La loi française "Biodiversité", un modèle envisageable pour le système italien

La loi française « Biodiversité », un modèle envisageable pour le système italien

 

Résumé : La règlementation italienne en matière de biodiversité est très fragmentée par rapport au droit français, qui grâce à l’entrée en vigueur en 2016 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages offre un modèle à suivre afin de renforcer le niveau de protection, en instaurant des éléments de nouveauté en matière environnementale.

Mots-clefs: Biodiversité / non régression / site de compensation / obligation réelle environnementale

 

La biodiversité - entendue comme diversité dans l’espace et dans le temps des écosystèmes, des espèces vivantes et de leurs caractères génétiques présents dans un milieu - a commencé à faire partie des préoccupations environnementales au niveau international à partir de la conférence de Rio de 1992. A cette occasion a été signée la Convention sur la diversité biologique qui poursuit les objectifs de conservation et d’utilisation durable de la diversité biologique ainsi que le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources.

Dans le cadre juridique européen, le principal instrument juridique en termes de conservation de la biodiversité est constitué par l’institution du réseau Natura 2000 via les directives 2009/147/CE, dite Oiseaux, et 92/43/CEE, dite Habitats. Il s’agit d’un ensemble de sites naturels, terrestres et marins protégés sur l’ensemble du territoire européen pour assurer la survie à long terme des espèces et des habitats particulièrement menacés.

En Italie, la transposition de ces directives et l’application des stratégies nationales visant à l’objectif européen d’enrayer la perte de biodiversité pour 2020 constituent les sources principales en la matière. En France, en revanche, la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 prévoit un cadre général en matière de « reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages », qui passe de la consolidation et de l’instauration des principes juridiques fondamentaux du droit de l’environnement au renforcement des outils de protection des espèces en danger, de la biodiversité marine et des paysages.

La loi « Biodiversité » introduit dans le droit français des éléments de nouveauté. D’abord, elle impose la prise en compte dans tout projet d’aménagement la solidarité écologique. Ce concept introduit lors de la réforme des parcs nationaux (loi n° 2006-436 du 14 avril 2006) se fonde sur l’étroite interdépendance des êtres vivants, entre eux et avec les milieux naturels ou aménagés de deux espaces géographiques contigus ou non. En particulier, ces interactions doivent être envisagées dans toute prise de décision publique ayant une incidence notable sur l’environnement des territoires concernés.

Ce concept est utile pour définir les actions de préservation et de compensation mises en œuvre pour protéger, à travers les réservoirs de biodiversité, la « trame verte et bleu ». Cette dernière constitue une démarche qui vise à enrayer la perte de biodiversité en préservant et en restaurant des réseaux de milieux naturels qui permettent aux espèces de circuler et d’interagir.

Ensuite, selon la loi « Biodiversité », le porteur d’un projet d’aménagement doit prendre en compte le principe de non régression du droit de l’environnement et l’absence de perte nette de biodiversité. Lorsque les impacts d’un aménagement ne peuvent être ni évités ni réduits, le porteur doit prévoir dans le projet la réalisation des mesures compensatoires.

Dans ce contexte, la question se pose de savoir dans quelle mesure les différents systèmes juridiques français et italien abordent la question de la perte de biodiversité notamment dans la réglementation des projets d’aménagement.

Par conséquent, après avoir traité le cadre juridique des deux législations en matière de biodiversité (I), il conviendra d’analyser les changements apportés par la loi n° 2016-1087 dans la réalisation de la solidarité écologique (II).

I. L’établissement d’un cadre juridique conforme au principe de non régression

Contrairement au système italien, l’entrée en vigueur de la loi « Biodiversité » a créé, en France, la possibilité de se référer à un instrument juridique unique(A) fondée entre autres sur le principe de non régression (B).

A. Introduction d’un cadre juridique général

En France, déjà à partir de 1976, la loi relative à la protection de la nature prévoyait la protection des espaces naturels et des paysages, la préservation des espèces animales et végétales, le maintien des équilibres biologiques et la protection des ressources naturelles contre toute cause de dégradation, sans mentionner toutefois le concept de biodiversité. La loi pour la reconquête de la biodiversité de la nature et des paysages de 2016 constitue dans ce contexte une évolution du droit français en matière.

