Lynette Yadiom Boayke de la peinture figurative à une transcription contemporaine

Lynette Yiadom -Boayke est une artiste peintre et écrivaine britannique d’origine ghanéenne, née en 1977 à Londres, où elle vit encore actuellement.

Elle s’inscrit dans une époque où les peintres, en particulier les peintres figuratifs, devaient sans cesse justifier leur adhésion à une forme d’art considérée comme redondante. Sa peinture se caractérise par des formes traditionnelles telles que la ligne, la couleur et l’échelle, et pouvant être auto-réflexive sur le médium lui-même, mais les sujets et la façon de peindre sont contemporains. Yadiom-Boakye travaille vite, elle ne prend pas le temps de faire des croquis préliminaires, mais elle improvise directement sur la toile. Elle évoque Prince comme une source d’inspiration, pour son éthique et sa politique de travail, qui s’inscrit dans un processus inlassable, tenace, d’expérimentation et d’exploration musicales. 

« L’idée de travailler chaque jour de votre vie comme si vous deviez mourir le lendemain est essentiel pour n’importe quel artiste »* dit-elle (*https://www.numero.com/fr/numero-art/lynette-yiadom-boakye-tate-britain-...). Son travail consiste à peindre des portraits imaginaires de sujets noirs et bien que généralement chaque portrait ne contienne qu’une seule personne, les peintures sont généralement présentées en groupes disposés comme des portraits de famille. Se dernier s’inscrit dans ce qu’on appelle la peinture figurative, ce qui a notamment contribué à la renaissance de la peinture de la représentation de personnages noirs. 

Photo de Lynette Yadiom Boayke à la Tate Britain, 2019.

 "Nous avons l'habitude de regarder des portraits de blancs en peinture"* dit l'artiste (*https://www.numero.com/fr/numero-art/lynette-yiadom-boakye-tate-britain-...). Sa peinture peut-être complétée par des références, explicites ou non, à l’histoire de la peinture occidentale que l’on retrouve notamment dans la facture, la composition, le motif. 

Ses portraits d’individus imaginaires présentent des personnes en train de lire, de se prélasser ou de se reposer dans des poses assez traditionnelles. Elle donne à la représentation de ses sujets des gestes détendus et des expressions faciales contemplatives. L'artiste rend ainsi saisissable pour le spectateur leur posture et leur humeur ce qui contribua en partie au succès de son travail. Nous remarquerons qu’aucun de ses sujets ne porte de chaussures, à l’exception des pantoufles qui sont acceptables, car les chaussures selon t-elle, les placeraient dans un temporalité précise. Dans une interview donnée à Nadine Rubin Nathan pour le magazine New York Magazine, Lynette Yiadom-Boakye décrit ses compostions comme « Des suggestions de personnes... Elles ne partagent pas nos inquiétudes ou nos angoisses. »*

Lorsqu'on lui pose sur l'absence de temporalités dans ses peinture, elle nous répond "Cette absence de récit ouvre son travail à l’imagination projetée du spectateur."* (*https://www.numero.com/fr/numero-art/lynette-yiadom-boakye-tate-britain-...). Elle cite notamment Edgar Degas et Edouard Manet, ainsi que le peintre britannique Walter Sickert, comme influences. Une pratique littéraire qui consiste à laisser suffisamment « d’espace » au public pour terminer l'histoire. En ce sens, la toile devient en quelque sorte un texte à partir duquel l’artiste construit des possibilités infinies. Ses peintures nous interpelles dans la mesure où elles questionnent la visibilité et la représentation des noirs dans l’histoire de l’art.

Lynette Yiadom-Boakye s’approche de la grande tradition de la peinture à l’huile cette approche peut passer pour postmoderne mais ses références son nombreuses. Il y a aussi cette longue histoire de portraits ressemblant à de la fiction peinte, que Lynette Yiadom-Boakye prend en compte dans sa peinture, en distillant cette qualité narrative tout en supprimant la référence à des personnes réelles. Ce qui rappelle le travail de Rembrandt et de ses élèves peignants des décors nocturnes lié à l’âme.

Les personnages noirs peint par Yiadom-Boayke ne sont pas « singularisés », comme le dit Andrea Schlieker, commissaire d’exposition sur la rétrospective consacré à l’artiste à la Tate Britain à Londres. Elle définit la peinture de Lynette Yadiom-Baoyke comme « un acte radical car il s’agit de rétablir un équilibre »; elle poursuit en décrivant son travail comme « évidemment politique, mais sans la volonté d’en faire un combat d’activiste ». Elle ajoute que le critique d’art Hilton Als, décrit bien le travail de l’artiste en affirmant qu’elle « s’intéresse à la société noire et ce n’est pas à la façon dont elle a été affectée ou façonnée par le monde des Blancs, mais telle qu’elle existe par elle-même ». Il faut aussi ajouter que son oeuvre se calque intimement sur la représentation de personnages noirs dans l’institution artistique et culturelle britannique mais aussi européenne et voir au-delà.

