présomption de non-applicabilité immédiate existerait depuis plusieurs décennies[15].

Une norme est d’effet direct en droit français si elle « n’a pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats » et « ne requiert l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers » depuis l’arrêt GISTI et FAPIL du Conseil d’Etat[16]. Cela témoigne d’une approche moins unilatéraliste que celle du juge américain qui se concentre exclusivement sur l’intention de la partie américaine dans son examen de l’applicabilité immédiate.

Pourtant, la recherche du caractère précis, complet et inconditionnel[17] de la norme réalisée par le juge français dans son examen de l’effet direct est désormais expressément reprise au paragraphe 310 alinéa (2)(a) du Restatement qui stipule que ladite norme doit être précise et impérative afin de pouvoir être directement applicable par le juge américain.

Enfin, le paragraphe 310 (3) du Restatement indique que le juge américain peut décider qu’une disposition qui nécessiterait que le Président exerce une autorité que la Constitution fédérale réserve au Congrès exclusivement n’est pas auto-exécutoire, et une loi fédérale est alors nécessaire à son fonctionnement en droit interne.

Cette approche reflète une préférence forte pour les lois d’application, un souci auquel répond avec beaucoup plus de facilité l’article 53 de la Constitution française qui prévoit que les traités empiétant sur les compétences exclusives du pouvoir législatif nécessitent une loi du Parlement, sans quoi ils ne peuvent être ratifiés ou approuvés. Cette loi doit contenir l’accord du Parlement uniquement, et n’est aucunement une loi d’application telle que nécessaire en droit américain, une solution plus aisée qui privilégie une application donc plus large du droit international par le juge français.

De plus, dans le cas où un traité est ratifié en violation de ce principe, le Conseil d’Etat a considéré dans un arrêt CE, Ass., 18 décembre 1998, SARL du parc d’activité de Blotzheim, Lebon, p. 483 qu’ils n’ont pas d’autorité supérieure à la loi, tandis qu’en droit américain ces mêmes traités seraient jugés comme étant non auto-exécutoires et ainsi sans valeur en droit interne.

En effet, tout compte fait, la doctrine des normes auto-exécutoires révèle la perception du droit international en droit américain, une vision hautement politisée où le juge recherche avant tout la volonté des autorités politiques américaines.

 

Bibliographie

Source commentée

American Law Institute, « Restatement of the Law (Fourth) of the Foreign Relations Law of the United States », American Law Institute Publishers, 2018.

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Conseil d’Etat français

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CE 23 avril 1997, GISTI, Lebon, p. 142.

CE 22 septembre 1997, Mlle Cinar, Lebon, p. 319.

CE, Ass., 30 octobre 1998, Sarran et Levacher, Lebon, p. 368.

CE, Ass., 18 décembre 1998, SARL du parc d’activité de Blotzheim, Lebon, p. 483.

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Cour de cassation française

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Conclusions

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Abraham R., Concl. sous CE 23 avril 1997, GISTI, RFDA, 1997, pp. 585-589.

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[1] LaGrand (Allemagne c. États-Unis), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 466 ; Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. États-Unis), arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 12.

[2] J. Verhoeven, « La notion d’applicabilité directe du droit international », RBDI, 1980-2, p. 243.

[3] Ibid.

[4] L. F. Damrosch, « Role of the United States Senate Concerning Self-Executing and Non-Self-Executing Treaties », Chi.-Kent L. Rev., 1991, pp. 516-517.

[5] P. Pradal, « Le restatement : les États-Unis entre tradition civiliste et tradition de common law », Les Cahiers de la Justice, vol. 3, no. 3, 2010, pp. 81-95.

[6] C. Kessedjian, « Le Restatement of the Foreign Law of United States. Un nouveau traité de droit international ? », JDI, 1990-1, p. 36.

[7] Whitney v. Robertson, 124 U.S. 190 (1888), p. 194.

[8] CE, Ass., 30 oct. 1998, Sarran et Levacher, Lebon, p. 368. ; C. Cass., 2000, Fraisse, n°99-60274.

[9] J. J. Paust, « Self-Executing Treaties », Am. J. Int'l L., 1988, pp. 783-784.

[10] V. A. Peyro, « La place du droit international dans la jurisprudence récente de la Cour suprême des États-Unis », RGDIP, 2005, p. 609 et s.

[11] Cour Suprême, 9 mars 1829, 27 US (2 Pet.) 253 (1829), p. 314.

[12] J. Dhommeaux, « Monismes et dualismes en droit international des droits de l’homme », AFDI, 1995, p. 461 ; Supra note 4.

[13] Concl. R. Abraham, sous CE 23 avril 1997, GISTI, RFDA, 1997, pp. 585-589.

[14] Ibid.

[15] T. Buergenthal, « Self-executing and non Self-executing Treaties », RCADI, 1992-4, p. 382.

[16] CE, Ass., 11 avril 2012, GISTI et FAPIL, Lebon, p. 142.

[17] Concl. R. Abraham, sous CE 22 sept. 1997, Mlle Cinar, RFDA, 1998-3, p. 563.