Jack et la mécanique du coeur ou la poétique de l'horloge

Jack et la mécanique du coeur, 2014, par Mathias Malzieu et Stéphane Berla. 

 

La poétique de l’horloge

Adapté de son roman La Mécanique du coeur paru en 2007 et de l’album éponyme qui lui est associé, Jack et la mécanique du coeur est le fruit du projet de toute une troupe d’artistes gravitant autour de Mathias Malzieu. Le co-réalisateur Stéphane Berla n’est autre que le réalisateur des clips du sixième album du groupe Dionysos dont il est le chanteur-leader, Olivia Ruiz qui prête sa douce voix à Miss Acacia n’est autre que son ex-compagne et Nicoletta Ceccoli, l’illustratrice du roman, la graphiste du film. Accompagné d’un casting fameux : Jean Rochefort, Arthur H, Alain Bashung et d’autres, Mathias Malzieu livre une version cinématographique en demi teinte de son conte onirique. 

Jack est né le jour le plus froid de l’hiver, son coeur en est resté gelé. Recueilli par Madame Madeleine, sorcière chamanique, elle le sauve en remplaçant son coeur par une minuscule horloge qui le maintiendra en vie à trois conditions : ne jamais toucher à ses aiguilles, ne jamais se mettre en colère et ne jamais ô grand jamais tomber amoureux ! Inutile de préciser qu’aucune d’entre elles ne seront respectées, entraînant le jeune romantique dans une quête effrénée qui le mènera de la sombre ville d’Édimbourg jusqu’aux déserts andalous, en passant par Paris. 

« Animal humain, horloge de sang » Journal, 1957, Paul Klee. 

L’on associe souvent à tort le film d’animation à l’univers enfantin, Jack et la mécanique du coeur en est un exemple parlant. Si le coeur de Jack gèle, c’est bien le sang du spectateur qui se glace dès l’ouverture du récit, dont la noirceur, ne s'éclaircit qu’à grands coups de métaphores poétiques. Abandonné, rejeté, harcelé, brutalisé, Jack est bien miséreux ! Son infortune est grande, tout autant que son entêtement à retrouver celle qui fait frémir d’amour ses aiguilles. Il semble que tous autour de lui aient subi les affres de la vie aussi : Arthur, dont le coeur est aussi brisé que son corps, Anna qui dérobe les fleurs des sépultures, Joe le harceleur rongé par l’amertume, Madeleine addict à l’alcool de larmes … personne n’est épargné par le cynisme cinglant de Mathias Malzieu. Le tout, plongé dans un univers à l’esthétique gothique et décalée, qui ne fait qu’accentuer l’étrange obscurité de cette fable. 

click-clock-ding-dong … Haut les coeurs !

La lumière jaillit cependant, révélant un tableau en clair-obscur dont la beauté est indiscutable. La cruauté de la destinée des personnages de Jack et la mécanique du coeur  ne fait qu’accentuer la tendresse qu’on leur porte, sans (presque) jamais tomber dans le piège du pathos. La poésie infinie qui émane de ce conte est sans doute la plus belle réussite de Mathias Malzieu et de Stéphane Berla. Poésie qui n’aurait pu atteindre son apogée sans une esthétique si délicatement travaillée. Mention spéciale pour la scène finale, d’une beauté à couper le souffle. L’alternance entre techniques d’animation à la pointe de la modernité et techniques classiques, telle que la stop-motion, fonctionne à merveille, régalant nos yeux de tableaux merveilleux. La cadence du film est réglée comme une pendule ! Ces jeux rythmiques, admirablement maitrisés, parviennent sans encombre à embarquer le spectateur aux cotés du naïf Jack. Le casting mérite également ses éloges, quel plaisir de retrouver la voix de la majestueuse Rossy de Palma sous les traits de Luna, la prostituée au grand coeur, celle de l’immense Jean Rochefort et du poète Alain Bashung. 

L’Étrange coeur de Monsieur Jack ?

Malgré de nombreuses beautés, il semblerait que Malzieu roule un peu trop des mécaniques … de l’emprunt ! Un univers très similaire à ceux de Tim Burton et Lewis Carroll associé à une multitude de références historiques et artistiques tendent parfois à étouffer l’univers de son créateur. Un univers très marqué par la musique de son groupe Dionysos, dont il vaut mieux être fan pour apprécier la poésie post-adolescente déroulée tout au long du film. Si la voix d’Olivia Ruiz, d’une douceur enfantine et sensuelle à la fois fonctionne en français et en espagnol, l’anglais et le doublage semblent plus fastidieux, peut-être les réalisateurs auraient-ils pu s’abstenir d’utiliser la langue de Shakespeare dans une production 100 % française ? L’ultime ombre au tableau, un scénario un peu trop prévisible manquant parfois d’audace. 

Jack et la mécanique du coeur est le délicat mélange d’un conte étoilé et d’un roman d’apprentissage. C’est un pari quasi réussi pour Malzieu et son équipe, l’adaptation du diptyque La Mécanique du coeur  est empreinte de romantisme et d’une hybridation des genres et esthétiques cohérente, loin des clichés attendus d’un film d’animation. En dépit de quelques ratés, le torrent poétique l’emporte. 

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