La protection juridique des glaciers en France et au Chili

Photo représentant l’état du glacier de la Mer de Glace (Chamonix) en 1900 et en 2000. (source : https://www.rightsofnaturetribunal.org/cases/glacier-case/?lang=fr

 

Introduction

             Après plus de 15 ans de débat et 6 projets de lois différents, le Sénat chilien a finalement repris en mars dernier l’examen d’un projet de loi de protection et de préservation des glaciers, introduit pour la première fois en juillet 2018. Dans ce cadre, le 26 mai 2021, lors de l’examen détaillé du projet de loi, la Commission de l’exploitation minière et de l’énergie du Sénat a rejeté son article 6, qui prévoyait d’étendre à l’environnement périglaciaire, et non aux seuls glaciers, l’interdiction de réaliser tout type d’activité pouvant provoquer des dommages environnementaux. Le Chili est le pays d’Amérique latine qui possède le plus de glaciers (environs 24 000), distribués sur plus de 24 000 km² (selon le dernier inventaire de la Direction Générale des Eaux chilienne), la majorité d’entre eux sont situés dans la cordillère des Andes, qui marque la frontière avec l’Argentine, et en Patagonie. Des glaciers sont également présents sur le territoire français, dans les Pyrénées et les Alpes. Selon la définition donnée par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans son rapport spécial sur l’océan, la cryosphère et les changements climatiques (page 686), paru en septembre 2019, un glacier est une « masse pérenne composée de glace, parfois de névés et de neige, qui se constitue sur la surface terrestre par un phénomène d’accumulation de neige, et qui montre des traces de mouvements d’écoulement passés et présents » (nous traduisons). Mais dresser un inventaire précis et détaillé des glaciers et de leur superficie requiert un travail très régulier : ces derniers perdent de la masse et reculent inexorablement face à l’effet combiné du réchauffement climatique et de l’activité humaine dans leur environnement. Cette destruction rapide des paysages de montagne, désormais largement démontrée (voir le rapport du GIEC cité plus haut), ne provoque pas seulement la solastalgie des contemplatifs : elle est également dangereuse pour les populations et les écosystèmes.

            En effet, les glaciers représentent des ressources considérables d’eau douce et sont le lieu d’habitat de nombreuses espèces. Leur fonte de plus en plus rapide a des conséquences dévastatrices sur leur environnement direct (appauvrissement des sources d’eau douce, glissements de terrain, chutes de pierres, sécheresse…) mais aussi sur le système-Terre en général (hausse du niveau des mers et refroidissement des océans, dérégulation des flux hydrauliques…). Ce sont également des accumulateurs de pollution atmosphérique : en fondant, ils libèrent des polluants nocifs (métaux lourds, résidus radioactifs, pesticides…) (YOLKA, P. « Les glaciers de montagne à l’épreuve du réchauffement climatique », Revue juridique de l’environnement, 2020, p. 561)

            Le futur des glaciers est très incertain, et même pessimiste selon certains : les glaciologues de Moraine, l’Association Pyrénéenne de Glaciologie, estiment qu’à ce rythme, tous les glaciers du massif auront disparu en 2050 (http://asso.moraine.free.fr/index.php/les-glaciers-des-pyrenees/perspective/). Il est donc nécessaire d’agir rapidement et efficacement pour protéger ces géants de glace contre les effets du changement climatique.

            En général, dans le cadre du droit de l’environnement, il existe deux grandes orientations face au changement climatique : l’adaptation et l’atténuation. La protection juridique des glaciers pourrait également s’inscrire dans cette logique duale : ainsi, sera étudiée tout d’abord la protection générale accordée aux glaciers dans le cadre des efforts d’atténuation du changement climatique, principale cause de leur fonte (I.), puis seront étudiées les mesures de protection directes et immédiates qu’il conviendrait d’adopter dans une logique d’adaptation à celui-ci (II.).

