Italie- L’article 2645 ter du code civil italien et la loi du 19 février 2007 relative à la fiducie au regard du trust - Clotilde Dapei
Le trust est l’accord par lequel une personne, le constituant, place certains biens sous le contrôle d'un trustee dans l'intérêt d'un bénéficiaire ou dans un but déterminé .Cet instrument juridique anglo-saxon a servit de modèle à la France et à l’Italie. Cependant, afin de les rendre compatible avec la tradition de civil law, les « trusts à la française et à l’italienne » présentent des différences notables par rapport au trust.
Introduction
Le trust est une figure juridique emblématique dans les pays de common law. Le trust est surtout un concept juridique d’origine jurisprudentielle et doctrinale, c’est un instrument multiforme susceptible de s’adapter aux usages les plus différents. Cela dit, si on se limite à une première lecture de la définition trust, sans vouloir classer la notion à l’intérieur des schémas de civil law, en adoptant la définition que la Convention de la Haye (conclue le 1er juillet 1985 et entrée en vigueur le 1er janvier 1992) donne du trust, on peut déjà affirmer que:
« le trust est l’accord par lequel une personne, le constituant (settlor) - par acte entre vifs ou à cause de mort – place certains biens sous le contrôle d'un trustee dans l'intérêt d'un bénéficiaire ou dans un but déterminé ».
La convention de la Haye qui a notamment été ratifiée par la France et l’Italie a pour objectif la reconnaissance par les droits nationaux de l’institution du trust. En effet, il est difficile pour les pays de civil law d’admettre une telle construction juridique dans la mesure où elle est étrangère à ces systèmes ; cette institution se détache de la figure traditionnelle du droit des contrat puisqu’elle porte atteinte au principe d’unicité du patrimoine. Cependant l’Italie, puis la France ont tenté de surmonter cette difficulté en introduisant, de façon différenciée, des modèles assimilables au trust. Ainsi, la loi du 19 février 2007 a intégré dans le code civil français un nouveau titre consacré à « la fiducie » (articles 2011 à 2017 du Code civil) et la loi du 23 février 2006 a introduit dans le Code civil italien l’article 2645 ter. L’article 2645 ter du Code civil italien dispose : « Les actes authentiques établis dans un but déterminé relatifs à des biens meubles ou immeubles voués, pour une durée maximum de quatre vingt dix ans ou pour la durée de vie de la personne physique bénéficiaire, à la sauvegarde d’intérêts légitimes tels que la protection des personnes handicapées, des administrations publiques, ou d’autres personnes physiques ou morales, peuvent être transcrits afin de les rendre opposables aux tiers ; le constituant lui même peut agir ,pour la réalisation de ces buts déterminés, mais il peut également confier la gestion de ces bien à un trustee. » L’introduction de « trusts à la française et à l’italienne » était nécessaire dans la mesure où le droit des contrats tel qu’il existe dans les pays de civil law ne permettait plus de répondre aux attentes du monde des affaires en raison de son manque de souplesse.
Comment, une institution juridique anglo-saxonne, telle que le trust, a pu être adaptée aux systèmes juridiques de civil law? Une greffe juridique sans tenir compte des différences existant entre ces deux systèmes juridiques est-elle souhaitable ? Comment la France et l’Italie ont-elles introduit des différences à l’égard du trust afin de le rendre compatible avec leurs ordres juridiques ? Quelle a été la portée de la transposition italienne du trust par rapport à la transposition française ?
Nous essayerons de répondre à ces interrogations en analysant tout d’abord la structure du trust afin de pouvoir la comparer avec l’article 2645 ter du Code civil italien et la loi sur la fiducie.
