Le droit à l'image sur les réseaux sociaux: commentaire de la décision du Conseil Constitutionnel espagnol nº 27/2020, du 24 février 2020

Commentaire de la décision du Conseil Constitutionnel espagnol nº 27/2020, du 24 février 2020

 

Peut-on librement utiliser la photo qu’une personne a publié en accès ouvert à tous sur un réseau social ? Telle est la question principale que résout le Conseil Constitutionnel espagnol dans sa décision du 24 février 2020.

L’augmentation de la popularité des réseaux sociaux a généré l’augmentation massive de l’utilisation de ces derniers et le décuplement des niveaux d’échanges d’informations sur les réseaux, allant jusqu’à modifier la façon de se sociabiliser des individus. Cette augmentation a aussi conduit les « utilisateurs », consommateurs de contenus, à se convertir en véritables créateurs de contenus (par exemple sur TikTok). Parallèlement, cette utilisation massive des contenus implique l’augmentation exponentielle des risques de violation des droits fondamentaux.

Dans ce contexte d’évolution constante de la société de l’information, des réseaux sociaux et des comportements sociaux, de nouveaux problèmes juridiques se profilent et les contours juridiques de certains droits fondamentaux, comme le droit à l’intimité ou à l’image, sont affectés et nécessitent d’être adaptés, voir redéfinis. Bien que le fonctionnement des réseaux sociaux permette la diffusion d’informations personnelles, il implique aussi parfois une perte de contrôle sur cette information (possibilité de « retweeter », d’identifier des amis, de partager des photos, etc…).

Les faits ayant donné lieu à la décision commentée sont les suivants : le journal « Opinion de Zamora » avait publié un reportage concernant le suicide d’une personne ayant au préalable tiré sur son propre frère. Le reportage contenait des données à caractère personnel des deux frères ainsi que de leur famille. De plus, le journal, dans le but d’identifier la victime, avait publié sans autorisation une photo de cette dernière obtenue sur son compte Facebook. Le frère survivant avait alors intenté une action en justice contre le journal pour violation du droit à la vie privée et du droit à l’image.

Le tribunal de première instance et la Cour d’Appel avaient tous les deux statué en faveur du demandeur et considéré que le journal avait violé le droit au respect de la vie privée et le droit à l’image du demandeur. En revanche, la Cour de Cassation espagnole avait cassé partiellement la décision de la Cour d’Appel, considérant que les faits constituaient uniquement une violation du droit à l’image de par la publication de photos présentes sur Facebook sans le consentement des personnes photographiées, « le fait que sur un compte ouvert d’un réseau social, le titulaire du profil ait publié une photo de lui qui soit accessible à n’importe qui, n’autorise pas un tiers à reproduire ladite photo dans un média sans autorisation »[1] ; la Cour de Cassation avait considéré que le droit au respect de la vie privée n’était pas affecté car le journal avait uniquement transmis des informations dont la véracité est incontestable et d’utilité publique. Elle estimait donc que quotidien était protégé par le droit à la liberté d’information.

Le Conseil Constitutionnel analyse uniquement, dans sa décision, l’étendue du droit à l’image sur les réseaux sociaux et les cas dans lesquels l’image d’une personne peut être librement utilisée sans que cela ne constitue une violation du droit à l’image. Le droit à la vie privée n’est pas analysé par le Conseil Constitutionnel car les parties n’ont pas invoqué cet argument devant le Conseil Constitutionnel, cet aspect ayant déjà été analysé dans des décisions antérieures du Conseil Constitutionnel espagnol. Cette solution concernant la violation du droit à la vie privée s’apprécie aussi au regard du droit français en application de l’article 9 du code civil puisque la jurisprudence française a considéré que diffuser une information publique, dans ce cas une information publiée sur un réseau social ouvert à tous, est autorisé[2].  