 

I. Une protection indirecte dans le cadre des efforts d’atténuation du changement climatique

            La destruction des glaciers est due principalement au réchauffement climatique et à l’activité humaine, exercée directement sur les glaciers ou à proximité. Pour comprendre la protection indirecte qui leur est accordée par le droit, il convient d’analyser tout d’abord la lutte contre le réchauffement climatique (a.), avant de s’intéresser au cas plus particulier des aires protégées (b.).

a. Les engagements climatiques internationaux de la France et du Chili

          En France et au Chili, les glaciers se trouvent sur des frontières étatiques : celles-ci ne constituant pas des barrières infranchissables, la voie de la coopération régionale pour la protection des glaciers semble alors toute tracée. Mais aucun traité n’existe entre l’Argentine et le Chili concernant les Andes, et au sein de la Convention Alpine réunissant la France, l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, la Principauté de Liechtenstein et celle de Monaco, la Slovénie, la Suisse et l’Union Européenne - qui reconnaît l’importance exceptionnelle des glaciers dans son protocole « Protection de la nature et entretien des paysages », aucune disposition spécifique ne s’intéresse à leur protection particulière.

            A part cette exception et le traité de l’Antarctique de 1959, aucun traité international ne fait expressément référence aux glaciers de montagne, ni ne prévoit leur protection de manière directe. Cependant, le réchauffement climatique étant la cause principale de l’accélération exceptionnelle de la fonte des glaciers, les mesures visant à atténuer ses effets devraient donc ralentir la destruction des glaciers de montagne et leur assurer une protection indirecte et à long terme. La France et le Chili sont tous les deux parties à la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC), ainsi qu’à l’Accord de Paris. Ces traités multilatéraux engagent les États signataires à diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre pour limiter le réchauffement climatique. Ainsi par exemple, l’association Mountain Wilderness soutient que « la simple application des mesures de réduction des gaz à effet de serre de l’Accord de Paris permettrait la conservation de plus de 60% du volume actuel » de la Mer de Glace, glacier emblématique situé sur le domaine de la commune de Chamonix, en Haute-Savoie (https://www.mountainwilderness.fr/se-tenir-informe/actualites/defense-des-ecosystemes-aquatiques-d-europe-des-droits-pour-la-mer-de-glace.html). Mais les mesures prises pour l’instant par la France comme par le Chili sont insuffisantes et ne permettront pas d’atteindre les objectifs climatiques de l’Accord de Paris (voir à titre d’exemple pour la France le rapport du Haut Conseil pour le Climat sur le projet de loi climat et résilience, ou le site https://climateactiontracker.org/ en général). 

            Par le biais de l’adoption et de la mise en œuvre de mesures efficaces d’atténuation du changement climatique, les glaciers pourraient donc être protégés durablement. Mais si la lutte contre le réchauffement climatique doit indéniablement être réalisée en coopération au niveau international, des mesures plus locales peuvent également être mises en place pour en atténuer les effets.

 

b. L’utilisation des aires protégées

            Le mécanisme des aires protégées participe directement à l’atténuation du changement climatique : en effet, les écosystèmes naturels qu’elles protègent participent activement au stockage et au captage du carbone. Ces services naturels fournis par les aires protégées sont reconnus à l’échelle globale comme étant des « outils efficaces, économiques et durables pour lutter contre les changements climatiques » (voir https://uicn.fr/aires-protegees/) En France, il existe de nombreuses aires protégées différentes (parcs nationaux, réserves naturelles, sites classés…), qui sont réglementées par le code de l’environnement et gérées par l’Office français de la Biodiversité. Une nouvelle stratégie unifiée pour les aires protégées a été annoncée en janvier 2021 et a pour objectif de protéger, à travers la création ou le renforcement d’aires protégées, 30% du territoire et des zones maritimes sous juridiction française.  Au Chili, les aires protégées, également nombreuses (parc national, monument naturel, sanctuaire de la nature…), sont toutes administrées par le Service de la Biodiversité et des Aires Protégées, et définies par la Loi N° 18.362, qui crée un Système National d’Aires Sauvages Protégées de l’État.

