La cour fédérale de Californie confirme la reconnaissance du mariage homosexuel dans l’arrêt Perry v. Schwarzenegger du 4 août 2010
Le statut du mariage homosexuel est encore à débattre en Californie où l’arrêt Perry v. Schwarzenegger n’a toujours pas produit ses effets du fait d’un appel interjeté par les parties opposantes. Cependant il s’agit d’une grande avancée qui semble mettre un terme à une bataille mouvementée vers la reconnaissance du mariage homosexuel. En France la situation est bloquée et la position de la CEDH n’encourage pas au changement.
Mots Clés : mariage homosexuel – droit au mariage – discrimination sexuelle
Le mariage homosexuel est un sujet d’actualité controversé outre-atlantique du fait de la position très conservatrice que la plupart des Etats américains adoptent. Chaque Etat est souverain en la matière et la loi fédérale sur la défense du mariage prévoit à l’article 2 qu’un Etat n’a pas obligation de reconnaître le mariage homosexuel célébré valablement dans un autre Etat. De plus l’article 3 définit le mariage comme l’union entre un homme et une femme lorsqu’il est utilisé dans une loi fédérale, et par les autorités fédérales en générale. Ainsi seulement six Etats autorisent le mariage homosexuel (Connecticut, District of Washington, Iowa, Massachussetts, New Hampshire, New Jersey), et trois reconnaissent les mariages valides célébrés dans d’autres Etats (Nouveau Mexique, New York, Vermont). Mais la question de la reconnaissance du droit au mariage pour les couples homosexuels fait surtout débat en Californie où législateur, citoyens et juges font pencher la balance tantôt vers l’accès au mariage homosexuel et tantôt vers une conception stricte du mariage ouvert aux seuls couples hétérosexuels. La décision que je propose de commenter a été rendue par la cour fédérale pour la circonscription nord de la Californie. C’est un arrêt décisif vers la reconnaissance du droit au mariage pour les homosexuels car il reconnaît le caractère anticonstitutionnel de la définition du mariage comprise comme l’union d’un homme et d’une femme. Cet article se propose donc de retracer le parcours mouvementé qui a mené à la décision Perry v. Schwarzenegger et explique le raisonnement du juge pour reconnaître le droit au mariage pour les homosexuels. Nous verrons aussi comment la question est traitée en France et comment la CEDH retient la même position.
Un parcours semé d’embuches vers la reconnaissance du mariage homosexuel en Californie
La controverse commence en Novembre 2000, où les Californiens votent and adoptent la Proposition législative 22 à l’initiative de l’Etat. Cette proposition intitulée la loi californienne pour la défense du mariage prévoit un amendement au Code de la Famille Californien qui dispose que « seul la mariage entre un homme et une femme est valide et reconnu en Californie ».
Puis en 2004, le maire de San Francisco, Gavin Newsom, envoie une lettre à Nancy Alfaro, officier d’Etat civil du comté de San Francisco, pour lui demander de revoir les documents utilisés dans la démarche de délivrance des certificats de mariages et cela pour les rendre non-discriminatoire sur le fondement de l’orientation sexuelle. Le maire se fonde sur l’Article 1 (7) (a) de la Constitution Californienne qui dispose qu’une personne ne peut être privée de l’égalité de la protection par la loi. Ainsi une loi qui accorderait un traitement différent fondé sur l’orientation sexuelle serait donc anticonstitutionnelle. Suite à cette lettre, l’officier d’Etat civil a créé des documents qui n’exercent pas de discrimination sexuelle mais tout en avertissant qu’un mariage homosexuel célébré à San Francisco ne pourra pas être reconnu dans d’autres juridictions. Cela n’a pas empêché la délivrance d’environ 4000 certificats de mariage à des couples homosexuels. Cependant le procureur général de la Californie, Bill Lockyer, a saisi la cour suprême de l’Etat pour demander que les officiers d’Etat civil de San Francisco cessent immédiatement la délivrance de certificats de mariage aux couples homosexuels. La cour suprême n’a pas réellement jugé sur le fond de l’affaire, et a évité la question du droit au mariage homosexuel en ne se prononçant pas sur la validité de la Proposition 22 (Lockyer v. City and County of San Francisco, 12 août 2004). La cour a tranché la question de savoir si les officiers d’état civil ont l’autorité suffisante pour ne pas appliquer la loi sur le mariage lorsqu’ils la jugent contraire à la Constitution. Elle a répondu par la négative en affirmant que tant que la loi n’est pas déclaré anticonstitutionnelle, elle doit être appliquée. Cette décision met donc fin temporairement à la vague de célébration de mariages gays et annulent tous les mariages homosexuels célébrés.