Avant d’analyser cette importante décision du conseil constitutionnel il est nécessaire d’identifier les normes juridiques régulant le droit à l’image. En droit espagnol, le droit à l’image est reconnu par la Constitution espagnole à l’article 18. Cet article est développé par la Loi organique 1/1982 du 5 mai, de protection civile du droit à l’honneur, à l’intimité personnelle et familiale et à l’image. La constitution française, contrairement à la constitution espagnole, ne prévoit pas une liste des droits fondamentaux, le droit à l’image n’est donc pas expressément reconnu par celle-là. Cependant, ce dernier est reconnu par l’article 9 du code civil et la jurisprudence qui le développe (le droit à l’image s’intègre dans le droit au respect de la vie privée) et par la Loi n°78-17 du 6 janvier 1978, Informatique et libertés. Cette protection du droit à l’image découle principalement de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, ratifiées par les 2 Etats.

 

  1. Le droit à l’image et le consentement tacite sur les réseaux sociaux

 

L’article 2.2 de la Loi organique 1/1982 du 5 mai considère que ne constitue pas intrusion illégitime du droit à l’image le comportement autorisé par la loi ou lorsque le titulaire du droit a consenti expressément à la réalisation dudit comportement. Selon la jurisprudence espagnole, ce consentement ne doit pas nécessairement être écrit, il peut aussi être tacite. Cependant, il doit tout de même être non équivoque, c’est à dire que le comportement du titulaire du droit ne doit pas laisser de doute quant à sa conformité vis-à-vis de la réalisation dudit acte. La jurisprudence française admet aussi la possibilité que le consentement soit tacite, «De même chacun dispose sur son image d’un droit exclusif et absolu et peut s’opposer à sa reproduction sans son autorisation préalable, laquelle peut être tacite [3]». Cette autorisation tacite signifie que la personne adopte un comportement passif dépourvu d’équivoque quant à la volonté de la personne de permettre à des tiers d’utiliser son image. De plus, le Conseil Constitutionnel espagnol rappelle que le droit à l’image comprend la protection de toute photographie d’une personne qui montre son aspect physique de telle façon qu’elle puisse être reconnue, sans exiger de conditions de protection supplémentaires.

Lorsqu’un utilisateur publie une photo sur son compte accessible à tous, n’importe qui peut voir la photo. C’est pour cela que, selon le journal défendeur, la publication d’une photo sur un réseau ouvert à tous constitue un consentement tacite permettant son utilisation ultérieure par des tiers.

Le Conseil Constitutionnel estime pour sa part, et en accord avec la Cour de Cassation espagnole, que la finalité d’un compte ouvert sur les réseaux sociaux est la communication de son titulaire avec des tiers et la possibilité que ces tiers puissent accéder au contenu, mais sans qu’ils aient le droit de publier ledit contenu dans des médias. Il existe donc une différence fondamentale entre la permission de voir un certain contenu et l’autorisation de l’utiliser et de diffuser ce contenu ; l’autorisation du premier ne signifiant pas autorisation du second. Sur ce point, la jurisprudence française adopte de nouveau une solution identique[4]. Le Conseil Constitutionnel considère donc que la publication d’une image visible par tous ne constitue pas une autorisation tacite de son utilisation par des tiers. Au regard de la décision du CC espagnol il semble même possible d’affirmer que la diffusion d’une photo publiée sur les réseaux sociaux requiert obligatoirement l’autorisation écrite du titulaire du droit à l’image (sauf lorsque prime un autre droit fondamental, comme le droit à l’information), interdisant ainsi l’application du consentement tacite sur les réseaux sociaux. Cette décision, qui pourrait être considérée excessive car trop protectrice des droits à l’image du titulaire, nous paraît tout de même parfaitement justifiée et louable. En effet, lorsque les internautes publient leurs photos, ils ne pensent qu’à publier la plus « belle » photo possible et celle qui leur rapportera le plus de « likes », sans prendre aucunement en compte les conséquences d’une telle publication.  De plus, la plupart des utilisateurs ne connaissent pas leur droit à l’image et les implications juridiques des conditions d’utilisation des réseaux sociaux, ledit droit se retrouverait donc sans protection si l’on considérait que la publication d’une photo équivaut au consentement tacite pour son utilisation.

