Etude comparative du Due Process et du Droit au Procès Equitable : le droit à l’assistance juridique, outil d’une protection accrue du justiciable par Charlotte Leduey

Le Due Process et le droit au procès équitable visent tous deux à garantir un système de procédure juste et ne se concentrent pas sur l’issue du procès mais sur le déroulement de la procédure. La Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CESDH) a été adoptée en 1950 et est en vigueur depuis 1953. Elle garantit différents droits fondamentaux et notamment le droit au procès équitable en son article 6. Ces garanties se doivent d’être appliquées au sein des pays européens soumis à cette Convention sous peine d’une possible condamnation par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH). La notion de Due Process of Law, qui est à rapprocher du droit à un procès équitable en droit français ou européen, a été expressément prévue dans la Bill of Rights, au cinquième Amendement (1791) de la Constitution. Le Due Process s’applique à l’Etat fédéral américain ainsi que, depuis le quatorzième amendement, aux cinquante Etats fédérés et au Dictrict de Columbia [1]. La clause de Due Process of Law prévoit que « nul ... ne sera privé de vie ou de liberté ou de propriété sans Due Process of law ». Contrairement au droit au procès équitable, le Due Process n’est pas une notion définie ou détaillée. L’article 6 de la CESDH, dans son paragraphe premier, affirme que « toute personne a le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ». Cette disposition est entendue par la CEDH comme créant un droit à l’assistance juridique, si celle-ci est nécessaire.

L’article 6 de la CESDH ainsi que le Due Process recèlent des garanties diverses ; parfois similaires et souvent contraires. Tout comme l’article 6§3 de la CESDH, la procédure américaine, de par le sixième amendement, affirme un droit à la représentation en matière pénale soumis à de rares exceptions. En matière civile cependant, la question reste ouverte. Nous nous concentrerons ici sur les différences notables entre le droit à l’assistance juridique lors d’un procès civil soumis à l’article 6§1 de la CESDH et un procès civil soumis au Due Process (I) ainsi que sur les garanties processuelles découlant de ces différences (II).

I - Du droit à l’assistance juridique tel que garanti aux Etats-Unis et au sein du Conseil de l’Europe

Un axe majeur du Due Process est la possibilité d’être défendu par un avocat. Dans le système accusatoire américain, le juge détient la place d’un arbitre passif du procès. Les avocats, en revanche, sont les acteurs majeurs de la procédure. La place de l’avocat est moins centrale dans la majorité des systèmes européens mais la CEDH adopte une approche plus étendue du droit à l’assistance. Le droit au procès équitable et le Due Process pourraient être perçus comme des notions proches (A) mais l’interprétation des juges en fait des notions distinctes (B).

A - Une consonance apparente dans la garantie du droit à l’assistance

Dans le droit processuel tel qu’établi par le Conseil de l’Europe à travers la CESDH et celui découlant du Due Process, la présence d’un avocat en matière civile n’est pas requise. De plus, dans le système américain, la représentation n’est jamais obligatoire. Dans les différents systèmes judiciaires, il appartient à l’organe judiciaire de définir les limites de cette représentation afin de déterminer les litiges pour lesquels l’assistance d’un avocat est nécessaire pour maintenir un procès équitable ou ne pas violer le Due Process.

La question de savoir si l’article 6§1 de la CESDH exige ou non de fournir l'assistance d'un avocat à un plaideur dépend des circonstances particulières de l'affaire. Il s’agit de savoir si, compte tenu de l'ensemble des circonstances, l'absence d'aide judiciaire privera le requérant d'un procès équitable. La question de savoir si l’article 6 implique de fournir une aide juridictionnelle dépend notamment de la gravité de l'enjeu pour le requérant (Steel et Morris c. Royaume-Uni ; P., C. et S c. Royaume-Uni), de la complexité du droit ou de la procédure applicable (Airey c. Irlande) et de la capacité du justiciable de présenter sa cause seul (McVicar c. Royaume-Uni).

La Cour Suprême américaine a défini un test afin de déterminer les cas dans lesquels l’assistance d’un avocat est nécessaire. Le Matthews Test ordonne de prendre en considération l’importance de l’atteinte au droit, l’équilibre entre la charge créée pour l’Etat et le résultat, et la possibilité d’atteindre la vérité (« veracity factor »). (Mathews v. Eldridge, 424 US 319, 1976). Ce test est depuis repris par toutes les décisions de la Cour. Cependant, aucun arrêt décisif n’a conduit la Cour Suprême à interpréter ce test de manière extensive et n’a élargi le droit d’être défendu par un avocat. La Cour a rarement affirmé la violation du droit à la représentation.

