La réception de marchandises non commandées par le consommateur, article 241a du BGB. Par Aurélie van Miltenburg
La pratique commerciale de l’envoi forcé ou la réception de marchandises non commandées a fait l’objet d’une réglementation communautaire dans le but de protéger le consommateur. En Allemagne, l’article 241a du code civil permet d’apporter cette protection. En France, c’est à l’article L.122-3 du code de la consommation qu’elle est prévue. La doctrine s’était déjà penchée sur la question de l’envoi forcé dans les années 1970 notamment et la réglementation communautaire n’a donc pas suscité de vives réactions doctrinales. En revanche, en doctrine allemande les éventuelles conséquences contractuelles de la pratique ont fait débat dans les dernières années.
L’envoi de marchandises non commandées est depuis le début du siècle dernier un thème d’actualité qui suscite de vives discussions tant juridiques que politiques. Nombreux sont les consommateurs qui ont déjà reçu dans leur boite à lettres un paquet contenant des cartes postales ou autres livres par exemple sans les avoir commandés, étant bien entendu qu’il était précisé dans le paquet que si ceux-ci ne souhaitaient pas garder lesdites marchandises, ils pouvaient les renvoyer à l’expéditeur sans avoir à payer les frais d’expédition. Cette pratique commerciale génère un grand nombre d’interrogations aussi bien pratiques que théoriques dans différentes branches du droit : civil, pénal, de la concurrence et bien sûr du droit des contrats. Ne s’agit-il pas d’un mécanisme de vente forcée ? Ce procédé est-il bien conforme au droit de la concurrence ? Face à toutes ces interrogations, il est apparu nécessaire de règlementer cette pratique commerciale en profondeur. Ainsi, en 1997, le Parlement Européen a adopté une directive ayant pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant les contrats à distance entre consommateur et fournisseur. L’article 9 de cette directive prévoit que le consommateur constitue la partie à protéger dans un contrat de vente à distance. Il a été demandé aux Etats membres d’interdire la fourniture de biens ou de services à un consommateur sans commande préalable de celui-ci, lorsque cette fourniture comporte une demande de paiement, d’une part et d’autre part, de dispenser le consommateur de toute contre-prestation en cas de fourniture non demandée, l'absence de réponse ne valant pas consentement. En Allemagne, la transposition de cette directive communautaire est intervenue le 27 juin 2000 avec l’article 241a du BGB (code civil allemand) et ce, au sein même de la partie régissant les rapports d’obligations entre les personnes. Ainsi, l’article 241a BGB pose le principe suivant: „Aucune obligation ni aucune contrepartie ne peut être exigée par un fournisseur (commerçant) à l’encontre du consommateur lors de la livraison de choses non commandées ou lors de l’apport de prestations non commandées.“ („Durch die Lieferung unbestellter Sachen oder durch die Erbringung unbestellter sonstiger Leistungen durch einen Unternehmer an einen Verbraucher wird ein Anspruch gegen diesen nicht begründet“). On parle de la livraison ou de la réception de marchandises non commandées (die Lieferung unbestellter Waren). Malgré l’entrée en vigueur de cet article, le sujet reste toujours controversé en droit allemand aussi bien en doctrine qu’en jurisprudence. Si tous s’accordent à dire qu’il est nécessaire de protéger le consommateur qui reçoit de telles marchandises, l’étendue de cette protection est en revanche contestée. Contrairement à l’Allemagne, c’est dans le code de la consommation que le législateur français a choisi de transposer la directive, et plus précisément à l’article L.122-3. On parle en droit français pour qualifier cette pratique commerciale, non pas de livraison de marchandises non commandées, mais d’envoi forcé, qualification tout aussi imagée. Créé par la loi du 18 janvier 1992, l’article L. 122-3 a simplement été modifié et précisé par l’ordonnance du 23 août 2001 portant transposition la directive communautaire. Si les objectifs poursuivis par le Parlement Européen dans la directive paraissent clairs, des incertitudes persistent cependant, notamment sur le plan contractuel. Est-il possible qu’un contrat naisse de cette pratique ? L’interprétation de l’article 241a du BGB permet de répondre largement à cette interrogation. En revanche, en droit français, il semble que les conséquences contractuelles soient quelques peu occultées en raison du choix du législateur de transposer la directive dans le code de la consommation. Dans cette étude, nous porterons dans un premier temps une attention toute particulière à la valeur ainsi qu’à la nature de la réception de la marchandise non commandée (I). Dans un second temps, nous étudierons brièvement aux différentes réactions possibles du consommateur, pouvant ou non l’engager sur le plan contractuel (II).
I- La valeur et la nature de la réception La réception en tant que telle d’une marchandise non commandée suscite un grand nombre d’interrogations, notamment quant à la valeur qu’il convient de lui apporter. Deux affirmations issues en grande partie de la doctrine apportent quelques éléments de réponse : si la réception d’une marchandise non commandée n’est pas à elle seule créatrice d’un contrat (A), elle peut cependant être perçue comme une offre (B). A- La réception en tant que telle n’est pas créatrice d’un contrat
C’est en effet l’objectif directement poursuivi par la directive communautaire et il est réaffirmé en tant que tel en droit allemand et en droit français. Il ressort ainsi de la lettre même de l´article 241a du BGB qu’aucune obligation légale ou contractuelle à l’encontre du consommateur n’est fondée. C’est bien sûr l’hypothèse de l’obligation contractuelle qui retiendra toute notre attention ici.