D’autre part, selon le Conseil Constitutionnel, le consentement doit être donné pour chaque image, il doit se limiter à la finalité pour laquelle il a été donné, il ne s’étend qu’à la personne à qui il a été donné et il n’implique pas autorisation pour sa publication ou diffusion. La publication d’une photographie sur un réseau social implique donc uniquement que la personne consent à être observée à l’endroit qu’elle a choisi (photo de profil, photo sur le mur, etc…). Lesdites limites à l’autorisation d’autres utilisations de l’image développée par le Conseil Constitutionnel espagnol, sont les mêmes que celles développées par la jurisprudence française. De nouveau, il faut considérer que ces limites sont appropriées et permettent de protéger le droit à l’image d’un point de vue pratique et non pas simplement théorique. On observe donc sur ce point une convergence des droits français et espagnols.

Concernant les conditions d’utilisation de l’image présentes dans les « conditions générales » d’utilisation du réseau social, le Conseil Constitutionnel considère qu’elles ne sont pas assez claires et compréhensibles pour l’utilisateur et donc qu’elles ne peuvent pas impliquer une autorisation pour l’utilisation de l’image de l’utilisateur par un tiers sans le consentement explicite dudit utilisateur.

Le CC conclut donc que l’utilisateur n’a pas autorisé, ne serait-ce que tacitement, l’utilisation de son image.

On observe donc que les particularités des réseaux sociaux et de ses utilisateurs ont obligé le Conseil Constitutionnel à réadapter le droit à l’image dans ce contexte et à limiter l’application de l’exception liée au « consentement tacite », réalisant ainsi une interprétation plus restrictive.

 

  1. La collision entre liberté d’information et droit à l’image : une pondération nécessaire

 

D’une part, l’article 18.1 de la Constitution Espagnole reconnaît le droit à l’image. D’autre part, l’article 20.1.d de la Constitution Espagnole reconnaît le droit à la liberté d’information et le droit à communiquer librement des informations véridiques à travers n’importe quel moyen de diffusion. Ces deux droits sont des droits fondamentaux de même rang, il est donc impossible de considérer de façon générale que l’un est au-dessus de l’autre. Dans certains cas, comme celui commenté, lorsque ces droits fondamentaux entrent en collision, il est nécessaire d’effectuer une pondération d’intérêts pour déterminer lequel doit prévaloir. La Loi organique 1/1982 établit certains cas dans lesquels l’utilisation de l’image n’est pas considérée comme illicite pour permettre d’effectuer cette pondération. En droit français, cette pondération est essentiellement issue de la pratique ; la jurisprudence et la doctrine ont aussi établi que dans certains cas, le droit à l’information prévaut sur le droit à l’image et qu’il permet ainsi à un tiers d’utiliser l’image d’autrui sans le consentement de ce dernier[5]. Cette similitude est logique puisque dès lors que l’exercice simultané de deux droits fondamentaux est impossible, l’exercice du premier s’opposant à l’exercice du second, il est nécessaire de déterminer lequel prévaut sur l’autre. 

L’article 8.2 de la Loi organique 1/1982 dispose que le droit à l’image « n’empêchera pas : a) sa captation, reproduction ou publication à travers n’importe quel moyen dès lors qu’il s’agit de personnes qui exercent une fonction publique, une profession de notoriété ou avec une projection publique et que l’image est captée durant un acte public ou dans des lieux publics […] ; c) l’information graphique sur un évènement public lorsque l’image d’une personne déterminée apparaît comme accessoire »[6].

