LES ENJEUX JURIDIQUES DU DROIT D’AUTEUR CONFRONTÉ AUX NOUVELLES RÉALITÉS DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : COMPARAISON FRANCO-AMÉRICAINE

 

Jean Dabin, juriste belge, disait « Ce n’est point seulement affaire de technique législative, de rédaction plus ou moins heureuse des textes ; il s’agit d’une impuissance ou si l’on veut d’une limitation congénitale, qui permet bien à la loi et qui même l’oblige à prévoir, car gouverner  c’est prévoir” (J. Dabin, “François Gény, le savant”, Le centenaire du Doyen F. Gény, Dalloz, 1963, p.16-17). Cette citation, datant de 1963, s’inscrit pourtant particulièrement bien au contexte numérique actuel et notamment à l’intelligence artificielle dont l’évolution exponentielle présente de véritables opportunités, notamment en matière d’innovation. Il  n’existe pas de définition universelle de l’IA mais l’article trois du nouveau règlement européen sur l’intelligence artificielle l’a définie comme « un système automatisé qui est conçu pour  fonctionner à différents niveaux d’autonomie et peut faire preuve d’une capacité d’adaptation après son déploiement et qui pour des objectifs explicites ou implicites déduit, à partir des entrées qu’il reçoit, la manière de générer des sorties telles que des prédictions, du contenu, des  recommandations ou des décisions qui peuvent influencer les environnements physiques ou  virtuels ».  

Face au développement de cet outil numérique, l’une des difficultés majeures se trouve dans l’impossibilité pour ces systèmes d’IA, incluant les nouvelles formes génératives, de fonctionner sans les données qui les alimentent (input). Par conséquent, plus les données fournies sont nombreuses, plus les résultats générés par l’IA seront qualitatifs. Le droit d’auteur ou copyright américain se trouvent bousculés par cette réalité. En effet, cette capacité de traitement d’un nombre important de données permet désormais aux nouveaux modèles d’IA de créer des œuvres de plus en plus créatives et complexes se rapprochant de l’imagination humaine. Dans un contexte de course à l’innovation et au développement, le législateur se trouve donc confronté à un besoin urgent d’adapter le droit afin d’assurer la protection des auteurs dont les œuvres sont parfois utilisées à des fins de traitements algorithmiques, tout en préservant la position économique des états dans le domaine du numérique à l’échelle internationale.  

Aux États-Unis, cette évolution fait déjà l’objet d’un nombre croissant de procédures judiciaires, visant pour les utilisateurs d’IA à faire reconnaître et enregistrer les œuvres générées par ces systèmes. Nul doute que les décisions qui en découlent influenceront le régime français.  Des deux côtés de l’atlantique, le législateur s’est pourtant accordé à ne reconnaître le droit d’auteur et de Copyright que dans certaines circonstances nécessitant l’intervention de la créativité humaine. Cependant, cette vision semble peu à peu tendre vers la reconnaissance d’œuvres produites par l’IA, notamment lorsque la création est le fruit d’algorithmes et de programmations complexes. L’alternative opposée du régime anglais, qui reconnaît le droit d’auteur aux œuvres générées par l’IA, ne semble pourtant pas offrir de solutions plus viables.  En effet, le Royaume-Uni semblait vouloir anticiper le développement des nouvelles technologies y compris dans le cadre d’œuvres générées par ordinateur. Force est de constater que le développement très rapide des nouvelles formes d’IA génératives a finalement rendu le cadre législatif, obsolète. Cette situation a par ailleurs été dénoncée par près de 48 000 auteurs anglais face à l’utilisation illicite de leurs œuvres et un cadre législatif désormais inadapté.  

Une seconde problématique émerge, puisque le traitement automatique des données présentes sur internet s’accompagne automatiquement de potentielles violations des œuvres préexistantes d’auteurs n’ayant pas donné leur accord pour l’utilisation de leurs créations.  L’enjeu se trouve alors dans la nécessité de favoriser la transparence des systèmes d’IA et la possibilité pour les auteurs de refuser l’utilisation de leurs œuvres à des fins de traitements algorithmiques. Aux États-Unis et en France, les gouvernements se penchent donc sur l’étude d’un nouveau cadre législatif mais se trouvent confrontés aux limites imposées par un environnement numérique technique, qui ne permet pas toujours de respecter les intérêts des auteurs.  