Trois arrêts majeurs américains sont notables en matière d’assistance juridique depuis l’arrêt Mathews. L’arrêt Lassiter de 1981 est un des premiers arrêts en la matière après la création du Mathews Test. Dans cette affaire, la demanderesse s’est vue retirer la garde de son enfant par les services sociaux. Alors que la Cour Suprême a reconnu l’importance du droit parental, la majorité a estimé qu’un avocat n’aurait pas changé l’issue du litige et aurait imposé un coût trop important au gouvernement.

La CEDH utilise la nécessité d’un accès effectif au juge afin de déterminer si l’assistance juridique doit être fournie dans l’affaire présentée. La mise en avant d’un droit à un procès équitable est la réelle distinction entre l’interprétation de ce droit par la CEDH et son interprétation par la Cour Suprême américaine.

B - Une interprétation asymétrique du droit à l’assistance juridique

Le droit au procès équitable et le Due Process ne garantissent pas un droit fondamental à l’assistance juridique en matière civile. Il est possible d’analyser l’approche différente de ce droit relatif grâce des arrêts clefs en la matière. 

La CEDH a rappelé en 1979 dans l’arrêt Airey c. Irlande (1979) qu’il lui est impossible d’affirmer un droit illimité à l’assistance juridique car cela se « réconcilierait mal avec la circonstance que la Convention ne renferme aucune clause sur l’aide judiciaire » en matière civile. Cependant, la Cour affirme qu’une telle assistance « se révèle indispensable à un accès effectif au juge » si la loi nationale en dispose ainsi ou lorsque la complexité de la procédure ou du sujet traité l’impose. Le refus de l’Irlande de lui fournir un avocat constituait une violation de l’article 6§1 de la CEDH car Mme Airey n’avait pas réussi à trouver un avocat souhaitant la représenter.. La Cour prend également en considération la qualité des parties n’ayant pu bénéficier de l’assistance juridique. Dans l’arrêt Steel et Morris c. Royaume-Uni de 2005, les requérants ont agi en qualité de défendeurs. La Cour a souhaité prendre ce fait en considération afin de montrer que les requérants n’ont pas été les instigateurs du litige en cause, qu’ils n’ont pas saisi les juridictions et « profité » des garanties offertes. Dans cette affaire, le litige était également extrêmement complexe en ce qu’il a donné lieu à 40 000 pages de documents et 130 témoins ont été auditionnés. Enfin, la Cour estime que la garantie d’un droit effectif d’accès aux tribunaux dépend des « circonstances particulières de l’affaire et, notamment, du point de savoir si l’intéressé peut présenter ses arguments de manière adéquate et satisfaisante sans assistance. » (McVicar c. Royaume-Uni, 2002). Dans cette affaire, le requérant était un journaliste cultivé, partie à une procédure qui lui était familière et pour laquelle il avait reçu des conseils d’un avocat spécialisé lors d’une affaire similaire. La Cour a donc jugé le refus d’assistance comme n’étant pas contraire à l’article 6§1 de la CEDH. Toutes ces décisions majeures ont permis d’apporter de meilleures garanties soutenant le droit à l’assistance en condamnant ces Etats et en solidifiant la jurisprudence de la Cour.

La Cour Suprême américaine a exposé des considérations similaires dans le Mathews Test mais en fait une application très limitée. Les arrêts portant sur le droit à l’assistance juridique donnent systématiquement lieu à des opinions dissidentes. Même si le consensus reste un fait rare aux Etats-Unis, cela montre tout de même que certains juges cherchent en vain à protéger les citoyens devant une justice peu compréhensive. L’arrêt Lassiter rappelle par exemple qu’il n’existe aucun droit à la représentation juridique à moins que le juge ne se soit prononcé en ce sens. Le rôle de l’avocat n’est pas seulement considéré comme un garant de la vérité mais également comme un réel défenseur de son client dans le système accusatoire américain. Même en matière de pensions versées aux vétérans, un refus systématique à la représentation est affirmé. Dans l’arrêt Walters v. National Association of Radiations Survivors, les juges n’ont pas souhaité déclarer inconstitutionnelle une loi prévoyant qu’un avocat ne pouvait être payé plus de dix dollars en traitant un tel litige alors qu’un avocat américain demandera en moyenne deux-cents dollars par heure travaillée. Cet arrêt n'a pas été suivi par un juge californien mais ce refus de soumission à la Cour Suprême fut de courte durée, car infirmé par une cour d’appel. Le dernier arrêt en date ayant une importance significative dans la jurisprudence américaine en la matière est l’arrêt Turner v. Rogers de 2011 (131 S. Ct. 2507, 2011). Dans cette affaire, le demandeur n’ayant pas versé de pension alimentaire a été condamné à douze mois d’emprisonnement. Alors que les conséquences de ce procès civil sont en apparence pénales[2], la Cour Suprême s’est à nouveau refusée à étendre le droit à l’assistance juridique en matière civile. La Cour se fonde en l'espèce sur l’absence d’avocat défendant les intérêts de la requérante, se référant vaguement au principe d’égalité des armes, pour justifier un tel refus. Cependant, dans l’arrêt Lassiter, Mme Lassiter faisait face à un gouvernement de Caroline de Nord, assisté de nombreux avocats. Une fois de plus, la Cour Suprême s’est considérée comme défenderesse de la rapidité et de l’économie de la procédure et non en avocate du Due Process et du droit à la justice dont les citoyens américains sont censés jouir.