De plus, selon le Conseil Constitutionnel espagnol, la protection du droit à l’image cède dans les cas où la publication de l’image, en relation avec l’information, comporte un intérêt public ; c’est-à-dire qu’elle contribue à la formation de l’opinion publique. Le caractère de formation de l’opinion publique est ainsi érigé en critère fondamental pour déterminer si une image peut être publiée. Selon nous, le Conseil Constitutionnel, grâce à ce critère, trouve un juste équilibre entre droit à l’image et droit à l’information. Cependant, cette pondération devra être effectuée au cas par cas par les tribunaux car le Conseil constitutionnel ne définit pas les cas dans lesquels l’utilisation de l’image contribue à la formation de l’opinion publique. On peut donc penser que cette décision ne réduira pas les réclamations en justice pour violation du droit à l’image mais qu’elle permettra aux tribunaux de statuer sur celles-ci de façon plus claire, simple et adaptée.

Dès lors que l’image est publiée uniquement dans le but de satisfaire ou susciter la curiosité du public, par exemple l’envie de connaitre certains traits physiques de la personne, l’ingérence dans le droit à l’image ne serait pas justifiée. De nouveau, on ne peut qu’approuver cette décision puisqu’elle limite la prééminence du droit à l’information sur le droit à l’image aux cas où l’information à une réelle utilité publique.

Le Conseil Constitutionnel espagnol, en accord avec la jurisprudence antérieure et l’article 8 de la LO 1/1982, considère donc que l’image d’un particulier anonyme ou méconnu (qui n’exerce pas une fonction publique ou une profession de notoriété) peut uniquement être utilisée dans deux cas : 1) lorsque l’image de la personne apparaît comme accessoire ; 2) lorsque le droit à l’image doit céder face au droit à l’information. Sur ce point, la jurisprudence française a adopté la même position[7]. Les tribunaux français, comme les tribunaux espagnols, réalisent une analyse au cas par cas ; dans l’affaire Zahia contre le magazine VSD, le TGI de Paris avait considéré que la publication d’images de Zahia obtenues sur son compte Facebook ouvert à tous constituait « une illustration pertinente d’un évènement d’actualité »[8] ; à l’inverse, dans l’affaire Boillon, bien que la photo diffusée par le journal ait été publiée par M. Boillon sur un site public ouvert à tous, l’image n’avait aucun intérêt « d’information du public » et ne pouvait donc pas être publiée sans le consentement de M. Boillon[9]. Cette convergence de la jurisprudence française et espagnole peut s’expliquer en partie par le fait que les deux pays sont signataires des mêmes traités internationaux en matière de droits fondamentaux (DUDH, Convention européenne des droits de l'homme, Chartre des droits fondamentaux de l’Union Européenne) et qu’ils ont une tradition juridique très proche en matière de protection des droits fondamentaux.

Enfin, selon le Conseil Constitutionnel espagnol, le fait que des données à caractère privé circulent sur les réseaux sociaux ne signifie pas que ce qui est privé se soit transformé en public. Les réseaux sociaux ne peuvent donc pas être inclus dans le concept de « lieu public » mentionné par la loi 1/1982, la publication d’une photo sur les réseaux sociaux n’étant pas comparable à la captation d’une image dans un lieu public.

La réponse apportée par le Conseil Constitutionnel espagnol est adéquate et proportionnée. Elle permet de protéger amplement le droit à l’image sur les réseaux sociaux mais autorise tout de même l’utilisation de l’image dès lors que cela contribue à la formation de l’opinion publique.

 

On peut donc conclure qu’en matière de droit à l’image, malgré des différences relatives aux techniques de régulation (en Espagne à travers la constitution et une loi organique, en France à travers une disposition lacunaire du code civil et un développement jurisprudentiel), le régime du droit à l’image est identique et les solutions apportées aux problèmes liés à la publication d’une image sur les réseaux sociaux sont similaires.

