Les référés-urgence de l’art. 808 du c.p.c français, et les provvedimenti d’urgenza de l’art. 700 du c.p.c italien comme réponses à la nécessité d’une protection juridictionnelle provisoire. Par Elena BESSIN - PENNINI

« Nul ne peut se faire justice à soi-même », l’adage est connu. Il en découle le besoin, pour un Etat de droit, d’une protection juridictionnelle, garantie par les principes fondamentaux du procès tels que la garantie d’accès à la justice   et le respect du délai raisonnable.

La garantie d’accès à la justice  trouve son fondement  dans les articles 6§1 (depuis l’arrêt de principe Golder[1]) et 13  de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (CESDH) – même si le droit au recours issu de l’art. 13 ne concerne que ceux visant un droit garanti par la CESDH. Le respect du délai raisonnable se retrouve également à l’art. 6§1 de la CESDH, et dans différents textes internationaux et nationaux : à l’art. 47 al. 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, art. L.111-3 Code de l’organisation judiciaire en droit français et  art. 111- 2 de la Constitution italienne.

Le principe du respect du délai raisonnable pose la question de la situation d’urgence à laquelle peut être confronté le justiciable et celle de la nécessité d’une protection juridictionnelle provisoire destinée à une protection rapide et efficace des droits en péril dans l’attente d’un jugement définitif.

Elle se traduit en droit français par la procédure de référé et la procédure sur requête, non étudiée ici en ce qu’elle est subsidiaire au référé.

En Italie, il n’existe pas de « mesure générale de référé »[2] comme en droit français mais une multitude de mesures : mesures provisoires à but conservatoire, mesures conservatoires et mesures de « cautèle » qui sont regroupées sous une procédure uniforme de cautèle depuis la réforme du 26 novembre 1990. La procedura cautelare, ou procédure de « cautèle », dont  nous empruntons la traduction[3] à Cécile Chanais a été définie comme « une procédure provisoire marquée, traditionnellement du moins, par son caractère profondément accessoire à l’égard d’une instance principale et garantissant, par conséquent, le caractère temporaire de la décision à laquelle elle aboutit. »[4]

Les mesures de cautèle se distinguent entre celles « typiques » qui sont encadrées spécifiquement par le code de procédure (c.p.c.) italien et celles « atypiques »[5] ou encore «  innomées ou génériques »[6] regroupées sous l’art. 700 du c.p.c. italien en ce qu’elles concernent toutes les autres mesures non consacrées dans le code : i provvedimenti d’urgenza, les mesures d’urgence.

L’article 700[7] dispose : « Hors des cas réglés dans les précédentes sections de ce chapitre, celui qui a un motif fondé de redouter que durant le temps nécessaire pour faire valoir son droit par la voie ordinaire, celui-ci soit menacé par un préjudice imminent et irréparable, peut demander, par requête devant le juge, les mesures d'urgence qui apparaissent, selon les circonstances, les plus adéquates pour assurer provisoirement les effets de la décision sur le fond. »

Cette dernière disposition est considérée comme la « procédure provisoire générale italienne en ce qu’elle établit un lien direct entre urgence de situation litigieuse et durée inévitable de la procédure au fond ».[8]C’est pourquoi nous nous attarderons sur celle-ci particulièrement. 

En droit français, on retient le référé-urgence de l’art. 808 du c.p.c. français qui dispose : « Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de grande instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ». Les mêmes pouvoirs sont conférés au juge d’instance (art. 848 c.p.c,), au tribunal d’instance (art. 872), au tribunal paritaire des baux ruraux (art. 893), au 1er président de la cour d’appel (art. 956) et au conseil des prud’hommes (art.R.1445-5 du Code du travail).

Les régimes de procédure applicables aux deux dispositions ici étudiées forment dans chaque ordre juridique un cadre procédural commun : articles 669-bis à 669-quater en droit italien et articles 484 à 492 CPC en droit français.

Comment s’organisent de telles procédures concentrées dans le temps et de quelle manière combinent-elles cette particularité avec le respect des droits fondamentaux ?

Nous analyserons les grandes lignes de ces procédures ainsi que la limitation apparente du respect des principes fondamentaux et la justification de telles procédures par l’urgence, accompagnée par une contrepartie nécessaire : le provisoire.

 

Mesures d’urgence : procédure rapide et assouplissement des principes fondamentaux du procès.