II - De l’efficacité des garanties processuelles américaines et européennes 

L’absence de jurisprudence favorable à l’assistance juridique résulte de considérations extérieures à la protection des citoyens (A) et pourrait également conduire à une réforme processuelle américaine (B).

A - De l’enjeu de la célérité et la moralité à la violation du droit à une justice équitable

Une tendance des sociétés démocratiques vise à de permettre un accès au juge civil dans un délai raisonnable, sans complexité procédurale et à un coût modéré. Ainsi, on retrouve de nombreuses propositions de réformes dans les pays développés visant cet effet. Les Etats-Unis cependant, sont un pays très satisfait et relativement fiers de leur système judiciaire actuel. Les pays de Common Law sont souvent mis en avant pour leur pragmatisme et leur efficacité. Les délais sont perçus comme très inférieurs à ceux que rencontrent les justiciables européens. En réalité, il faut en moyenne attendre deux ans pour présenter son litige devant un juge fédéral, contre 5 mois en moyenne devant le tribunal d’instance et 8 mois devant le tribunal de grande instance. Il existe un nombre limité de litiges présentés devant le juge civil, mais celui-ci découle également d’une négation relative du droit à la justice. Le Bureau of Justice Statistics a publié en 2008 des statistiques relatives aux juridictions américaines. Pour différentes considérations (coût de la procédure et d’un avocat, possibilité de settlement très répandue, méfiance de la justice), il apparaît que seuls 2,8% des litiges seront tranchés par un juge. Ainsi, seuls 2,8% des demandeurs et défendeurs auront droit aux garanties prévues par le Due Process. On assiste ainsi à une déjudiciarisation que l’on ne retrouve pas en droit français. En effet, selon une étude de l’Annuaire Statistique de la Justice publié en 2008, 75% des litiges portés devant le juge civil français, en première instance ainsi qu’en appel, font l'objet d'un jugement au fond.

Cette réelle inefficacité du système découle également des considérations morales, proéminentes dans les décisions de la Cour Suprême américaine. En effet, dans les arrêts Lassiter et Turner, en refusant d’apporter l’aide juridique aux parties au procès civil, les juges de la Cour ont surtout pris en compte une vision moraliste de la justice. Dans ces deux affaires, les parties mises en cause n’ont pas bénéficié d’une justice neutre et ouverte mais plutôt d’une accusation morale opérée par le gouvernement à l’encontre de citoyens n’ayant pas respecté ce que l'on appelle les bonnes moeurs. La Cour ne voulait pas accorder le privilège de l’assistance juridique à une mère n’ayant pas démontré avec ardeur sa volonté d’avoir la garde de son enfant ou à un père ayant failli à multiples reprises au versement de sa pension alimentaire.

La CEDH en revanche, dans l’arrêt P., C. et S., a déterminé que la perte de la garde d’un enfant était un enjeu assez grave pour justifier l’assistance juridique. La CEDH reste fidèle aux délimitations jurisprudentielles en déterminant que la présence d’un avocat est nécessaire lorsque le litige en question avait « des conséquences ô combien importantes sur la relation entre les requérants et leur fille ». Dans cet arrêt, la Cour rappelle également que les parties à un procès civil doivent bénéficier d’un accès équitable et effectif à un tribunal, dont elle constate en l’espèce une violation. La Cour européenne prend tout de même en considération des critères relativement subjectifs comme le niveau de culture et d’expérience d’une partie, tel que le journaliste dans l’arrêt McVicar.