Ces considérations amènent donc à se demander : quel est le statut juridique et la protection reconnus aux œuvres générées par l’IA en France et aux États-Unis ? de plus, comment assurer la protection des œuvres d’auteurs traditionnelles face à l’émergence de nouvelles formes d’intelligences artificielles, notamment génératives, et présentant des difficultés techniques inédites ? 

Il conviendra alors d’analyser dans un premier temps, la nécessité de la création d’un droit sui generis pour la protection des œuvres produites par l’IA (I) avant de voir les enjeux liés à la protection des œuvres préexistantes face aux nouveaux modèles d’IA (II). Nous constaterons finalement une convergence des droits qui permettrait une harmonisation (III).

I. La nécessité de la création d’un droit sui generis pour la protection des œuvres produites par l’IA  

Les droits français et américain semblent suivre un consensus plutôt conservateur et anthropocène, en réfutant la possibilité pour les œuvres générées par l’IA de bénéficier respectivement du droit d’auteur et du copyright. En France, l’article L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle (« CPI ») protège toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. Le texte ne prévoit cependant pas de définition de l’œuvre de l’esprit ou de l’auteur, à l’instar des États-Unis, ce qui en principe, n’empêcherait pas la protection d’œuvres générées par l’IA qui ne constituent souvent pas seulement une idée, mais une création. La Cour de cassation a cependant eu l’opportunité de décider qu’une œuvre est originale lorsqu’elle résulte d’un effort intellectuel de son créateur (Cass. Assemblée Plenière, 7 mars 1986, n°83-10.477). Cette vision du droit d’auteur a également été confirmée par la CJUE dans l’arrêt Levola Hengelo où la Cour a décidé que le droit d’auteur ne peut s’appliquer qu’aux éléments qui sont l’expression d’une création intellectuelle indiquant que « l’objet doit être original et constituer une création intellectuelle ». 

Le droit d’auteur est aux États-Unis promu par le congrès qui entend favoriser l’émergence de la science et des arts ainsi que l’enrichissement de la société. L’auteur de l’œuvre est en ce sens protégé contre la reproduction de son travail par des personnes tierces. Comme en France, le régime américain ne permet pas la protection par le droit d’auteur des œuvres générées par l’IA mais seulement l’aboutissement d’un travail de l’esprit humain.  

Ainsi, dans une décision du Bureau des droits d’auteur (« Copyright Office ») « Zarya of the Dawn» de Kristina Kashtanova, l’autorité a accepté d’enregistrer l’arrangement des images  effectué de façon artistique sous forme de bande dessinée par l’artiste qui y avait rajouté du  texte, mais pas les images individuelles, créées automatiquement par l’IA. Dans une autre décision Stephen Thaler c/ Shira Perlmutter, la Cour du District de Columbia a jugé qu’une œuvre « A Recent Entrance to Paradise », entièrement réalisée par un logiciel d’IA «Creativity  machineA», créée par Thaler, ne peut prétendre à la protection du Copyright. En l’espèce, Thaler considérait que les droits de l’œuvre devaient lui revenir en tant que propriétaire de l’outil d’IA, solution qui aurait pu être envisagée au Royaume-Uni. Le Bureau a refusé d’enregistrer l’image considérant l’absence d’intervention humaine dans le processus de création. En outre, Thaler n’a fourni aucune preuve d’un apport créatif suffisant ou d’une intervention de l’auteur humain dans l’œuvre. Les juges ont ici admis que l’œuvre pouvait se distinguer des photographies, qui, contrairement aux œuvres générées par l’IA, sont le résultat des choix créatifs du photographe (décision Burrow-Giles Lithographic Co. v. Sarony). Il y a donc une distinction entre l’utilisation de l’IA en tant qu’outil d’assistance à la création qui peuvent bénéficier d’une protection et l’utilisation complète de l’IA pour réaliser des œuvres de façon autonome comme un humain. La juridiction semble pourtant reconnaître une possibilité pour les œuvres générées par l’IA, de bénéficier du copyright en confirmant l’argument du demandeur selon lequel, le copyright s’est toujours avéré flexible, permettant une protection pour les œuvres ayant fait l’objet d'interventions technologiques. En ce sens, la Cour admet la nécessité pour le droit d’auteur d’évoluer avec son temps mais conserve la condition si ne qua none d’une intervention humaine. En outre, le travail doit refléter les idées de l’auteur. La décision soulève donc une problématique émergente liée à la nécessité de s’accorder sur le degré d’intervention humaine minimum lors de la création de l’œuvre pour considérer ce dernier comme l’auteur.   