Le 15 mai 2008, la Cour Suprême finalement répond à la question de la constitutionnalité des lois régulant le mariage en Californie dans un arrêt In re Marriage Cases. Les juges se fondent sur le droit à la vie privée et au mariage comme étant des droits fondamentaux protégés par la Constitution Californienne. Or aucun individu ne peut en être privé sur le seul fondement discriminatoire de l’orientation sexuelle. Les juges ont de plus rappelé la nécessité de protéger les citoyens de manière égale devant la loi, refusant ainsi de traiter les couples homosexuels comme des citoyens de second rang en leur interdisant l’accès au mariage. Toute loi faisant une distinction sur le fondement du sexe ou de l’orientation sexuelle est donc considéré comme suspecte et doit faire l’objet d’un examen particulièrement strict par la cour. Or la cour a jugé dans cette affaire, que l’Etat n’avait aucun intérêt légitime pour différencier ainsi entre les couples de même sexe et ceux de sexe opposé, et ne pouvait justifier le maintien d’une définition du mariage se limitant à l’union entre un homme et une femme. Ainsi la Proposition 22 limitant le mariage aux couples hétérosexuels est déclarée anticonstitutionnelle. Suite à cette décision, une nouvelle vague de mariages homosexuels ont été célébrés.
Mais après seulement 6 mois, le 4 novembre 2008, la proposition d’amendement à la Constitution Californienne (Proposition 8) est votée par les citoyens Californiens mettant de nouveau un frein à la reconnaissance du mariage de personnes de même sexe. En effet, la Proposition 8 introduit l’article I § 7.5 qui dispose que seul le mariage entre un homme et une femme est valide et reconnu. Lors de ce scrutin, 52,2 % des Californiens se sont prononcés en faveur d’un tel amendement tandis que 47.8 % étaient contre. Cela traduit la volonté de préserver une conception traditionnelle du mariage pour une majorité de la population. De plus l’introduction d’une telle définition dans la Constitution donne une valeur beaucoup plus solennelle au mariage et exclu par la même toute possibilité de reconnaître un mariage entre personnes de même sexe. Mais on peut noter d’un autre côté qu’il y a un réel fossé entre l’opinion du système judiciaire dans la décision précédente de la Cour Suprême en 2008 et ce que les citoyens veulent.
Du fait de ces revirements incessants sur la question de la reconnaissance du mariage homosexuel, la situation devient embarrassante, surtout pour une question de sécurité juridique. En effet à chaque fois que le mariage homosexuel a été reconnu, de nombreux couples se sont empressés de se marier. Entre le 16 juin 2008, date à laquelle la décision In Re Marriages cases prend effet, et le 5 novembre 2008, date d’entrée en vigueur de la Proposition 8, il a été estimé que 18 000 mariages homosexuels ont été célébrés. Or pour tous ces couples la question délicate de la validité de leur union se pose. C’est pourquoi la Cour Suprême de la Californie est intervenue pour clarifier leur statut à l’occasion d’un arrêt Strauss v. Horton de 2009. Pour une question de sécurité juridique et d’équité, la cour a confirmé la validité de toutes les unions célébrées pendant cette fenêtre de 6 mois car l’application rétroactive de l’amendement aurait eu un impact bien trop important sur les droits et obligations nés de ces unions célébrées avant son entrée en vigueur. La décision confirme d’autre part l’interdiction du mariage homosexuel. L’entrée dans la Constitution Californienne d’une définition du mariage excluant les couples de même sexe semble sceller le destin du mariage homosexuel. Cependant, la cour fédérale pour la circonscription nord de la Californie, avec à sa tête le Juge Walker, vient retourner la situation en 2010 dans l’arrêt Perry v. Scharzenegger.
Perry v. Schwarzenegger : la saga judiciaire se poursuit
Cette décision semble mettre fin à la controverse après 6 ans de revirements de jurisprudence et d’instabilité sur le statut du mariage. Les plaignants, deux couples d’homosexuels californiens, remettent en question la constitutionnalité de la Proposition 8 sur le fondement de l’égalité de la protection de la loi (14ème amendement de la Constitution des Etats-Unis), le droit fondamental au mariage et le caractère discriminatoire de la loi fondée sur l’orientation sexuelle. Les défendeurs, à savoir les autorités officielles responsables que sont le gouverneur de la Californie et le Procureur Général, défendent la Proposition 8 pour le maintien de la conception traditionnelle du mariage qui encourage les relations maritales stables et offre un cadre optimal pour élever des enfants.
