LA CONVENTION DE VIENNE SUR LES CONTRATS DE VENTE INTERNATIONALE DE MARCHANDISES – sanctions pour inexécution - Par Anne-Laure Khun
La Convention de Vienne est une convention des Nations Unies ratifiée le 11 avril 1980 par la France et rejetée par le Royaume-Uni. Elle concerne spécifiquement la vente internationale de marchandises et elle est d’application supplétive. Elle prévoit un ensemble de règles autonomes qui peuvent être appliquées indépendamment de toute législation nationale. Elle pose les conditions générales de formation du contrat ainsi que les obligations des parties, mais surtout les sanctions pour inexécution inspirées de la conception anglo-saxonne de la liberté contractuelle : en cas de manquement essentiel une partie peut rompre unilatéralement le contrat.
Intro : La Convention de Vienne du 11 avril 1980 est intervenue pour uniformiser des législations appartenant à des traditions très différentes. Pour la première fois des pays de l'Est et de l'Ouest, des pays développés et en voie de développement, des pays de droit écrit et de common law et certaines grandes puissances commerçantes telles que la Chine, les États-Unis et la France (ratifiée en 1980 et entrée en vigueur en 1988), se sont entendus pour adopter un texte conventionnel uniformisant le droit en matière de vente internationale - toutefois le Royaume-Uni a choisi de ne pas ratifier la Convention. La Convention porte loi uniforme -elle propose un ensemble de dispositions matérielles indépendantes de toute législation nationale- et elle est d’application supplétive -elle ne s’applique qu’à défaut de dispositions contraires. C’est pourquoi elle offre aux parties un compromis acceptable de choix de lois, évitant les difficultés et les coûts de longues négociations sur ce point. De plus la Convention met le commerçant à l'abri du risque qu'une loi étrangère inconnue de lui, s'applique à son contrat de vente internationale.
La Convention traite de la formation du contrat (2e partie), ainsi que des obligations des parties à la vente (3e partie), mais dans l’intérêt de la comparaison avec le droit français j’ai choisi de concentrer mon étude sur les moyens de sanction pour inexécution, caractérisés par une volonté de compromis omniprésente.
Cadre de la comparaison
. Champ d’application de la Convention: La Convention de Vienne s’applique spécifiquement aux ventes internationales de marchandises, elle répond donc à deux critères : un critère économique et un critère géographique. Ainsi selon l’article 1 de la Convention le caractère international de la vente est constitué lorsqu’elle a lieu « entre des parties ayant leur établissement dans des Etats différents: a) lorsque ces Etats sont des Etats contractants; ou b) lorsque les règles du droit international privé mènent à l'application de la loi d'un Etat contractant ». La Convention ne définit pas la notion de vente de marchandises mais nous indique les types de ventes à exclure : les ventes de marchandises achetées pour un usage personnel, familial ou domestique, les ventes aux enchères, les ventes sur saisie par autorité de justice, les ventes de valeurs mobilières, effets de commerce et monnaies, de navires, bateaux, aéroglisseurs et aéronefs ainsi que d'électricité (article 2). Elle ne concerne donc que les ventes entre professionnels, les ventes aux consommateurs et les prestations de services sont exclues.
. Dispositions principales de la Convention de Vienne
Formation du contrat (deuxième partie) Article 14: « Une proposition de conclure un contrat adressée à une ou plusieurs personnes déterminées constitue une offre si elle est suffisamment précise et si elle indique la volonté de son auteur d'être lié en cas d'acceptation. Article 15 : « Une offre prend effet lorsqu'elle parvient au destinataire. » (théorie de la réception, en France la Cour de Cassation privilégie plutôt la théorie de l’expédition) Article 29 « Un contrat peut être modifié ou résilié par accord amiable entre les parties ». Vente de marchandises (troisième partie) Article 30 : « Le vendeur s'oblige, dans les conditions prévues au contrat et par la présente Convention, à livrer les marchandises, à en transférer la propriété et, s'il y a lieu, à remettre les documents s'y rapportant ». Article 53 : « L'acheteur s'oblige, dans les conditions prévues au contrat et par la présente Convention, à payer le prix et à prendre livraison des marchandises ».
Sanctions pour inexécution:
La Convention prévoit les mêmes moyens de sanction pour l’acheteur et pour le vendeur en cas de contravention au contrat par l’autre partie: ils peuvent exiger l'exécution en nature ou le paiement de dommages et intérêts (articles 45 et 61), la résolution unilatérale du contrat (articles 49 et 64), ou la réduction du prix (article 50). Il existe aussi des sanctions correspondant à une contravention anticipée et des causes d’exonération de responsabilité. De même le Code civil français prévoit que le débiteur qui n’exécute pas son obligation contractuelle engage sa responsabilité contractuelle, le créancier dispose alors de deux modes principaux de réparation: la réparation en nature et la réparation par « équivalent pécuniaire », c'est-à-dire par le versement de dommages et intérêts à la victime.