Cela remet en question l’inscription de la figure noire au cours de l’histoire de l’art européen et plus largement au cours de l’histoire de l’art au sens universel. Mais plus largement cela remet en question la place de l’artiste noire dans cette histoire. Et ce n’est pas sans compter de nombreuses artistes noires et notamment des artistes femmes noires, qui ont écrites ce récit avant elle. Ce qui est fondamentale dans le récit que nous donne à voir ses oeuvres est la transversalité qu’elles opèrent. Parallèlement, ses peintures s'ancrent au-delà de la peinture, dans les questionnements qu’il y a autour de l’engagement social.

Lynette Yadiom Boayke, Complication, 2013, PInault Collection.

De mon point de vue, ce qui est important de noter est que la peinture de Lynette Yadiome-Boakye ne s’inscrit pas d'emblée dans une idée d’écriture picturale politique, elle ne cherche pas à être politisée. De ses imaginaires créées, elle réinvente la narration et contribue à la démocratisation de la figure noire dans la peinture. 

Cette légèreté improvisée par l’artiste, nous fait comprendre que l’engagement lui est parfois sous-jacent, il en de même que pour le public. Au delà de  l’oeuvre qui peut être réceptionnée, l’artiste peut lui aussi être à la fois réceptionner et analyser. Non plus par le biais uniquement de sa réputation mais aussi par l'ensemble de son identité. Pour le directeur artistique du Nouveau Musée, Massimiliano Gioni, qui l'a présentée à sa Biennale de Venise 2013, son travail vient prendre place dans une urgence particulière : «Dans un moment de tension raciale comme celui que l'Amérique a vécu, les personnages de Lynette prennent un poids et une présence complètement différents», dit-il. Il ajoute : "Il est difficile de ne pas se sentir impliqué en tant que spectateur - je ne peux m'empêcher de penser que ses personnages imaginés s'engagent avec moi. Le travail de Lynette Yadiom-Boakye s’inscrit dans la décolonisation du champ de l’art mais aussi de ses institutions. Sa peinture reflète aussi sa double culture entre technique picturale, l’identité oubliée, poésie, liberté et dignité."  

Tournant important en 2010, son travail fut reconnu par Okwiu Enwezor, poète, critique d’art, commissaire d’exposition et enseignant américain d’origine nigérienne. Lynette Yadiom-Boayke fait partie de la génération d’artiste des années 80 engagés sur la question identitaire et fait partie des mouvements British Black Art et Black Women Artists. Son travail est notamment associé dans le champ contemporain à des artistes aussi divers comme Chris Ofili, Kerry James Marshall et Kehinde Wiley. En plus de sa vie d’artiste, Lynette Yiadom Boakye enseigne à la Ruskin School of Art ainsi qu’à l’Université d’Oxford. 

Son parcours artistique comprend notamment de nombreuses expositions solo parmi lesquelles : Volez en Ligue avec la Nuit, Tate Britain, Londres (2020), Under-Song for a Cipher, New Museum, New York (2017), Une passion pour un principe, Kunsthalle Basel (2016), Capsule 03: Lynette Yiadom-Boakye, Haus der Kunst, Munich (2015), Verses After Dusk, Serpentine Gallery, Londres (2015), Verses, Pinchuk Art Center, Kiev, Ukraine (2013). Et a une exposition personnelle au Yale Center for British Art dans le cadre de la série Hilton Als. De plus elle a été aussi présélectionnée pour le prestigieux Turner Prize en 2013, et a été aussi récipiendaire du Future Generation Art Prize et du Carnegie Prize en 2012 et 2018 respectivement.  

Elle fait notamment partie de nombreuses collections institutionnelles, allant de la Tate Collection de Londres au Museum of Modern Art de New York. Au cours des deux dernières années, son travail a été ajouté aux collections permanentes de l'Art Gallery Museum of Southern Australia, Adelaide, le Musée d'art de Baltimore; le Carnegie Museum of Art, Pittsburgh, l'Institut d'art contemporain de Boston; le musée d'art de Dallas, le Kunstmuseum Basel, Suisse, l'Institut d'art de Minneapolis, le Musée d'art contemporain de Los Angeles et le Yale Center for British Art, Connecticut. Elle est également inclut dans le pavillon ghanéen inaugural de la Biennale de Venise.  Elle apparait aussi dans le l’ouvrage Black Artists in British Art: A History Since the 1950s (2014, ré-édité en 2015), qui replace les artistes noirs dans l’histoire de l’art britannique.

Son influence en tant que peintre fut reconnue dans la Powerlist 2019, elle fut par la suite répertoriée parmi les 10 personnes les plus influentes du patrimoine africain et afro carrïbéen du Royaume Uni en 2020. Elle fait notamment partie de nombreuses collections institutionnelles, allant de la Tate Collection de Londres au Museum of Modern Art de New York. Récemment le Tate Museum a proposé une introduction à son travail qui est vaste, pour accompagner une grande exposition de son travail qui fut tenue du 2 décembre 2020 jusqu'au 9 mai 2021.​