Commentaire de l’article 2 de la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au MAE par Anne-Lise DELORON
L’article 2 de la décision-cadre du Conseil définit les catégories d’infractions pénales justifiant l’obligation d’exécuter le MAE sans contrôler la double incrimination des faits reprochés. Cette nouveauté a été abordée de manière différente en France et en Italie au moment de transposer la norme dans leur droit interne. De cette analyse, ressort la position des deux Etats au regard du MAE, les difficultés engendrées et les améliorations qui pourraient être apportées.
Des difficultés d’intégrer le mandat d’arrêt européen à la réelle volonté de le faire…approche comparative de la France et de l’Italie
Entré en vigueur le 1er mai 1999, le Traité d’Amsterdam a inscrit dans le Traité de l’Union européenne (TUE) l’ambition de créer « un espace de liberté, de sécurité et de justice », une ambition se concrétisant par des actions communes dans le domaine de la coopération judiciaire, de la matière pénale, notamment afin de faciliter l’extradition entre les Etats membres. C’est dans cette optique, que quelques mois après, au Conseil européen de Tampere, les chefs d’Etats et de gouvernements de l’Union ont donné une nouvelle impulsion politique décisive en affirmant que « le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et des jugements » devait devenir la « pierre angulaire » de la coopération judiciaire. L’idée d’un mandat d’arrêt européen (MAE) se profilait. Il a, cependant, fallu le traumatisme des attentats du 11 septembre 2001 et une véritable prise de conscience de la menace terroriste pour accélérer le processus, décider d’un plan d’action contre le terrorisme et de la création d’un nouvel instrument de remise directe des personnes. Par ailleurs, le mandat d’arrêt est également né du constat d’un décalage : les marchandises, les biens, les capitaux, les personnes (et donc les criminels !) circulent librement en Europe mais cette liberté ne s’étend pas aux décisions de justice. Avant la mise en place du mandat d’arrêt européen n’existait qu’un maillage complexe de conventions bilatérales et multilatérales souvent peu efficaces (tel est le cas de la Convention de Dublin du 27 septembre 1996 relative à l’extradition jamais entrée en vigueur, faute d’avoir été ratifiée par la France et l’Italie). L’extradition était donc une procédure longue, soumise aux aléas des relations diplomatiques, un « acte de collaboration entre deux Etats se témoignant leur solidarité dans la lutte contre la délinquance internationale » (définition d’Alain Fournier in Rép. de droit pénal et de proc. pénale, Dalloz). Le 13 juin 2002 est adoptée par le Conseil de l’Union européenne la décision-cadre « relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres ». Le mandat d’arrêt européen a ainsi vocation à se substituer à la procédure d’extradition entre les Etats membres. L’une de ses caractéristiques principales est la « liste positive » de 32 crimes, inscrite à l’article 2 de la décision-cadre, pour laquelle est supprimée la condition de la double incrimination. Le mandat d’arrêt européen est entré en vigueur le 1er janvier 2004. A cette date, ni la France, ni l’Italie n’avaient transposé la décision-cadre dans leur droit interne. La France l’a fait par la loi n°2004-204, dite « Perben II », du 9 mars 2004. Bonne dernière dans le processus de ratification, l’Italie a transposé la décision-cadre européenne par la loi 69/2005 du 22 avril 2005. Qu’en est-il précisément de la transposition de l’article 2 de la décision-cadre et de la suppression de la condition de la double incrimination ? La directive, en fournissant un cadre général commun à tous les Etats membres ne fait pas du mandat d’arrêt européen un instrument juridique figé, mais un outil pouvant se modelé au fur et à mesure par les législations nationales. Ainsi, il s’avère être un excellent indicateur de la volonté des Etats de s’engager dans la voie de la reconnaissance mutuelle des décisions. C’est pourquoi s’arrêter sur la manière dont les Etats membres ont pu transposer la décision-cadre permet d’analyser leur position tant au regard du MAE lui-même qu’au regard de la décision-cadre et de sa transposition. L’Italie, contrairement à la France (malgré le retard de la transposition) a connu de nombreuses hésitations durant les négociations qui ont précédé la naissance de la loi 69/2005. La transposition de l’article 2 de la décision-cadre du Conseil a donné lieu à l’article 8 de la loi de transposition italienne. La formulation de cet article est l’un des points cruciaux de la loi italienne qui la rend unique parmi les autres lois nationales d’implantation du mandat d’arrêt européen. Il semble instaurer un principe de « triple incrimination » là ou le législateur européen abandonnait l’idée de double incrimination. Plus simplement, la France, après une révision constitutionnelle, s’est contentée de transposer directement l’article de la décision-cadre à l’article 695-23 du code de procédure pénale comme modifié par la loi Perben II. Que comprendre de ces choix de transposition ?
