L'avenir du droit européen des contrats: objectifs et application du cadre commun de référence - Par Bénédicte DOUBLIEZ

Dans sa résolution sur le droit européen des contrats et la révision de l’acquis , le Parlement européen salue le travail actuellement en cours en la matière sous l’égide de la Commission européenne : « l’initiative en cours est d’ores et déjà la plus importante dans le domaine du droit civil ». Il approuve et encourage le processus enclenché mais ajoute que « de nombreux chercheurs et intéressés travaillant au projet sont persuadés que le résultat final sera, à terme, un code européen des obligations, voire un véritable code civil européen ».

Les travaux de révision de l’acquis communautaire, exposés par la Commission, méritent en effet d’être salués, mais la formule du Parlement européen révèle cette ambiguïté inhérente aux objectifs poursuivis par ces travaux. Certes, l’objectif de révision de l’acquis communautaire, donc du droit dérivé existant, est affirmé à maintes reprises, mais le spectre d’un Code européen des contrats fait régulièrement son apparition, du côté des chercheurs comme des institutions communautaires.

Or le travail des chercheurs dépend étroitement de l’objectif qu’ils sont tenus de poursuivre, et la légitimité de leurs travaux se mesure à la volonté politique et démocratique qui soutient le projet. Les chercheurs doivent-ils résoudre en détail les problèmes de divergences entre les législations nationales et combler les lacunes du droit communautaire dérivé que la consultation de 2001 a révélés ? Ou poursuivent-ils un objectif plus ambitieux, mais aussi plus polémique, qui serait d’élaborer un Code européen des contrats ? Sans être absolument écarté ni affirmé, l’objectif de préparer un instrument optionnel jette un trouble sur les travaux des chercheurs et un certain discrédit sur la légitimité de l’intervention de la Commission.

Le Cadre Commun de Référence (CCR) qui est le résultat attendu de ces travaux paraît s’inscrire à mi-chemin des deux voies de réforme et cette ambiguïté pourrait nuire à la cohérence et à la transparence de la démarche. Le présent article tâchera donc de clarifier les objectifs (I) et les perspectives d’application du CCR (II).

I Un objectif annoncé et légitime : la révision de l’acquis communautaire en droit des contrats

Les travaux de révision de l’acquis communautaire en droit des contrats répondent à une attente et un besoin de cohérence réels (A). Forts de cette légitimité, ils permettent l’élaboration d’un instrument original et nécessaire (B). A. Définition de la « révision » : un souci de cohérence et de modernisation 1. un travail ambitieux

Selon la Commission, la révision de l’acquis communautaire en droit des contrats implique la simplification et la clarification du contenu de la législation existante, la révision de la qualité rédactionnelle, et la suppression des incohérences entre les différents instruments communautaires. Il s’agit aussi d’« adapter la législation existante aux développements économiques et commerciaux, qui n'étaient pas prévisibles au moment de l'élaboration de ces textes » . La révision porte donc sur la matière législative actuelle mais suppose aussi d’opérer les modifications estimées nécessaires, et donc de créer des règles nouvelles.

L’équipe d’experts et les parties prenantes associées au projet sont chargées du « diagnostic » des lacunes et des dysfonctionnements actuels, et sont invités à faire des propositions de changement. Ils font à cette fin une analyse juridique comparative de l’application des directives dans les Etats membres et, notamment, des jurisprudences nationales et grandes décisions administratives ayant valeur de précédent .

C’est ainsi vers une refonte du droit européen des contrats que s’oriente le travail de révision, plutôt que vers une simple consolidation ou codification . Cet aspect novateur de la révision amène Astrid Marais à qualifier le CCR de « code-innovation » par opposition à un « code-compilation » . 2. une révision attendue

Cet effort de révision de l’acquis communautaire est louable à plusieurs égards.

Il fait d’abord écho aux résultats de la consultation de 2001 où une « majorité écrasante » s’est montrée favorable à l’option III proposée par la Commission et qui consistait en l’« amélioration de la qualité de la législation déjà en vigueur » .

La révision s’inscrit ensuite dans un projet plus vaste de simplifier et améliorer la législation communautaire. De nombreux programmes existent en ce sens dont le projet pilote SLIM lancé en 1996, ou l’adoption en juillet 2001 du livre blanc sur la gouvernance afin de "veiller constamment à améliorer la qualité, l'efficacité et la simplicité des actes réglementaires". Plus récemment, ce besoin de simplification a encore été confirmé en avril 2006 lors de la consultation de la Commission sur la future politique du marché unique.

Enfin, cet engagement des institutions communautaires pourrait avoir valeur d’exemple auprès des Etats membres qui semblent parfois souffrir eux-aussi d’une inflation législative !