La structure du Trust
Il s'agit d'une relation triangulaire, composée d'un constituant (settlor) qui transfère des biens ou des droits (trust property) à un ou plusieurs fiduciaires (trustee), dans l'intérêt d'un ou plusieurs bénéficiaires (beneficiary ou cestui que trust). Il s'agit d'un transfert de propriété, mais limité dans son usage et dans le temps. Ainsi, par l’accord constituant le trust, le droit de propriété sur le même bien ou sur le même droit se dédouble en faveur de sujets différents, sans donner lieu toutefois à une sorte d’indivision ou de communion du trustee et du bénéficiaire. Or, il ne s’agit pas d’un démembrement du droit de propriété mais de la véritable création d’un nouveau droit réel. En réalité, et pour être encore plus précis, le trust ne donne pas lieu à un simple rapport obligataire entre les parties à l’accord mais il crée un droit que l’on pourrait définir de « quasi-propriétaire» étant donné qu’il peut être fait valoir presque erga omnes. En effet, l’existence du trust peut être opposée par le bénéficiaire, non seulement à l’égard du trustee mais aussi à l’égard des créanciers de ce dernier (contrairement au principe de l’unicité du patrimoine), mais aussi des éventuels acheteurs des biens et des droits ayant connaissance de l’existence du trust et des successeurs du trustee. De fait, le seul sujet n’étant pas lié par cette convention est l’acheteur qui est en mesure de prouver d’avoir ignoré l’existence du trust au moment de l’achat. Les conditions qui doivent être nécessairement remplies pour constituer un trust sont au nombre de trois, à savoir: -la volonté de constituer un trust (certainty of intention); -la détermination exacte des biens ou des droits faisant l’objet du trust (certainty of subject matter) -la définition des objectifs visés par le trust ( certainty of object). Le trust porte donc atteinte au principe de l’unicité du patrimoine. Les biens faisant l’objet du trust font partie du patrimoine du fiduciaire mais ils ne peuvent être saisis par les créanciers de ce dernier. L’introduction du trust en Italie La première reconnaissance du trust a eu lieu en Italie par l’adhésion à la Convention de la Haye. En effet, suite à la signature de la Convention, les juges italiens ont du faire face à plusieurs cas de trust, initialement étrangers, dont la reconnaissance pouvait être admise sur le fondement de la Convention. La jurisprudence italienne en matière de trust Le trust est un instrument à l’origine jurisprudentiel et c’est justement à la lumière de la jurisprudence que l’on peut comprendre l’importance que revêt le trust dans le système italien. En particulier, les juges du fond italiens ont reconnu la validité de certains trust en admettant la possibilité de faire produire en Italie les effets juridiques de trusts étrangers, (c'est-à-dire constitués par des étrangers) conformément à la Convention de la Haye. Mais la jurisprudence italienne a également admis l’efficacité de trust auto-declarés dits « internes ». En d’autres termes, elle a aussi reconnu l’efficacité de trusts constitués par des italiens, sur des biens localisés principalement en Italie et dont le seul élément d’extranéité était la loi applicable. A cet égard, une décision du Tribunal de Bologne du 1er octobre 2003 a estimé que: « En Italie, le trust interne qui n’aurait pas des finalités abusives ou frauduleuses est valable et ne viole pas de normes impératives ni des principes d’ordre public et a pour effet de séparer les biens du trust du reste du patrimoine du trustee en dérogeant ainsi à l’art. 2740du Code civil » Il en résulte que la seule limite à l’acceptation d’un trust interne sont les finalités illégales du trust. Par ailleurs, en Italie, une jurisprudence constante a également admis la transcription du trust étranger. A cet égard le Tribunal de Reggio Emilia, par arrêt en date du 14 mai 2007 a souligné que le droit de transcrire le trust dans les registres italiens découle en premier lieu de l’article 12 de la convention de La Haye, outre que de l’enseignement de la jurisprudence en la matière. Donc, en Italie, avant même l’introduction de règles internes régissant le trust, cet instrument n’était pas méconnu et commençait à être adopté dans la pratique des affaires; ceci, afin de pallier la rigidité d’instruments juridiques traditionnels. L’introduction du trust en Italie : l’article 2645 ter du Code Civil La loi du 23 février 2006 n.51 a introduit dans le Code civil italien l’article 2645 ter.
Ce dernier prévoit que les biens immeubles ainsi que les biens meubles enregistrés, peuvent être attribués- pour une durée maximum de 90 ans ou pour la durée de vie de la personne physique bénéficiaire- dans un but spécifique, au bénéfice de personnes physiques ou morales dans «un intérêt légitime». Les intérêts légitimes que le législateur italien a voulu sauvegarder sont ceux des personnes handicapées, des administrations publiques ou d’autres personnes physiques ou morales. La gestion de ces biens peut être dévolue à une autre personne (le « trustee »).
Cette disposition prévoit donc la possibilité pour le constituant de créer une masse patrimoniale distincte au sein de son propre patrimoine au bénéfice d’un tiers dans un but précis et pour une durée déterminée. Cependant, les biens objet du contrat font toujours partie du patrimoine du constituant, il n’y a pas de création d’un nouveau droit réel contrairement au trust et ceci afin de ne pas porter atteinte au principe d’unicité du patrimoine.
Cette institution est assimilable à d’autres institutions juridiques qui étaient déjà présentes dans le système juridique italien, notamment au fond patrimonial en droit de la famille (articles 167 et suivants du Code civil italien), ou bien au patrimoine destiné à des affaires spécifiques en droit des sociétés (article 2247 bis du code civil italien). Cependant, contrairement à ces notions voisines, l’article 2645 ter du Code civil italien ne prévoit pas de règles spécifiques quant à l’administration ou à la gestion des biens objets du « trust ». En effet, cet article fait lui-même référence à l’article 1322 du Code civil italien qui admet la stipulation de contrats atypiques.
Cette disposition législative est novatrice et se détache nettement de la vision traditionaliste du droit des contrats en Italie mais en réalité les analogies avec le trust sont ténues puisqu’il n’existe pas de séparation juridique du patrimoine. En effet, le propriétaire du bien a une attitude passive voire inexistante.