Il est également nécessaire de rappeler que le système judiciaire américain a pour but de maintenir des procédures courtes et peu coûteuses  pour le gouvernement. Poser une limite à l’assistance juridique est un moyen de raccourcir la durée de l’audience et des phases préliminaires car une personne n’ayant pas connaissance du droit n’a pas les capacités de saisir toutes les nuances et la complexité de la procédure. La Cour Suprême a rappelé dans l’arrêt Walters que le refus d’un droit à la représentation permet de garantir des audiences simples et courtes.

B - Vers une réforme processuelle américaine ?

La représentation par un avocat dans le système américain est aujourd’hui un privilège que la Cour Suprême se refuse à généraliser. Il faut également noter que la partie perdante ne peut être condamnée aux dépens aux Etats-Unis. En effet, la règle américaine obéit au principe « pay to play », en ce qu’il faut payer pour jouer, payer pour faire valoir ses droits.

L’assistance juridique (legal aid) est présente aux Etats-Unis depuis les années 1960. Une partie de la doctrine s’oppose encore aujourd’hui à l’assistance juridique. Certains juristes considèrent que les parties bénéficiant de ce programme perdent le contrôle de leur litige au profit de l’avocat, que les avocats plaident et préparent ces litiges sans conviction ou parfois bâclent ce type de dossiers. Le budget accordé au programme d’aide juridictionnelle a été réduit d’un tiers en 1996. Les citoyens pouvant bénéficier de cette aide sont également en nombre restreint.  Par exemple, il semblerai que dans certains Etats, en effet, les immigrés clandestins les prisonniers et les trafiquants de drogue condamnés ne peuvent se prévaloir de cette opportunité.

Les avocats américains suivant une certaine déontologie, ainsi que des groupes de protection de l’innocence - parmi lequel on retrouve le très influent Innocence Project – viennent en aide bénévolement et sans rémunération aux défendeurs ou demandeurs ne pouvant pas se faire représenter. L’Innocence Project prend le relais dans les affaires d’injustice flagrante en matière criminelle notamment. Lorsque des défendeurs ont été condamnés à tort, cette organisation très puissante se substitue à la représentation existante ou apporte une représentation aux détenus. Le modèle des règles déontologiques – Professional Rule Of Professional Conduct – recommande à chaque avocat de consacrer cinquante heures par an pour du Pro Bono, de la représentation non rémunérée.

Certains juristes prônent la reconnaissance d’un droit constitutionnel à la représentation, plaidant qu’un tel droit, comme le droit de vote, permettrait de préserver tous les droits et de créer une réelle égalité entre les citoyens. Une autre partie de la doctrine, menée notamment par Gary Bellow, recommande une limite au droit à la représentation, craignant une démultiplication du nombre de litiges.

Il existe par ailleurs des litiges pour lesquels la représentation est obligatoire. Depuis le Civil Rights Attorney’s Fees Act de 1976, les juges détiennent le pouvoir de déterminer une compensation raisonnable pour les avocats représentant des clients lors de procès relatifs aux droits de l’Homme. Certaines réformes prônent l’adoption d’un système identique au système français où la partie perdante s’acquitte des frais d’avocats des deux parties au litige. Cette proposition serait alors nécessaire, selon les défendeurs de ces réformes, pour éviter des procès qui peuvent être réglés à l’amiable en dissuadant les parties car celles-ci pourraient se retrouver à s’acquitter de tous les frais engagés.

On assiste également à une pénurie d’avocats sur le sol américain, et particulièrement d’avocats ne demandant pas de taux horaires démesurés. En 2003, il existait en moyenne un avocat pour deux-cent quarante américains non pauvres pour un avocat pour neuf-mille pauvres américains.

On peut tout de même noter que de nombreux Etats fédérés américains ont fait le choix d’étendre le droit à la représentation au sein de leurs juridictions. L’interprétation de la CEDH est ainsi remarquable en ce qu’il s’agit d’étendre les garanties processuelles de citoyens de 47 Etats distincts, aux règles procédurales différentes qu’au sein d’un seul Etat, quand bien même fédéral.

 

BIBLIOGRAPHIE

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Michele Taruffo, Abuse of Procedural Rights : Comparative Standards of Procedural Fairness, Kluwer Law International, 1999.

David Weissbrodt et Rüdiger Wolfrum, The Right to a Fair Trial, Springer, 1997.

 

[1] Le District de Columbia n’est pas considéré comme un Etat mais comme une entité à part entière.

[2] Même s’il s’agit de peines d’emprisonnement, elles seront levées dès les obligations du condamné exécutées, par exemple le paiement d'obligations alimentaires.