La notion de contrat en droit comparé franco - britannique
Le contrat est une notion fondamentale, c’est la mise en œuvre de la volonté dans le droit. Il s’agit, selon une approche non technique, du sang de l’économie. Le contrat est un rouage qui fait tourner l’immense machine économique.
Par conséquent, le monde des affaires possède un intérêt important à connaître les mécanismes et principes contractuels utilisés par les acteurs économique de plusieurs pays. Ainsi, cette compréhension des différents systèmes rassure et pousse les parties à contracter dans les pays étrangers et encourage donc le développement des échanges internationaux.
En effet, le Royaume-Uni appartenant à la Common Law et la France à la tradition civiliste ne partagent pas la même méthodologie contractuelle. L’un est guidé par des considérations d’ordre économique alors que l’autre cherche à faire primer la volonté des parties.
L’approche adoptée par la France est bien plus normative que son homologue anglais. En effet, les règles relatives au contrat débutent à l’article 1101 qui définit le contrat comme étant « une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose ». En outre, l’article 1108 du même Code énumère quatre conditions de validité du contrat : le consentement de la partie qui s’oblige; sa capacité de contracter; un objet certain qui forme la matière de l’engagement et une cause licite dans l’obligation.
Tandis qu’au Royaume-Uni, le contrat naît avec un échange économique qualifié de « bargain » où les parties vont d’un commun accord subir un préjudice qualifié de « detriment » avec la considération d’un profit « benefit ».
Les deux systèmes de droit s’accordent qu’un consensus général doit être obtenu. Un contrat Anglais sera soumis à trois éléments qui sont l’accord, l’intention d’être lié et la notion de consideration.
Problématique : En quoi la notion de contrat en France diffère-t-elle de la perception Anglaise ?
Après avoir vu les conditions de validité du contrat (I) nous étudierons l’approche qu’adoptent les deux pays face à un déséquilibre du contrat (II)
I Les conditions de validité du contrat
La formation du contrat est soumise à plusieurs conditions. Dans les deux traditions, l’offre et l’acceptation simple n’ont pas d’effet obligatoire et sont donc insuffisantes pour la validité du contrat. La Common Law avec la notion de consideration, ainsi que le droit français avec la cause, prévoient deux notions abstraites conçues comme la contrepartie de l’obligation. (A) Cependant, la consideration, pour se rapprocher de la cause, est supplée par le principe de promissory estoppel (B)
- La cause et la consideration.
Dans la Common Law, un contrat se forme grâce à la présence essentielle de la consideration qui est l’idée d’une contrepartie et d’un échange d’obligations réciproques. Ainsi, chaque partie au contrat doit promettre de donner ou de faire quelque chose respectivement.
La définition de la notion de considération a été posé dans l’arrêt Currie v Misa[1] où, on s’y réfère, comme un principe qui se constitue soit d’un désavantage au créancier soit d’un avantage accordé au débiteur. Le juge Lush définit la considération comme « un droit, intérêt, profit ou avantage obtenu par une partie ou l’abstention, désavantage, perte, responsabilité subie ou entreprise par l’autre partie ».
Cette exigence de consideration dans la formation du contrat illustre bien l’idée de « bargain » [2], échange économique entre les parties, que renferme la conception du droit de Common Law.
L’arrêt Price v Easton[3] prévoit comme règle que la consideration doit provenir de la part du débiteur, pas du créancier.
De plus, selon l’arrêt Chappell v Nestlé[4] la consideration doit être suffisante non pas adequate. L’arrêt affirme que les papiers d'emballages peuvent constituer une consideration suffisante.
La juridiction de Common Law ne va donc pas s’investir à vérifier si la consideration est convenable ou juste. Lorsque la consideration possède une valeur quelconque, celle-ci est considéré comme “réelle” ou “suffisante” et est reconnu par le droit.
Le principe de consideration a souvent été comparé aux concepts de la cause en droit français.