 

  1. L’absence de traitement de la violation du droit d’auteur

 

La publication de photographies obtenues sur les réseaux sociaux a généré beaucoup de débats durant les dernières années, que ce soit en Espagne ou en France, et a donné lieu à de nombreuses décisions, dont celle commentée.

Ce problème de captation d’une image sur les réseaux sociaux et de publication dans une revue ou un média, comme dans le cas présent, a été analysée par la jurisprudence et la doctrine comme une possible violation du droit à l’image[10] ou du droit à la vie privée[11].

Cependant, cette publication postérieure pourrait aussi être considérée comme une violation des droits de propriété intellectuelle reconnus au photographe. Bien que la violation des droits de propriété intellectuelle ne soit pas directement analysée par le Conseil Constitutionnel espagnol, il est intéressant d’analyser brièvement ce point dans cet article puisque cela nous permet de répondre de façon plus complète à la question posée dans l’introduction « Peut-on librement utiliser la photo qu’une personne a publié en accès ouvert à tous sur un réseau social ? ».

La protection est reconnue ici au photographe et non pas à la personne photographiée, comme dans le cas du droit à l’image ; ceci expliquant en grande partie le fait que la personne qui est identifiable sur la photo dépose plainte pour violation du droit à l’image et non pas pour violation du droit d’auteur (il serait tout de même possible d’envisager une action cumulée du photographe et du photographié car tous les deux voient leurs droits affectés par la publication de la photographie). Lesdits droits seront différents selon que l’on considère la photographie comme une œuvre ou comme une simple photographie.

Sur ce point, la CJUE a reconnu dans un arrêt du 1er décembre 2011[12] que le portait d’une personne photographiée peut être considéré comme une œuvre protégée par les droits d’auteur dès lors « qu’il s’agit d’une création intellectuelle de l’auteur reflétant la personnalité de ce dernier et se manifestant par les choix libres et créatifs de celui-ci lors de la réalisation de cette photographie ». Ce qui signifie que la photo de profil d’une personne où ladite personne est parfaitement identifiable pourrait être considérée comme une œuvre.

Dès lors que l’on peut qualifier la photographie d’œuvre, son auteur sera titulaire des droits d’auteur reconnus par le Code de propriété intellectuelle français (CPI), et par la Ley de Propiedad Intelectual (LPI) espagnole. Le photographe sera titulaire exclusif des droits d’exploitation de l’œuvre (article 122-1 et suivant du CPI et art 17 et suivant de la LPI) ; toute exploitation de cette dernière nécessitera donc son consentement. Néanmoins, l’article L. 122-5 du CPI prévoit une exception au monopole de l’auteur dans le cas des « analyses et courtes citations » justifiées par le caractère d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées. La jurisprudence française considère que cette exception est aussi applicable à l’œuvre d’art, il est donc possible de citer une photographie. Un média pourrait donc publier une photographie présente sur les réseaux sociaux avec une finalité informative sans avoir besoin d’autorisation de l’auteur. En revanche, l’article 32.1 de la LPI conçoit l’exception de citation de façon plus restrictive, considérant que cette dernière ne s’applique que lorsque la reproduction a une finalité pédagogique ou scientifique ; l’exception de citation en droit espagnol n’est donc pas applicable aux médias.

Si la photographie ne peut pas être qualifiée d’œuvre d’art, en droit espagnol, le photographe sera tout de même titulaire de certains droits de propriété intellectuelle. En effet, l’article 128 LPI reconnait au photographe d’une photographie non considérée comme œuvre d’art les mêmes droits d’exploitation que ceux reconnus aux auteurs d’œuvres, bien qu’avec une durée plus réduite. En revanche, en droit français, le CPI ne protège pas les photographies non originales, c’est-à-dire, celles qui ne peuvent être considérées comme une œuvre ; dans ce cas, le photographe ne disposera donc d’aucun droit de propriété intellectuelle sur sa photographie et ne pourra pas interdire sa reproduction.

