La recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines envisagée par les lois française et espagnole : une harmonisation européenne obtenue grâce au principe de dignité tiré du droit international des droits de l’homme par Solène CHEDAL-ANGLAY

La recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines, source d’espoir pour soigner des maladies dégénératives soulève de sérieuses questions éthiques plaçant le statut de l‘embryon au cœur des débats divisant les Etats et les acteurs civils d’une même Nation. Les normes nationales françaises, espagnoles et internationales sont soucieuses de concilier l’encouragement du progrès scientifique avec la protection de l’embryon. Étant donné que la matière ne fait pas l’objet d’une harmonisation universellement contraignante mais d’une harmonisation régionale minimaliste, les lois nationales dans le domaine de la recherche sur les cellules souches sont disparates du fait des diverses traditions nationales. Malgré une forte tradition catholique en Espagne, la loi espagnole se veut plus permissive que le droit français normalement pionnier dans ce domaine. L’analyse ci-après a pour but de montrer à travers la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines envisagée par les lois françaises n°800-2004 et espagnole n°14/2007 que le droit de la bioéthique fortement dépendant du progrès scientifique.

Le progrès scientifique, spécialement en matière de bioéthique, transforme profondément la société puisqu’il implique une manipulation du vivant. Les cellules souches embryonnaires et le clonage thérapeutique suscitent à la fois de grandes inquiétudes du fait des risques éthiques qu’ils engendrent mais aussi l’espoir des scientifiques et des malades étant donné les perspectives thérapeutiques qu’elles ouvrent. Le législateur et les gouvernements nationaux, notamment français et espagnols, se doivent d’apporter une réponse objective aux innovations biomédicales ambivalentes qui emportent des conséquences éthiques et sociétales parce qu’elles placent la question du commencement de la vie au cœur du débat. La constante évolution du progrès scientifique impose une adaptation fréquente des instruments normatifs, qualifés, par conséquent, « d’expérimentaux » (Jean René Binet « Le nouveau droit de la bioéthique commentaire et analyse de la loi n °800-2004 du 6 août 2004 »). Tant la Convention d’Oviedo du 4 avril 1997 (article 32) que la loi française n° 800-2004 du 6 août 2004 (article 40-I) prévoient leur propre révision dans un délai maximum de 5 ans. La loi espagnole n° 14/2007, Ley de Investigación Biomédica du 3 juillet 2007 ne présente pas la même flexibilité qui a pour avantage de rendre la norme plus actuelle peut-être au détriment de son effectivité. Ces deux lois nationales adoptées à la suite de discussions houleuses dans les instances de représentation nationales, de même que les actes internationaux qu’elles respectent ont pour souci de rendre compatible le progrès scientifique avec le respect des droits fondamentaux en particulier la dignité de la personne humaine sur laquelle elles se fondent. Le droit international de la bioéthique est un droit récent, évolutif, souple et non contraignant. En revanche, le droit européen, constitué de l’étroite imbrication des règles élaborées par le Conseil de l’Europe et l’Union Européenne permet une harmonisation au niveau régional grâce au principe de dignité humaine emprunté au droit international des droits de l’homme. Doté d’un mécanisme de sanction, le droit européen de la bioéthique est plus efficace que le droit international; son application peut être contrôlée par les juges européens (Cour de Justice des Communautés Européennes, Cour Européenne des Droits de l’Homme) et par les juges nationaux toutes les fois que la norme possède un effet direct. Par ailleurs, dans le domaine de la bioéthique, le droit subit la concurrence d’autres systèmes normatifs émanant de la communauté scientifique et médicale dans un système d’autorégulation impulsé notamment par les comités éthiques. Il semble intéressant, à partir des législations espagnole et française sur la bioéthique, de se pencher sur la convergence des normes internationales et régionales en matière de bioéthique vers un noyau commun qu ‘est le principe de dignité de l’homme. La question mérite une attention supplémentaire puisque dans cette matière riche en interdépendance et tributaire des progrès scientifiques, le législateur doit tenir compte des législations nationales voisines pour éviter une fuite des scientifiques vers les pays les plus permissifs. Il est à noter que l’utilisation du substantif « embryon » dans la présente étude, désigne également les termes «cellules souches embryonnaires».

