Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait, Emmanuel Mouret

« J’ai choisi de quel amour je t’aimais »

Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, réalisé par Emmanuel Mouret, un film français d’une extrême finesse sur le sujet de l’amour et la complexité des relations amoureuses.

 

Le film s’ouvre sur la rencontre de Daphné et de Maxime dans une gare du Lubéron. Daphné vient chercher son beau-cousin qui vient passer quelques jours de vacances avec elle et son mari, François, dans le sud. François travaille à Paris sur un chantier et il a été retenu pour quelques jours. Daphné et Maxime, qui se voient pour la première fois, se retrouvent ainsi seuls dans la maison de campagne. En attendant l’arrivée de François, ils se promènent et font un peu de tourisme. Un jour où ils sont en train de visiter un site, Daphné invite Maxime à la confidence, pour briser le silence, pour passer le temps et pour apprendre à se connaître. Elle l’interroge sur son histoire d’amour compliquée, raison pour laquelle François a proposé à son cousin de venir se changer les esprits dans le Lubéron. A partir de ce moment, nous entrons dans les histoires d’amour de Maxime, puis celles de Daphné qui se confiera à son tour sur ses désirs, ses déceptions amoureuses, sa rencontre avec François, alternativement. Nous découvrons à travers leurs voix et la caméra une partie de celles de Louise, ex-femme de François, Gaspard, l’ami de Maxime, Sandra, celle que Maxime a tant aimée ou du moins désirée et Victoire, la sœur de Sandra, une femme fiancée avec qui il a eu une liaison.

Le film se présente ainsi sous la forme de récits enchâssés, l’histoire de Maxime, celle de Daphné, en vis-à-vis, que le réalisateur nous donne à voir directement.  

 

L’exploration de l’intimité

De la même manière que Daphné et Maxime se rapprochent considérablement au cours de ces quelques jours ensemble, partagent leurs émotions, leurs sentiments, leurs expériences amoureuses, tout ce qu’il y a de plus intime finalement, en deux heures, nous nous rapprochons des personnages également tant le réalisateur est parvenu à nous plonger nous aussi dans ces discussions et à créer une ambiance de confidence, d’intimité. Il a réussi à l’établir non seulement entre Daphné et Maxime mais aussi entre nous et les personnages du film. Les plans rapprochés des personnages du récit cadre, quand ils commencent à narrer leur histoire, mais aussi ceux des personnages, dans les récits enchâssés, créent une proximité. Parfois, en effet, nous avons à l’écran le portrait buste de Daphné ou encore celui de Louise ou de Sandra et nous nous retrouvons face à elles comme si nous étions Maxime, François ou Gaspard. Nous pouvons ainsi dire que le réalisateur est parvenu avec brio à briser l’écran entre nous et les personnages, et c’est en cela que l’on peut dire que le film est très fort, intense, prenant !

 

Une métaréflexion sur l’amour et les relations amoureuses 

Oui, le film nous engage et il nous invite à prendre position à notre tour ou du moins à penser, à réfléchir, à nous questionner sur nos propres relations, définitions, conceptions amoureuses après avoir découvert, compris ou cherché à comprendre celles des autres qui peuvent-être semblables ou différentes des nôtres. Ce que nous voyons à la perfection dans ce film, c’est combien les histoires, relations, conceptions d’amour sont plurielles. L’amour est pluriel. Dans ce film nous échappons à tout stéréotype, idée toute faite de l’amour, de ce qu’il est, de ce qu’il doit être, en un mot, nous échappons à la fois au cliché, au bien-pensant et plus fort encore, à la morale ! Et cela grâce à l’exposition de points de vue différents mais aussi à des retournements de situations, des surprises, des rebondissements inopinés, imprévus.

Je pense ici à cette scène très marquante où François, ayant découvert que sa femme Louise a monté une mise en scène de toute pièce pour lui faire croire qu’elle a bien rencontré dans sa vie un autre homme dont elle est très amoureuse, vient lui rendre visite, pour comprendre, pour demander des explications à propos d’un tel mensonge. Louise lui raconte alors qu’elle a découvert qu’il avait une maîtresse, (Daphné), alors qu’elle allait lui chercher un cadeau d’anniversaire en compagnie d’une amie à elle. Sur les conseils de son amie, elle a attendu que cet amour pour une autre se lasse et passe, et que François revienne à elle. Les mois passant, elle a pris la décision de le quitter et s'est mise à réfléchir à la manière dont elle pouvait bien se séparer de lui. En femme trompée et blessée qu’elle était ? Avec maints reproches et accusations ? Ou en femme blessée certes, mais qui l’aimait encore et qui voulait pour lui le meilleur ? C’est cette voie là qu’elle avait décidé de suivre et c’est ainsi qu’elle avait inventé ce stratagème de la rencontre d’un autre homme, pour le laisser partir, lui, François, son mari qu’elle chérissait, avec sa maitresse qu’il aimait, sans remords et culpabilité. C’est à cette occasion qu’elle affirme, belle, digne, et pleine d’amour :

« J’ai choisi de quel amour je t’aimais. »

Entre l’amour désir, possessif et l’amour don, qui laisse à l’autre sa propre liberté, c’est celui-là qu’elle a fini par choisir pour celui qu’elle aimait, et qu’elle aime encore.