Pour toutes ces raisons, la voie de la révision est celle qui permet à la Commission d’agir en matière de droit européen des contrats sans susciter de critiques quant à sa compétence notamment. Forte de cette légitimité, la Commission peut élaborer un instrument original qui soit lui-même le reflet de cette cohérence et de cette clarté recherchées. B. L’outil de la révision : l’élaboration d’un « code-innovation »

La Commission a présenté la structure envisageable de cet instrument appelé Cadre Commun de Référence. Le CCR a ainsi vocation à énoncer les principes fondamentaux (1er volet), à définir avec précision les termes juridiques (2ème volet) et à présenter des modèles cohérents de règles du droit des contrats inspirés de l’acquis communautaire ou des meilleures solutions contenues dans l’ordre juridique interne des Etats membres (3ème volet) .

Le CCR est donc destiné à traiter du général et du particulier, du droit commun et des droits spécifiques, autrement dit il allie une approche générale à une approche plus sectorielle de l’acquis communautaire (A) ; le choix de la codification fait toutefois resurgir le doute quant au véritable objectif poursuivi : l’objectif de révision nécessite-t-il un tel instrument ? (B) 1. Approches sectorielle et globale

En tant que résultat attendu de la révision, l’instrument doit être le reflet cohérent et modernisé de l’acquis communautaire.

La recherche de définitions et principes communs dans les premiers volets est nécessaire pour permettre la cohérence du système dans son ensemble. Mais une approche trop générale ne semble pas pouvoir répondre aux problèmes spécifiques identifiés par la Commission elle-même ou par les opérateurs économiques lors de la consultation en 2001. De plus, elle ne répondrait peut-être pas aux attentes des juristes anglais qui sont favorables à des dispositions très détaillées, suivant la tradition anglaise qui consiste à envisager toutes les circonstances différentes possibles .

Inversement, des règles plus précises répondant à des problèmes contractuels spécifiques (3ème volet) sont indispensables au regard des besoins de révision. Mais une approche ciblée sur la protection des consommateurs par exemple ou sur le droit des assurances, qui comptent parmi les domaines où la révision apparaît la plus utile et urgente, serait insuffisante à plusieurs égards. Ainsi comme l’exprimait un des experts lors de la Conférence sur la progression du CCR qui s’est tenue à Vienne en mai 2006 : « l’on ne peut examiner les textes de révision de l’acquis sans examiner dans le même temps les textes généraux de droit des contrats qui y sont directement liés ou qui en constituent l’arrière plan essentiel.» En effet, les contrats conclus avec les consommateurs par exemple sont d’abord des contrats soumis aux règles générales du droit des contrats : si ces dernières offrent déjà les garanties suffisantes, il est exclu que de nouvelles règles spécifiques de protection soient édictées.

Dans cette mesure, les trois volets du plan proposé se complètent. Cette cohérence, propre à la codification, met en exergue le fait qu’il s’agit là d’un véritable code européen des contrats. 2. CCR ou code européen des contrats

Le plan proposé fait sans aucun doute écho à la table des matières d’un code, et on peut avec raison s’étonner avec Astrid Marais : Si le CCR n’est pas un Code européen des contrats, alors qu’est-ce qu’un code ? concluait-elle .

Tout d’abord, que l’instrument soit qualifié de Cadre Commun de Référence et non de code, ce qui n’est pas faux mais apparemment réducteur, marque indubitablement le souci de la Commission de ne pas alarmer les détracteurs d’un code européen des contrats.

Par ailleurs, au regard des développements exposés jusqu’à présent, le choix d’une telle structure paraît en réalité justifié et adapté. La révision de l’acquis communautaire aurait également pu s’opérer par la révision des directives prises individuellement. Mais la démarche aurait été fastidieuse, notamment pour les législateurs nationaux, et le résultat une bien maigre consolation pour le travail considérable que représente l’étude comparée des législations et jurisprudences nationales. En optant pour une structure codifiée, la Commission permet ainsi que le travail actuel crée un instrument digne des efforts fournis et susceptible de produire des effets à long terme.

Car quoiqu’il ait la forme d’un Code européen des contrats, le CCR n’a pas nécessairement vocation à être utilisé comme un Code par les parties au sens courant du terme ; sa vocation est de produire d’autres effets comme l’étude des perspectives d’application le révèle.