Partie préliminaire : présentation des données biologiques afin de mieux comprendre les enjeux scientifiques sur les cellules souches embryonnaires

Afin de mieux comprendre les enjeux éthiques et la difficulté pour le législateur de poser un cadre juridique dans un domaine où se côtoient morale et éthique, il y a lieu d’analyser les enjeux scientifiques. Les informations qui suivent sont issues notamment du « rapport Fagniez » ainsi que du « document de travail des services de la Commission, rapport relatif à la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines » notamment. Les cellules souches peuvent, grâce à leur capacité d’auto-renouvèlement, se diviser de façon illimitée sans perdre leur propriété ainsi qu’obtenir des cellules spécialisées. Elles sont dites « souches » car elles sont à l’origine de la lignée cellulaire d’un individu. Les cellules souches peuvent être répertoriées dans un ordre décroissant selon leur potentiel régénérateur. Ce potentiel varie en fonction du stade d’évolution d’une cellule. Tout d’abord les cellules souches totipotentes sont les cellules de l’embryon pendant les premières divisions de l’ovule fécondé, chacune de ces cellules a la capacité de former un organisme entier c’est-à-dire un nouvel embryon. Lors de l’évolution de l’ovule, les cellules se différencient et se spécialisent pour former le blastocyste dont sont issues les cellules souches embryonnaires. Ces dernières sont dites « pluripotentes ». Elles ne sont pas capables de recréer un organisme complet mais peuvent se différencier rapidement en plusieurs types cellulaires spécialisés. Les cellules souches embryonnaires peuvent s’obtenir par la fécondation in vitro ou par la technique du transfert nucléaire, également appelé clonage thérapeutique. Les clonages reproductif et thérapeutique utilisent la même technique de clonage, seul l’utilisation de l’embryon cloné diffère. Cette technique, consiste à transférer le noyau d’une cellule souche adulte dans un ovule dont le noyau a été préalablement retiré. Dans le premier cas, l’embryon cloné peut être implanté dans l’utérus d’une femme pour donner naissance à un être humain génétiquement identique au donneur de la cellule souche adulte. Cette pratique pouvant conduire à l’eugénisme est interdite à l’unisson par l’Espagne et la France respectant la Déclaration Universelle sur le Génome Humain de l’ONU de 1997 et le Protocole du 12 janvier 1998 à la Convention d’Oviedo. Dans la deuxième hypothèse, l’embryon cloné peut être utilisé comme matériau de recherche ou comme moyen d’obtenir des cellules souches embryonnaires. Cette technique qui instrumentalise l’embryon et qui nécessite un grand nombre d’ovules pose des questions éthiques. Les données du débat ont été modifiées en novembre 2007 depuis que des chercheurs ont obtenu des lignées de cellules souches embryonnaires à partir de cellules souches adultes d’un singe par le biais du transfert nucléaire ce qui conduit à se demander si une technique similaire peut être utilisée pour l’homme.(voir en ce sens l’article de La Croix du 16 novembre 2007 cité en bibliographie). Après la naissance, les cellules souches pluripotentes se spécialisent pour devenir des cellules souches multipotentes telles que les cellules souches adultes. Ces dernières peuvent sur un signal biochimique envoyé par un organe lésé se différencier en un type de cellule nécessaire à sa régénération. Cependant leur capacité de différenciation et leur plasticité sont limitées contrairement aux cellules souches embryonnaires. D’un coté, les cellules souches embryonnaires, de par leur faculté de se spécialiser indéfiniment, offrent une source de cellules capable de remplacer n‘importe quel tissu humain sans créer de problèmes immunologiques suite à la transplantation d’un organe. Elles engendrent, par conséquent, des perspectives intéressantes en matière de recherche fondamentale et de médecine régénérative. Seulement, à ce jour les expériences thérapeutiques menées à partir de cellules souches embryonnaires humaines n’ont pas donné de résultat car les chercheurs ne maîtrisent pas encore leur différenciation ce qui fait dire à certains tel que Sr Carlos Maria Romeo Casabona, Professeur de droit pénal à l’Université du Pays Basque, que clonage thérapeutique est une question médiatique. D’un autre côté, les recherches sur les embryons et cellules souches embryonnaires qui en sont issues soulèvent des questions éthiques car le prélèvement des cellules souches implique nécessairement leur destruction. De ces données, ressort la difficulté pour le législateur français comme espagnol de trouver un équilibre entre l’amélioration du bien-être humain, l’encouragement de la recherche sans porter préjudice à la dignité de l’homme (voir en ce sens du préambule de la loi espagnole 14/2007).