Un parallèle peut être fait avec le droit anglais, plus pragmatique, qui s’écarte des visions américaines et françaises en décidant qu’une œuvre générée par l’IA peut bénéficier de la protection du droit d’auteur, les droits de paternité étant octroyés au programmeur de l’IA.  L’article 9§3 du Copyright, Designs and Patents Act de 1988 (CDPA) dispose ainsi que «dans le cas d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique créée au moyen d’un ordinateur, la personne ayant pris les dispositions nécessaires pour créer ladite œuvre sera réputée en être l’auteur ». Le régime anglais se distingue donc des États-Unis et de la France en étant l’un des seuls régimes à reconnaître un droit d’auteur à ces œuvres. 

La France et les États-Unis considèrent donc que les œuvres générées entièrement par l’IA sans aucune intervention humaine au cours du processus de génération, ne peuvent pas prétendre à la protection par le copyright et le droit d’auteur. L’octroi d’une protection à une œuvre sur laquelle l’IA est intervenue s’inscrit donc dans une approche casuistique qui dépend du degré d’intervention de l’IA.  

Il faut rajouter que les législations américaines et françaises tendent à développer un nouveau régime législatif relatif au droit d’auteur et à l’IA. En France, le Conseil Supérieur de la propriété littéraire et artistique (« CSPLA ») a en ce sens invoqué une volonté de créer un nouveau régime sui generis pour les créations autonomes de l’IA afin de favoriser la protection des œuvres générées par ces systèmes ainsi que l’innovation. Le CSPLA serait ainsi enclin à calquer le régime britannique en désignant le concepteur de l’IA comme détenteur du droit d’auteur. Une autre possibilité inclurait d’appliquer l’article 546 du code civil afin de permettre au propriétaire de l’IA d’obtenir les accessoires que produit sa chose.  

L’importance de la question de la formation d’un nouveau régime sui generis applicable aux œuvres générées par l’IA conduit automatiquement à se questionner sur la protection accordée en retour aux auteurs dont les œuvres, dorénavant présentes sur de multiples plateformes numériques, sont utilisées à grande échelle par les systèmes d’IA afin de créer de nouveaux travaux.  

II. Les enjeux liés à la protection des œuvres préexistantes face aux nouveaux modèles d’IA

Si le test utilisé aux États-Unis pour déterminer si une œuvre a bien fait l’objet d’une utilisation illicite par l’intelligence artificielle est le même que pour les cas plus « traditionnels » de violation, l’union européenne s’est quant à elle dotée d’une disposition spécifique, applicable en France, encadrant l’utilisation d’œuvres préexistantes.  

Aux États-Unis, la violation du droit d’auteur est sanctionnée par la section 501 du Copyright Act en cas de copie du travail protégé sans autorisation. Dans ce cas, le second travail doit être substantiellement similaire à l’œuvre préexistante. Les exceptions au droit d’auteur sont organisées à la section 17 U.S.C. §107 du Copyright Act sous la doctrine du « fair use » (« utilisation loyale») mais ne visent pas directement les traitements informatiques comme la directive européenne 2019/790 du Parlement Européen sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, transposée en droit français. Les exceptions comprennent donc la critique, les commentaires, l’information du public, l’enseignement, la recherche et les recherches universitaires. Cette disposition légale permet d’assurer un équilibre entre la protection des artistes et la possibilité pour n’importe quel individu de s’inspirer d’œuvres précédentes. L’exception du fair use, repose sur un test en quatre points incluant : la finalité et la nature de l’utilisation de l’œuvre, notamment si l’utilisation sera commerciale ou purement éducative (i), la nature de l’œuvre protégée (ii), la portion et la substance du travail utilisé par rapport à la nouvelle œuvre (iv). En 2023, cependant, près de 1500 auteurs ont signé la Guild’s  letter visant à intimer le Copyright Office de se pencher sur la question du droit d’auteur face au développement de l’IA. L’une des inquiétudes avancées est la possibilité pour une œuvre créée par l’IA (output), de bénéficier de l’exemption du fair use qui empêcherait donc l’IA générative notamment, d’être condamnée pour violation du droit d’auteur. Dans l’affaire Warhol par exemple, le juge Gorsuch a considéré que les dispositions du fair use prévoient de vérifier le risque de confusion par les consommateurs entre « l’ancienne » œuvre bénéficiant du droit d’auteur et la nouvelle, ce qui exclurait l’application du fair use.  