Le 4 août 2010, le juge Vaughn Walker rendun verdict fracassant à l’issue de seulement deux semaines de procès et tranche en faveur des plaignants, affirmant l’anti-constitutionnalité de la Proposition 8 au regard de la clause de due process and equal protection du 14ème amendement.
La notion de due process ou procès en bonne et due forme protège les individus contre les intrusions arbitraires de l’Etat dans leur vie privée, leur liberté ou leur bien. Or le droit au mariage est un droit fondamental qui relève de la vie privée et intime des individus et qui est par conséquent protégé par le 14ème amendement. Ainsi l’intervention de l’Etat dans cette sphère privée doit faire l’objet d’une appréciation particulièrement stricte par le juge (strict scrutiny) au cours de laquelle l’Etat doit justifier son intervention comme étant nécessaire et légitime au regard de l’intérêt public (compelling government interest). En l’occurrence la Cour a jugé que l’Etat avait échoué dans cette tâche. En effet, les défendeurs ont mis en avant la nécessité de protéger l’institution traditionnelle du mariage, sa structure et ses fonctions à savoir l’union d’un homme et d’une femme dans le but de procréer et d’élever les enfants dans un cadre optimale. Cet argument est fondé sur la peur d’un affaiblissement du mariage et d’un changement trop radical des mœurs sociales qui pourrait avoir un effet négatif sur la société. Mais la Cour rejette ces arguments car le seul intérêt de protéger les traditions n’est pas suffisant pour justifier une telle mesure discriminatoire. De plus le mariage ne se limite pas à la procréation mais comprend aussi et surtout la consécration d’un engagement mutuel entre deux personnes qui s’aiment. Or que ces personnes soient de même sexe ou de sexe opposé, cela ne change rien à leur capacité à être de bons parents et à offrir un cadre favorable pour élever des enfants. Par ailleurs, aucune preuve n’a été apportée d’un effet néfaste sur la société du à la célébration de mariages homosexuels. Pour preuve, 18 000 mariages ont été célébrés avant que la Proposition 8 ne soit adoptée sans que la société n’ait été affectée.
Le principe de equal protection ou protection égale devant la loi protège les individus contre une application inégalitaire de la loi. La Cour a ainsi jugé que la Proposition 8 était contraire à ce principe car elle est discriminatoire à la fois contre l’orientation sexuelle des individus et sur le sexe. En effet les plaignants veulent se marier avec le partenaire de leur choix, seulement parce que le partenaire est du même sexe, la Constitution les en empêche. Si leur partenaire était du sexe opposé, ce procès n’aurait pas lieu. La Proposition 8 cible donc les homosexuels sur le fondement de leur orientation sexuelle et de leur sexe. De plus elle les prive du droit au mariage en restreignant la définition du mariage aux seuls couples hétérosexuels. Pour toutes ces raisons la Cour a retenu le caractère discriminatoire de l’amendement à la Constitution adopté à la suite de la Proposition 8 et l’a déclaré inconstitutionnel.
Le droit au mariage homosexuel n’est toujours pas officiellement reconnu en Californie
Mais les partisans ne doivent pas se réjouir trop vite car à ce jour, la décision est encore pendante. Si la décision en elle-même est claire et directe, elle a entraîné de nombreux détours procéduraux qui l’empêchent de prendre effet. En effet les défendeurs ont interjetté appel auprès de la cour d’appel fédérale de la 9e circonscription (la 9e circonscription est la plus importante aux Etat-Unis, elle regroupe 8 Etats dont la Californie). De plus ils ont demandé la suspension de l’injonction contre la Proposition 8 pour maintenir son effet jusqu’à ce que la cour d’appel se soit prononcée. Mais le 23 mars 2011, la cour d’appel a refusé la demande de retrait de suspension de l’injonction. La situation n’évolue donc pas beaucoup et pas en faveur de la reconnaissance du mariage homosexuel. Certains commentateurs y voient aujourd’hui la possibilité dans un futur proche d’un recours devant la Cour Suprême des Etats-Unis tant la question est débattue ardemment.