A cette déclaration, généreuse, tendre et sincère, s’ensuit une nuit d’amour qui n’aura pas de suite. Louise restera une femme célibataire, vivant dans sa maison de campagne et François s’en retournera auprès de Daphné. Cette nuit n’en reste pas moins belle et importante, et le spectateur se réjouit de voir qu’une nuit d’amour hors mariage peut être autre chose qu’un vil adultère, en étant un signe d’amour, de reconnaissance, de dernier adieu. Il en est de même pour la nuit d’amour qui unit Maxime à Daphné, mariée à François et enceinte de trois mois. Tous les deux se sont appréciés, séduits, plus encore aimés mais ils étaient engagés sur un chemin qu’ils ont chacun continué. Il aurait pu en être autrement, il en a été ainsi. Ainsi va la vie.. !

Deux procédés principaux utilisés par le réalisateur permettent cette réflexion profonde et subtile sur l’amour et les relations amoureuses. Pour commencer, le procédé de l’enchâssement qui nous fait passer d’une histoire à une autre, celui du récit cadre au récit enchâssé, donnant lieu à une méta réflexion sur le sujet de l’amour. Premièrement, nous avons la réflexion des personnages qui se dégage de leurs dires et de leurs faires. Ensuite, à cette réflexion, s'ajoute celle du philosophe à travers quelques extraits que nous voyons du documentaire monté par Daphné. Celui-ci, en effet, s’interroge sur ce qu’est, et ce que nous voulons que soit l’amour. Enfin, à cette réflexion s'ajoute la nôtre, celle du spectateur qui visionne le film, et qui en vient à penser comme Kundera que « tout est plus compliqué que ça ». Nous en venons ainsi au second procédé : celui de ne pas donner toutes les informations au spectateur, de lui réserver des surprises, des rebondissements, comme dans la vraie vie, où nous n’avons que rarement toutes les clés d’un coup en main. Comme dans la vie, nous sommes dans la subjectivité, dans le ressenti, la pensée, dans les croyances de chacun des personnages à qui seule une partie des choses est dévoilée. Dans le kaléidoscope de la vie, seulement quelques facettes, dans un vif et rapide éclat, nous apparaissent. Et puis parfois, aussi soudainement, quelques-unes se découvrent. Il en est ainsi de la révélation que fait Louise à son ex-mari François ou encore lorsque Daphné fait l’expérience d’une grande déception amoureuse quand elle voit s’en aller le réalisateur qu’elle admire et qu’elle aime avec une autre. Personnages autant que spectateurs, nous nous imaginons des choses et il en va autrement. Il y a ce qui est dit, ce qui est fait, mais aussi ce qu’on pense, ce que l’on imagine, et ce qui est.

 

Dans ce film très fin, très intime où nous nous trouvons très proches des personnages et de l’action du film, nous ressentons la joie, l’envie, la frustration, la colère, la tristesse, nous passons par la déception puis l’espoir et la surprise, nos jugements sont continuellement remis en question. Rien n’est immuable : tout est en transformation ! Le film est un film qui nous porte à l’amour, à la tolérance, il nous invite à chercher à comprendre l’autre dans ses faits et gestes mais aussi dans ses réflexions sans pour autant tout accepter de ses pensées, de ses dires et de ses faires, car comprendre ne signifie pas adhérer !

A un scénario abouti et intelligent, s’ajoutent des dialogues bien construits et intéressants, une mise en scène belle, bien tournée avec un beau jeu d’acteurs. Que ce soit Camélia Jordana dans le rôle de Daphné, Niels Schneider dans celui de Maxime, Vincent Macaigne dans celui de François, Emilie Dequenne dans celui de Louise, Guillaume Gouix dans celui de Gaspard ou encore Jenna Thiam dans celui de Sandra, ils jouent tous avec un grand naturel et une grande sensibilité dans les discours et les doubles discours, les dits et les non-dits ! Pour couronner le tout, les lieux filmés, entre Paris et le Lubéron sont très beaux, et la musique très belle !

 

Sublime, une grande œuvre ! Et à tous points de vue !

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