„3, 2, 1 ... A moi pour de bon ?“ Analyse comparative de la situation sur les ventes aux enchères électroniques en Allemagne et en France, par Aurélie van Miltenburg.
Ces dernières années, le commerce sur Internet a fortement progressé grâce à la place toujours plus importante de site d’enchères virtuelles comme ebay. Cependant, peut-on qualifier de telles pratiques commerciales d’enchères stricto sensu ? L’enjeu de la qualification de cette pratique commerciale est capital, car c’est de là que découle une éventuelle protection pour le consommateur. En effet, toute la question est de savoir s’il pourrait bénéficier d’un droit de rétractation lors de contrat de vente conclu sur de tels sites, un tel droit n’étant pas garanti pour des enchères publiques classiques. Il faudrait donc que cette pratique soit qualifiée autrement. Dans son arrêt du 3 novembre 2004, la cour de cassation allemande s’interroge largement sur le sujet et apporte une réponse que la doctrine s’empresse de critiquer. A l’heure où Internet tient une place toujours plus importante, il est intéressant de se pencher sur la solution qu’aurait pu apporter la cour de cassation française si elle avait eu à connaître de faits similaires. De plus, quelle est la position du droit communautaire sur le sujet ? Autant d’interrogations que nous nous efforcerons d’éclaircir dans ce billet.
Aujourd’hui, le consommateur peut tout acheter sur Internet, des vêtements aux denrées alimentaires en passant par les loisirs. La place toujours croissante d´Internet a entraîné le développement de ce que l´on appelle désormais le e-commerce (commerce électronique). Le e-commerce se caractérise par l´échange et plus précisément la vente de biens ou services entre deux parties via Internet. L’idée d’un contrat dématérialisé est donc présente. Avec cette forme tout à fait récente de commerce est apparu un nouveau mécanisme de vente : les enchères réalisées via le réseau Internet. On distingue deux types de ventes aux enchères sur Internet : les ventes aux enchères publiques (enchères classiques) et une autre pratique très répandue qui consiste à mettre en relation deux cocontractants potentiels par l’intermédiaire d’un site internet. C´est dans ce contexte que le Bundesgerichtshof (cour de cassation allemande, ci-après BGH) a rendu une décision le 3 Novembre 2004 (VIII ZR 375/03) concernant l´existence ou non d´un droit de rétractation garanti à l´acheteur lors d´une vente aux enchères en ligne. Dans les faits d´espèce, le demandeur avait mis aux enchères sur le site Internet ebay un bracelet en diamants pour un prix de départ de 1 €. La durée de l´enchère était fixée à une semaine. Le défendeur a remporté l´enchère pour un montant de 252,51 € mais a cependant refusé de payer le prix de vente et s´est retiré du contrat. Le BGH a dû déterminer si les dispositions du droit de vente à distance garantissant un droit de rétractation au consommateur issu de la directive communautaire 97/7/CE du 20 mai 1997 sur le commerce à distance étaient applicables à un tel contrat de vente. La solution apportée par le BGH est qu’une vente aux enchères électroniques réalisée sur un site Internet type ebay n’est pas une vente aux enchères classique. Ainsi, le droit communautaire, exclu lors d’une vente aux enchères publiques, est applicable. La cour tranche là une question sur laquelle la jurisprudence des tribunaux d’instance et l’opinion de la doctrine majoritaire divergeaient. Elle choisit de suivre la jurisprudence des tribunaux d’instance, ce qui réserve un accueil glacial de la décision en doctrine comme le montre l’article « Drei, zwei, eins… Endgültig meins ? » (Trois, deux, un… A moi pour de bon ? , ZGS 1/2005, p 14) qui critique la décision de la cour. L´analyse de cette jurisprudence très actuelle est intéressante dans une optique de droit comparé, le problème des ventes aux enchères via Internet concernant tous les Etats et donc de fait tous les droits. On peut alors se demander si la solution de la cour de cassation française aurait-elle été la même si elle avait eu à connaître de faits similaires. Une question importante doit également être posée ; celle de la conformité de la décision du BGH avec le droit communautaire. L´application du droit communautaire dans cette affaire était-elle justifiée ?