I La difficulté de définir le statut de l’embryon pour les législateurs et juges espagnols et français, difficulté également esquivée par les textes intrernationaux et régionaux

La recherche sur les cellules souches embryonnaires met en jeu le statut juridique de l’embryon ainsi que la délimitation d’une notion aussi délicate qu’est le commencement de la vie fomentant des variantes entre Etats ainsi qu’au sein d’un même État. Afin d’encadrer les innovations biologiques, les législateurs se sont penchés sur la question du statut de l’embryon. A partir de quel moment l’embryon est considéré comme une personne humaine ayant droit au respect des droits subjectifs qui lui sont propres tel que la dignité? Aux environs du 14ème jour de grossesse, une fois la nidation achevée ? A partir de la fécondation de l’ovocyte par le spermatozoïde comme le soutient fermement l’Eglise catholique dans le Donum Vitae ?( Donum Vitae, Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le 22 février 1987). Les textes internationaux tels que la Convention d’Oviedo de 1997 ou la Déclaration Universelle sur le Génome Humain et les droits de l’Homme sont des textes flous car ils ne définissent pas la notion d’embryon ce qui altère leur cohérence. En vertu de l’article 18 de la Convention, les législations nationales permettent les recherches sur l’embryon in vitro à condition qu’elles assurent une protection adéquate de l’embryon, entendue à l’article 1 comme une protection de l’être humain dans sa dignité et dans son identité. Tout en reconnaissant que le respect de la dignité de l’être humain est dû dès le commencement de la vie, elle laisse le soin aux Etats Parties de définir l’être humain, qui du fait de leurs traditions disparates, ne peuvent aboutir à un consensus sur sa définition ni sur sa protection. La Convention semble paradoxalement inclure l’embryon dans la protection de la dignité, à son article premier, mais permet aux Etats Parties d’exclure l’embryon de la définition de l’être humain. Malgré les divergences nationales, l’arrêt CEDH 2004 VO c/ France (n° 53924/00 du 8 juillet 2004) relève néanmoins un dénominateur commun entre les Etats membres : celui de l’appartenance de l’embryon à l’espèce humaine. D’un point de vue scientifique, un embryon est défini par « sa capacité à produire un organisme complet et viable ». L’embryon naturel humain, deviendrait, selon cette caractéristique, un individu, soit un véritable embryon, à partir du 14ème jour. L’embryon humain cloné issu d‘un transfert nucléaire détient le potentiel tissulaire nécessaire à la vie à partir de sa nidation. Les cellules souches embryonnaires sont prélevées sur des embryons qui ne seront pas implantés. Cette conception scientifique de l’embryon explique pourquoi les chercheurs considèrent que l’intégrité de l’embryon n‘est pas mise en cause lors du transfert thérapeutique ou de la recherche sur les cellules souches. La loi espagnole 14/2007 distingue l’embryon du pré-embryon dans son article 3. Selon celle-ci, l’embryon est entendu sous l’acception suivante : « phase de développement embryonnaire à partir du moment où l’ovocyte fécondé se trouve dans l’utérus de la mère jusqu’au début de l’organo-génésis, et qui se termine au bout de 56 jours à partir de la fécondation sans compter les jours pendant lesquels le développement aurait pu s’arrêter » tandis que le pré-embryon est compris comme « l’embryon in vitro constitué d’un groupe de cellules résultant de la division progressive de l’ovocyte depuis sa fécondation jusqu’à 14 jours au-delà ». Il semblerait que le produit cellulaire issu du transfert nucléaire ne soit pas entendu comme un embryon tel que défini à l’article 3 de la loi 14/2007, puisqu’il ne connaît pas de phase de fécondation. Cette pratique est contestée car ses opposants définissent l’embryon en fonction de sa potentialité à se développer en tant que personne. Le produit issu du transfert nucléaire ne tombe pas sous la protection de l’article 33.1 car la loi donne une définition restreinte de l’embryon. Le législateur français, contrairement à son homologue espagnol ainsi qu’à la Convention d’Oviedo, reste muet sur la définition de l’embryon. L’article 16 du Code Civil pose le respect de l’être humain dès le commencement de la vie. A partir de quel moment y a-t-il commencement de la vie ? Le travail des juges français éclaire la position française sur le statut de l’embryon in vivo notamment résumée par la décision de la Cour d’Appel de Versailles (CA Versailles 8 mars 1996, Dic perm bioéthique, février 1996, Bull n°32 p3214.) qui énonce que « ni les textes de droit interne, ni aucun texte de droit international applicable en France, ne conduisent à une définition ou à un statut de l’embryon humain avant la fin de la 10ème semaine et par conséquent, pendant cette même période, l’embryon ne saurait être considéré comme une personne humaine titulaire de droits subjectifs » . Dans l’arrêt 53/1885 du 11 avril 1885, le Tribunal constitucional espanol reconnaît le début de la vie humaine et partant une protection attachée à celle-ci dès la gestation, c’est-à-dire entre la fécondation de l’ovule et la naissance, ce qui se produit avant la 10ème semaine. De l’arrêt du Tribunal constitucional espagnol (STC 212/1996 du 19/12/1996 BOE n°17 du 22/01/1997), se dégage le concept de viabilité permettant de distinguer la protection d’un fœtus viable de celle d’un fœtus non susceptible de se développer, de naitre et de devenir une personne (fœtus in vitro), au sens de l’article 10.1 de la Constitution espagnole, sur lequel les expérimentations scientifiques sont possibles. Mais ces différentes positions n’affirment pas clairement le statut de l’embryon du fait de la complexité des concepts qu’il soulève ce qui empêche une harmonisation des règles de bioéthiques.