         Dans les deux États, de nombreux glaciers sont protégés indirectement car ils se trouvent au sein d’une aire protégée (la majorité en France, seulement certains au Chili). Dans ces cas-là, c’est la protection du milieu montagnard en général qui est visée et aucunes dispositions particulières et spécifiques aux glaciers n’est prévue.

            Face aux risques que font peser les activités humaines sur l’environnement, il est parfois nécessaire d’établir des zones à l’intérieur desquelles l’activité humaine est encadrée et limitée. Au Chili, l’activité minière est particulièrement dangereuse pour les glaciers. Le code de l’activité minière ne mentionne pas une seule fois les glaciers dans ses articles, et accorde aux propriétaires des concessions minières des facultés d’action très larges pour creuser sur l’ensemble du territoire, heureusement contrebalancées par d’autres dispositions, notamment celles de la Ley sobre Bases Generales del Medio Ambiente (LBGMA). En France, l’attrait touristique de ces derniers entraîne également des comportements destructeurs de l’environnement. C’est pourquoi, le 1er octobre 2020, le préfet de Haute-Savoie a signé un arrêté « portant création de la zone de protection d’habitats naturels du Mont-Blanc » (arrêté n° DDT-2020-1132). Selon cet arrêté, l’ascension du Mont-Blanc, plus haut sommet de France, attire « de 15 à 20 000 alpinistes chaque année et jusqu’à 500 par jour, alors que le seuil de sur-fréquentation est estimé entre 300 et 400 personnes par jour ». Pour protéger le Mont et ses alentours (y compris plusieurs glaciers) ainsi que ses visiteurs (80 à 100 interventions de secours ont lieu chaque année sur les différentes voies d’accès), plusieurs restrictions ont été mises en place, parmi lesquelles l’interdiction d’atterrir par tout moyen sur l’ensemble du site (https://www.francebleu.fr/infos/insolite/mont-blanc-un-senateur-veut-sanctionner-les-atterrissages-sauvages-d-une-amende-de-300-000-euros-1561741778).

             Les aires protégées s’organisent généralement autour d’une zone dite centrale, dans laquelle l’activité humaine est strictement encadrée, et d’une zone de transition, plus accessible. Ainsi, les glaciers situés au cœur de Parcs Nationaux sont en principe très protégés. Mais le poids des enjeux économiques liés à l’exploitation minière ou touristique des glaciers est tel que, bien souvent, des dérogations sont possibles. Ainsi, nous pouvons citer l’exemple de l’équipement des glaciers de haute montagne pour le ski d’été. La station des Deux Alpes, en Isère, comme d’autres dans la région, utilise cet attrait touristique ainsi que sa proximité avec le Parc National des Écrins pour attirer une clientèle privilégiée toute l’année, générant des revenus importants pour la commune de Mont-de-Lans. Il est alors révélateur de s’intéresser au tracé de la zone centrale de ce Parc National, dont la carte a été établie en 1970 : son contour suit et évite consciencieusement les stations de ski, ce qui leur permet d’équiper les glaciers de remontées mécaniques pour y déposer les skieurs, participant à la dégradation du glacier et de son environnement en général (pour aller plus loin, lire : LASLAZ Lionel , « La protection sans la glace. L’exclusion des glaciers des zones centrales des Parcs nationaux de la Vanoise et des Ecrins et leurs équipements pour le ski d’été », in Neige et glace de montagne. Reconstitution dynamisme, pratiques, Cahiers de géographie, Coll. EDYTEM, 2009, n° 8, pp. 205-220).

            Enfin, au Chili comme en France, des dérogations particulières peuvent permettre la réalisation de projet ou d’activité sur ou à proximité de glaciers situés dans une aire protégée, parfois sous réserve d’une évaluation environnementale permettant d’identifier les impacts d’un tel projet sur le glacier Ainsi, l’article R425-6 du code de l’urbanisme français détaille l’autorisation spéciale qui peut être accordée à un projet situé « dans le cœur d’un parc national », comme le sont de nombreux glaciers français. Quant à l’évaluation environnementale, elle peut être obligatoire dans plusieurs cas de projets impliquant des glaciers, comme la création de certains types de piste de ski ou de remontées mécaniques (voir tableau annexe de l’article R122-2 du code de l’environnement). Au Chili, l’article 11 d) de la LBGMA soumet obligatoirement à évaluation environnementale les projets qui seraient réalisés sur ou à proximité d’un glacier, ce qui n’est pas toujours synonyme de protection effective (voir II. a.).