En effet, la cause est une notion qui est au cœur de la notion française de contrat. D’après le professeur de droit Jacques Ghestin « la cause peut être légitimement considérée aujourd'hui comme la composante essentielle, en tout cas la plus caractéristique, de la définition du contrat selon le modèle français.[5] ».
La cause est la dernière exigence de validité des contrats, que l’on trouve à l’article 1108 du Code Civil. Toutefois, la cause est peu réglementée dans le Code Civil car il n’y a que quatre articles qui prévoient son existence sans donner de définition.
La définition de la notion de cause est difficile à délimiter notamment par sa conception dualiste. Il existe d’une part la cause objective et d’autre part la cause subjective.
La cause doit être considérée comme un test de validité du contrat. Celle-ci va permettre de poser certaines questions au contrat. La cause objective ou cause de l’obligation peut se résumer à la question « Les obligations ont-elles des contreparties ? ». Ainsi, le contrat ne sera valablement formé que si chacune des parties avaient une bonne raison d’être débiteur.
La cause subjective ou cause du contrat est représenté par la question « pourquoi vous êtes vous engagés ensemble à contracter ? » Il s’agit de savoir si ce pourquoi est licite, pas contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. Cette cause subjective a tendance à servir de mode du contrôle interne du contrat. On regarde si cette cause est en accord avec chacune des stipulations du contrat. Quand on trouve une clause du contrat qui n’est pas en accord avec la cause subjective du contrat, on l’annule.
Ceci est illustré dans l’arrêt Chronopost de 1996[6] où la cause subjective étant une clause stipulant qu’au cas où le pli n’arriverait pas dans les 24h, l’entreprise Chronopost, pour toute pénalité, devrait rembourser le coût de l’acheminement. Ainsi, quel que soit le préjudice suscité par le retard, Chronopost ne propose que le remboursement de ce qui est payé, alors qu’en réalité le préjudice peut être beaucoup plus important. La Cour de cassation, en regardant la cause subjective du contrat et en la confrontant à ces dommages et intérêts déclare qu’à partir du moment où l’essentiel pour la partie est d’avoir une arrivée en 24h, on ne peut pas ajouter une clause de non responsabilité. En l’espèce, la clause a été réputée non écrite.
Par conséquent c’est une façon de contrôler de façon cohérente, elle devient le moyen de vérifier que chaque stipulation du contrat est bien en cohérence avec l’ensemble du contrat.
Tous deux systèmes de droit évoquent l’idée de contreparties réciproques. Les deux concepts étudiés se référent à une notion abstraite qui est intangible et ne s’identifie pas ou ne se localise pas dans les parties ou dans la négociation. Les deux notions ont donc un but semblable, de soumettre le contrat à un test de validité que les anglais nomme « enforceability test ». Ce test se doit donc de vérifier si un contrat donné est bien formé.
Cependant, la consideration n’est pas exactement comme la cause puisque celle-ci ne permet pas de contrôler l’équilibre des prestations. Pour cette raison le droit Anglais a recours à la notion de promissory estoppel pour combler les lacunes de la consideration.
B. Promissory estoppel
« Le promissory estoppel implique une promesse ou une "représentation" faite par une partie pendant l'exécution d'un contrat sur sa conduite future et dont il résulte qu'elle n'exigera pas l'exécution de certaines dispositions du contrat. Si l'autre partie s'est fondée sur cette promesse, l'auteur de celle-ci ne peut pas revenir sur elle. »[7]
Tel est le nom donné a la doctrine issue de l’équité qui a pour principale source l’obiter dicta de Lord Denning dans l’arrêt High Trees House Ltd de 1947.[8]
Le principe prévoit que si une personne (le créancier) effectue une promesse et qu’une autre personne se fonde sur cette promesse, le créancier est arêté ou “estopped” à revenir sur sa promesse même si l’autre personne n’a pas fournit de consideration. (dans la mesure de ce qui est inequitable)
Les éléments constitutifs de la promissory estoppel donné par Lord Denning sont :
- une représentation : Dans le cadre de la promissory estoppel toutes les formes de représentations sont admises.