II Une harmonisation régionale partielle au détriment d’une position universelle internationale concernant la recherche sur les cellules souches humaines

Actuellement, il n’existe pas de règles universellement contraignantes pour tous les Etats en matière de recherche biomédicale et de clonage thérapeutique mais un instrument international consensuel d’harmonisation de ces droits hétérogènes en matière de recherche sur les cellules souches. Il a été possible de poser des règles minimales communes au niveau européen où les traditions étatiques sont les moins hétérogènes. Le principe de dignité a joué un rôle important dans l’harmonisation des règles que contient la Convention d’Oviedo, notamment qui consiste à interdire la constitution d’embryons expressément à des fins de recherche selon l’article 18. Les lois espagnoles et françaises reprennent cette interdiction respectivement aux articles 33.1 et à l’article L2141-8 du Code de la Santé publique (CSP). On parle d’un premier droit européen commun de la bioéthique qui fixe un seuil d’exigence minimale pour tous les Etats Parties, lesquels peuvent établir des normes plus strictes dans leurs droits internes (article 27 de la Convention d’Oviedo). Alors que le clonage reproductif est unanimement condamné par les Etats qui, comme la France et l’Espagne , l’ont intégré dans leurs législations nationales, avec respectivement l’article 1 de la Ley 14/2006 de 26 du mars 2006 sobre Técnicas de Reproducción Asistida (BOE 126 du 27 mai 2006) et l’article 21 de la loi n° 800-2004, il n’existe pas de règle universellement contraignante qui le prohibe. La Déclaration Universelle sur le Génome Humain, adoptée le 11 novembre 1997 et consacrée par la résolution de l‘ONU A/RES/ 53/ 152 malgré sa valeur déclarative, prévoit cette interdiction. Le Protocole à la Convention d’Oviedo du 12 janvier 1998 forme le seul instrument international contraignant en référence au clonage thérapeutique. Le droit français prévoit une double incrimination du clonage reproductif au nouvel article 16-4 du C.Civil modifié par l’article 21 de la loi n°2004-800 et à l’article L 2151-1 du CSP. La loi de 2004 crée la nouvelle catégorie de « crime contre l’espèce humaine » punie d’une peine d’amende de 750 000 000 euros et d’une peine de réclusion criminelle de 30 ans. Le projet de Convention sur l’interdiction du clonage thérapeutique rédigé par une commission désignée par l’ONU sur l’impulsion de la France et de l’Allemagne est pour le moment un échec. Le respect de la dignité humaine, inefficace si chaque État régule la question à sa façon, ne peut être assuré que par une coopération interétatique.

III. Un degré de protection variable de l’embryon en droit français et espagnol au nom du principe de dignité humaine emprunté au droit international des droits de l’homme.

A. Le principe de dignité humaine, intégrée en droit positif français comme espagnol, comme catalyseur des divergences nationales et comme limite à la recherche scientifique