 

Ces deux procédures ne s’inscrivent pas dans la durée. Pour autant quand bien même l’urgence de la situation exige une certaine rapidité, aucun délai n’est fixé et c’est au juge d’en apprécier la durée nécessaire.

Le référé français est une procédure « accélérée et allégée », la demande d’instance se fait traditionnellement par la voie de l’assignation (art. 485 c.p.c.) mais il est admis qu’elle puisse se faire par d’autres voies. Le juge des référés statue à juge unique. C’est une procédure parfaitement autonome.  Le greffier fixe les audiences de manière anticipée, « elles sont autonomes par rapport aux autres affaires, ce qui en permet l’examen rapide ». [9] Si la partie adverse ne se présente pas le juge peut tout de même statuer. C’est une procédure orale et la représentation n'est pas obligatoire. L’examen de l’affaire est « concentré » : l’instruction a lieu à l’audience et se fait d’une traite par un seul et même juge. La procédure est accélérée pour les voies de recours « le délai d’appel ou d’opposition est de 15 jours » (art. 490 al.3).  L’ordonnance de référé est provisoire (art. 484 (c.p.c.).

La procédure de cautèle est, bien qu’autonome vis-à-vis de l’instance au fond, subordonnée à celle-ci. En effet, la mesure demandée peut être pendente lite : la demande se fait lorsque l’instance au fond est déjà engagée ou alors engagée simultanément et dans ce cas ce sera le juge du fond qui sera compétent pour la procédure de cautèle. Mais elle peut être aussi ante causam, la demande se fait avant que soit engagée la procédure au fond et, dans ce cas, le juge normalement compétent pour une telle demande en procédure ordinaire statuera.  Ainsi, quand bien même la procédure est autonome, cette autonomie est moins « lisible » qu’en droit français[10]. En effet, en droit italien, la demande doit indiquer non seulement la mesure souhaitée, comme en droit français, mais encore la demande sur le fond qui devra être formée – en cas de demande ante causam. Pour le reste, « la procédure se déroule normalement sur la base du contradictoire, mais sous des formes totalement déstructurées, autrement dit adaptées à chaque cas particulier. » [11] et la mesure peut toujours être réexaminée, modifiée ou révoquée.

 

Si il peut sembler de prime abord que certains principes fondamentaux tel que le principe du contradictoire ne sont pas pleinement respectés du fait de la rapidité de la procédure en ce que les débats peuvent êtres limités,  on verra que selon la situation, le juge ne peut toutefois pas y déroger. Il en va de même pour l’’instruction de l’affaire.

 

En droit français, le juge doit s’assurer « qu’il s’est écoulé un temps suffisant entre l’assignation et l’audience pour que la partie assignée ait pu préparer sa défense ». (art. 486 c.p.c.). L’urgence ne permet pas de justifier  la dérogation au  principe du contradictoire. Il en va de même en droit italien, où cependant l’art. 669-sexies du c.p.c. italien pose une exception dans le cas où la convocation de la partie adverse pourrait porter atteinte à l’exécution de la mesure. Pour remédier à ce manquement, le juge, après avoir ordonné l’exécution de la mesure, devra fixer, dans un délai qui ne dépasse pas 15 jours, une audience pour que les parties puissent comparaître et dont émanera une décision avec de meilleures garanties.

Pour ce qui est des mesures d’instruction, dans les deux ordres juridiques, le juge apprécie souverainement si la demande nécessite un plus ample délai pour recueillir des preuves nécessaires à la décision. Cependant le droit italien voit cette extension du délai d’instruction limité en ce que la condition du fumus boni juris impose une vraisemblance du droit invoqué. On comprend, alors, qu’une recherche de preuve nécessitant trop de temps, ferait peser le doute sur cette vraisemblance et par conséquent sur le respect de cette condition. (art. 669- sexies c.p.c. italien).

Si on voit un certain assouplissement des principes fondamentaux du procès, on peut considérer que celui-ci est justifié par l’urgence de la situation. C’est au juge que revient le pouvoir de l’apprécier – en droit français, ce pouvoir n’appartient qu’aux juges du fond[12] – et n’est admis qu’à la seule condition que la décision et la mesure prise soient provisoires.