De plus, si le résultat de l’IA est utilisé́ à des fins commerciales et sert de substitut à l’original en rentrant en concurrence directe avec l’auteur principal, il est peu probable qu’il s’agisse d’une utilisation équitable ce qui ne permettra pas à l’IA d’utiliser l’œuvre et la menacera d’une sanction judiciaire. L’analyse vise donc à déterminer si la production générée par IA est transformative par rapport à l’œuvre préexistante. Ainsi, dans une décision pour le district nord de la Californie “Tremblay v. OpenAI,  Inc”, la Cour s’est rangée en faveur de la société d’IA en statuant que l’œuvre générée par ChatGPT n’était pas contrefaite, les plaignants n’étant pas parvenus à démontrer que les sorties de l’IA (outputs) étaient substantiellement similaires à leurs œuvres. En l’absence de faits établissant de manière plausible une similitude substantielle de l'œuvre protégée avec les résultats de l’IA, la plainte ne démontre pas de violation directe du copyright. 

À mesure que l’intelligence artificielle évolue, il revient donc aux juridictions de déterminer quel degré de nouveauté est nécessaire afin de permettre l’application du fair use. La preuve de la violation du Copyright est cependant difficile à démontrer aux vues de la masse de données utilisées pour alimenter ces systèmes.  

En France, ces exceptions sont prévues par la directive 2019/790 et ont permis d’encadrer l’utilisation d’œuvres préexistantes par l’intelligence artificielle. Selon la Commission Européenne, cette nouvelle disposition a permis la mise en place d’un équilibre entre protection du droit d’auteur et possibilité pour les systèmes d'IA d'exploiter les données et textes présents sur le net. Ainsi, l’article 4 de la directive, inspiré de l’article 9 de la convention de Berne, a été transposée en droit français à l’article L.122-5-3- III du CPI qui permet les copies ou reproductions numériques des œuvres en vue de fouilles de textes et de données menées par toute personne, pour la recherche académique. C’est également le cas aux États-Unis. La seconde exception permettait l’usage des données, même à des fins commerciales, à condition que l’auteur de l’œuvre puisse s’y opposer par des moyens lisibles par les systèmes d’IA (procédure de « l’Opt Out »). En revanche, cette option, reprise par le nouveau règlement sur l’intelligence artificielle, n’a pas été adoptée en considération directe du traitement des données par les systèmes d’IA. L’exercice de ce droit de retrait ne semble pas suffisant, en raison de la difficulté pour les systèmes d'IA de contrôler les débouchés de l’ensemble des demandes. De plus, au moment de l’adoption de la directive, le développement de grands modèles d’IA qui s'entraînent sur des bases numériques non autorisées, n’avait pas été anticipé. La directive n’inclut pas non plus de procédure permettant de contrôler le respect de l’opt out par les systèmes d’IA. Dans les faits, l’exception prévue pour la fouille de textes et de données permet aux IA d’avoir un accès direct aux œuvres des auteurs présentes sur le web, permettant ainsi à ces nouvelles technologies de rentrer en concurrence directe avec le marché de l’art traditionnel. Les dispositions de l’article L. 122-5-3-III transposant l’article 4 dispose même qu’il revient à l’auteur de s’opposer à la fouille des données composant son œuvre par des procédés lisibles par machine. L’article ne donne pas plus d’indications sur la manière de mettre en œuvre ces procédés ce qui pourrait finalement laisser libre court à l’utilisation des données par les systèmes d’IA, pour qui la mise en place d’un système technique s’avérerait couteux et pourrait les placer en désavantage direct avec les autres sociétés d’IA. 

Par ailleurs, l’exercice du droit d’opt out par l'auteur n'empêchera pas les personnes tierces d’utiliser l’œuvre en question, de façon légale en ayant obtenu une autorisation. Cette procédure d’opt out pourrait également devenir une source de déséquilibre de la concurrence entre la France et les États-Unis, qui ne dispose pas de cette option.  