La nullité du mariage homosexuel en France
En France, c’est la définition traditionnelle du mariage qui est défendue sans pour autant lui donner une place dans la Constitution Française ou bien lui consacrer un article dans le code civil comme le font la plupart des Etats américains qui interdisent le mariage homosexuel. L’absence d’une définition du mariage figée dans le code civil est un point positif pour les partisans du mariage homosexuel car on peut y voir l’opportunité de l’insertion d’une définition incluant les couples de même sexe à l’occasion d’une loi autorisant une telle union. Cependant, s’il n’y a pas de définition du mariage excluant clairement les couples de même sexe, la jurisprudence, elle, confirme la nullité du mariage homosexuel et les articles 144, 162 et 163 le sous-entendent.
En effet en précisant que « le mariage est prohibé, entre le frère et la sœur » et « entre l'oncle et la nièce, la tante et le neveu » ou encore que « l'homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus », le législateur sous-entend que le mariage entre personne de même sexe n’est pas envisagé.
D’autre part, la 1èrechambre civile du TGI de Bordeaux a rendu un arrêt le 27 juillet 2004 à l’issue d’une affaire très célèbre dans laquelle, Noêl Mamère, en tant que Maire de Bègles, avait consenti à célébrer l’union de deux hommes. Le TGI a annulé l’union au motif que la condition de fond de différence de sexe n’était pas remplie et de ce fait la formation du mariage était viciée. Le tribunal s’appuie sur le raisonnement de la CEDH qui indique que la différence de traitement appliquée aux couples de même sexe est possible « lorsqu'il existe une justification objective et raisonnable, qui poursuit un but légitime dans une société démocratique et qui respecte un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ». Or le tribunal explique qu’il existe une justification sociale à la condition de différence de sexe pour former un mariage valide. En effet il retient la fonction traditionnelle du mariage comme fondation d’une famille qui se veut l’union d’un homme et d’une femme. On retrouve ici les mêmes arguments présentés par les détracteurs du mariage homosexuel en Californie. La Cour d’Appel de Bordeaux a confirmé ce jugement dans un arrêt du 19 avril 2005 en affirmant que la différence de sexe est bien une condition de fond de formation du mariage en France. Enfin, la 1èrechambre civile de la Cour de Cassation confirme la nullité du mariage homosexuel en rejetant le pourvoi formé par le couple dans un arrêt du 13 mars 2007.
La CEDH laisse la question du mariage homosexuel à la discrétion des Etats membres
La France est soutenue dans sa position par la CEDH qui a déjà par le passé déclaré que l’opposition au mariage entre deux personnes de même sexe n’était pas une atteinte au droit du mariage consacré à l’article 12 de la Conv-ESDH (Arrêt Sheffield et Horsham du 30 juillet 1998). De plus, dans l’arrêt Schalk et Kopf c/ Autriche en date du 24 juin 2010, la CEDH affirme que chaque Etat est souverain en la matière, et qu’il n’y a aucune obligation faite aux Etats d’ouvrir l’accès au mariage aux couples de même sexe. Ainsi, du fait du caractère moral et culturel de la question, celle-ci est laissée à la discrétion de chaque Etat. La CEDH n’encourage donc pas au changement et ne fait pas avancer les choses sur le plan européen.
Le Conseil Constitutionnel déclare les dispositions du code civil conforme à la Constitution
Le débat a été porté jusque devant le Conseil Constitutionnel pour une question prioritaire de constitutionnalité initiée par la 1èrechambre civile de la Cour de Cassation dans un arrêt du 16 novembre 2010. La question était de savoir si « Les articles 144 et 75 du Code civil sont contraires, dans leur application, aux dispositions de l'article 66 de la Constitution de 1958 en ce qu'ils interdisent au juge judiciaire d'autoriser de contracter mariage entre personnes du même sexe ? » et si « Les articles 144 et 75, dernier alinéa, du Code civil sont contraires, dans leur application, au préambule de la Constitution de 1946 et de 1958 en ce qu'ils limitent la liberté individuelle d'un citoyen français de contracter mariage avec une personne du même sexe ? ». Les partisans du mariage homosexuel attendaient beaucoup du Conseil Constitutionnel mais la réponse a beaucoup déçu puisqu’il a déclaré les dispositions du code civil conforme à la Constitution tout en estimant le législateur seul compétent et responsable pour juger du bien fondé de la reconnaissance d’un droit au mariage pour les couples homosexuels. Il semblerait donc que le changement ne pourrait venir que du Parlement et de l’initiative populaire.