Au contraire, la réglementation de la biodiversité par le droit italien est prévue sectoriellement. Par exemple, la loi n°194/2015 établit les principes pour l’institution d’un système national en vue de la protection et valorisation de la biodiversité d’intérêt agricole et alimentaire. Cette loi prévoit des financements pour la sauvegarde des espèces animales et végétales en voie d’extinction et met en place un système national afin de valoriser la biodiversité dans le domaine agricole. En particulier, cette loi vise à encourager les agriculteurs qui s’engagent dans la conservation, in situ ou au sein de leur entreprise, des ressources génétiques d’intérêt agroalimentaire locales. Il s’agit de l’unique source de droit italien dans le domaine de la biodiversité qui ne découle pas de la transposition du droit européen.

De fait, la loi n° 150 de 1992 relative à l’application de la Convention sur le commerce international des espèces menacées d’extinction (CITES), la loi n° 157 de 1992 de transposition de la directive « Oiseaux » et le décret présidentiel n° 357 de 1997 de transposition de la directive « Habitats » constituent les principales mesures pour la protection de la biodiversité s’appliquant en Italie.

Par conséquent, contrairement au droit français, la législation italienne en matière de biodiversité est composée d’une série de règles particulières dont la plupart découle de l’accomplissement d’obligations européennes, sans qu’il ne soit prévu un cadre juridique général de référence. En revanche, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages institue un tel cadre. Elle inaugure un développement constant d’actions visant à prévenir la perte de biodiversité en mettant en œuvre le principe de non régression.

B. Le principe de non régression en tant que fondement de l’action réglementaire

L’article L. 110-1 du Code de l’environnement, créé par la loi de 2016, prévoit l’application du principe de non régression selon lequel « la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et règlementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ».

Il s’agit d’un principe directeur du droit de l’environnement qui a pour objectif d’orienter le travail des pouvoir législatif et réglementaire, mais qui reste sans incidence sur la responsabilité civile ou pénale des personnes privées. Ce principe a été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil Constitutionnel (Conseil Constitutionnel, n° 2016-737 DC, 4 août 2016), qui a cependant réduit la portée de ses effets aux seules dispositions réglementaires. Puis, le Conseil d’État (CE, n° 404391, 8 décembre 2017, Fédération Allier Nature)1 a fait application du principe en reconnaissant sa pleine valeur légale pour le droit de l’environnement. Il a ainsi a déclaré annulé certaines dispositions d’un décret du 11 août 2016 qui visaient à exempter des projets susceptibles d’avoir des incidences sur l’environnement de toute évaluation environnementale, en violation du principe de non régression de la protection de la biodiversité.

Selon Luigi Colella, le principe de non régression trouve des difficultés à être accepté en droit italien, notamment en périodes de faible croissance économique où l’on cherche un équilibre entre préoccupations environnementales, économiques et sociales (Luigi COLELLA, « Il principio di "non regressione ambientale" al centro del Global Pact of Environment. Il contributo dell’esperienza francese al diritto ambientale comparato », Diritto e giurisprudenza agraria, alimentare e dell’ambiente, 2019, pp. 8-9). Si la France a été le premier État européen à introduire ce principe, les experts et les juristes internationaux ont cherché à l’inscrire dans le projet de Pacte Mondial pour l’Environnement. Sur la base du principe de non régression, la loi n° 2016-1087 a forgé un cadre juridique commun, qui se fonde également sur le principe de solidarité écologique et sur l’absence de perte nette de biodiversité, qui doivent être pris en compte dans tout projet d’aménagement.

II. L’encadrement des projets d’aménagement

Dans la réglementation des projets d’infrastructure et d’aménagement du territoire, la loi « Biodiversité » introduit le système des sites de compensation (A) et le mécanisme de l’obligation réelle environnementale (B).

A. L’instauration de sites de compensation pour enrayer la perte de biodiversité

Si, jusqu’à l’entrée en vigueur de la présente loi, les contrôles concernant les impacts et les nuisances ont été réalisés par rapport aux riverains, qui devaient être indemnisés en cas de dommage, à partir de 2016, c’est la nature elle-même qui est prise en compte en tant que victime potentielle d’une nouvelle infrastructure ou d’une activité économique. Le concepteur du projet doit vérifier ses impacts sur la biodiversité et il n’est plus suffisant de justifier sa réalisation par l’utilité que l’infrastructure peut représenter. De cette façon, la loi vise à améliorer la mise en œuvre et l’effectivité de la compensation écologique qui constitue la dernière étape de la séquence éviter-réduire-compenser.