. L'exécution en nature
Premier mode de réparation envisagé par les articles 45 et 61 de la Convention, elle est prévue aux articles 46 : « l'acheteur peut exiger du vendeur l'exécution de ses obligations », et 62 : « le vendeur peut exiger de l'acheteur le paiement du prix, la prise de livraison des marchandises ou l'exécution des autres obligations de l'acheteur ». L'acheteur peut impartir un délai supplémentaire au vendeur pour l'exécution de ces obligations (article 47). Mais la réparation en nature n’est possible que dans le cas où le tribunal aurait agi de la même manière en vertu de son droit national pour des contrats semblables (article 28) : c’est un compromis entre les pays de common law et les pays de droit civil. En droit anglais la réparation en nature - specific performance - intervient en tant que mode de réparation secondaire, lorsque les dommages et intérêts sont inappropriés. En droit français la réparation s’effectue le plus souvent sous la forme d’une indemnité pécuniaire mais dès que la réparation en nature est possible elle est envisagée - rôle important de la protection de la relation contractuelle et du respect de la parole donnée. L’article 1142 du code civil semble exclure toute possibilité de réparation en nature en cas de manquement à une obligation de faire ou de ne pas faire, le but étant d’éviter toute contrainte physique contre la personne du débiteur. Mais si l’obligation n’a pas de caractère personnel le juge peut condamner le débiteur à l’exécution en nature. Aucune coercition ne peut être exercée contre la personne du débiteur mais le créancier dispose de moyens particuliers dans certaines situations. Ainsi le créancier d’une obligation de ne pas faire peut exiger la destruction de ce qui a été fait en contravention à l’engagement. De même le créancier d’une obligation de faire inexécutée peut être autorisé par justice à la faire exécuter par un tiers aux frais du débiteur. En fait le créancier finit par obtenir un réparation en nature mais le débiteur n’est tenu qu’à une somme d’argent.
. Dommages et intérêts
Selon les articles 45 et 61 de la Convention l'acheteur comme le vendeur peut demander des dommages et intérêts. Les dommages et intérêts correspondent à la perte subie et au gain manqué (art 74). La partie qui invoque la contravention au contrat doit prendre les mesures raisonnables pour limiter les pertes (art 77). De plus une partie ne perd pas le droit de demander des dommages et intérêts lorsqu'il exerce son droit de recourir à un autre moyen (articles 45 et 61). En revanche l'acheteur est déchu du droit de se prévaloir d'un défaut de conformité s'il ne le dénonce pas au vendeur, en précisant la nature de ces défauts dans un délai raisonnable à partir du moment où il l'a constaté on aurait du le constater (art 39). De même en droit français les dommages et intérêts sont prévus par l’article 1142 du code civil comme mode de réparation par équivalent des conséquences du manquement du débiteur : « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur ». Le montant des dommages et intérêts doit couvrir la totalité du dommage réparable mais ne pas l’excéder et le dommage doit être évalué au jour du jugement définitif de condamnation. La réparation par équivalent peut présenter des inconvénients dans la mesure où dans certains cas le montant des dommages et intérêts est particulièrement difficile à évaluer (dommage moral).
. Résolution unilatérale automatique
Selon la Convention de Vienne l’acheteur comme le vendeur peut déclarer le contrat résolu en cas de manquement de l’autre partie.
Cependant la Convention limite la portée du droit de rompre unilatéralement le contrat aux contraventions « essentielles », ce qui signifierait que les parties n’auraient pas le droit de se mettre d’accord sur un droit général de rompre le contrat en cas de manquement. Ainsi « une contravention au contrat commise par l'une des parties est essentielle lorsqu'elle cause à l'autre partie un préjudice tel qu'elle la prive substantiellement de ce que celle-ci était en droit d'attendre du contrat, à moins que la partie en défaut n'ait pas prévu un tel résultat et qu'une personne raisonnable de même qualité placée dans la même situation ne l'aurait pas prévu non plus (article 25). De plus une déclaration de résolution du contrat n'a d'effets que si elle est faite par notification à l'autre partie (art 26). Le droit de déclarer le contrat résolu est perdu en cas d'impossibilité de restituer les marchandises dans un état sensiblement identique à celui dans lequel l'acheteur les a reçu (article 82). La résolution a pour effet de libérer les deux parties de leurs obligations - sous réserve des dommages et intérêts qui peuvent être dus (article 81).