L’article 6 de la même directive indique également que les exceptions prévues par le texte ne s’appliquent pas lorsqu’elles sont susceptibles de porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ou causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires de droits.  

Un second enjeu émerge donc puisque le droit d’opt out ne peut être exercé qu’en présence d’une IA transparente permettant, d’une part à l’auteur de savoir si son œuvre est utilisée, et d’autre part, lui permettre, le cas échéant, d’exercer effectivement son droit d’opt out ou de démontrer que ce droit n’a pas été respecté.  

Le règlement sur l’IA, directement applicable en France, dispose désormais en son article 53 que les systèmes d’IA devront mettre en œuvre un résumé détaillé intégrant les politiques de conformité et les sources de données collectées pour l'entraînement. Selon le CSPLA, cette exigence de transparence permettrait aux auteurs d’exercer leur droit d’opposition contre l’entraînement de leurs œuvres ou de demander une rémunération en contrepartie. Pourtant, l’article ne prévoit pas si la transparence concerne également les moyens de traitement ou seulement les éléments inclus dans ce dernier. Par ailleurs, les sociétés d’IA, elles-mêmes, ont soulevé une limite technique, rendant presque impossible l’application de cette exigence de transparence. Cet argument ne semble pourtant pas fondé puisque les sociétés d’IA sont en mesure de détecter les contenus protégés notamment par des modes d’identification, et d’organiser les données collectées en relevant celles qui comportent un caractère corrompu ou non identifié. La rétroactivité de cette disposition n’est pas non plus mentionnée et permettrait donc aux systèmes d’IA de continuer à utiliser les données présentes avant la mise en vigueur du règlement sans les dévoiler au sein du document. Aussi, les systèmes d’IA pourraient relever que la divulgation des modes de collecte des données, et non pas seulement des sources de données elle-même, peut contrevenir au respect du secret des affaires. 

La preuve de la violation dans le cadre du traitement de milliards de données semble difficile à caractériser. Par ailleurs, il faut réussir à démontrer que l’œuvre générée à l’aide de ces données inclut l’utilisation de l’œuvre en question. Or, plus le nombre de données utilisées est important, plus la preuve de l’utilisation illicite de l’œuvre sera difficile à apporter.  Techniquement, il est difficile de vérifier la bonne exécution de ces droits par les systèmes d’IA.  

Les États-Unis semblent vouloir suivre cette vision européenne et ont proposé d’imposer aux IA génératives, de transmettre les œuvres utilisées, incluant les adresses URL notamment.  

Si les États-Unis permettent donc une utilisation plus large des œuvres préexistantes, son contrôle à posteriori par les juridictions est également plus incertain. La directive européenne quant à elle, prévoit des exceptions plus strictes et prévisibles mais comme nous le verrons, les aspects techniques des nouveaux systèmes d’IA présentent des limites très concrètes au respect de ces exceptions.  

III. Une convergence des droits qui permettrait une harmonisation  

Dans un contexte de course à l’innovation, les États-Unis et la France semblent converger vers un modèle législatif similaire et une harmonisation en matière d’utilisation de l’IA dans le contexte du droit d’auteur. Cela pourrait permettre d’assurer une compétition juste entre les différentes puissances économiques tout en assurant la protection des auteurs.  

Un premier objectif commun semble se fonder sur une exigence de transparence des modèles d’IA. En France, une proposition de loi a été déposée en ce sens, par des députés de l’Assemblée nationale visant à compléter le CPI et notamment son article 131-3 en incluant une autorisation préalable de l’auteur pour que les systèmes d’IA puissent utiliser ses œuvres. Or, cette proposition semble compromise par les textes déjà existants, comme la directive 2019/790 qui permet justement le développement de l’IA en permettant une exception liée à la fouille des textes et des données. Une deuxième proposition permettrait d’introduire un droit à rémunération à l’article 321-2 du CPI. Enfin, l’article 121-2 du CPI serait modifié en exigeant des systèmes d’IA qu’ils apposent la mention « œuvre générée par IA » ainsi que le nom des auteurs des œuvres utilisées. En pratique, ces dispositions semblent difficiles à mettre en place, du fait des milliards de données utilisées par l’IA et de l’impossibilité d’identifier les œuvres utilisées.  