II Les perspectives d’application du CCR

Les perspectives d’application du Cadre Commun de Référence s’inscrivent avec cohérence dans le projet de révision de l’acquis communautaire (A). En revanche, l’utilisation du CCR comme instrument optionnel à usage des parties, plus problématique et polémique, semble devoir être décidément écartée (B). A. L’application du CCR aux fins de clarté et cohérence du droit européen des contrats

La révision de l’acquis communautaire suppose de remodeler le présent et de préserver, à l’avenir, ce travail accompli. Les perspectives d’application du CCR reflètent cette dualité du projet. 1. Une « boîte à outils » pour l’élaboration de nouveaux instruments

Le CCR est en premier lieu destiné à servir à la Commission de boîte à outils pour l’élaboration de nouveaux instruments qui réorganisent les textes existants.

La Commission envisage ainsi d’élaborer une directive sur les contrats de vente de marchandises entre professionnels et consommateurs afin de rassembler en un ensemble cohérent « des aspects contractuels de la vente actuellement éparpillés dans plusieurs directives » . D’autres actes communautaires suivront, dont le contenu sera guidé par le CCR.

Un doute subsiste cependant quant à l’opportunité du recours à la directive. Elles laissent par définition une latitude aux législateurs qui contribue généralement plus aux divergences qu’au rapprochement des législations. Même si elles sont directement inspirées du CCR, et en parfaite adéquation avec les principes et autres règles qui y sont énoncées, l’intervention du législateur national pourrait briser cette harmonie. Aussi les experts préconisent-ils comme solution de bannir les clauses dites minimales : ces clauses permettent aux Etats membres de conserver ou d’adopter des règles plus exigeantes que celles prévues par la directive. Si ces clauses sont interdites, les règles édictées par la directive deviennent contraignantes, ce qui apparaît justifié dans la mesure où elles sont justement censées assurer une protection suffisante - au consommateur par exemple.

Mais la cohérence de l’acquis communautaire doit être préservée à l’avenir et irriguer tout le processus législatif, sur le plan communautaire comme national. 2. Vers une harmonisation en douceur

Ainsi, le CCR a également vocation à être utilisé par le Conseil et le Parlement européen dans leur travaux, notamment lorsqu’ils proposeront des amendements aux propositions de la Commission . Les travaux bénéficieraient ainsi aux différentes institutions à chaque étape du processus législatif, ce qui irait dans le sens de l’élaboration d’une législation communautaire cohérente et de qualité. De plus, le CCR pourrait inspirer la CJCE dans son interprétation de l’acquis sur le droit des contrats .

Sur la scène nationale, le CCR est destiné à aider les législateurs nationaux chargés de transposer les directives, et plus largement à inspirer tous ceux qui ont à interpréter les textes communautaires. En ce sens, il y a lieu d’espérer un remède alternatif, et plus simple, aux questions préjudicielles qui contribuent à la longueur des procès.

Le CCR n’aura pas de valeur contraignante en soi mais devrait devenir la référence nécessaire pour la transposition et l’interprétation des directives, de sorte que par ce biais-là, il devrait même à l’avenir donner effet à la révision de l’acquis communautaire tout en opérant une harmonisation douce des législations nationales.

B. Le CCR comme ébauche d’un instrument optionnel ?

Etant donné cette perspective d’harmonisation progressive en droit européen des contrats, la question d’un code européen des contrats à destination des cocontractants pourrait s’avérer superflue. Mais parce qu’un code permettrait une harmonisation plus rapide, et aurait une valeur symbolique plus forte, la question est encore ouverte.

Il est certain que le travail effectué actuellement servirait de base à l’élaboration d’un code européen des contrats si celle-ci devait avoir lieu. La question de l’utilisation du CCR lui-même comme code européen des contrats se pose également. Mais l’élaboration d’un tel code à destination des parties, et non des autorités communautaires et nationales, a peu à voir avec celle du CCR dans l’esprit des experts . La confusion serait d’ailleurs malheureuse, à en juger le point de vue vraisemblablement très répandu parmi les financiers et juristes de Londres rapporté par Hugh Beale : « le droit anglais est prééminent comme droit choisi par les parties dans les contrats internationaux, et il doit donc être protégé contre toute tentative de le remplacer par un droit européen. » .

Il reste indéniable que la Commission joue néanmoins un rôle moteur dans la construction du droit européen des contrats et que l’élaboration d’un code européen des contrats aura été bien préparée lorsque la volonté politique et démocratique des Etats membres se fera entendre. En effet, « la décision même d’opter pour un code est politique et son contenu, bien que juridique, est inséparable d’objectifs sociaux et politiques » . Or cette décision n’est pas du ressort de la Commission et les travaux en matière de droit des contrats seraient vraisemblablement accueillis avec plus de chaleur et de sérénité si la Commission le reconnaissait explicitement.

Bénédicte Doubliez