L’introduction du trust en France : la fiducie
La France a signé, le 26 novembre 1991 la Convention de la Haye du 1er juillet 1985 « relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance». En effet, la France n’a pas ratifié la Convention de la Haye, en l’attente d’une reforme législative introduisant un instrument interne susceptible d’atteindre les mêmes résultats que le trust anglo-saxon. La fiducie a été l’instrument choisi pour devenir le concurrent direct du trust. Définition et notion de fiducie La doctrine française définit la fiducie, institution connue du droit romain, comme: "Un acte juridique par lequel une personne, le fiduciaire, rendu titulaire d'un droit patrimonial, voit l'exercice de son droit limité par une série d'obligations, parmi lesquelles figure généralement celle de transférer le droit au bout d'une certaine période soit au fiduciant, soit à un tiers bénéficiaire". En d'autres termes, la fiducie comporte le transfert de la pleine propriété des biens au profit du fiduciaire, dans un but déterminé. Le fiduciaire exerce tous les attributs de la propriété des biens, c'est-à-dire user et percevoir les fruits de ces biens et même les aliéner, mais pour le compte d'un tiers bénéficiaire. La caractéristique essentielle de la fiducie serait donc le transfert de la pleine propriété au profit du fiduciaire, mais grevé d'obligations, de nature à restreindre l'étendue de ce droit. Contrairement au trust, la fiducie ne comporterait donc aucun démembrement du droit de propriété et par conséquent, se conformerait à l'article 544 du Code civil, qui définit la propriété en ces termes: "La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements". Ainsi, la n° 2007 211 du 19 février 2007, qui a introduit la fiducie en droit français, naît principalement comme instrument de concurrence au trust dans le sillage du mouvement de modernisation du droit français et, en particulier, du code civil après une longue série de tentatives qui avaient essayé en vain d’introduire la fiducie dans le code civil à savoir en 1989, en 1992 et en 1994. Cela dit, la loi Marini, vise à créer une fiducie qui prohibe toute libéralité (interdiction de la fiducie libéralité) et exige donc une contrepartie qui respecte les principes de transparence et de neutralité fiscale. Elle crée un instrument juridique souple, rendant le droit français attractif afin d'éviter que les entreprises continuent à recourir à des trusts ou des fiducies de droit étranger. Les règles de transfert de propriété sont strictes. En bref, la loi Marini consacre une institution voisine du trust. Le mécanisme instauré vise à permettre à un constituant de transférer temporairement ses biens dans un patrimoine d'affectation géré par un fiduciaire au profit d'un bénéficiaire. Désormais nommée de façon générale, la fiducie est définie à l'article 2011 du Code civil comme : « l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires ». Certes, il existe des différences fondamentales entre la fiducie et le trust qui rendent la fiducie plus compatible avec nos systèmes juridiques. Ces différences sont les suivantes: - La fiducie ne comporte aucun démembrement du droit de propriété, puisque le fiduciaire est titulaire de la pleine propriété des biens, objets de la fiducie. Le trust, par contre, comporte un démembrement du droit de propriété, voire la création de droits réels nouveaux, peu compatible avec les systèmes juridiques continentaux. - La fiducie ne porte pas atteinte au principe de l'unicité du patrimoine. Les biens mis en fiducie font partie du patrimoine du fiduciaire et peuvent être saisis par les créanciers de ce dernier. - La fiducie est toujours établie par un contrat (sauf la fiducie testamentaire), alors que le trust peut être constitué par une déclaration unilatérale de volonté du settlor, sans que le consentement du trustee ne soit nécessaire. - La fiducie est révocable de l'accord des deux parties, puisqu'elle est établie par contrat. Le trust est en principe irrévocable, sauf mention expresse de l'acte constitutif et échappe à la volonté du constituant. - Le bénéficiaire ne dispose d'aucun droit réel sur les biens objets de la fiducie, pendant l'exécution du contrat. Le bénéficiaire d'un trust est titulaire de l'équitable ownership, c'est-à-dire qu'il peut prétendre au profit et à l'usage des biens mis en trust pendant la durée de celui-ci. La fiducie et l’article 2645 ter du Code civil sont des institutions très voisines qui présentent presque les mêmes différences à l’égard du trust. Malgré ces différences essentielles, le trust et la fiducie, présentent des similitudes très fortes. Non seulement, ces deux mécanismes reposent sur la notion de confiance, mais il existe une ressemblance structurelle assez remarquable entre ces deux institutions juridiques. La fiducie est une institution plus voisine de l’article 2645 ter du Code civil italien que du trust. Ainsi, ces derniers présentent tous deux des différences à l’égard du trust mais les différences constatées sont semblables. Ceci s’explique par le fait que la France et l’Italie n’ont pas voulu abandonner des concepts juridiques fortement ancrés dans le pays de civil law, tel que le principe d’unicité du patrimoine. Cependant, le législateur italien a voulu donner une large portée à l’article 2645 ter du Code civil contrairement au législateur français qui a préféré introduire de nombreuses limitations dans la loi relative à la fiducie. Pour l’Italie il était plus facile d’admettre une construction juridique voisine du trust ; les tribunaux italiens ayant déjà une longue expérience en la matière . En effet, l’Italie a été un des premiers pays a ratifier la Convention de la Haye contrairement à la France qui l’avait signée mais ne l’avait jamais ratifiée.