En droit français, c’est également la solution retenue. En effet, l’article L.122-3 du code de la consommation pose qu’il ne peut y avoir aucune obligation à la charge du destinataire d’un envoi forcé. Le législateur français n’a pas choisi de transposer la directive dans le code civil, ce qui signifie qu’il n’envisage pas les éventuelles conséquences de l’envoie forcé en droit des contrats. De plus, si l’on se réfère aux principes généraux du droit civil, l’on peut dire que le destinataire n’est pas lié par un contrat, puisqu´il n´y a pas eu de commande de sa part au préalable. En effet, pour qu´un contrat de vente entre le consommateur et le fournisseur soit conclu, il faut nécessairement que le consommateur ait passé commande au préalable auprès du fournisseur. Si tel n´est pas le cas, le processus s´apparente alors à de la vente forcée. En conséquence de quoi, le consommateur n’est tenu ni de payer le prix de vente que pourrait imposer le consommateur, ni de renvoyer l’objet.
B- La réception peut être perçue comme une offre La question qui se pose en doctrine allemande est celle de savoir si la réception d’une marchandise non commandée peut être considérée comme une simple offre de contrat (Antrag) émanant du commerçant. La réponse est positive : il s’agit d’une ébauche de contrat. La doctrine française quant à elle, semble rester muette sur le sujet. Les débats qui ont fait rage quant à la pratique commerciale de l´envoi forcé et ses conséquences ont eu lieu au milieu des années 1970 et retenaient davantage la solution de la prohibition de l´envoi forcé sans se poser la question de savoir si la réception de la marchandise en tant que telle pouvait constituer une offre. (Artz, «la prohibition des envois forcés », D. 1975, chronique 129). Il est important de préciser que pour qu’un contrat soit formé, il faut en droit allemand comme en droit français une déclaration de volonté (Willenserklärung) de la part des cocontractants qui se traduit notamment par l’offre (Antrag ou Angebot) et l’acceptation (Annahme). La doctrine allemande voit dans l’envoi de marchandise une offre réelle (Realantrag), dans la mesure où l’offre de conclure un contrat intervient directement via la réception de la marchandise. (Soergel/ Wolf, §151 Rn15) Le consommateur en est le possesseur (Besitzer) et s’il accepte l’offre et paie le prix de vente, il devient immédiatement le propriétaire (Eigentümer). Pour qu’un contrat soit formé, il manque donc l’acceptation du consommateur. Une question se pose alors : comment savoir si le consommateur accepte l’offre proposée ? L’article 151 du BGB dispose qu’il faut pouvoir déceler des indices extérieurs qui traduisent sa volonté de s’engager (äuβere Indizien zu erschlieβende wirkliche Wille des Annehmenden) (Staudinger/ Bork, BGB, 14. Bearb, §151 Rn15 ; Kramer, in : Münchkomm, BGB, 4. Aufl., §151 Rn 51) Tout le problème est de savoir comment le consommateur perçoit la réception de la marchandise, en tenant compte par exemple des circonstances dans lesquelles elle a lieu. On pourrait ainsi considérer l’offre comme une offre réelle tacite (konkludente Realofferte) (MünchKomm/ Kramer, §145 Rn 3).
II- Panorama des réactions possibles du consommateur et leurs significations sur le plan contractuel Lorsqu’il reçoit une marchandise qu’il n’a pas commandée, le consommateur peut avoir plusieurs réactions. Celles qui retiendront plus longuement notre attention ici sont d’une part le silence du consommateur (A) et d’autre part, l’utilisation de la chose par le consommateur (B). A- La valeur du silence du consommateur En droit allemand, le silence du consommateur ne peut valoir acceptation (Palandt/ Heinrichs, 64. Aufl (2005), § 241a Rn 3). Les exceptions possibles lors de la conclusion d’un contrat classique, selon lesquelles dans certains cas, le silence vaut acceptation n’ont pas vocation à s’appliquer ici. L’intention du législateur était de lutter contre cette forme de vente en général. Ainsi, il attache une importance beaucoup plus importante à l’éventuelle déclaration de volonté du consommateur, par rapport à celle qui doit normalement avoir lieu pour la conclusion de tout contrat. Le commerçant ne pourrait d’ailleurs pas se prévaloir d’une éventuelle clause accompagnant l’envoi, selon laquelle le silence du consommateur vaudrait acceptation. Bien qu’il ne soit pas fait référence de manière explicite au silence du consommateur en droit français, il y a fort à penser que ce serait également la solution retenue. On imagine en effet mal qu’une partie à un contrat puisse être engagée sans avoir exprimé sa volonté, ce qui irait à l’encontre de la protection du consommateur voulue par le code de la consommation. La volonté de conclure un contrat et de s’engager doit donc, selon le droit allemand, être très clairement donnée par le consommateur, c'est-à-dire pas uniquement du point de vue du commerçant (Schwarz, NJW 2001, 1449-1454 ; Kramer in MünchKomm-BGB, §241a Rn. 11 Fn. 12). De plus, le consommateur n’a pas nécessairement besoin de refuser l’offre puisque aucun contrat n’est conclu. Toutefois, un problème se pose concernant l’utilisation de la marchandise par le consommateur ou bien sa revente par exemple. Cela peut-il valoir acceptation tacite ? La doctrine allemande est divisée. (MünchKomm/ Kramer, § 151 Rn 55).