À défaut de statut juridique clairement défini, l’embryon est protégé en droit interne comme international au nom du principe de dignité qui est le fondement du droit de la bioéthique. Ce principe, qui selon Kant empêche de traiter l’homme comme une fin mais comme un moyen, («Agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours comme une fin, et jamais simplement comme un moyen» Kant, Grundlegung der Metaphysik der Sitten Fondements de la métaphysique des ..., 2e éd. Riga, Hartkoch, 1786 (Stuttgart, Reclam, 1952, p. 81), ne joue pas de façon absolue car la loi française, et dans une mesure plus large la loi espagnole, admettent que l’embryon puisse être utilisé à des fins expérimentales. Principe « matriciel » déjà présent dans « l’acte de naissance de la bioéthique » qu’est le Code de Nuremberg de 1947, aujourd’hui règle coutumière, le concept de dignité humaine est une notion polysémique et floue. Il revêt un double aspect : il traite de « l’homme » en tant que membre d’un tout c’est-à-dire l’espèce humaine mais également de « l’homme » pris individuellement ( B. Mathieu, N. Lenoir, « Les Normes internationales de la bioéthique », PUF, 1998). Consacré pour la première fois au niveau international à l’article 10 de la DUDH, puis repris par les Pactes internationaux et civils et politiques de 1966 et implicitement contenu dans l’article 3 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, le principe de dignité humaine forme un socle de droits universels inhérents à l’homme alimentant le droit de la bioéthique. Pour certains, le droit de la bioéthique s’inscrit dans la continuité des droits fondamentaux, pour d’autres tels que B. Mathieu, celui-ci est un droit dérogatoire par rapport au droit commun des doits fondamentaux (« La bioéthique ou comment déroger au droit commun des droits de l’homme », La société internationale et les enjeux bioéthiques , Pédone, 2006, p. 85-94). La Convention d’Oviedo de 1997, signée par l’Espagne et la France mais non ratifiée par cette dernière qui en respecte l’esprit cependant, reprend l’essentiel des recommandations élaborées par le Conseil de l’Europe dans sa mission de sauvegarde et de développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales tel qu’il ressort de l’article 1.b de son Statut. Cette Convention, qui entend le principe de dignité comme une qualité de la personne humaine plus qu’un droit, distingue, dans son article 1, l’être humain de la personne humaine; seul l’être humain est protégé dans sa dignité et son identité . A la lecture de la Convention d’Oviedo, il ressort que les Etats s’obligent par une obligation de moyen de faire le nécessaire pour éviter les violations de la dignité humaine. Sans prétendre envisager exhaustivement les textes européens qui réalisent une harmonisation des législations nationales dans ce domaine, il convient de mentionner la directive 98/44/CE du Parlement et du Conseil Européen du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques. Celle-ci assoit une protection harmonisée dans tous les Etas membres afin d’encourager l’investissement, explique que « les procédés qui portent atteinte à la dignité humaine doivent être exclus de brevetabilité ». Le corps humain, quel que soit le stade de son développement n’est en conséquence pas brevetable (article 5). Dernièrement, la Charte des droits fondamentaux, signée le 13 décembre 2007, qui possède une valeur juridique contraignante pour la France et l’Espagne, entend la dignité humaine comme une des premières valeurs sur laquelle se fonde l’Union et qui a un caractère absolu. Dans les systèmes juridiques espagnols et français, la dignité de la personne est envisagée en droit positif pour traduire les valeurs de la société et pour interpréter les droits fondamentaux. Dès le retour à la démocratie l’Espagne intégré ce principe dans la norme fondamentale à l’article 10.1. La « clause d’interprétation conforme » qui figure à l’article 10. 2 de la Constitution de 1978 implique que les dispositions de la Constitution relatives aux droits fondamentaux soient interprétées conformément aux traités nationaux ratifiés par l’Espagne. La norme fondamentale française ne contient pas de telle clause qui permet d’intégrer le droit international au rang des principes interprétatifs des droits fondamentaux. Même si la République française se conforme aux règles de droit public international, le Conseil constitutionnel a longtemps refusé de contrôler la conformité de l’ordre national avec celui international (la décision IVG 74-54 du 15 janvier). Cette affirmation est nuancée depuis l’arrêt du 10 juin 2004 (décision 2004-496 DC, considérant 6) à propos du le droit européen emportant des conséquences par rapport au droit international. En effet, le Conseil constitutionnel a jugé que la transposition d'une directive communautaire constitue, au regard de l'article 88-1 de la Constitution française de 1958, une obligation non seulement communautaire mais constitutionnelle, à laquelle il ne pouvait être fait obstacle qu'en raison d'une disposition expresse contraire à la Constitution. La France a opéré une intégration jurisprudentielle tardive du principe de sauvegarde de la dignité par la décision constitutionnelle « bioéthique », laquelle a introduit dans le bloc de constitutionnalité français ce principe en s’appuyant principalement sur le Préambule de la Constitution de 1946 (cf. CC, 94-343/344 DC du 27 juillet 1994). La notion de dignité comporte un aspect religieux et moral. Bien que la juridiction espagnole conçoive de façon plus large les éléments de la notion de dignité, les deux juridictions se rejoignent dans le sens où elles consacrent un double caractère au principe de dignité à la fois moral et ontologique (voir en ce sens les composantes dégagées par les juridictions espagnoles et françaises du principe de dignité humaine dans les arrêts STC 53/1985 du 11/04/1985 BOE du 18/05/1985 et décision « bioéthique » précitée de Conseil constitutionnel).