Dans le droit italien, afin d’assurer un haut niveau de protection de l’environnement pour réduire l’impact sur la nature des constructions civiles, on a prévu la VAS (évaluation environnementale stratégique), qui concerne l’évaluation de l’incidence environnementale de certains projets d’aménagement du territoire, et la VIA (évaluation d’impact environnemental), relative à la

réalisation d’une seule infrastructure. Avec la transposition de la directive « Habitat » a été introduite la VIncA (évaluation d’incidence) qui doit être réalisée lorsqu’un projet menace d’affecter considérablement la biodiversité d’un site du réseau Natura 2000. Dans ce cas, et si le projet doit être réalisé pour des raisons impératives d’intérêt public majeur, il est nécessaire d’établir des mesures compensatoires en vue d’assurer la proportionnalité entre compensation et perte de biodiversité. Toutefois, ces mesures ne prévoient pas le mécanisme de mise à disposition des sites de compensation introduit par la loi « biodiversité ».

Les sites naturels de compensation, espace sur lequel est possible une restauration écologique, visent à améliorer la mise en œuvre et l’effectivité de la compensation écologique en permettant l’anticipation et la mutualisation des mesures compensatoires. Leur objectif est l’absence de perte nette, voire le gain de biodiversité. Le développement d’un site de biodiversité avant même que celle-ci ne soit détruite engage sa reconquête en amont de sa perte évitant aussi les pertes intermédiaires.

En particulier, le responsable du projet d’aménagement contracte, en vue de réaliser l’activité ou le programme, une dette correspondant au respect de l’équivalence écologique entre la biodiversité qui pourrait être détruite et les actions positives qui pourraient être mises en œuvre en vue de la compensation. Pour ce faire, il est nécessaire que les mesures compensatoires soient prioritairement mises en œuvre sur le site endommagé ou, en tout état de cause, à proximité de celui-ci afin de garantir ses fonctionnalités de manière pérenne. Ce mécanisme pourrait être d’inspiration pour le législateur italien en ajoutant à la compensation financière, prévue en application à posteriori du principe pollueur payeur, la prise en charge d’une compensation en nature en tant que condition pour la réalisation d’un projet.

Enfin, pour la sécurisation des sites de compensations, la loi biodiversité adopte un nouvel instrument qui n’est pas prévu par le droit italien, il s’agit de l’obligation réelle environnementale (ORE).

B. Le terrain, acteur d’une obligation réelle environnementale

L’ORE donne la possibilité « à des propriétaires de biens immobiliers de conclure un contrat avec une collectivité publique, un établissement public ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement en vue de faire naitre à leur charge, ainsi qu’à la charge des propriétaires ultérieurs du bien, les obligations réelles que bon leur semble, dès lors que de telles obligations ont pour finalité le maintien, la conservation, la gestion ou la restauration d’éléments de la biodiversité ou de fonctions écologiques » (Art. 72 de la loi n° 2016-1087 ; art. L. 132-3 du Code de l’environnement).

De cette disposition, il ressort que l’adoption des mesures compensatoires résultant de l’ORE est attachée à un terrain plutôt qu’à une personne. En fait, si l’obligation engage le propriétaire, elle n’existe que par rapport au bien immeuble. Par conséquent, le propriétaire d’un bien immobilier peut imposer l’obligation de maintenir, conserver ou restaurer un habitat naturel aux acquéreurs ultérieurs du bien.

S’agissant d’une obligation, elle n’a pas une durée perpétuelle mais une durée maximale de 99 ans. Selon l’article L. 132-3 du Code de l’environnement, la durée de l’obligation doit être déterminée par les parties et écrite dans le contrat, sans qu’une durée minimale ne soit fixée. Par conséquent, l’utilisation de ce nouveau mécanisme ne garantit pas la pérennité de la compensation écologique. Toutefois, le véritable enjeu de l’ORE par rapport aux autres instruments de protection de l’environnement réside dans sa pérennité par-delà les changements de propriétaires du bien immobilier, et dans le fait d’établir un statut autonome pour la protection de la biodiversité à travers les mesures de compensation.

