La surcharge financière de la caution, moyen de sanction d’un contrat de cautionnement abusif, principe issu de l’arrêt du BGH du 14 octobre 2004, par Aurélie van MILTENBURG

Dans sa décision du 14 octobre 2004, le BGH (cour de cassation allemande) a décidé qu’un contrat de cautionnement conclu par un salarié au profit de son employeur était nul s´il était victime d´une surcharge financière importante (krasse finanzielle Überforderung). Un tel contrat est atteint de nullité dans la mesure où, il viole les bonnes mœurs (§ 138 du BGB). Cette décision est l’occasion de faire une comparaison avec la situation des contrats de cautionnement illicites en France. Les contrats de cautionnement susceptibles d’être annulés sont-ils similaires en Allemagne et en France ? Le caractère de la surcharge financière joue-t-il dans les deux pays ? Y avait-il une jurisprudence antérieure en Allemagne ? Comment est-il possible de contrôler le contenu de ces contrats ? Autant d’interrogations que nous nous efforcerons d’éclaircir dans ce billet.

La place des contrats de cautionnement à l´heure actuelle est toujours plus importante. C´est la garantie privilégiée lors de la conclusion d´un contrat de prêt ou d´un contrat de bail par exemple. En droit des sûretés, le cautionnement représente la sûreté personnelle par excellence. Celui-ci est très facile à mettre en place : le créancier a, dès l’origine, un droit sur le patrimoine du débiteur principal grâce au contrat de base (contrat conclu entre le créancier et le débiteur). Avec le cautionnement, il obtient un droit accessoire sur le patrimoine de la caution (tiers au contrat de base). Le contrat de cautionnement est donc conclu entre la caution et le créancier ; le débiteur du contrat de base n´est que tiers à ce contrat. Le contrat de cautionnement est accessoire au contrat principal, ce qui signifie qu´il ne sera mis en œuvre que si le débiteur principal se trouve dans l´impossibilité d´honorer sa dette. Le créancier pourra alors automatiquement faire jouer le caractère accessoire du cautionnement et se retourner contre la caution (celle-ci pourra ensuite mettre en place des poursuites à l´encontre du débiteur principal une fois qu´elle aura payé) On différencie trois sortes de cautions: les cautions professionnelles d’un côté, qui représentent une sûreté très forte. Elles sont le plus souvent proposées à titre onéreux. L’exemple typique est le cautionnement bancaire. D’un autre côté, on trouve les cautions personnes privées, membres de la famille du débiteur principal, qui acceptent de conclure un contrat de cautionnement en raison du lien émotionnel qui les relie au débiteur principal. Ces cautions sont donc le plus souvent inexpérimentées et rendent un service à titre purement gratuit. On peut notamment penser aux enfants, parents ou époux. On parle de cautionnement familial en droit allemand (Angehörigenbürgschaft). Enfin, on trouve également les cautions personnes privées mais qui sont elles expérimentées, à la différence du deuxième type de caution. C’est par exemple le cas avec les cautionnements conclus par des associés au bénéfice de leur société. Ce dernier exemple a été largement sujet à débat en droit français. Ce sont principalement les deux derniers types de cautionnements qui sont susceptibles de poser des problèmes, notamment sur la question de savoir si les personnes qui se portent caution peuvent ou non bénéficier d’une protection. La cour de cassation allemande s’est longtemps interrogée sur le sujet de la validité de ces contrats de cautionnement et a tranché en faveur d’une protection pour les cautions salariées dans son arrêt du 14 octobre 2004 (XI ZR 121/02, NJW 2004, 161). Dans les faits d’espèce, un salarié (le défendeur) s’était porté caution solidaire à hauteur de 200.000 DM pour un prêt consenti par une banque (le demandeur) à la société dans laquelle il était employé. Il percevait un salaire mensuel de 2.220 DM. Le salarié a fait l’objet de poursuites de la part de la banque à hauteur de 70.000 DM en raison de l’insolvabilité partielle de la société. Il a cependant invoqué l´illicéité du contrat de cautionnement en se fondant sur la surcharge financière dont il était victime (krasse finanzielle Überforderung). Il est intéressant de comparer la jurisprudence de la cour de cassation française sur le sujet des contrats de cautionnements illicites. De plus, quels sont les moyens dont disposent les juges pour contrôler ces contrats ?