La Convention semble ici s’être inspirée de la conception anglaise de liberté contractuelle : en droit anglais la rupture du contrat est considérée comme le remède principal au manquement de l’autre partie, le but est d’encourager les parties à se libérer d’un engagement quand les choses vont mal afin d’obtenir une meilleure exécution du contrat par une autre personne. En droit français le contrat ne peut pas en principe être unilatéralement révoqué (article 1134 du code civil, principe de force obligatoire), cependant la résolution unilatérale du contrat est possible dans le cas des contrats synallagmatiques, chaque obligation ayant pour cause l’obligation de l’autre: « la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisfera point à son engagement » (article 1184 al.1 du Code Civil). Cependant en droit français le recours au juge est en principe nécessaire, il vérifie si les conditions sont réunies et dispose d’un large pouvoir d’appréciation. Il existe quelques hypothèses dans lesquelles le recours au juge n’est pas nécessaire : lorsqu’elle est autorisée par la loi, lorsque des clauses de résolution ont été prévues au contrat, et exceptionnellement en cas de faute particulièrement grave qui ne permet plus le maintien des relations contractuelles. Toutefois le juge dispose toujours d’un pouvoir de vérification à posteriori sur les conditions de la résolution. . Réduction du prix
L'article 50 de la Convention de Vienne prévoit que: « en cas de défaut de conformité des marchandises au contrat, que le prix ait été ou non déjà payé, l'acheteur peut réduire le prix proportionnellement à la différence entre la valeur que les marchandises effectivement livrées avaient au moment de la livraison et la valeur que des marchandises conformes auraient eue à ce moment . Cependant, si le vendeur répare tout manquement à ses obligations conformément à l'article 37 ou à l'article 48 ou si l'acheteur refuse d'accepter l'exécution par le vendeur conformément à ces articles, l'acheteur ne peut réduire le prix. » En droit français il existe des modes similaires de réparation : la déchéance d’un droit ou la réfaction du contrat (exemple : art. 164 du Code Civil, faculté pour l’acheteur de garder la chose atteinte d’un vice en demandant une réduction du prix).
. Contravention anticipée
Selon l’article 71 de la Convention de Vienne: « Une partie peut différer l'exécution de ses obligations lorsqu'il apparaît, après la conclusion du contrat, que l'autre partie n'exécutera pas une partie essentielle de ses obligations » De plus l’Article 72 établit que « si, avant la date de l'exécution du contrat, il est manifeste qu'une partie commettra une contravention essentielle au contrat, l'autre partie peut déclarer celui-ci résolu » En droit français cette prérogative correspondrait à l’exception d’inexécution. Dans le cadre d’un contrat synallagmatique, le créancier peut refuser d'exécuter à son tour sa propre prestation. C'est le cas d'un acheteur dans le contrat de vente qui peut refuser de payer le prix tant que le vendeur ne lui a pas livrer la chose. (Article 1612 du Code Civil en matière de vente : "le vendeur peut retenir la chose tant qu'il n'a pas été payé").
. Exonération
L’article 79 de la Convention de Vienne prévoit que : « une partie n'est pas responsable de l'inexécution de l'une quelconque de ses obligations si elle prouve que cette inexécution est due à un empêchement indépendant de sa volonté et que l'on ne pouvait raisonnablement attendre d'elle qu'elle le prenne en considération au moment de la conclusion du contrat, qu'elle le prévienne ou le surmonte ou qu'elle en prévienne ou surmonte les conséquences. » De plus selon l’article 80 de la Convention : « une partie ne peut pas se prévaloir d'une inexécution par l'autre partie dans la mesure où cette inexécution est due à un acte ou à une omission de sa part ». Cette possibilité d’exonération correspond en droit anglais à la doctrine of frustration : défense contre une action pour manquement basée sur la réalisation d’un évènement imprévu qui a rendu l’exécution du contrat impossible, illégale ou radicalement différente de celle initialement prévue. De même le droit français prévoit l’exception de force majeure ou de cas fortuit : « il n'y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit. » L’évènement doit être irrésistible, imprévisible et extérieur. De plus le droit français considère que le fait du créancier, s’il a causé exclusivement ou partiellement son dommage, est de nature à exonérer totalement ou partiellement le débiteur.
Bibliographie :
- Droit Civil, Les Obligations, 17e édition, Gérard Légier, Mémentos Dalloz (2001)
- Contract Law, Text, Cases and Materials, Ewan McKendrick, Oxford University Press (2003)
- Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises 11 Avril 1980 : http://lexinter.net/Conventions%20Internationales/CONVENTION%20DE%20VIEN...
- Playmendroit cours de droit des contrats http://playmendroit.free.fr/droit_du_commerce_international/la_conventio...
- « Le champ d’application de la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises » par Nicole LACASSE, faculté de droit section de droit civil université d’Ottawa