B. Analyse du contenu des lois de bioéthiques françaises et espagnoles concernant la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines et le clonage thérapeutique, produit de la convergence entre droit international et régional vers la dignité humaine

On constate que, dans les législations françaises et espagnoles, la protection de l’embryon au nom du principe de dignité diminue lorsqu’elle se confronte à l’intérêt plus général de protection de la vie. Au niveau européen, alors que la Communauté européenne ne dispose pas de compétence en la matière, le Conseil de l’Europe a été à l’initiative de la Convention d’Oviedo de 1997, à laquelle a participé la Communauté européenne. L’article 18.1 autorise la recherche avec des embryons in vitro c’est-à-dire des embryons surnuméraires issus des techniques de reproduction assistées, si la loi offre des garanties suffisantes pour encadrer cette recherche et si ces embryons n ‘ont pas été créés spécialement à cette fin. Il y a lieu d’étudier les garanties prévues par la loi 14/2007 et la loi du 6 août 2004 Toutes deux appliquent l’article 18.2 de la Convention d’Oviedo en interdisant expressément la constitution d’embryon à des fins de recherche (article 33.1 de la loi 14/2007 et article Art. L. 2151-2 du CSP). Alors que la loi française se présente comme un compromis en autorisant la recherche sur les cellules souches surnuméraires de façon dérogatoire car elle encourage la recherche tout en protégeant l’embryon, la loi espagnole, plus libérale, assoit le principe d’une autorisation sous conditions de ces mêmes recherches exclusivement à des fins thérapeutiques. Elle s’inscrit d’avantage dans une perspective utilitariste : l’accès au bien-être pour un plus grand nombre. La récente loi espagnole n°14/2007 encadre pour la première fois la recherche biomédicale jusqu’alors insuffisamment envisagée par la Convention d’Oviedo. Elle permet la recherche sur plusieurs types de cellules souches. Tout d’abord, elle autorise la recherche sur les embryons humains qui ont perdu leur capacité de développement biologique tout comme sur les embryons morts (article 28) ainsi que la recherche sur les pré-embryons ou ovocytes surnuméraires dans un but lié a l’obtention et au développement de lignées de cellules (article 34.1). Pour tous les cas de dons d’ovocyte d’embryons et de pré-embryons est exigé le consentement du donneur, le respect des principes généraux éthiques dans cette matière et l’existence d’un projet de recherche délivré par l’autorité étatique ou autonomique compétente préalablement au rapport de la Commission de Garantie pour la Donation et l’Utilisation de cellules et de Tissus Humains selon l’article 34. Enfin, elle prévoit l’obtention de cellules souches humaines par le biais du transfert nucléaire à l’article 33.2. Les recherches sur les cellules souches embryonnaires ne concernent que les embryons évoqués ci-dessus et doivent recueillir préalablement le rapport favorable de la Commission de Garantie pour le Don, l’Utilisation