Dans un premier temps, le BGH s´attache à qualifier la pratique commerciale qui a lieu sur des sites Internet de type Ebay. Pourquoi est-il nécessaire de procéder à une qualification ? La raison est simple : la pratique des enchères électroniques touche en fait à un domaine dans lequel une harmonisation communautaire a commencé. On s’en aperçoit entre autres par la présence de plusieurs directives sur le sujet notamment la directive 97/7/CE relative aux contrats de vente conclus à distance et la directive 2000/31/CE sur le commerce électronique. Cependant, bien que différents textes communautaires encadrent désormais ce qui relève du commerce électronique et donc des enchères virtuelles par conséquent, aucune définition de la notion d’enchère électronique n’est apportée. Il ressort simplement des textes qu’une différence doit être faite entre plusieurs types d’enchères. Encore une fois, les textes ne précisent pas si des contrats conclus par le biais de certaines enchères peuvent être résiliés au bon vouloir du seul consommateur. Ce sont donc les Etats membres eux-mêmes qui doivent procéder à ce travail de qualification en s’appuyant sur les définitions et les jurisprudences nationales. C’est ce qu’entreprend la cour allemande dans l’arrêt commenté. Dans un projet de loi (BT Drucks. 14/2658), le gouvernement allemand avait au préalable marqué la très nette différence à faire entre les différents types d´enchères et évoqué la notion de « contrat entre absents ». Un point important à noter est que les dispositions de la directive communautaire 97/7/CE ont été transposées aux § 312 et suivants du BGB (code civil allemand). Au § 312 alinéa 4 N°5, le législateur allemand précise que le droit de rétractation issu du droit communautaire n’est pas garanti pour les contrats conclus par le biais de vente aux enchères qui tombent dans le champ d’application du § 156 du BGB relatif aux enchères publiques classiques. Ceci rappelle l’importance de la qualification.
Des enchères électroniques sur un site Internet type Ebay ne sont pas des enchères stricto sensu. Pour qualifier la pratique commerciale, la cour allemande s’appuie sur sa jurisprudence antérieure. Dans une décision de 2001, (BGH, Urt v. 07.11.2001 – VIII ZR 13/01) le BGH avait en effet qualifié cette pratique de « vente contre l´offre la plus élevée », (Verkauf gegen Höchstgebot) ce qui excluait déjà toute référence à une vente aux enchères publiques. Dans cette décision, la cour va plus loin en expliquant pour quelle raison ces deux pratiques commerciales ne sont pas assimilables. Ainsi, il ressort de son argumentation que, ce qui différencie une vente aux enchères électroniques d’une vente aux enchères publiques, est l’absence d’adjudication (Zuschlag). Pour bien comprendre la notion d’adjudication, il suffit d’imaginer le coup de marteau marquant la fin d´une vente aux enchères, qui entraîne à la fois la conclusion du contrat de vente et le transfert de propriété du bien du vendeur à l’acheteur. Force est de constater qu’il n’a pas lieu lors d’une vente aux enchères sur un site Internet type Ebay. La cour exclut par conséquent toute référence au § 156 du BGB relatif aux seules ventes aux enchères publiques. Ainsi, on peut facilement faire un parallèle avec la position française. En effet, le législateur français a lui même qualifié ces enchères électroniques d´opérations de courtage aux enchères (Art 3 de la loi n°2000-642 du 10 juillet 2001, portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques). Il convient de rappeler que « le courtier est un intermédiaire qui met en relation des personnes désireuses de traiter entre elles, sans conclure lui-même le contrat » (R. Bout, M. Bruschi, C. Prieto, Lamy Economique, 2000, Lamy). Le site Internet réalise donc une simple opération de courtage en ce sens que son rôle consiste uniquement à mettre en relation un vendeur et un acheteur potentiels. Ceux-ci sont sélectionnés après une mise en concurrence et une mise en relation par le site Internet en tant que prestataire de service (Analyse de la réglementation des ventes aux enchères sur Internet, Revue Droit et Nouvelles Technologies, p 5). Il n´y a donc pas d´adjudication au sens propre, car le site ne joue en aucun cas le rôle d´un commissaire priseur. L’enchère et la vente deviennent indépendantes. Ici, une fois les cocontractants potentiels mis en relation, ceux-ci sont libres de conclure un contrat de vente ou pas, ce qui n´est pas le cas lors d´une ventes aux enchères stricto sensu. Le site Internet est un tiers au contrat potentiellement conclu ; il n´intervient en aucun cas dans le contrat de vente.
L’enjeu de la qualification : Un droit de rétractation peut-il être accordé au consommateur ? Toutes les interrogations quant à la qualification de cette pratique commerciale sont dues aux problèmes liés à l´interprétation du droit communautaire. En effet, la directive 97/7/CE qui garantit une protection au consommateur lors de contrats conclus à distance exclut expressément tout contrat de vente conclu par le biais d´enchères. Il faut d’abord préciser que selon les articles 1 et 2, les contrats visés sont ceux conclus entre un commerçant et un consommateur. Mais, la notion de vente aux enchères n’est quant à elle en aucun cas définie dans la directive. Il appartient donc aux Etats membres de la définir eux mêmes et de savoir si la notion d´enchère électronique doit ou non être incluse. Il ressort de la communication de la Commission du 21.09.2006 relative à l´application de la directive 97/7/CE que la France a seulement exclu du champ d´application de la directive les enchères publiques, c'est-à-dire les enchères stricto sensu (Communication de la Commission au Conseil, au Parlement Européen et au Comité Economique et Social Européen relative à l´application de la directive 97/7/CE). Il s´en suit par conséquent que le consommateur bénéficie d´un droit de rétractation pour les contrats conclus lors d´enchères électroniques, celles-ci tombant de facto dans le champ d´application de la directive. La Communication de la Commission ne précise rien concernant le droit allemand, mais dans la mesure où la cour allemande a procédé au travail d´interprétation, la réponse est déjà donnée et elle est similaire à la solution française. Les deux droits ont donc choisi de garantir un droit de rétractation au consommateur pour les contrats de vente à distance issus d´enchères électroniques.