Première approche du droit du cautionnement Si l’on réfléchit simplement, on pourrait dans un premier temps penser que, seul le créancier devrait bénéficier d’une protection contre l´éventuelle insolvabilité de la caution. En effet, s’il s’avère que le débiteur est insolvable, la sûreté dont bénéficie le créancier est nulle de facto et celui-ci n´a alors plus aucune garantie de remboursement dans le cadre d´un contrat de prêt par exemple. On peut d’ailleurs remarquer à cet égard que, la solvabilité de la caution n’est envisagée dans le code civil (art. 2295) qu’en faveur du créancier (D. Robine, "la sanction du cautionnement disproportionné", Revue Lamy droit civil 2004, p 22). Néanmoins, une telle approche ne prend pas en considération l´hypothèse des cautionnements excessifs. L’exigibilité de la somme due peut en effet provoquer l’endettement de la caution dans certains cas (D. Legeais „Sûretés et garanties du crédit“, LGDJ 2006, n°170, p 139)

C’est pour cette raison que les tribunaux et les législateurs aussi bien en Allemagne qu’en France ont tenté d’encadrer et de règlementer fermement ces contrats afin d’éviter tout débordement abusif.

La surcharge financière de la caution, fondement du raisonnement de la cour de cassation allemande L’enjeu principal de l´arrêt commenté est la possible analogie entre les cautions familiales (consenties par des membres de la famille du débiteur) et les cautions salariales. En effet, le Bundesverfassungsgericht (cour constitutionnelle fédérale allemande) avait déjà dans une décision en 1993 (BVerfGE 89, 214 ; NJW 1994, p 36), posé le principe selon lequel, les tribunaux civils devaient procéder au contrôle du contenu des contrats de cautionnement et apporter une éventuelle correction si ceux-ci impliquaient une surcharge financière trop importante pour les cautions familiales et qu’il en résultait une infériorité de la caution par rapport au créancier (souvent une banque). On peut par ailleurs remarquer que les contrats de cautionnement conclus par des salariés sont moins fréquents que ceux conclus par des membres de la famille du débiteur. Il s’agit davantage d’un phénomène marginal (NJW 2004, Heft 24, 1708). L´argument de la surcharge financière invoqué ici par le salarié fait bien évidemment référence à l´arrêt du Bundesverfassungsgericht et par conséquent pousse le BGH à s´interroger sur le caractère similaire ou non de ces deux types de cautionnement. C´est donc en faveur de cette similitude que la cour tranche en reprenant le critère de la surcharge financière de sa jurisprudence antérieure. Ce critère est-il également de mise en droit français ? Tel n´est pas le cas. En droit français, on parle en effet volontiers du critère de la disproportion manifeste.

La disproportion manifeste, critère permettant de sanctionner un cautionnement abusif un droit français. Le problème des contrats de cautionnement conclus par des salariés ne se pose pas en tant que tel en droit français. La cour de cassation a plutôt à connaître de contrats de cautionnement conclus par des associés au profit de leur société. Si le droit allemand se pose la question de l´analogie entre les cautions familiales et les cautions salariales, le droit français lui, s´interroge sur une protection similaire à accorder aux cautions familiales et aux cautions associés de société. Avec le cautionnement des associés de sociétés, on se trouve non plus dans la deuxième catégorie de cautions relative aux cautions inexpérimentées, mais dans la troisième catégorie, à savoir des cautions expérimentées ou du moins sensées l’être. Il s’agit donc d’un phénomène très différent du cautionnement salarial allemand. En effet, si ces cautions sont les associés d’une société, ils connaissent en toute logique la situation financière de celle-ci et sont donc plus à même de savoir qu’un époux, un parent ou un salarié, les risques qu’ils encourent en se portant caution. Cependant, la cour de cassation française a longtemps hésité quant au sort à leur réserver. Sont-elles malgré tout dignes de protection ? Ce n’est qu’à la suite d’une longue évolution et après des revirements jurisprudentiels importants que la solution semble désormais avoir été trouvée : les cautions associés de sociétés sont dignes de protection au même titre que les cautions familiales.