 

            La protection accordée aux glaciers à travers ces mesures visant l’atténuation du changement climatique est-elle pour autant suffisante ? Même si l’urgence climatique est rappelée à chaque nouvelle COP (Conférence des Parties à la CCNUCC), tous les États n’agissent pas dans ce sens, et les efforts pour l’instant déployés à l’échelle mondiale ne suffiront pas à empêcher les effets les plus dévastateurs du réchauffement. Il peut alors être pertinent de proposer une protection juridique particulière des glaciers, car selon les mots du professeur Philippe Yolka, « s’il est certain que le droit seul n’empêchera pas la glace de fondre (autant poser un pansement juridique sur une jambe de bois climatique), on ne l’empêchera assurément pas de fondre sans droit. Et ce dernier doit aller du global au local, des sommets internationaux jusqu’à ceux de la terre et à leurs ‘‘blancs manteaux’’ » (YOLKA, P., op. cit., p. 560).

 

II. Vers une protection directe et immédiate des glaciers dans une logique d’adaptation au changement climatique.

            La destruction des glaciers est une réalité. Pour y remédier, il pourrait être utile d’envisager une protection particulière de ces corps de glace. Cependant, ni la France ni le Chili ne disposent pour l’instant de normes juridiques spécifiques à la protection des glaciers (a.). Mais plusieurs mesures innovantes émergent ou sont envisagées par certains juristes et spécialistes (b.).

a. L’absence de protection particulière

            La France ne prévoit aucune mesure spécifique quant à la protection des glaciers de montagnes présents dans les massifs, ni dans le Code de l’Environnement, ni dans la Loi Montagne de 2016. Une exception peut être soulevée concernant l’article L122-26 du Code de l’urbanisme, qui prévoit que des prescriptions particulières peuvent être prises pour définir les modalités de préservation des « espaces, paysages et milieux le plus remarquables du patrimoine naturel et culturel montagnard, notamment […] les glaciers ». Mais il semble qu’aucune prescription en ce sens n’ait été édictée à ce jour. Si cette absence relative de disposition concernant les glaciers peut être justifiée par la protection indirecte que ces derniers reçoivent lorsqu’ils appartiennent au périmètre d’une aire protégée, il pourrait être judicieux de prévoir des mesures de protection particulières, étant donné l’importance des glaciers à de nombreux niveaux (YOLKA, P., 2020, op. cit., p.561-562).

            Contrairement à son voisin argentin, précurseur en la matière avec sa Ley Nacional de Glaciares n° 26639 du 30 septembre 2010, le Chili ne dispose d’aucune loi spécifique à la protection des glaciers à l’heure actuelle. Mais, régulièrement depuis 2005, des projets de loi sont introduits au Parlement, dans le but de protéger les glaciers chiliens, particulièrement fragiles, mais ces projets sont régulièrement relégués au fond des tiroirs ou finalement jamais adoptés. Le dernier en date a été introduit en 2018 et a été replacé au centre de la discussion parlementaire fin mars 2021. Un vote définitif devrait avoir lieu dans les prochains mois, si le calendrier législatif ne connait pas de nouvelle modification. Cette loi ne remplirait pas un vide juridique aussi important que celui que connait la France : en effet, les glaciers apparaissent dans la législation chilienne, qui prévoit notamment que les projets ou activités qui causent une altération significative des caractéristiques d’un glacier soient soumis à évaluation environnementale de manière obligatoire (voir article 11 de la Loi Générale sur l’Environnement et article 3 du règlement du Service d’Évaluation Environnementale). Cependant, cette protection n’est pas toujours efficace : pour preuve l’exemple de l’activité de la mine à ciel ouvert Pascua Lama, autorisée par le Service d’Évaluation environnementale en 2006, qui a provoqué des dégâts environnementaux très importants dans la zone, notamment dus à la destruction d’une grande superficie des glaciers à proximité (voir CORTEZ, M. et MAILLET, A., 2018 : “Trayectoria multinivel de una coalición promotora e incidencia en la agenda política nacional. El caso del conflicto de Pascua Lama y la ley de glaciares en Chile”. Colombia Internacional (94), pages 3-25).