L’article 2 de la décision-cadre du Conseil définit le champ d’application du mandat d’arrêt européen, lequel, selon le premier alinéa, pourra être délivré lorsque la personne dont la remise doit être obtenue est accusée d'un délit punissable de plus d'un an de prison ou a été jugée et est sous le coup d'une peine de prison de plus de quatre mois. Au-delà de cette application, et en vertu du deuxième alinéa, le principe de double incrimination pour trente-deux catégories d'infractions graves - parmi lesquelles le terrorisme, la traite d'êtres humains, la pédopornographie et l'exploitation sexuelle des enfants, le trafic d'armes, la corruption et la fraude, – punissables, dans le pays requérant la remise, d'au moins trois ans de peine privative de liberté. La double incrimination est maintenue dans les autres cas, l’infraction en cause doit être incriminée de manière comparable dans la législation des deux pays concernés, pour justifier de l’émission d’un mandat d’arrêt européen. Avec cette « liste positive » de trente-deux infractions, l’article 2 se limite en fait à un énoncé de catégories criminologiques sans donner de définitions juridiques précises. De plus, la liste des cas d’abolition de double incrimination n’est pas figée et l’article 2§3 prévoit que le Conseil peut sous certaines conditions précises décider d’ajouter d’autres catégories de crimes à celles déjà existantes. Ainsi, avec une telle formulation de l’article 2, une grande marge de manœuvre est laissée aux autorités judiciaires nationales. Le législateur européen en se bornant à édicter des catégories d’infractions ne rentre pas dans la question même du contenu et de la signification de ces catégories. Il surmonte alors les divergences qu’il peut exister entres les codes pénaux des Etats membres. La France, par sa transposition de la directive-cadre, a maintenu cet esprit de simple énoncé. L’Italie au contraire, a tenu à préciser le contenu de ces catégories criminologiques.
L’article 8 de la loi n°69/2005 du 29 avril 2005 qui implante le mandat d’arrêt européen dans l’ordre juridique italien définit le champ d’application du mandat d’arrêt et s’avère donc être la transposition de l’article 2 de la décision-cadre. Cependant il ne se limite pas à reproduire le simple article, il le complète pour faire de l’article 8 de la loi italienne une particularité unique en Europe. Le principe selon lequel la double incrimination ne s’applique pas aux infractions énumérées est confirmé au premier paragraphe. Puis au second paragraphe, des définitions extrêmement détaillées sont inscrites pour chaque type d’infraction, parfois plus détaillées que les définitions du code pénal italien lui-même. En demandant au juge de l’exécution du mandat d’arrêt de vérifier la correspondance entre l’infraction présumée par l’Etat d’émission et la définition donnée à l’article 8 de la loi 69/2005, le législateur italien semble avoir réintroduit de facto un contrôle sur la double incrimination qui pourrait s’avérer encore plus strict que par le passé. Par exemple, l’article 2-2, parmi la liste des trente-deux catégories d’infractions énonce la « cybercriminalité ». A l’article 8 §1 lettre m) de la loi d’implantation italienne, la « cybercriminalité » est redéfinie comme le fait de : « commettre, dans le but de procurer à soi-même ou à autrui un profit ou de causer à autrui un dommage, un fait destiné à s’introduire ou à se maintenir abusivement dans un système informatique ou télématique protégé par des mesures de sécurité ou bien pouvant endommager ou détruire des systèmes informatiques ou télématiques, des données, des informations ou des programmes dans leur intégralité ou en ce qu’ils ont de pertinent » (en langue originale : «commettere, al fine di procurare a sé o ad altri un profitto o di arrecare ad altri un danno, un fatto diretto a introdursi o a mantenersi abusivamente in un sistema informatico o telematico protetto da misure di sicurezza ovvero danneggiare o distruggere sistemi informatici o telematici, dati, informazioni o programmi in essi contenuti o a essi pertinenti»). Cet exemple met en évidence les difficultés d’application qui peuvent se manifester du fait que la définition donnée par le législateur italien est une succession d’éléments précis, tant objectifs que subjectifs, qui pourraient ne pas exister dans la conception de la « cybercriminalité » de l’Etat d’émission. Pour ce cas d’espèce, comme pour de nombreux autres définis précisément par la loi de transposition, le juge italien devra effectuer un effort de comparaison entre les deux définitions. De ce fait, le principe même de reconnaissance mutuelle est vidé de son sens et l’efficacité même du mandat d’arrêt européen aurait pu être remise en question si l’attitude de l’Italie n’avait pas été un cas isolé. La transposition de la décision-cadre en droit français suscite moins de