 

Critère de l’urgence, justification des mesures à caractère provisoire

 

Les conditions requises pour vérifier l’urgence sont semblables dans les deux ordres juridiques. Concernant celles des mesures d’urgence de l’art. 700 c.p.c, qui sont communes à celles des autres mesures de cautèle on retrouve, dans un premier temps, le periculum in mora, qui se traduit comme « péril en la demeure » ayant pour synonyme « l’urgence ». Ce serait « la crainte fondée que le droit que l’on veut protéger se voit compromis dans l’attente du temps nécessaire pour obtenir la constatation de son existence par la voie ordinaire ».[13] Cette condition est commune au droit français. L’urgence est la condition traditionnelle du référé, bien que celle-ci ait disparu pour certains. Mais pour le référé nous intéressant, considéré comme le référé général,  le contrôle du juge de l’urgence (le periculum in mora) est souple et elle doit résulter des circonstances. Cécile Chainais reprend la définition de la Cour de Cassation belge qui selon elle a décrit le mieux la condition du periculum in mora : « Il y a urgence [...] dès que la crainte d'un préjudice d'une certaine gravité, voire d'inconvénients sérieux, rend une décision immédiatement souhaitable ; on peut dès lors recourir au référé lorsque la procédure ordinaire serait impuissante à résoudre le différend en temps voulu. » (Cass., 21 mai 1987, Pas., 1987, I, 1160).

Dans un second temps, pour revenir au droit italien, le juge doit ensuite vérifier le fumus boni iuris, « la vraisemblance du droit que l’on a fait valoir »[14]. Ce n’est pas l’objet de la décision de cautèle de vérifier l’existence du droit mais il doit paraître vraisemblable[15]. Son existence ne sera certaine qu'une fois la décision au fond prononcée. Ces deux conditions doivent se vérifier au jour où la mesure sera adoptée et non au jour où le juge apprécie effectivement la situation. Or, lors de cet intervalle de temps, il se peut que l’urgence de la situation diminue, ou encore que le droit invoqué ne réponde plus à la condition de vraisemblance. Dans cette hypothèse, la demande doit être rejetée.

En droit français, s'ajoute à l’urgence une seconde condition. On relève deux hypothèses possibles: soit l’absence de contestation sérieuse, c’est « celle que le juge ne peut, sans hésitation, rejeter en quelques mots. Ainsi le juge des référés doit anticiper et elle s’apprécie à la date du prononcé de l’exécution »[16] ; soit l’existence d’un différend. Cela signifie ici que c’est en raison du différend, et donc malgré une contestation sérieuse, que les mesures sont nécessaires, et urgentes. Ce seront des mesures distinctes par leurs objectifs : anticiper pour la première, conserver pour la seconde.

 

Après avoir vérifié l’existence des ces conditions et estimé que des mesures devaient êtres prises, le juge va devoir rendre l’ordonnance qui sera provisoire.

 

En droit français, l’ordonnance de référé n’a pas autorité de la chose jugée «  au principal » (art. 488 al.1er du c.p.c.) et elle est provisoire notamment en ce qu’elle peut être modifiée, mais ce seulement en cas de circonstances nouvelles. Elle a donc autorité de la chose jugée au provisoire. (al.2 du même article). Ainsi le juge est lié à la décision tant que la situation n’a pas changé. Il n’y a pas de dessaisissement du juge. Il en est de même en Italie, notamment en cas de décision de rejet de la mesure d’urgence (art. 669-septies).

En Italie, on rappelle que les mesures d’urgence sont subordonnées à une instance au fond. Ainsi, l’ordonnance prononcée par le juge ne peut qu’avoir une influence sur le fond de l’affaire. Si le juge accueille la demande d’une mesure d’urgence  et que la celle-ci est ante causam le juge peut directement évaluer les frais de la procédure de cautèle et leur paiement devient aussitôt exigible.

Tout comme le référé français, l’ordonnance est immédiatement exécutoire et dans les plus brefs délais du fait de l’urgence de la situation. En Italie, cela peut être le cas avant que la décision sur le fond ait été prononcée. Ce qui pourra amener, en fonction de la demande et de la conséquence de la mesure sur l’instance au fond, à l’extinction de l’instance.

 

BIBLIOGRAPHIE :

Manuels :

- P. Biavati, Argomenti di diritto processuale civile, Bononia University Press, 2e éd.

- L.Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, Manuel, LexisNexis, 8e éd.