La première loi qui apporte une protection aux cautions a pour cible les personnes privées. Il s´agit de la loi « Neiertz » du 31.12.1989. Elle différencie les cautions expérimentées comme les associés et les cautions inexpérimentées, comme les membres de la famille du débiteur. Selon le législateur, seules les cautions inexpérimentées sont dignes de protection dans la mesure où, elles seules seraient susceptibles de conclure un contrat de cautionnement disproportionné. La loi protège donc uniquement le consommateur en tant que partie faible à un contrat. Le principe capital qui est posé est celui de proportionnalité. Il s´en suit qu´aucune disproportion ne doit exister entre les capacités financières et patrimoniales de la caution et sa responsabilité éventuelle issue du contrat de cautionnement. Cependant, malgré le champ d´application légal restreint de ce principe, la cour de cassation a décidé dans la décision « Macron » du 17.06.1997 de l´élargir aux associés et aux gérants de société, c´est-à-dire aux cautions expérimentées. L´accueil de la décision en doctrine fut pour le moins réservé car celle-ci voyait là un moyen offert aux associés d´avoir la possibilité de se libérer de leurs obligations s´ils le souhaitaient. Elle craignait des abus qui bien évidemment eurent lieu. Les gérants et associés se portaient en effet cautions au profit de leur société et au moment même où la dette issue du contrat de cautionnement devenait exigible, ils invoquaient le principe de proportionnalité afin d´être libérés de leurs obligations pour contrat abusif. On s´est alors trouvé confronté à un problème de taille, car les banques, qui ne disposaient plus de garanties sûres, refusaient d´accorder des prêts aux sociétés. C´est donc pour faire cesser les critiques doctrinales et pour rétablir l´efficience du cautionnement, que la cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence important avec la décision « Nahoum » du 8.10.2002. Elle a en effet décidé de limiter le champ d´application du principe de proportionnalité, en revenant aux seules cautions inexpérimentées. Néanmoins, ce changement n´a été que de courte durée, puisque dès le 1.08.2003, c´est cette fois-ci le législateur lui-même qui a de nouveau élargi le champ d´application du principe de proportionnalité aux cautions expérimentées avec la loi « Dutreil ». Il entend ainsi favoriser et encourager le développement et la création des entreprises. La loi « Dutreil » offre d´ailleurs aux juges français différents instruments pour déceler le caractère abusif de certains contrats de cautionnement. En droit allemand, ces instruments émanent directement du code civil.