            En ce qui concerne le statut juridique accordé aux glaciers, celui-ci reste incertain, en France comme au Chili. Si les textes de droit français ne s’y réfèrent pas, les glaciers ont parfois été reconnus par la jurisprudence comme « biens sans maitre » (YOLKA, P., op. cit., p. 566), à l’exception des portions de glaciers qui font partie de domaine skiable, et qui sont alors considérés comme relevant de la domanialité publique (CE, 28 avril 2014, Commune de Val-d’Isère, n° 349420). Cependant, la jurisprudence française ne s’intéresse jamais directement à la protection des glaciers en tant que tel, mais seulement dans le cadre d’affaires plus larges. En France, « les glaciers apparaissent finalement comme des impensés du discours juridique, des ‘‘non-objets’’ » (YOLKA, P., op cit, 568).

            Au Chili, le statut juridique des glaciers est également discuté. Mais une vision majoritaire de la doctrine les classe dans la catégorie des « biens nationaux d’utilité publique », sur le fondement de l’article 595 du code civil concernant les eaux courantes (FUENTES, G. 2019, Sobre la regulación y protección jurídica de los glaciares en Chile). Ainsi, la Cour Suprême, dans son rapport n° 26-2016 du 8 août 2016, rendu dans le cadre de la discussion d’un projet de loi de protection des glaciers (bulletin n° 9.364-12), affirme « qu’il n’existe pas de doute quant au fait que les glaciers soient des biens nationaux qui font partie du patrimoine environnemental du Chili et qui ne peuvent pas faire l’objet de projets d’investissement à des fins économiques » (https://media.elmostrador.cl/2016/09/Informe-Corte-Suprema-Ley-Glaciares...). Mais nous l’avons montré, la réalité est bien différente.

          Face à l’absence de dispositions juridiques spécifiques prévoyant une protection des glaciers, certaines solutions émanent de la doctrine ou d’associations, qui cherchent à assurer une protection effective des glaciers face aux effets du changement climatique et de l’activité humaine combinés.

 

b. Droits de la Nature et autres pistes

            Une des pistes de plus en plus envisagée par la doctrine réside dans la reconnaissance de droits propres à la Nature, en tant que sujet de droit. Dans le cas des glaciers, cela consiste à leur attribuer une véritable personnalité juridique. Cette possibilité a reçu plusieurs consécrations dans le monde, notamment en Inde, où la Haute Cour d’Uttarakhand a reconnu la personnalité juridique des glaciers Gangotri et Yamunotri dans un arrêt du 31 mars 2017 (O’DONNELL, V., E., 2018 « At the intersection of the sacred and the legal : rights for nature in Uttarakhand, India », Journal of Environmental Law n° 30, mars 2018, p. 135). L’attribution d’une personnalité juridique à un glacier permettrait notamment de défendre ses droits propres dans le cadre d’une procédure judiciaire fictive : c’est le mécanisme qu’a utilisé l’avocate Marine Izuierdo pour défendre la Mer de Glace devant le Tribunal International des Droits de la Nature (juridiction de fait) le 30 janvier dernier (https://www.rightsofnaturetribunal.org/cases/glacier-case?lang=fr). Elle a ainsi invoqué le droit de la Mer de Glace au « maintien de ses cycles naturels », son droit à « exister et à se régénérer ». La réalisation de ce procès a pour but de faire connaître les droits de la Nature, fondés sur la Déclaration Universelle des Droits de la Terre mère, et de les mettre en application lors d’un procès simulé pour prouver qu’il est possible et nécessaire de les reconnaitre et de les appliquer dans le droit positif. Valérie Cabanes, juge fictive a ainsi déclaré lors de l’audience : « je suis convaincue qu’il est impossible de reconnaitre des droits aux seuls êtres humains sans provoquer des déséquilibres au sein de la terre mère, et j’affirme que pour garantir les droits humains, il est nécessaire de reconnaitre et de défendre les droits de la terre mère et de ceux qui la composent ». Cette optique peut s’entendre comme une façon de s’adapter, en quelques sortes, au changement climatique : celui-ci a fait prendre conscience aux sociétés humaines qu’elles ne pouvaient pas détacher leurs activités de leur environnement et qu’il était impossible de concevoir la nature comme extérieure et dissociée de l’être humain. En accordant des droits et une personnalité juridique aux glaciers, leur rôle primordial dans le maintien de l’équilibre naturel est reconnu et leur protection juridique au sens strict assurée en théorie.