- Cécile Chainais, La protection juridictionnelle provisoire dans le procès civil en droit français et italien, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de Thèses, Avril 2007.

- S. Guinchard et alii, Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz Action, Dalloz, 2014/1015 8° éd.

S. Guinchard et alii, Droit Processuel – Droits fondamentaux du procès, Dalloz, Précis, 8e édition, 2015.

- S. Guinchard et alii, Procédure civile, , Précis, Dalloz, 2014, 32e éd.

Revues, articles :

  - J. van Compernolle, G. Tarzia (sous la dir. de), Les mesures provisoires en droit belge, français et italien. Étude de droit comparé. In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 51 N°4, Octobre-décembre 1999. pp. 1167-1173. http://www.persee.fr/doc/ridc_00353337_1999_num_51_4_18217

- G. Wiederkehr, L’accélération des procédures et les mesures provisoires, In : Revue internationale de droit comparé. Vol. 50 N°2, Juillet-août 1988. pp.449-462

http://www.persee.fr/doc/ridc_00353337_1998_num_50_2_1171?h=acc%C3%A9l%C3%A9ration&h=proc%C3%A9dures&h=mesures&h=provisoires

- G. Oberto, La gestion de l’urgence dans le procès civil italien, In : Revue internationale de droit comparé, Vol. 53 N°3, 2001

http://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_2001_num_53_3_17949?h=gestion&h=urgence&h=italien&h=proc%C3%A8s&h=civil

- G. Tarzia, Le principe du contradictoire dans la procédure civile italienne, In : Revue internationale de droit comparé, Vol. 33 N°3, pp. 789-800, 1981,

http://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_1981_num_33_3_3170?h=italienne&h=civile&h=proc%C3%A9dure

 

 

 

 

 

 

[1] CEDH 21 févr. 1975, Golder c/ Roy.Uni ; série A, n°18, §36. 9 déc. 1944 (affaires des monastères grecs), Gaz. Pal. 28 sept. 1995, note Worms V.

[2] J. van Compernolle, G. Tarzia (sous la dir. de), Les mesures provisoires en droit belge, français et italien. Étude de droit comparé. In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 51 N°4, Octobre-décembre 1999. pp. 1167-1173.

http://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_1999_num_51_4_18217

[3] C. Chainais, La protection juridictionnelle provisoire dans le procès civil en droit français et italien, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de Thèses, Avril 2007, §§40,41,42, p. 47-50.

[4] C. Chainais ,op. cit.  §11,p.18.

[5] P. Biavati, Argomenti di diritto processuale civile, Bononia University Press, 2e éd. §.92, p. 709.

[6] C. Chainais, op.cit. §43. P52.   qui cite  C. Calvosa, Il processo cautelare, profilo sistematico, Turin, Utet, 2e éd., 1970, p. 760.

[7] Libro IV, Cap. III,  Sezione V, « Dei provvedimenti d’urgenza » : « Fuori dei casi regolati nelle precedenti sezioni di questo capo, chi ha fondato motivo di temere che durante il tempo occorrente per far valere il suo diritto in via ordinaria, questo sia minacciato da un pregiudizio imminente e irreparabile, può chiedere con ricorso al giudice i provvedimenti d’urgenza, che appaiano, secondo le circostanze, più idonei ad assicurare provvisoriamente gli effetti della decisione sul merito. ».

[8] C. Chainais, op. cit., §59, p.72

[9]  S. Guinchard et alii, Procédure civile, Précis, Dalloz, 2014, 32e éd., §2103 p1361

[10] C. Chainais, op,. cit. §206-207, p.224.

[11] P. Biavati, op. cit., §93 – I. p. 715  : « Il procedimento si svolge normalmente in contradittorio, ma in forme totalmente destrutturate, vale a dire adattate alle esigenze del singolo caso. ».

[12] Civ.2e, 8 janv. 1992, Bull. civ. II, n°10,p.5.

[13] P. Biavati, op. cit. .,§92, I.,p.711 : « il fondato timore che il diritto cautelando sia compromesso nel tempo necessario per ottenerne l’accertamento. ».

[14] P. Biavati, op.cit., §92., I., p.711 « la verosomiglianza del diritto fatto valere ».

[15] Cécile Chainais, op.cit., §61, p.75

[16] S. Guinchard et alii, op.cit., §2135, p.1380.