Des mesures de contrôle formelles : l´obligation d´information et le formalisme Avec l´obligation d´information, le créancier est tenu d´informer la caution sur l´insolvabilité du débiteur principal. En droit allemand, elle se situe au moment de la conclusion du contrat de cautionnement. Selon la jurisprudence du BGH, une telle obligation n´incombe au créancier que pour les cautions inexpérimentées (NJW, 2001, 1022). D´après le § 242 du BGB, le créancier doit se comporter de bonne foi, ce qui signifie donc qu´il doit avoir informé la caution sur la signification et sur les risques inhérents au cautionnement. S´il ne remplit pas ces obligations, cela peut avoir pour conséquence la nullité du contrat de cautionnement. Par ailleurs, l´obligation d´information peut exister dans certains cas, lorsque le créancier sait que la situation financière du débiteur principal est déjà compromise lors de la conclusion du contrat de cautionnement (Lwowski, Das Recht der Kreditsicherung, 8. Auflage, Rn. 189). Le législateur français, quant à lui, a en plus prévu une autre hypothèse : le créancier doit certes agir de bonne foi lors de la conclusion du contrat, mais il doit également informer la caution sur les capacités financières du débiteur principal pendant toute la durée de celui-ci. Ceci ressort du code de commerce et concerne par conséquent dans la plupart des cas les associés. D´autre part, il y a aussi une obligation d´information annuelle sur l´évolution de la dette. Concernant le formalisme, il faut noter que dans les deux droits, celui-ci se caractérise par la nécessité de recourir à la forme écrite. En droit allemand, c´est le § 766 du BGB qui prévoit que la déclaration du cautionnement doit être donnée par écrit pour que celui-ci soit valide. Celle-ci se caractérise le plus souvent par une simple signature et c´est pour cette raison que la doctrine a admis la nécessité d´établir une analogie avec les règles issues de la loi sur le crédit à la consommation. En effet, cette seule exigence qui consiste pour la caution à apposer sa signature pour que le contrat soit valablement formé, semble bien mince par rapport à l’engagement de la caution. Cette volonté d’encadrer plus fermement la conclusion des contrats de cautionnement en droit allemand s’applique tout particulièrement aux cautions familiales et salariales. La solution choisie de se référer aux règles de la loi sur le crédit à la consommation le montre d’ailleurs bien. On se trouve ici encore dans une optique de protection du consommateur, cette fois à l’égard du créancier qui rappelons le, est le plus souvent une banque. Il est donc nécessaire de protéger le simple particulier en conditionnant la conclusion d’un tel contrat à d’autres formalités qu’une signature. C’est d’ailleurs un peu la voie qu’a choisi le droit français, à savoir d’encadrer de façon assez stricte la conclusion de tels contrats en subordonnant leur validité à l’accomplissement de plusieurs conditions. Ainsi, l´article L. 341-2 du code de la consommation pose une obligation d´accord écrit de la caution. Cet accord décrit ce que l´on appelle le « formalisme ad validitatem », ce qui signifie que si cette condition d´accord écrit n´est pas remplie, le contrat est nul. Bien évidemment, tout comme en droit allemand, la future caution doit aussi apposer sa signature. On peut remarquer un point intéressant lorsque l’on s’intéresse au formalisme propre à la conclusion de ces contrats en droit allemand et en droit français. La protection garantie aux cautions salariales et familiales émanent dans les deux cas de textes spéciaux sur la protection du consommateur en tant que partie faible à un contrat. Certes, le droit français à l’inverse du droit allemand s’est doté d’un code spécial sur la protection du consommateur, ce qui explique donc la logique selon laquelle les règles en faveur du consommateur en émanent. Cependant, il n’y a pas de code de la consommation en droit allemand. C’est normalement le code civil lui-même qui consacre la protection du consommateur, comme c’est le cas par exemple en ce qui concerne les contrats conclus à distance ou les conditions générales de vente. On peut donc s’étonner ici que le BGB n’ait pas prévu de conditions supplémentaires à l’apposition d’une simple signature et qu’il faille avoir recours à une loi spéciale. Des mesures de contrôle s´attachant au contenu même du contrat Lors de contrats de cautionnement dont la somme garantie dépasse les capacités financières et patrimoniales de la caution, on peut se poser la question de la nullité du contrat. La cour fédérale allemande a, dans sa décision du 19.10.1993, décidé que les « perturbations structurelles de la parité du contrat » (strukturelle Störungen der Vertragsparität) sont également à prendre en considération pour décider de la nullité éventuelle du contrat (BVerfGE 89, 214 (233 f.)) Elle a posé trois conditions cumulatives qui permettent de conclure à la nullité des contrats de cautionnement familiaux, dont on sait désormais que l´analogie avec les contrats de cautionnement salariaux est possible. La caution doit tout d´abord être complètement surchargée financièrement par le contrat (krasse finanzielle Überforderung). La surcharge financière est caractérisée si la caution ne peut pas payer les intérêts de la créance principale en une seule fois (Palandt-Heinrichs, BGB, § 138 Rn. 38 b). De plus, le critère du lien émotionnel rattachant la caution au débiteur principal doit être rempli, ce qui peut être présumé si la première condition est déjà remplie, dans la mesure où, le cautionnement a été conclu sans estimation rationnelle. La troisième condition découle du fait que la caution soit inexpérimentée. Celle-ci ne peut en effet pas évaluer les risques économiques que lui fait courir un tel contrat, ce que le créancier sait et utilise de façon condamnable (verwerfliche Weise). Plus précisément, depuis 2003, la cour de cassation allemande pose particulièrement en tant que critère déterminant pour les contrats de cautionnement entre les banques et les cautions inexpérimentées, le degré de disproportion entre la somme garantie et les capacités financières de la caution. On se rapproche donc de la disproportion manifeste du droit français, ce qui signifie que les critères de surcharge financière et de disproportion tendent à converger. En droit français, les juges contrôlent le contenu du contrat à l´aide du principe de proportionnalité issu de l´arrêt « Macron ». Il s´en suit que la théorie des vices du consentement peut jouer un rôle très important pour déterminer l´éventuelle disproportion dans le contrat. C´est particulièrement le dol et notamment les manœuvres dolosives (le plus souvent de la part de la banque) qui sont sanctionnés. Ces manœuvres consistent par exemple à affirmer à la caution peu de temps avant la conclusion du contrat de cautionnement que la situation financière du débiteur principal est saine alors que le créancier sait que le débiteur a déjà des dettes importantes (Com, 7 février 1983). Bien qu´elle soit admise de façon très limitée, l´erreur peut aussi être pertinente. Il ne peut en effet s´agir que d´une erreur sur la solvabilité du débiteur principal au jour de l´engagement de la caution. Cependant, la caution ne peut être libérée de son obligation contractuelle de payer la somme réclamée qui si elle démontre en plus que la solvabilité du débiteur principal était pour elle la condition même de son engagement (Civ 1ère, 19 mars 1985). Néanmoins, il faut remarquer concernant les vices d’erreur et de dol que la cour de cassation ne les admet que de façon excessivement restreinte. En droit allemand, il n’est pas du tout courant de contester un contrat de cautionnement sur le fondement des § 119 et § 123 du BGB, équivalents plus ou moins à l’erreur et au dol français. Il faut à cet égard que la caution ait été victime de violence morale, ou que le créancier lui ait caché volontairement l’importance de son engagement et de sa possible responsabilité. Mais, dans la mesure où le BGH donne assez facilement raison à une caution familiale ou salariale dès lors que celle-ci invoque l’illicéité du contrat sur le fondement du § 138 du BGB, le recours aux § 119 et § 123 du BGB est plutôt rare.