- le résultat de la représentation. Le deuxième élément constitutif de l'estoppel est donc la detrimental reliance de l'autre parti. Il faut qu'il soit inéquitable pour le promettant de revenir sa promesse.
Ce qui compte est donc d’examiner quelle perception le destinataire a pu avoir, non pas l’intention de l’auteur de l’engagement.
Ce principe permet de contourner l’exigence de consideration, dont en dépend la validité du contrat car la consideration donnent la force exécutoire au contrat dans les pays de Common Law.
Cependant l'un des critères principaux de la promissory estoppel est qu'elle ne peut être utilisée que comme un bouclier et non comme une épée. Elle est ainsi limité qu’aux arguments de défense et limite considérablement sa portée.
Il ressort que les solutions aux problèmes relatifs à la notion de contrat sont très comparables quand bien même les mécanismes sont différents.
II L’approche qu’adoptent les deux pays face à un déséquilibre du contrat.
Les deux systèmes de droits apportent des réponses variées et nuancées. Le droit français fait le choix d’une solution particulière puisqu’il interdit la révision judiciaire pour imprévision. (A) Tandis que, le Royaume-Uni adopte une position plus ouverte en admettant la révision consécutive au changement de circonstances avec la frustration. (B)
- Interdiction de la révision pour imprévision.
Telle que définie en droit français, l’imprévision est un changement de circonstances, survenu après la conclusion du contrat qui ne pouvait pas être raisonnablement pris en considération par les parties lors de la conclusion de celui-ci. Ce changement affecte l’exécution du contrat initial en la rendant excessivement onéreuse ou très difficile, mais ne la rend pas impossible. La survenance d’une guerre ou d’une dévaluation de la monnaie en sont les meilleurs exemples.
L’article 1134 Al.1 du code civil dispose que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». Ce principe constitue l’un des piliers du droit des contrats. La notion de révision était donc ignorée par les rédacteurs du code civil, puisqu’elle porte atteinte à l’intangibilité du contrat, et derrière cette intangibilité se cache sa force obligatoire.
L’essence de la théorie de l’imprévision concerne le pouvoir du juge de modifier le contrat. Or, le problème est que la modification du contrat par le juge se heurte à plusieurs obstacles dont l’autonomie de la volonté des cocontractants énoncé au dessus. Le second obstacle est la méfiance envers le juge qui est incompétent d’un point de vue économique pour modifier le contrat. C’est en effet un homme de droit et non un acteur économique.
Le refus de la théorie de l’imprévision à eté consacré par le célèbre arrêt Canal de Crapone 1876.[9] Le problème de droit était « peut on porter atteinte à la force obligatoire du contrat lorsque les circonstances économiques ont changé de tel sorte qu’il n’y a plus d’équilibre contractuel ? » La cour refuse la révision du contrat par le juge même en cas de changement profond des circonstances qui affecte l’équité du contrat. Pour la cour de cassation, il n’y a pas lieu d’autoriser le juge à se placer au dessus de la loi voulue par les parties.
Cette décision connaît néanmoins des exceptions comme en droit administratif avec l’admission de la théorie de l’imprévision, illustré dans l’arrêt CE, Compagnie général d’éclairage de Bordeaux 1916[10] sur les contrats administratif.
Toutefois, Il y a deux raisons principales pour le rejet de l’imprévision. Premièrement, les tribunaux craignaient que d’une part les cocontractants de mauvaise fois ne cherchent à se dérober de leur engagement et d’autre part que l’arbitraire du juge favorise l’instabilité du contrat et qu’il y est une insécurité juridique.
Face à ce refus de l’imprévision, il existe plusieurs palliatifs qui permettent de tenir compte de l’imprévision. Dans certaines hypothèses, la loi prévoit des mécanismes de révision pour imprévision. Par exemple, en droit d’auteur, l’article L131-5 du Code de la propriété intellectuelle prévoit un mécanisme de lésion et d’imprévision. Ensuite, l’imprévision est prise en compte par la jurisprudence et cela sur un certains nombre de fondements comme la cause ou la bonne foi.