B- Les effets de l’utilisation de la marchandise par le consommateur 1) L’utilisation de la chose par le consommateur ne génère aucune obligation contractuelle, interprétation stricte
Selon une partie de la doctrine allemande, l’article 241a exclut en lui-même toute conclusion de contrat tacite. Ainsi, une acceptation silencieuse du consommateur par usage ou consommation de la marchandise livrée n’est pas possible. Il est même précisé que ce principe s’applique également si le consommateur a la volonté de s’engager. (Sosznitza, BB 2000, 2317 (2323), a.A Riehm, Jura 2000, 505 (511f.)) Si le consommateur peut choisir d’utiliser la chose sans que cela ne soit subordonné à des obligations à l’égard du commerçant, comme le laisse penser une interprétation littérale très stricte de l’article 241a (« aucune contrepartie ne peut être exigée »), cela ne conduit pas à la conclusion d’un contrat. Le but de cette interprétation restrictive de l’article 241a est de sanctionner la pratique de l’envoi forcé comme étant anticoncurrentielle. En effet, elle viole les articles 3 et 7 du UWG (Gesetz gegen den Unlauteren Wettbewerb, loi contre la concurrence déloyale), dans la mesure où elle s’apparente à un processus de vente forcée. Même si le consommateur est sensé pouvoir renvoyer la marchandise dont il ne voudrait pas, dans les faits, il doit d’abord ouvrir le colis pour prendre connaissance du contenu et il est très difficile d’imaginer après cela, qu’il puisse le réexpédier. Il se retrouve alors en possession d’une marchandise qu’il n’a pas souhaitée. Il y a fort à penser que le consommateur non averti conservera la chose et c’est en cela que la pratique s’apparente à de la concurrence déloyale. C’est aussi pour cette raison que les défenseurs de cette théorie s’accordent à dire que même si le consommateur a une volonté réelle de conclure un contrat ou s’il choisit d’utiliser sciemment la chose, ce qui en temps normal constituerait une acceptation, dans le cas de l’envoi forcé, aucun contrat ne peut être conclu. (NJW, 2001, Heft 20, 1451)
2) L’utilisation de la chose par le consommateur fait naître des obligations contractuelles, interprétation large Selon une autre partie de la doctrine allemande, le fait d’utiliser la chose donne naissance à un nouvel acte juridique qui annule la protection de l’article 241a. En effet, l’article 241a a pour seul but de libérer le consommateur de toutes les obligations qui pourraient naître de la réception de la marchandise. Mais, il faut alors bien comprendre que cela ne signifie en aucun cas que le consommateur puisse bénéficier d’un avantage à titre gratuit ou d’une quelconque donation. Par conséquent, s’il choisit d’utiliser la valeur réelle de la marchandise ou de la revendre, on considère alors qu’il accepte l’offre du commerçant. En théorie, le commerçant peut donc se prévaloir des obligations contractuelles et notamment du paiement du prix de vente. Dans la pratique cependant, ceci n’est possible que si le commerçant a connaissance de l’utilisation de la marchandise par le consommateur. On pourrait alors imaginer que le consommateur puisse prétendre au commerçant qu’il a jeté la marchandise parce qu’elle ne l’intéressait pas alors qu’en réalité, il s’en est servi. Cependant, si le commerçant parvient à prouver que le consommateur s’est bel et bien servi de la chose, celui-ci peut alors être poursuivi dans le cadre de la responsabilité contractuelle et être contraint à payer des dommages et intérêts.
Les arguments en faveur de ces deux thèses se défendent. Cependant, il semble que l’interprétation stricte de l’article 241a du BGB soit quelque peu illusoire dans la réalité. En effet, il est plus que probable que le consommateur qui choisit d’utiliser la chose fournisse une contrepartie au commerçant, dans la mesure où lui-même se croira lié contractuellement à ce dernier. On parle ici d’un consommateur moyen qui ignore tous les aspects juridiques que sous-entend la réception d’une telle marchandise. La doctrine française ne s’est pas penchée d’aussi près sur l’interprétation du texte du code de la consommation. Elle s’en est tenue à l’interprétation stricte du texte du législateur qui prohibe tout simplement la pratique de l’envoi forcé. L’éventualité d’une obligation contractuelle n’est pas réellement envisagée. On s’interroge davantage sur la sanction de la pratique, puisqu’il s’agit en fait d’une infraction au sens du code pénal. Il en va d’ailleurs de même en droit allemand, où la pratique est également réprimée au plan pénal.