de Cellules et de Tissus Humains (Comisión de Garantías para la Donación, la Utilización de Celulas y Tejidos Humanos). La loi espagnole, particulièrement permissive pour un pays à forte tradition catholique, encadre les recherches sur les cellules souches embryonnaires. En autorisant n’importe quelle technique d’obtention de cellules souche embryonnaire à des fins de recherche ou thérapeutique, l’article 33 de la loi 14/2007 risque d’autoriser l’obtention d’embryons à partir de matériel génétique provenant à la fois d’animal et d’homme. Cette technique hybride autorisée au Royaume-Uni, contestée au niveau éthique, pourrait pallier la pénurie d’ovules humains. La loi espagnole porte à confusion car elle utilise deux termes différents « investigación » et experimentación ». La convention d’Oviedo de 1997 utilise seulement le substantif « experimentación » ce qui pousse à s’interroger sur la compatibilité de l’article 33.1 de la Convention d’Oviedo avec l’article 18.2 de la loi 14/2007. Peut-on considérer que le terme « investigación” est plus large que celui d’ « experimentación » qu’il englobe et qu’il consiste en des observations non manipulatrices ? Tandis que le substantif « experimentación » supposerait une intervention manipulatrice ? Les recherches sur les cellules souches embryonnaires, envisagées au titre V chapitre III de la loi n°800-2004, sont limitées en droit français puisque le principe est celui de l’interdiction posé à l’article L-2151-5 du CSP modifié par la loi du 6 août 2004. Néanmoins, celle-ci prévoit un dispositif dérogatoire valable pour une durée temporaire de 5 ans afin de comparer la potentialité des cellules souches thérapeutiques par rapport aux cellules souches adultes. La loi n° 14/2007 particulièrement avant-gardiste pour un pays à forte tradition catholique, prend le risque de porter entièrement ses espoirs sur les cellules souches embryonnaire même si aucune expérience scientifique n’a encore abouti, par conséquent elle n’est pas expérimentale et se veut particulièrement futuriste. En vertu de l’article L2151-8 du CSP, les recherches sur les cellules souches embryonnaires surnuméraires sont autorisées lorsqu’elles réunissent la triple condition cumulative vérifiée par l’Agence de biomédecine instituée par la loi: obtenir l’autorisation du couple concerné, permettre des progrès thérapeutiques majeurs et ne pas pouvoir être effectuée par une méthode alternative d’efficacité comparable. Cette dernière condition est remise en cause par la découverte mentionnée ci-dessus en novembre 2007. En outre, Le gouvernement français a donné pleine efficacité à la loi 800-2004 avec l’adoption du décret d’application du 28 septembre 2004 afin de permettre aux chercheurs de travailler immédiatement. (Décret relatif à l’importation à des fins de recherche de cellules souches embryonnaires aux protocoles d’études et de recherche et à la conservation de ces cellules et portant application de l’art 37 de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique.).