            D’autres actions peuvent également être mentionnées, toutes visant d’une manière ou d’une autre à protéger les glaciers ou à reconnaitre leur importance primordiale dans les environnements montagnards. Certaines solutions envisagées ou déjà mises en place semblent étranges, et même si elles s’inscrivent dans une optique d’adaptation aux effets du changement climatique, leur efficacité peut être questionnée : peuvent ainsi être citées les greffes de glaciers (sur la base de « glaces mâles » et de « glaces femelles »), la couverture de glaciers par des bâches plastiques pour protéger des rayonnements solaires en été, ou encore le prélèvement de glaces du Pôle Nord (pratiqué par les États scandinaves) qui permettrait de réalimenter des glaciers en manque de neige (voir LASLAZ, L., op.cit.).

           Dans une optique plus juridique, l’ONG Greenpeace au Chili a créé en 2014 l’État fictif de la République Glaciaire, d’une superficie de 23 000 km² en signe de protestation face au vide juridique concernant la protection des glaciers chiliens (voir https://www.greenpeace.org/chile/involucrate/glaciares/). Cette initiative ouvre la voie à une nouvelle forme de protection de la Nature face au changement climatique : finalement, il s’agit de « penser les glaciers comme des acteurs d’un monde que nous habitons en commun » (comme le titre une tribune publiée dans le journal Le Monde le 6 mai 2021) et réinventer par le droit de nouveaux rapports à la Nature en lui assurant une protection efficace et durable.

 

 

Bibliographie sélective :

ARTICLES

  • CORTEZ, Mauricio et MAILLET, Antoine, (2018) : “Trayectoria multinivel de una coalición promotora e incidencia en la agenda política nacional. El caso del conflicto de Pascua Lama y la ley de glaciares en Chile”, Colombia Internacional, 94, pages 3 à 25, accesible sur : https://doi.org/10.7440/colombiaint94.2018.01 (consulté le 29/05/2021)
  • LASLAZ, Lionel (2009) : « La protection sans la glace. L’exclusion des glaciers des zones centrales des Parcs nationaux de la Vanoise et des Ecrins et leurs équipements pour le ski d’été », Neige et glace de montagne. Reconstitution dynamisme, Pratiques, Cahiers de géographie, Collection EDYTEM, n°8, pages 205-220
  • O’DONNELL, V., E., (2018) « At the intersection of the sacred and the legal: rights for nature in Uttarakhand, India », Journal of Environmental Law n° 30, mars 2018, pp. 135-144
  • YOLKA, Philippe (2020) : « Les glaciers de montagne à l’épreuve du réchauffement climatique (une protection juridique à inventer) », Revue juridique de l’environnement, 2020/3, Volume 45, pages 559 à 568.

 

MEMOIRE

  • FUENTES SOTO, Gastón Iván (2019) : Sobre la regulación y protección jurídica de los glaciares en Chile, Memoria para optar al grado de licenciado en ciencias jurídicas y sociales, Universidad de Chile

 

SOURCES INTERNET (consultés le 29/05/2021)