Les États-Unis ont de même proposé un projet de loi « Generative AI Copyright Disclosure Act  of 2024» qui favoriserait l’obligation pour les entreprises d’IA de dévoiler les données d’entraînement utilisées. Ce projet irait en revanche plus loin que le régime européen qui ne prévoit que la divulgation des données utilisées, puisqu’il exigerait également des IA qu’elles divulguent les modalités techniques d’entrainement. Le projet de loi précise que les systèmes qui modifieraient les données pour entraîner ses modèles seront soumis à une obligation de dévoiler au Bureau des droits d’auteur, les détails des données utilisées et qui constituent la base d'entraînement de l’IA. Cette disposition semble par ailleurs reprendre l’énoncé de l’article 53 du règlement européen sur l’intelligence artificielle, lui-même inspiré de l’article 4§3 de la directive 2019/790 qui organise également ce résumé détaillé du contenu utilisé par les IA.  

Au Royaume-Uni, cette exigence de transparence sera d’autant plus importante que le gouvernement a évoqué la possibilité de rejoindre la position européenne et américaine en présentant l’hypothèse de revenir sur la protection des œuvres générées par ordinateur. En effet, contrairement aux régimes français et américains, les dispositions du CDPA ne précisent pas si l’humain qui occupe la place « d’auteur » en ayant arrangé la création de l’œuvre par l’IA, doit revêtir les mêmes compétences d’effort et de jugement que celui qui est requis pour les œuvres soumis au droit d’auteur traditionnel. 

Le gouvernement anglais, à l’instar de l’UE et des États-Unis a donc, en ce sens, proposé une obligation de transparence des systèmes d’IA pour dévoiler les données utilisées pour générer leurs résultats. Ainsi, une nouvelle exception pour l’exploitation de textes et de données à quelle que fin que ce soit, y compris commerciale, serait possible à condition que l’utilisateur ait eu un accès légal aux œuvres concernées (œuvres mises à disposition gratuitement sur internet et celles étant accessibles sans enfreindre les conditions contractuelles applicables (paiements)).  

Le second enjeu consisterait à octroyer la possibilité aux auteurs d’exercer leur droit en refusant l’utilisation de leurs œuvres. D’un côté, la proposition américaine ne semble cependant pas inclure la procédure de l’opt out ou la possibilité d’une compensation, procédure ayant tout de même été invoquée par le Sénat américain. La proposition semble donc quelque peu dénuée d’intérêt, puisqu’elle ne permettrait pas à l’auteur d’agir en constatant l’utilisation de son œuvre. A contrario, la proposition anglaise inclut cette procédure. En effet, actuellement au Royaume-Uni, la section 29A du CDPA ne permet l’analyse informatique qu’à des fins de recherche et dans un but non commercial. Le gouvernement a également émis une proposition de loi visant à établir une nouvelle exception à l’utilisation des droits d’auteurs permettant aux modèles d’IA d’utiliser des documents protégés à des fins de formation et d'entraînement des bases de données, à condition que les titulaires des droits n’aient pas « réservé » ou « renoncé » à leurs droits. Cette proposition permettrait à l’approche anglaise de s’aligner sur celle de l’Union Européenne et notamment l’article 4§1 de la directive 2019/790 qui exige des États membres d’instaurer une exception au droit d’auteur pour les reproductions et extractions d’œuvres légalement accessibles et d’autres objets du droit à des fins de fouille de textes et de données. De plus, l’exception ne s’appliquerait qu’en étant étayée par des exigences de transparence mentionnées précédemment. Une limite à ce mécanisme se présente néanmoins en France et aux États-Unis puisque si l’auteur a exercé son droit d’opt out, cela n’empêche pas qu’il aie permis à d’autres entités ou sites web, comme les librairies en ligne, de diffuser son œuvre. Cette librairie n’ayant pas de droit d’opt out en tant qu’auteur, l’IA pourrait donc se servir de cette base de données pour alimenter son traitement. Il est également noté que le régime français ne prévoit ce droit que pour l’auteur et non pas pour le détenteur des droits ce qui ne lui permettra pas d’empêcher l’utilisation de ces œuvres lorsque l’auteur aura délégué ses droits.  