Il convient de noter que l’adjectif « thérapeutique » pour qualifier le clonage est impropre car cette technique détruit l’embryon qu’il utilise. Il serait plus cohérent de le nommer « clonage à visée de recherche ». Lors des débats portant sur la révision de la loi française de 1994, la possibilité d’autoriser le clonage thérapeutique avait été émise avant d’être rejetée par avis du 14 juin 2001 du Conseil d’Etat suivi par le gouvernement. Aux termes de la loi de 2004 le clonage thérapeutique, induisant la réification de l’embryon, l’instrumentalisation des femmes et franchissant un premier pas vers le clonage reproductif, est un délit puni de 100.000 euros d’amende. En revanche, La loi espagnole, tout en affirmant la garantie de la dignité humaine dans son article 1 et dans son préambule autorise paradoxalement le clonage thérapeutique dans son article 33.2 de la loi 14/2007 à condition d’obtenir le rapport favorable de la Comisión de Garantías para la Donación y Utilización de Células y Tejidos Humanos. Le Royaume-Uni autorise le clonage thérapeutique mais n‘est pas partie à la Convention d’Oviedo. Comment la législation libérale espagnole justifie-t-elle d’un point de vue éthique cette possibilité de créer des cellules souches à partir de cellules souches embryonnaires issues du transfert nucléaire? Le fondement de l’autorisation du transfert nucléaire se trouve dans la distinction de nature entre un embryon issu du transfert nucléaire et celui issu du mariage de deux gamètes de façon à échapper à la vision conservatrice de l’église catholique et d’appliquer la Convention d’Oviedo et son protocole additionnel. Pour le législateur espagnol, le Protocole Additionnel à la Convention d’Oviedo laisse aux Etats le soin de déterminer si le produit immédiat d’un transfert nucléaire, quel que soit le but recherché, est ou non un être humain au sens ou l’entend le Protocole donc le recours à cette technique à des fins non reproductives ne tomberait pas sous l’interdiction de créer un être humain génétiquement identique à un autre être humain. Une proposition de loi du 24 mai 2005 visant à autoriser les recherches sur le clonage thérapeutique a déjà été déposée à l’Assemblée nationale alors même que la révision de la loi de 2004 est prévue en 2009. Étant donné que le droit de la bioéthique est un droit tributaire des avancées technologiques qu‘il encadre, le législateur français devrait reconsidérer la question de la légalisation du clonage thérapeutique et de l’autorisation de la recherche sur les cellules souches ainsi que de la ratification de la Convention d’Oviedo de 1997 afin de rattraper le retard du droit français actuellement obsolète dans une matière tant évolutive.

Bibliographie

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