La doctrine allemande réfute le droit de rétractation du consommateur. En effet, si la doctrine admet elle aussi que des enchères électroniques ne constituent pas des enchères au sens strict, elle refuse cependant d’accorder un droit de rétractation au consommateur. Son argumentation s’appuie sur un élément simple ; l’octroi d’un tel droit rend beaucoup plus difficile l’exécution des enchères électroniques dans la mesure où, il faut bien garder à l’esprit que le contrat de vente peut être sans cesse contesté. L’acheteur peut retirer sa dernière offre à tout moment, ce qui provoque la résolution du contrat (Revue ZGS, 1/2005, p. 16). Le vendeur doit alors recommencer les enchères et tout le processus de mise en vente s’il espère vendre son bien. Selon la doctrine, le droit de la commercialisation à distance serait par là entravé de façon inappropriée si l’on admet que l’enchérisseur victorieux puisse ainsi retirer son offre. Elle s´appuie en fait sur le projet de loi qui entreprend de transposer la directive 97/7/CE (BT Drucks. 14/2658) dans lequel cette idée d´entrave démesurée du droit de la commercialisation à distance est évoquée. On voit se profiler la notion française d´insécurité juridique.
La doctrine française soutient le choix du législateur d’accorder un droit de rétractation au consommateur. En droit français, le concept d’insécurité juridique semble ne pas être utilisé dans ce contexte. En effet, les auteurs considèrent pour la plupart que les opérations de courtages aux enchères sont en fait des ventes qui se réalisent directement entre les « internautes » sur le site de la société de courtage. C’est pour cette raison, que ceux-ci considèrent que ces opérations de courtage relèvent du droit commun de la vente et sont par conséquent dans le champ d’application de la directive relative à la protection du consommateur. (F. Collart Dutileul, P. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, Précis Dalloz, 2007, N° 98). La doctrine tend donc à se ranger derrière la position du législateur. La cour de cassation quant à elle n’a pas eu à connaître de faits similaires à la cour allemande, mais on peut légitimement penser qu’elle serait parvenue à la même solution, dans la mesure où, c’est également la position du législateur et de la doctrine. C’est d’ailleurs probablement une des raisons pour lesquelles la question du droit de rétractation n’a pas été posée devant la cour de cassation, puisqu’il n’y a pas de division entre la doctrine et le législateur : le droit de rétractation doit être garanti à l’enchérisseur, puisqu’il s’agit d’une vente.
Conclusion : Les positions du droit allemand et du droit français en matières d´enchères électroniques sont similaires. Les deux droits ont transposé de la même manière la directive communautaire en choisissant d´inclure les enchères virtuelles sur les sites Internet de type Ebay dans son champ application. Toutefois, cela signifie-t-il que tous les Etats membres ont transposé la directive de cette façon ? Force est de constater que tel n´est pas le cas. En effet, la doctrine autrichienne s´est empressée de réagir à l´arrêt du BGH du 3 Novembre 2004. Ainsi, dans l´article « Zum Ersten, zum Zweiten – Rücktritt ! » (« Une fois, deux fois - Rétractation », Revue Ecolex 2005, 104) la doctrine autrichienne s´oppose à la décision du BGH et répond à l´article de doctrine allemande. L´auteur explique en effet dans son article qu’il ne serait pas possible de faire une application analogue de la solution de la cour allemande en droit autrichien, dans la mesure où le droit communautaire a été transposé différemment en Autriche. Il ne peut ainsi y avoir aucun droit de rétractation pour un tel contrat sur le fondement du droit autrichien. La doctrine autrichienne considère que la directive communautaire exclut d´elle-même les enchères en ligne. Il est donc étonnant de constater que des consommateurs issus de différents pays européens puissent ne pas bénéficier des mêmes droits dans des domaines prétendument harmonisés. Comment peut-on expliquer que la législation autrichienne soit aussi peu protectrice du consommateur ? Si l´on part du fait que le consommateur est digne de protection dans la mesure où il est toujours partie faible d´un contrat, la solution du droit allemand et du droit français de lui donner la possibilité de se rétracter s´impose largement. Il ne faut pas oublier que le but même de la directive 97/7/CE est d´assurer une protection au consommateur pour rétablir un certain équilibre dans le contrat.