Face aux difficultés techniques notamment liées à la procédure d’opt out évoquée précédemment, une solution consisterait pour les auteurs, à signer un accord permettant l’utilisation de leurs œuvres par les systèmes d’IA en échange d’une rémunération. Mais cette possibilité pourrait de nouveau être contournée par les systèmes d’IA qui ont également accès aux données présentes sur le web, et qui n’ont pas fait l’objet d’une autorisation préalable. Le traitement de ces données s’avérerait donc illicite. Par ailleurs, l’obligation pour les systèmes d’IA d’obtenir l’utilisation des auteurs, sous l’article L.131-1 du CPI impose de facto, un frein au développement et à l’innovation, dans un contexte géopolitique de course à cette nouvelle forme de technologie. 

Il serait également déterminant que les plateformes numériques soient responsables afin d’empêcher l’apparition de contenus illicites au lieu d’imposer aux auteurs qu’ils prennent eux-mêmes des mesures. L’article 17 de la directive de 2019 encadre justement la responsabilité des plateformes contributives. Ces dernières se trouvent dans l’obligation de supprimer ou empêcher l’utilisation de contenu non autorisé. Ces plateformes sont également tenues d’obtenir l’autorisation des titulaires des droits pour la diffusion de leurs œuvres en ligne ce qui impose en parallèle une exigence de transparence. Le test utilisé diffère cependant de l’utilisation des œuvres d’auteur par l’intelligence artificielle. En effet, l’article 17§1 permet aux plateformes d’être exonérées de leurs responsabilités si elles parviennent à démontrer qu’elles ont obtenu une autorisation du titulaire du droit pour garantir la disponibilité des contenus, et que la plateforme a agi promptement en cas de notification pour bloquer l’accès  au contenu. De même, à l’instar de l’intelligence artificielle, il semble que l’auteur soit lui-même responsable de transmettre toute information utile permettant le retrait du contenu.  L’affaire Google est particulièrement illustrative en ce qu’elle démontre les difficultés liées à la régulation des plateformes en ligne et à leurs responsabilités face à l’utilisation faite de leurs contenus par l’IA. En l’espèce, il était reproché à Google de ne pas avoir été assez transparent à l’égard des éditeurs de presse en les informant de l’utilisation de leurs articles par l’IA générative.  

Conclusion :  

L’application du droit d’auteur aux œuvres générées par l’IA présente des enjeux techniques qui constituent un véritable défi pour le législateur et impliquent plusieurs acteurs. D’abord, pour les systèmes d’IA, il s’agit de déterminer quel droit accorder à des œuvres qui ne sont pas le fait de la création humaine afin d’assurer le développement de l’innovation tout en préservant la valeur de l’imagination humaine. Ensuite, une question primordiale se concentre sur la protection des auteurs, dont les œuvres sont parfois disséminées parmi des milliards d’autres données alimentant les bases de traitement des IA. À court terme, l’IA pourrait supprimer près de 90% des emplois dans le domaine du droit d’auteur. Le domaine de la presse est aussi flagrant puisque près de 75% des consommateurs de presse digitale ne cliqueraient pas sur le lien de la presse pour utiliser d’autres sources, souvent illicites. Cette situation périlleuse pour les auteurs a déjà attiré l’attention des gouvernements et nécessitera certainement une intervention législative que ce soit aux États-Unis ou en France et dans d’autres domaines juridiques comme la responsabilité civile, le droit de la santé, les données ou la consommation.

 

 

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Convention de Berne, 1886, article 9

Droit européen 

Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit  d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives  96/9/CE et 2001/29/CE, (texte présentant de l’intérêt pour l’EEE), Article 4, article 4§1, article  4§3, article 6  

Règlement (UE) n° 2024/1689 du Parlement européen et du conseil du 13 juin 2024 établissant  des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle (texte présentant de l’intérêt pour  l’EEE). 

Jurisprudence  

Droit européen  

CJUE, 13 novembre 2018, Levola Hengelo, aff. C-310/17

Droit américain  

Stephen Thaler c/ Shira Perlmutter, n°22-1564 (BAH) (US District court for the District of Columbia) 

Burrow-Giles Lithographic Co. v. Sarony, 111 U.S. 53, 55-57 (1884) 

Supreme Court of the United States, 18 mai 2023, Andy Warhol Foundation for the visual Arts, Inc. v. Goldsmith et Al., n° 21-869 (2nd Circuit)