Il s’agit d’un mécanisme qui pourrait être envisagé par le droit italien afin de permettre aux nombreux propriétaires privés des fonds - qui jouent en Italie un rôle déterminant pour la conservation des espèces menacées d’extinction - de lier les terrains à une destination favorable à un gain de biodiversité. En outre, en France il a été prévu que « les communes peuvent, sur délibération du conseil municipal, exonérer de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, les propriétaires ayant conclu une ORE »2. Le législateur italien pourrait encourager cette solution en prévoyant une défiscalisation de la taxe foncière et de certains travaux permettant l’instauration d’un habitat naturel au lieu d’un projet d’aménagement (Art. L. 132-3 du Code de l’environnement).

 

 

 

 

 

 

Bibliographie

Articles :

- BRETON Jean-Marie, « Biodiversité », Études caribéennes, 41, 2018, pp. 1-6.

- COLELLA Luigi, « Il principio di “non regressione ambientale” al centro del Global Pact of Environment. Il contributo dell’esperienza francese al diritto ambientale comparato », Diritto e giurisprudenza agraria, alimentare e dell’ambiente, 2019, pp. 8-9.

- D’ANGELOSANTE Melania, « Le attuali “dimensioni” della valutazione di incidenza ambientale come strumento per ampliare i confini della ree natura 2000 », Rivista quadrimestrale di diritto dell’ambiente, 2012, pp. 20-24.

- DELLAUX Julien, « La validation du principe de non-régression en matière environnementale par le Conseil constitutionnel au prix d’une redéfinition a minima de sa portée », Revue juridique de l’environnement, 2017, pp. 693-704.

- DUPONT Valérie et LUCAS Marthe, « La loi pour la reconquête de la biodiversité : vers un renforcement du régime juridique de la compensation écologique ? », Cahiers Droit, Sciences et technologies, 2017, pp. 143-165.

- GRIMONPREZ Benoit, « La compensation écologique d’après la loi biodiversité », Revue Droit et Patrimoine, 2016, p. 22.

- GRIMONPREZ Benoit et REBOUL-MAUPIN Nadège, « Les obligations réelles environnementales : chronique d’une naissance annoncée », Recueil Dalloz, 2016, p. 2074.

- PRIEUR Michel et VASSALLO Laurent, « Le principe de non-régression et la biodiversité », Revue juridique de l’environnement, 2019, pp. 499-503.

- STEICHEN Pascale, « La compensation préalable des atteintes à la biodiversité dans le cadre des projets d’aménagement », Revue juridique de l’environnement, 2019, pp. 705-724.

 

Textes officiels :

 

- Loi n° 2016-1087 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, 8 août 2016, JORF n° 0184 du 9 août 2016.

- Directive (UE) 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages.

- Directive (UE) 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages.

- Legge 1 dicembre 2015, n. 194, Disposizioni per la tutela e la valorizzazione della biodiversità di interesse agricolo e alimentare. (15G00210) (GU Serie Generale n.288 del 11-12-2015)

Décisions :

- Conseil Constitutionnel, décision n° 2016-737 DC du 4 août 2016, Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

- Conseil d’État, 6ème – 1ère chambre réunies, arrêt n° 404391 du 8 décembre 2017, Fédération Allier Nature.

Pages internet :

- Ministère de la Transition écologique et solidaire, Sites naturels de compensation, un outil prometteur au service de la biodiversité, https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/, consultée le 20 février 2020 - Anna DE SIMONE, Legge sulla Biodiversità, 2015, https://www.ideegreen.it/legge-sulla-biodiversita-67810.html, consultée le 14 février 2020

- Ministero dell’Ambiente, La valutazione d’incidenza (VINCA), https://www.minambiente.it/pagina/la-valutazione-di-incidenza-vinca, consultée le 18 février 2020

- Ministero dell’Ambiente, Le misure di compensazione nella direttiva 92/43/CEE, https://www.minambiente.it/pagina/le-misure-di-compensazione-nella-diret..., consultée le 14 mars 2020

- Ministère de la transition écologique et solidaire, Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, 2017, https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/loi-reconquete-biodiversite-nat..., consultée le 8 février 2020