Le droit espagnol protège donc mieux le photographe que le droit français, que la photographie soit originale ou non. La captation d’une photographie d’un individu sur les réseaux sociaux et sa publication postérieure constitue donc en droit espagnol une violation des droits d’auteurs dès lors qu’elle n’est pas autorisée par le photographe, quand bien même la publication se réalise par un média et à des fins d’information. Au contraire, la protection est beaucoup plus faible en droit français puisque le CPI protège seulement le photographe d’une photo originale et permet aux médias de publier la photographie si cela est justifié par le caractère d’information.

 

On peut donc conclure qu’il n’est pas possible d’utiliser librement la photo qu’une personne a publié en accès ouvert à tous sur un réseau social. La photo ne pourra être utilisée que lorsque l’image de la personne apparaît comme accessoire ou que la publication de l’image, en relation avec le droit à l’information, comporte un intérêt public. Sur ce point, la jurisprudence n’est donc pas modifiée et ne requiert pas d’adaptation particulière du droit aux nouvelles technologies. Cette adaptation a cependant été nécessaire quant à l’application de l’exception au droit à l’image liée au « consentement tacite » puisque le Conseil Constitutionnel espagnol considère que cette exception ne s’applique pas aux réseaux sociaux.

Enfin, la régulation de l’utilisation d’une image publiée sur les réseaux sociaux est presque identique en droit français et espagnol. Cette convergence est souhaitable dans un monde globalisé où l’utilisation des nouvelles technologies et des réseaux sociaux augmente les relations transfrontalières et peut facilement impliquer, par exemple, l’utilisation en France d’une image publiée par un espagnol sur son réseau social espagnol. Il serait ainsi possible d’envisager une harmonisation au niveau européen, comme ça a été fait en matière de protection des données à caractère personnelle, pour protéger le droit fondamental à l’intimité, par le Règlement UE 2016/679.

 


[1] Traduction personnelle du fondement de droit nº 5 de la décision du Tribunal Supremo, Sala de lo Civil du 15 février 2017, 363/2017. 

[2] Arrêt Cass.civ 1ère 10 avril 2013, nº11-19530 ou Cass.soc 20 décembre 2017, nº16-19609.

[3] Décision de la CA Versailles, 9 janvier 2009, RG 07/08935.

[4] « Il est acquis en jurisprudence que le fait d'accepter de poser pour un photographe et de consentir ainsi à la prise d'un cliché n’emporte pas autorisation de le publier.” Cour d’appel de Grenoble dans un arrêt du 30 octobre 2000.

[5] Voir par exemple l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 9 janvier 2009, RG 07/0893 ou TGI de Paris du 5 janvier 1994, 1re ch., 1re sec, Moulard Dreyfus c/ Ste VSD « le droit à l'image qui appartient à tout individu n'est pas absolu et sa protection cesse lorsque la photographie sert, comme en l'espèce, à illustrer un événement d'actualité et qu'elle ne porte pas atteinte à la vie privée de l'intéressée ».  

[6] Traduction personnelle.

[7] La personne identifiable ne doit pas être isolée et ne doit être qu'un simple accessoire dans le champ de la photographie, Cass. civ. 1re, nº 97-15163, du 25 janvier 2000. L’actualité justifie la publication d’une photo en relation directe avec cette dernière et utile pour la finalité informative.

[8] TGI de Paris, ordonnance de référé 30 avril 2010.

[9] Article de Sadry Porlon, « Le droit à l’image d’un homme politique utilisant un réseau social : l’affaire Boris BOILLON », Clair & Net, 24 février 2011.

[10] Voir par exemple les décisions de la Cour de Cassation espagnole 1225/2003, du 24 décembre 2003  ou 746/2016, du 21 décembre 2016.

[11] Voir par exemple la décision de Cour de Cassation espagnole chambre civile du 15 février 2017, 363/2017

[12] Arrêt CJUE du 1er décembre 2011, affaire C-145/10, Painer.