remarques. Avant de soumettre au Parlement le projet de loi nécessaire à la transposition de la décision-cadre, le Gouvernement français a souhaité s’assurer qu’il n’existait pas d’obstacle constitutionnel à cette transposition. Ne pouvant saisir le Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 54 de la Constitution (celui ne concerne que les engagements internationaux soumis à ratification ou à approbation), il a sollicité l’avis du Conseil d’Etat. Suite à cet avis, la loi constitutionnelle n°2003-267 du 25 mars 2003 relative au mandat d’arrêt européen a été adoptée par le Congrès et complète l’article 88-2 de la Constitution en affirmant que les règles relatives au mandat sont fixées par la loi en conformité au TUE. Par la suite le mandat d’arrêt européen est transposé en droit interne par la loi Perben II, plus précisément l’article 2 de la décision-cadre est transposé à l’article 695-23 du code de procédure pénale. Aucun ajout « à l’italienne » n’est apporté, et l’article du code de procédure pénal constitue lui aussi un simple énoncé de catégories d’infractions. Alors que la transposition de la France ne reflète pas les débats qu’a suscités l’article 2 de la décision-cadre, on peut voir dans le retard de l’Italie, la réticence qu’ont eue les gouvernants italiens à incorporer ce nouvel instrument juridique dans leur droit interne. En acceptant le mandat d’arrêt européen, l’Italie renonce à ses demandes répétées d’exclure la corruption, le blanchiment et la fraude de la liste des trente-deux concepts. Si la question de savoir quelles infractions exclure de la règle de la double incrimination peut être surmontée avec la bonne volonté des Etats, plus difficile est celle de la définition même de ces conduites incriminées. En vidant de son sens le principe de reconnaissance et de confiance mutuelle, l’article 8 de la loi italienne amène à se poser la question d’une éventuelle uniformisation des définitions. En effet, si les Etats membres se mettaient d’accord sur la définition à entendre pour chaque infraction visée à l’article 2-2 de la décision-cadre, des problèmes tel que celui qui survient entre l’ordre juridique italien et européen pourraient être évités. On peut alors légitimement se demander si cette uniformisation ne serait pas une condition préalable au bon fonctionnement du mandat d’arrêt européen et à la reconnaissance mutuelle des décisions ? L’idée d’un code pénal européen a déjà été avancée mais n’a, à ce jour, pas reçu de véritable écho positif significatif. Pourtant disposer d’un support juridique commun à tous les Etats membres qui définirait les infractions les plus graves (définir l’ensemble de toutes les infractions des codes pénaux européens étant toutefois une tâche impossible !), notamment celles visées à l’article 2-2 de la décision cadre du Conseil, ne ferait que renforcer la confiance mutuelle en éliminant le doute sur la qualification de l’infraction. En matière d’unification des législations européennes, le projet de code civil européen est bien plus avancé. S’il est adopté, l’idée d’étendre ce projet à d’autres matières sera sans doute relancée, et peut-être avec elle, celle d’un code pénal européen ….
Bibliographie :
- Ouvrages
BALBO Paola, Il mandato di arresto europeo secondo la legge di attuazione italiana : commento alle Decisioni quadro europee 2002/584/GAI sul mandato d’arresto europeo e 2005/214/GAI sul reciproco riconoscimento delle sanzioni pecunarie. Torino,G. Giappichelli, 2005. GIUDICELLI DELAGE G. & MANACORDA Stefano, L’intégration pénale indirecte. SLC, 2005 HENZELIN Marc, Le droit pénal à l’épreuve de l’internationalisation, LGDJ Genève & Bruylant 2002. KALB Luigi, Mandato di arresto europeo e procedure di consegna : commento alla legge 22 aprile 2005, n. 69 "Disposizioni per conformare il diritto interno alla decisione quadro 2002/584/GAI del Consiglio, del 13 giugno 2002, relativa al mandato d'arresto europeo e alle procedure di consegna tra Stati membri" e sintesi dei lavori parlamentari. Milano, A. Giuffrè Editore, cop. 2005
- Textes officiels
Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 dite « Loi Perben II » portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (JO du 10 mars 2004) Décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres 2002/584/JAI (Journal officiel n° L 190 du 18/07/2002 p. 0001 – 0020) Loi constitutionnelle n° 2003-267 du 25 mars 2003 relative au mandat d'arrêt européen (J.O n° 72 du 26 mars 2003 p. 5344) Article 695-23 du Code de procédure pénale, créé par la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 art. 17 I (JORF 10 mars 2004) Legge 22 aprile 2005, n. 69 "Disposizioni per conformare il diritto interno alla decisione quadro 2002/584/GAI del Consiglio, del 13 giugno 2002, relativa al mandato d'arresto europeo e alle procedure di consegna tra Stati membri" (Gazzetta Ufficiale n. 98 del 29 aprile 2005)