- La Frustration
La frustration en droit anglais s’entend d’une part de l’impossibilité de l’exécution du contrat, semblable à la force majeure. Cependant, cette notion est plus large car elle comprend également des hypothèses où le contrat est exécutable mais dont les modifications des circonstances ont entrainé un changement de nature du contrat.
La cour anglaise dans Taylor v Caldwell 1863[11], accepte la théorie de la frustration avec les implied terms « termes impicites ». Ainsi, il y a des termes implicites qui lors de la survenance d’un événement changeant la nature de ce qui a été souhaité par les contractants devait mettre fin au contrat. Néanmoins, dans l’arrêt Davis Contractors v. Fareham Urban District Council[12], la chambre des lords a reconnu que cette théorie des implied terms n’était pas satisfaisante dans tous les cas.
Avec les coronation cases, notamment l’arrêt Krell v Henry en 1903[13] applique la frustration où les cérémonies de couronnement sont annulé car le nouveau roi est tombé malade. En conséquence, la location d’appartement sur le parcours de la cérémonie avait été annulée. La cour considéra que le couronnement constituait le fondement du contrat mais que le contrat était toujours exécutable. Cependant, son exécution l’aurait changé de nature. La frustration avait donc vocation à s’appliquer en l’espèce.
La question fondamentale que l’on se pose est de savoir la différence entre la frustration et la théorie de l’imprévision. La différence est que l’imprévision est un événement extérieur à la volonté du débiteur qui n’entraine pas forcément une impossibilité d’exécution mais qui rend l’exécution plus difficile ou plus onéreuse alors que dans la frustration il y a plutôt une impossibilité d’exécution et se rapproche d’avantage du concept de force majeure. Néanmoins, son champ d’application est plus large que celui de la force majeure puisque l’événement inclut une exécution très difficile du contrat et non pas uniquement impossible. On peut noter qu’on est assez proche de la notion de cause puisqu’avec cette théorie de frustration en réalité c’est la cause qui est relevé.
Il apparaît que la France s’attache en premier lieu à celui qui manifeste sa volonté tandis qu’en Common l’exigence de considération doit être examiné indépendamment de la volonté des parties.
Le droit civil est un droit qui est beaucoup plus libéral que le droit de Common Law. En droit des contrats civil, la volonté, sous réserve de cause, suffit à former un contrat tandis qu’en Common Law la volonté n’est pas suffisante, il faut en plus la consideration. En droit civil, on regarde la bonne foi de celui qui manifeste la volonté tandis qu’en Common Law on scrute la croyance de celui qui bénéficie de la manifestation de la volonté.
[1] (1875) LR 10 Ex 153
[2] Bargain se rapproche du terme « marché ».
[3] (1833) 4 B & Ad 433
[4] [1960] AC 87
[5] J. GHESTIN, Le modèle dans la définition du contrat, in Code civil et modèles. Des modèles du Code au code civil comme modèle, T. Revet (dir.), pp. 195-207, spéc. p. 196
[6] Com. 22 octobre 1996, Chronopost, Bull. IV n° 261 p. 223
[8] [1947] KB 130
[9] Civ. 6 mars 1876, Canal de Craponne, D. 1876, I, 193.
[10] 30 mars 1916 - Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux - Rec. Lebon p. 125
[11] (1863) 3 B & S 826
[12][1956] AC 69
[13] [1903] 2 KB 740
Bibliographie
Ouvrages généraux
A. Bénabent, Les obligations, 11e éd., 2007, Montchrestien
T. Graziano, Comparative contract law, Palgrave Macmillan (2009)
B. MARKESINIS, La notion de consideration dans la Common Law. Vieux problèmes ; nouvelles théories, RIDC, 1983, n°4, pp. 735-766
E McKendrick, Contract Law, 7th edn, Palgrave Macmillan (2007)
E. Örücü, David Nelken, Comparative law: a handbook, Hart (2007)
S. Porchy-Simon, Droit civil 2e année Les obligations, Dalloz-Sirey (2010)